Skip to main content

Full text of "Voyages d'un naturaliste, et ses observations faites sur les trois règnes de la nature, dans plusieurs ports de mer français, en Espagne, au continent de l'Amérique Septentrionale, à Saint Yago de Cuba, et à St.-Domingue, où l'auteur devenu le prisonnier de 40,000 noires révoltés, et par suite mis en liberté par une colonne de l'armée française, donne des détailes circonstanciés sur le'expédition du général Leclerc .."

See other formats


28 


? >. à. 

/ # À 

. z y 
nier a | angel, 


DD LP PE ENENS 
VE + 


np 
5 “j1 
# à # £ 


er OS me. 


VOYAGES 


D'UN 


NATURALISTE. 


me 7%: FT 2” He” ? LAS 
4 LS 
ee L | 


Digitized by the Internet Archive 
in 2011 with funding from 
University of Illinois Urbana-Champaign 


A 
2 


‘». 


http://www.archive.org/details/voyagesdunnatura03desc 


2477 FRONTISPICE . d'ae 35 


DOUTE 


1 COURT 


Bombardement du Fort Redoutable de la Crête-a-Pierrot Pres du Bourg de la Petite Riviere de LarriBonrre 


VOYAGES 


NATURALISTE, 


ET SES OBSERVATIONS 


FAITES sur les trois règnes de la Nature, dans 
plusieurs ports de mer français, en Espagne, au 
continent de l'Amérique septentrionale, à Saiat- 
Yago de Cuba, et à St.-Domingue, où l’Auteur 
devenu le prisonnier de 40,000 Noirs révoltés, 
et par suite mis en liberté par une colonne de 
l’armée française, donne les détails circonstanciés 
sur expédition du général Leclerc ; 


DÉDIÉS à S. Ex. Mar. le Comte DE LACÉPÈDE, 


Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, membre du Sénat, 
de l’Institut , etc. 


Par M. E. DESCOURTILZ, 


Ex- Médecin Naturaliste du Gouvernement, et Fondateur du 
Lycée Colonial à St.-Domingue. 


Multa latent in majestate Naturæ. 
Pzixe, Hist. nat. Præm. 


TOME TROISIÈME. 
PARIS. 


DUFART, PÈRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR. 


L Ts Ce 7e 2 


1809. 


Rs Vo ne LR OR LL LR 


AVANT-PROPOS. 


———- | —— 


Crsr autant pour servir l'Histoire 
naturelle, que pour charmer la mono- 
tonie de ma triste existence , l’ennui 
périodique de jours trop longs écoulés 
lentement au milieu d’hommes sauvages, 
ignorans et jaloux; que je me suis dé- 
cidé à mettre à contribution mes foibles 
moyens pour rassembler divers faits his- 
toriques , dont j’étois le témoin oculaire 
dans des parties d’amusemens que des 
amis imaginoient pour négayer. L 

Enivré du désir d’être utile , les pre- 
miers pas faits avec un certainavantage, 
m'ont porté à diriger plus noblement 
ma course dans une carrière, étendue 
à la vérité, mais piquante pour ma cu- 
riosité assidue. 

Peiné des débats existans sur un point 
obscur de lPHistoire naturelle, je me 
suis hasardé de travailler à l’éclaircir ; 
et c’est pour y parvenir que j'ai souvent 

À 3 


v) AVANT-PROPOS. 
risqué ma vie, et concentré encore 
davantage ma solitude pour parfaire mes 
ébauches déjà souriantes à mon activité. 
J’ai scruté, sondé , étudié les ruses, 
les mœurs et la nature du Crocodile de 
St.-Domingue, qui y est appelé Caïman, 
et c’est le récit didactique de mes études 
souvent rappelées sur le même objet, que 
je dénomme sous le titre qu’on voit à 
la tête de cet Ouvrage: De là, partant 
d'une presque certitude, je me suis 
occupé de la division des chapitres, et 
du soin des détails qui ne peuvent qu’in- 
téresser un ami de létude et un contem- 
.plateur zélé. 


DIVISION DE L'OUVRAGE (i). 


Dans Le premier Chapitre, j'ai cru 
devoir démontrer lutilité pour l'Histoire 
naturelle , de donner une idée juste des 


(1) J'achevai à St.-Domingue J'anatomie comparée 
du Caiman de ceite île, en 1800 ; mais des événemens 
malheureux ne me permirent de l'offrir à la classe 
des Sciences physiques et mathématiques de l'Institut, 
qu'en mai 1807. Je communiquai à cette épcque mon 


AVANT-PROPOS. vi 
différences qui se trouvent exister entre 
plusieurs espèces de Crocodiles trop sou- 
vent confondus , et enrichir cette classe, 
de la description d’un individu qui n’a 
pas encore été décrit, ainsi qu’on en 
peut juger par le tableau comparatif. 

Le second comprend sa physiologie 
raisonnée, que na fourni un examen 
sévère. Il est terminé par la récapitulation 
de ses proportions métriques. 

Dans le troisième j'ai placé son ostéo- 
logie raisonnée, où je donne à admirer 
la structure intéressante du reptile am- 
phibie : il est également suivi de la pro- 
portion des mesures du sujet. 

Le quatrième fait mention des parti- 
cularités qui existent dans la myologie 
de ce reptile. Ce n’est qu’un rapport 


travail à M. Geoffroi Saint-Hilaire, occupé alors 
à la confection de son Mémoire sur la détermination 
des pièces qui composent le crâne des Crocodiles 
(voyez les Annales du Muséum d'Histoire naturelle, 
tome x, pl. 249); et je fus assez heureux pour m'être 
rapporté en grande partie avec la nomenclature" de 
ce savant observäteur, qui m'accucillit avec l'afabilité 
et l'indulgence du vrai talent. 


À 4 


#55; AVANT-PROPOS. 
succinct, ne prétendant point faire un 
traité complet d'anatomie. 

Le cinquième renferme la connoïissance 
de sa splanchnologie, véritablement bien 
disparate de celle des autres animaux. 

Le sixième expose au curieux ebser- 
vateur. l’examen intéressant des parties 
de la génération dans le mäle et la 
femelle. 

Dans /e septieme je donne connoissance 
des préludes de son amour, des détails 
sur son accouplement, et de l’âge auquel 
il peut produire : assertions appuyées 
d’un tableau tracé par l'expérience. 

On voit dans le huitieme quels sont 
les soins du male et dela femelle avant 
et après la ponte. 

Dans le neuvième on arrive successi- 
vement à la naissance du petit, et à sa 
position dans lœuf. 

Dans le dixième je rends compte de 
ses mœurs, des ruses qu’il emploie, et 
de la finesse de son odorat. 

Je décris dans le onzieme , la chasse 
qu’on lui fait aux lägons et au bord de 


AVANT-PROPOS. 1X 
l’eau ; la manière de découvrir les nichées 
au frais de la femelle, le danger éminent 
de cette chasse, et la curiosité souvent 
punie. 

La chasse au canot ; purement récréa- 
tive et nullement à craindre, fait le sujet 
du douzième. 

Je termine dans le treizième, Vhistoire 
des.chasses par celle la plus à craindre, 
et pour laquelle il faut des précautions 
bien rigoureuses, je veux dire la chasse 
aux repaires. 

J’assure aux Lecteurs la régularité des 
proportions dans les dessins attachés à 
cet Ouvrage; toutes ont été compassées, | 
après avoir été soumises à une échelle 
de réduction. 

J’enrichirai ce travail de plusieurs 
observations qu’ont bien voulu me 
communiquer M Cuvier et Geofroi 
Saint-Hilaire, depuis sa présentation à 
Pinstitut national, mais ce n’est point 
à titre de plagiat. Il est doux pour ma 
reconnoissance , de concourir à la célé- 
brité de ces savans observateurs. Ex 


# AVANT-PROPOS. 


citant leurs noms, c’est poser un fleuron 
de plus à la couronne brillante dont la 
Renommée les a déjà immortalisés. 

Le désir de rendre lhistoire du Cazman 
intéressante pour tous mes Lecteurs, 
m'a également déterminé à réduire à 
cinq les trente-cinq planches de son 
anatomie comparée, dont je réserve la 
publication pour les Observateurs et 
les Etudians en ce genre. Jai préféré 
flatter l’œil du Lecteur par des planches 
variées et plus récréatives, qui com- 
pléteront le nombre dont le volume est 
orné. 


VOYAGES 
D'UN NATURALISTE. 


VN NN Re ne D RU RO RE RL 
* 


HISTOIRE NATURELLE 
DU CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE, 
APPELÉ CAIMAN; 

Suivie de Notices sur ses mœurs, les diverses 
mameres de le chasser, les ruses qu'il emploie, 
et l’'uulité de le détruire. 

CHAPITRE PREMIER. 


Utilité, pour P ITistoire naturelle, de donner 
une idée juste du Crocodile de Saint- 
Domingue , afin d'éviter une confusion 
déja trop grande dans les nomenclatures. 
T'ableaucomparatif. Parallèle du squelette 
avec celui du Crocodile du Nil. ILappartient 
plutôt au Crocodile qu’au Caïman, décrit 
dans la nouvelle Encyclopédie ; mais c’est 
une espèce particulière , et qui n'atteint 
jamais la taille de celui du Nil (x). 


C: n’est sûrement pas le reptle appelé à 
Saint-Domingue, caiman , que M. Fabbé Bon- 
naterre a décrit dans la parue erpétologique 


(1) L'étymologie du mot crocodile, dit M. Geoffroi 


12 | VOYAGES 

de l'Encyclopédie, par ordre de mauères , dont 
il s’est chargé, où il eût été trompé par de fausses 
instructions, par des renseisnemens imaginaires, 
par des figures idéales, én confiont au graveur 
l'exécution des planches, sans s'assurer de la 


Saint-Hilaire (Annales du Muséum d'Histoire natu= 
relle), vient, d'après Hérodote, Liv. 11, chap. 691» 
de xpnes et deihos , littéralement safran et timide, 
parce qu'on a prétendu que le lézard d'Ionie ne pouvoit 
supporter la vue, ni l'odeur du safran. Voyez Cic. de 
natur& Deorum; et Plin., iv. vit, chap. 28. Il est 
bien reconnu, continue M. Geoffroi Sant-Hilaire, 
qu'il y a en Egypte deux espèces de crocodiles; l'un 
d'un caractère farouche et indomptable, et l'autre 
appelé suchos, dont le caractère plus doux est suscep- 
tible d'être apprivoisé. C'est cette espèce qu'on em- 
ployoit au service des autels. Le culte superstitieux des 
Egyptiens pour les crocodiles étoit si absurde et si contre 
nature, qu'on vit des pères se réjouir d'avoir vu ces 
dieux révérés dévorer leurs enfans!!! IL est appelé 
alligator sur les côtes d'Afrique. Les habitans de 
Fhébes ont tant de vénération pour le crocodile, dit 
aussi Hérodote, qu'on le nourrit de la chair des 
victimes ; et quand il meurt, on l'embaume, et on le 
dépose dans une caisse sacrée. M. Geoffroi Saint- 
Filaire a rapporté d'Egypte plusieurs de ces momies 
qu'il trouva dans les catacombes, où l'on enterroit les 
babitans de la ville de Thébes. Ces têtes embaumées 
sont ornées de pendans d'oreilles d'or ou de pierres 
factices. La ville d'Arcinoë leur fut consacrée. 


D'UN NATURALISTE, 13 


conformité des caractères de l'animal, par des 
personnes qui ont eu occasion d'en examiner 
avec attention. 

A la premiére observation , je vis que le reptle 
meurtrier de Saint - Domingue n’avoit point 
encore été décrit, et qu'on ne devoit pas même 
le comparer au caïman de Bonnaterre, auquel il 
est fort éloigné de ressembler , et pour les formes 
et pour les caractères des nomenclateurs. I} ap- 
paruendroit plutôt au crocodile du Nil, mais 
c'est une espèce particulière qui ne parvient 
jamais à la taille du dernier, duquel il diffère 
encore, sous beaucoup de rapports. C’est donc 
avec l'intention pure d'éclairer l'Histoire na- 
turelle, sur un point jusqu’à présent obscur, 
que J'ai projeté l'étude de ce reptile avec toute 
l'assiduité d’un amateur passionné. 

Tout favorisoit mes intentions dans cette con- 
templation intéressante : voisin de deux rivières, 
VEster et l'Arubomite, qui en sont infestées, et 
dont les canaux arrosent nos jardins, j’étois bien 
à même de m’en procurer à volonté. Aussi 
sortois-Je, avec la cerutude du cuisinier qui va 
faire son choix dan$une basse-cour bien peuplée. 

Je dois rendre jusuce à l’autorité de l'agent du 
gouvernement français, M. Roume, qui, m’ayant 
pris sous ses ailes bienfaitrices, m’a facilité la 
confection de cet ouvrage compliqué; puisque 


14 VOYAGES 
c'est à, la faveur du ütre de naturaliste, dans 
son autorisation de continuer mes recherches, 
que beaucoup d'individus, écartés du théâtre 
de mon travail, se sont avancés pour m'offrir 
leurs services. : 

Mais ce qui n'a rendu ce travail difficile, 
c’est l'impossibilité de trouver un aide intelligent 
pour les besoins mécaniques et manuels; car 
tous me fuvoient. On m'évitoit jusqu’à table, 
où on me servoit à boire et à manger, comme 
à un être impuissant de ses mains, tant l'odeur 
forte et désagréable étoit imprégnée sur mes 
vétemens, malgré mes soins de macérer souvent 
entre mes doiots, la plante qu'on appelle ici, 
herbe aux caimans, dont l'odeur aromauque 
veutralise celle puante des préparations anato- 
miques de cet animal. Il m'a fallu disséquer 
cinquante-sept sujets pour achever mon ouvrage, 
n'épargpant point. mes peines, et voulant urer 
de mes observauons la vérité telle qu’elle doit 
paroitre, et qu'on la promet au public (1). Mais, 


(1) Ces cinquante-sept préparations tant ostéolo- 
giques que viscérales et muscul&ires, destinées aux 
divers cabinets impériaux, furent, hélas! la proie des 
flammes, ainsi que toute ma fortune, et deux mille 
cent de mes planches manuscrites qui avoient été mises 
au net, et étoient l'ouvrage de six ans d'une étude 
assidue et d'un travail opiniâtre, 


D'UN NATURALISTE., 15 


reprenons l’étude du repuüle carnassier de Saint- 
Donungue. 

Je vais faire entrer en parallèle, dans un 
tableau comparatif, cinq de ces animaux de Ja 
même famille, que l’on confond, faute de les 
examiner attentivement. Je veux parler du cro- 

codile du Nil, chef de cette famille redoutable ; 
de celui de une Domingue, auquel je conser- 
verai le nom de caïman, qu'il a dans le pays; 
du fouetie-queue, du gavial, et du caïman de 
Bonnaterre (1). 


(1) Le célèbre Cuvier, dans son savant mémoire 
sur les différentes espèces de crocodiles vivans, et sur 
leurs caractères distinctifs, duquel il a daigné me faire 
le don, et où il annonce avec obligeance mon travail 
sur celui de Saint-Domingue, compte douze espèces 
parfaitement distinctes, savoir : 

Classis. Amphibia. 
Ordo.. Sauri. 
Genus. Crocodilus. 

Dentes conici, serie simplici. Lingua carnosa , lata, 
ori affixa. Cauda compressa , supernè carinata serrata, 
Plantæ palmatæ aut semi-palmatæ. Squamæ dorsi, 
ventris, et caudæ, latæ sub-quidratæ. 

* Alligatores. 

Dente infero utrinque quarto, in fossam maxillæ 
superioris recipiendo, plantis semi-palmatis. 

1. Crocodilus lucius. 

Rostro depresso parabolico, scutis nuchæ quatuor 

habitat in Americà septentrionali. | 


10 MOTAGES 

Voyez ci-joint le tableau comparatif, et suc- 
cessivement, celui du parallele des squeléttes , 
qui achève la détermination. | 


2. Crocodilus sclerops. 


Porca transversa inter orbitas, nucha fasciis osseis 
quatuor cataphracta. (Seb. 1, tab. 104 , f. 10.) Habitat 
in Guyanà et Brasiliä. | 

3. Crocodilus palpebrosus. 

Palpebris osseis, nucha fasciis osseis quatuor cata- 
phracta. Habitat. ..... 

4. Crocodilus trigonatus. 

Palpebris osseis , scutis nuchæ irregularibus carinis 
elevatis trigonis. (Seb. 1, pl. 105, f.3.) Num variet. 
præcedet.? Habitat......." 


** Crocodili. 


Dente infero utrinque quarto , per scissuram maxillæ 

superioris transeunte, plantis palmatis, rostro oblongo. 
5. Crocodilus vulgaris. 

Rostro æquali, scutis nuchæ 6, squamis dorsi qua- 
drats , sex fariam positis. (Ann. mus. Paris, x, tab. 5.) 
Habitat in Africä. 

6. Crocodilus biporcatus. 

Rostro porcis 2 sub parallelis, scutis nuchæ 6, 
squamis dorsi ovalibus, octo fariam positis. Habitat 
in insulis maris indici. 

7. Crocodilus rhombifer. 


Rostro convexiore, porcis 2 convergentibus, scutis 
de nuchæ 


OMPARAT 


vent confondus, l’un 
| 

| 

| 

| 


JE BONNATERRE, 
s. (Crocodilus sclerops)E GAVIAL (3 
(SCHNEIDER. ) | + 


rrondie; le musea: Ltréci 
ER ons rétréci, cylindrique, extrêmement 
à grandeseu renflé au bout; la longueur du crâne 
e cinquième de la longueur totale de la 
M. Cuvier}). Edwards compare ce 
: ec du harle. 
e; ke cofdylome placé | 
J placé plusre de la gueule ne se fait sentir ee 
elles. | 


; égales. 


l’'alvéoles ; 
es ; les dents égales. resqu'égales, 25 à 27 de chaque côté en 
sn haut : les deux premières et les deux. 
le la mâchoire inférieure passent dans 
: : res de la supérieure. (M. Cuvier.) 
a figure de l'Enc 12 PR : 
ne AS es supérieure armée de cinquante- 
“ETS outes et l'inférieure de cinquante, coniques. 
Îles sont égales et plus nombreuses que 


autre espèce. 


u has naroiss 4 
sent , : 
dénasser fu n’est point traversé nar Îles deux. 


depuis mon retour de Saint-Domingue ; dans!! 


éloignée de la Capitale, je n’ai pu me procurer, |£ 
ation de cetOuvrage, Vexcellente dissertation |# 
lue à l’Institut , et publiée en 1801 dans les À 
wlogie et de Zootomie de Wiedmann, et celle}? 
ce des Crocodiles. Ces objets de comparaison 6 
vi arefondre ce tableau comparatif que je n’ai|} 
1t-Domingue , Join de toutes bibliothèques ,|£ 
scriptions souvent infidelles. Je renvoie donc, {À 
grand éclaircissement , à l'anatomie compare€|| 


No. 1. Tome TIT, page 16, 


MPARATIF 


| L'AB:L;: E AU °C 


9 Des différences de conformations entre des Reptiles sofvent confondus, l’un d'eux n'ayant pas encore été décrit. 

——— — : = 
| | | LE CAIMAN DE BONNATERRE Dr. nl 
| TN SAN OCODICE DE SATNT-DOMINGUE, Où lu s. vo iboleronsh LE FOUETTE-QUEUE. : LE GA VI AL (5): 

FE CROLSBELE DU NIL (1) Appclé Caïman. Planche ère, (2) e nue jé 4 
EE "2" ER 


1 


La tête alongée, aplatie sur son sommet ou 
crâne , ayant deux trous ovales, et terminée par un 
gros museau un peu arrondi, 


É A 2 j a ête alongée et un peurelévée vers le bout: le! Le museat 
Mêmes caractères ; la peau adhérente à la tét| La tête ramassée , rrondie; le museau court, | La Me AE Pac nr | ? alongé, un pl 
sans êlre ridée, maïs retenue par des excavations retroussé, en boule-do ue, et couvert de grandes| museau aplati, larg a 
pouctuées, écailles ; le front ren 


rétréci, cylindrique, extrême 
u renflé'au bouts le longueur dt râue)/f 
fait à peine If cinquième de In longueur totale de Jai} 


tête (selon M, Cuvier). Edyvards compare ce 
museau au ÎJec du harle. 


L'ouverture de li gueule se fait sentir jusqu'au 


‘delà des oreilles : le condylome de la base n'est pas 
marqué, 


Même ouverture : le condylome bien‘marqué | Plus courte ouvertu 3 le coïdylome placé plus] L'ouverture de la gueul 


dépassant pas l'o-|! 
dans tout son reploiment ovalaire. au dessous. 


L'ouvertufe 
jusqu'aux ob 


cs la gueule ne se fait sentir que 
(:1SS ; ; 


Mächoireg égales 
achoi ni s és isposili emblables mesures. äâchoireg égales, 
La mâchoire supérieure plus longue, et recou- Mêhnes caractères. Mêmes dispositions S e 

Vrint les dents antérieures du bas. 


Les dents tantôt à découvert , tantôt cachées par 
les mächoires, l 


al dents de même, inégales en grosseur et| Aucune apparence 


lalvéoles ; les dents égales. | Les dents paroissant à décoüert. 
ongueur. 


Ï HSE 
Les dents esqu'égales, 25 à 27 dec 
bas, 27 à »8 dn haut: les deux prem 


On en compte 36 à chaque mächoire : elles sont| Tr nie-huit dents à la mâchoire supérieure , et 
coniques , pointues, un peu recourbées vers la treu 

gueule, d'une grosseur inégale, et disposées sur 
une méme rangce, 


J'en compte, dans 
à l'inférieure; coniques, striées jusqu'à l'âre | vingt-six à chaque 
adulte, un peu recourbées, d'une grosseur inégale , égales, coniques et re 
et su un seul rang. 


a figure de l'Encyclopédie, | La mâchoire supérieure! 
ächoire; elles sont toutes | huit dents; celle u bas 00 
urbées, crochues , toutes à peu près 


unie de quarante-| La mâchqire supérieure armée de cute” 
krante, longues et [huit dents, étl'inférieure de cinquante, coniques 

es. et droites. Elles sont égales et plus nombreu: s que 

dans aucune futre espèce. f 


Les deux dents antérieures du bas traversant la 
mâchoire supérieure. Les quatrièmes qui sont les 
plus longues , passent dans. des échancrures, et ne 


à k 1 1 
ont point logées dans les creux de la mâchoire 
supérieure, 


i au. 
Ge; Crocodile ‘a la dixième du haut et les! Les deux dents bas. paroïissent dépasser| Les deux dents ne mr pas le musea 
4 et me du bas plus longues que leur voisine ;'le museau , quoiquon naperçoive pas les 


sis 
Le musedu n'est point Î 
mémé caractère pour les dents du bas. conduits. 


dents antérièures du bas. 


.Le bout du museau garni d'un disque cartila- 
slneux où sont placées 


ù es narines marquées par 
Seux croisçsans, GE) 


: É ; s : ee ositifément au bout du 
Même conformation : les croissans placés près!” Les caractères poinbassez déterminés dans la Les uarines placées posit 
l'un dé l'autre comme deux festons. 


issans adossés. 
figure, pour prononce museau , en forme de croiss ch 
KT sui _—— 


Les yeux saillanpnais écartés l'un de l'autre.| Les yeux gros et rapprénhés) 


Les yeux gros, sur le somm 


et dela tête, ne pa- 
OÏSsant pas L'ès-rapproc hés, 


Les yéux très-saillans, placés sur le 


sommet de la 
tête, 


| 
l 


Les oreilles derrière et au dessous du niveau| Les valves éloi nées RER 1 yeux, Er Ja 
des yeux; les valves rubanées forme de quatre demi-cercles se éunissant par leur 
3 4 ; 


Les yeux très-saillans, et comme placés sur Ja 
tête hors des orbitaires.. : é 


Les oreilles très- 


près el au dessus du niv 
yeux. 


eau des 


De même : Ja valve, qui se rabat devant l'ou- 
verlure, est festonnée sur ses bords, 


Les oreilles placées derrière les yeux. 
* 


base. 
Le coù chareé de tubercules. Le Léunures distinctes tu- ou garni de sailhies proéminentes. Le cou srl de phs ous sglure FETES 
| F S s çou ga sa ee cles: ; ü Ft 
Ë : î 

n!! u Mgr, lo Grand Chancelier Lacépède, dans son! {:) Décrit par Me Geofroi-de-Saint-Hilaire. ( Annales : r (3) Confiné 4 à 

Stoiro des quad rupèc S$ OPivares, pag. 255 , en distingue du Muséum d'Hist nat. ,tom.1]l 55 
deux. Cette nssertion véridique à été conlirmée depuis Re A2 TE 
pe M. Gcoffroi-de-Saint-Hi ai 


une campagne 
avant la publi, 
de M. Cuvier, 
Annales de ZdQ 
urla différer 
mauroient se} 
pu faire à Saïy 
qu'avec Le de 
Pour un plus 
de M. CSTA 


x M, ire, savant distingué 
nus È Me 


= 
D 
! 
= 
[ 


à ff 
Suite du Tableau comparatif. 


LE CROCODILE DU NIL. 


Le corps armé de segmens couverls de tubéro- 
sités calleuses. 

Les rangées de tubercules sont plus élevées dans 
les bords au dessus des flancs que dans le centre. 


Le ventre grumelleux. 


Quatre doigis derrière palmés, dont trois pourvus 
* AQU 


d'ongles. 


Cinq doigts devant séparés, souvent p'étant point 
tous pourvus d'ongles. 


Les pieds armés d'éperons latéraux et cartila- 
gineux ; ceux de derrière palmés, 


La queue ornée de deux rangs de tubercules 
relevés en forme de crêtes presqu'arrondies, se 
réunissqut en un seul rang à une certaine distance 
de son extrénuté, 


La queue trainante, aussi longue que le corps, 
mais pas si grosse dans toutes ses proportions que 
celle du Caiman do Saint-Domingues 


Sa couleur est tantôt jaunâtre tachetée de brun , 


Je dos brun avec des bandes jaunes, 


. On dit que sa longueur est quelquefois de vingt- 
cinq pieds sur cinq de circonférence. 


mm 


vimme-ileaiste des didférences-danslooemmetères-des-doux-promicrs-seulement.aomap: 


LE CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE, 
Appelé Caÿman. Planche ir, 


. 
Idem, mais les bindes point régulières, et les 


tubercules non placés à point nommé. 


Même position. 
Idem, et à compartimens carrés. 
Même configuration. 


Cinq doigts devant séparés , ‘dont trois seu- 
lement sont pourvus d'ongles. 


Mèêmes caractères; les éperons bien prononcés; 
les pieds de dernière palmés. 


La queue garnid de même, d'abord de deux 
rangs de crêtes lymplleuses, mais plus distinctes , 
plus flexibles, et point arrondies ; augmentant de 
longueur où elles np forment plus qu'un rang. 

| 


La queue trainan(e, aussi longue que le corps, 


! 


LE CABMAN DE BONNATERRE, 
Ou Caïman à lunettes. (Crocodilus sclerops). 
(SCHNEIDER ). 


Le corps recouvert d'écailles sous diverses figures. 
A peu près la même. 
A écailles raboteuses. 


Quatre doigts a Pt et pourvus 
d'ongles. | 


, è | 
Cinq doigts devant séparés , tous pourvus 
d'ongles, re | 


On n'y voit point d'éperons latéraux (caractères 
propres aux Caïmans). 


Les écailles de la queue embrassent la moitié 
de sa circonférence, et se recouvrent les unes sur 
les autres. 


La queue sur la figure de l'Encyclopédie, ne 


et monsirueuse à Sa naissance par sa circon-|paroît pas aussi longue que le corps; elle est 


férence, 


Mêmes nuances} d'après les diverses gradua- 


les couleurs rembrugissent : à quatre pieds sa robe 
est dans toute son élégance. 


Ila, à sa plus grânde taille, seize pieds et demi 
sur cinq de circonférence. 


a 


As 


arquée et retroussée, 


On ne dit point sa couleuf. Eucyclop. méthod. 


tantôt d'un vert sale avec des bandes brunes, tantôt {tions où on le rendontre ; car plus il vieillit, plus|Erpetologie, page 36. 


On dit que sa taille est quelquefois de vingt 
pieds. 


CONCLUSION. 


LE FOUETTE-QUEUL. 


Le corps revêtu d'écailles rhomboïdes disposées 


sur rangées transversales. 


Les écailles sont presqu'ésales. | 


Garni-d'écailles unies etcomme rayées super- 
ficiellement. 


Cinq doigts derrière palmés et pourvus d'ofgles. | Quatre doigts garnis d'ongles; les deux ext 


Cinq doigts devant séparés, garnis d'ongles f 


crochus. 
Les éperons seulement apparens aux pattés de 
derrière. 


La queue ornée pareillement de deux rangs de 
tubercules, en crête , courte et recourbée. 


Sa seule dénomination doit cesser de le faire 
méprendre avec le Caiman de Saint-Domitpue, 
qui n’a pas la même souplesse dans la quehe. 


Î 
Les écailles sont d'un jaune de safran fonpé et 
mélangé de brun, 


Sa taille m'est inconnue. | 


LE GAVIALS 


Même disposition d'écailles que le crocodile, 
mais les tubercules plus nombreux sur le dos. 


Les caroncules des flancs, innombrables, 


Lisse el à compartimens carrés. 


rieurs à moitié palmés. 


Cinq doiets devant onglés, etune petite men 
Ibrane entre le second et le troisième. 


Mêmes caractères 


bien visiblement distincts 


Sa queue semblable à celle du Caima 
Saint-Domingue. 


ÊAE 


La queue aussi longue que le corps, ct} 
issant, conforme aux proportions de cell 
aiman de Saint-Domingue. ° 


‘Point de renseignemens sur sa couleur. + 4 


J'ignore aussi’ le période de son af ro 
sement. est 


+270) 


LE GAVIAL 


! 
. 
| 
| TO AUERSE-DRO REED 2e SERRE TERRE EE SEE TS 
| , A 1 0 l 
osees , 


faire 
1gue, 
ue. 


cé et 


Même disposition d'écalles que le crocodile 
mais les tubercules plus nombreux sur le dos. 


Les caroncules des flancs, innombrables. 
Lisse el à compartimens carrés. 


Quatre doizts garnis d'ongles; les deux exté-Mi, 
rieurs à moitié palmés. 


Cinq duiets devant onglés, et une petite mem- 
brane entre le second et le troisième. 


Méêmes caractères bien visiblement distincts. 


Sa queue semblable à celle du Caiman de 
Saint-Domingue. 


roissant conforme aux proportions de celle du 


La queue aussi longue que le corps, et pa-l!. 
| 
Caïman de Saint-Domingue. | 
| 
| 


‘Point de renseignemens sur sa couleur. 


J'ignore aussi le période de son accrois- 
sement. | 


etes : 


N°. 2. TomelIÏT, page 16. 
Les Caracteres phy Lomingue, 
le rapproch: dit. 


Voyons à une disse@mparalson. 


PARALLETTES. 


LA 
CROCODILE DUINT-DOMINGUE, 
LA TÈTE. ÎTE 


Si la figure est régulière dans l'Enc°°e$ de dents inégales en. 
copié le squelette du Crocodile, je les suivent les festons des 


dents égales à la mâchoire inférieulent de la mâchoire sapé- 


| PNR .. . ème de l'inférieure plus 
J'apercois bien à la mächoire 1 


oblique au dedans duquel passe intérie 


- DESERT ent festonnées, en relief, 
masseter, mais point d'alvéoles par 


dentelures des apophyses convoi 25e SEEN 


i : èvement de la mâchoire 
qui, par la tension du muscle mass: 


# : it perforés pour le jeu des 
disposées à soulever les chairs qui P P 


Le trou ovale et oblique se 
respect. Le “ 
__ hnaxillaires. 
L'arc temporal point prononcé. 
» L'orbitaire petit et point aussi élevasé et placé presqu'au 


N°.2. TomelIIT, page 16. 


Les Caractères physiques du Caïman ve Saint-Domingue, 
le rapprochant du Crocodile proprement dit. 


Voyons à une dissection intérieure pour parfaire la comparaison. 


—————————_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_——EEEE | 
RER ES CS | MR 7702 ee SO a 


PARALLÈLE DES SQUELETTES. 


CSSS SES SSSR 


CROCODILE DU NIL. 


LA TÈTE. 


Si la figure est régulière dans l'Encyclopédie où j'ai 
copié le squelette du Crocodile, je ne vois que des 


dents égales à la mâchoire inférieure. 


J'apercois bien à la mächoire inférieure le trou 
oblique au dedans duquel passe intérieurement le muscle 
masseter, mais point d'alvéoles partagées; point les 
dentelures des apophyses condyloïdes et coronoïdes, 
qui, par la tension du muscle masseter, se trouvent 
disposées à soulever les chairs qui les tiennent en 
respect, 


L'arc temporal point prononcé. 


L'orbitaire petit et point aussi élevé, 


D — 


Point de traces d'oreilles, 


La partie antérieure ge museau plutôt pointue que 
atulée. 


Au lieu dune plate-Forme l'endroit dr crâne, jee" app sie plat ctperforé de deux 


jois couvert d' apophyses saillantes qui l'écartent beau 


coup de celui du Caïman de Saint-Domingue. 


0 
CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE. 


LA TÉTE. 


Les deux mächoires armées de dents inégales en 
“grosseur et longueur , lesquelles suivent les AA des 
os maxillaires. La dixième dent de la mâchoire supé- 
rieure et les quatrième et onzième de l'inférieure plus 
longues que leurs voisines. 


Les maxillaires élégammbnt festonnées, enrelie 
d'alvéoles süllantes. Les apophyses condyloïdes 
cotonoïdes ; marquées au rdlèvement de la mächoire 
inférieure, Les os ponctués et perforés pour le jeu des 
fibres nerveuses du dedans. ir trou ovale et oblique se 


faisant mieux sentir sur les maxillaires, 


L'arc temporal cintré. 


L'orbitaire largement évasé et placé presqu'au 
sorimet de la tête ; les yeux lrès-prés l'un delanten eme 
plate-forme du conduit auriculaire placée au 
dessus de l'arc temporal. 


Le museau spatulé antérieurement : sa voûte moulant | 
vers les os du crâne, 


les orbitaires, et d une troisième excavation osse 
sémi-circulaire CE au milieu de r 
d'apophyses en ces parties. “ie 


Suite du Parallèle des Squelettes. : 


CROCODILE DU NIL. 
LE CORPS 


Les cervicales réunies et paroissant ne former qu'un 
seul corps, ce qui, j int à la construction des vertèbres 
du tronc, rendroit plausible l'assertion de quelques riar- 
rateurs au sujet de la difficulté de ses mouvemens de 


côlé. 


Les clavicules uniformes paroissent détachées dé la 
cage; celle-ci nullement comparable à la boite osselise 
du Caïman de Saint-Domingue. ‘| 

Le premier segment composé d'une côte courbe et 
cylindrique; le second segment paroit être un disque 
cartilagineux, et le troisième une ligne. courbe plus 
largement arrondie à son départ qu'à la fin de|saÿ 
courbure, cependant marquée par un bouton. | 


Les côtes lâches et non réunies par un slernum. | 


Aucune apparence d'omoplate; l'humerus d'une 


construction particulière. | 


| 
Les dorsales et autres vertèbres tellement serréés, 
que ce rapprochement rend impossibles les circon- 
volutions de l'animal. 


Er J 


crochues; la cage ne paroïissant composée quede sept 
vraies, à la suite desquelles se trouvent cinq fausses 
grêles. | " 


Le bassin ne paroissant 


clavicules inférieures, 
7 


! LA QUEUE. rt 
MA : 

ÎLes vertèbres caudales ne ressemblant en atic 
manière à celles du Caïmidn de Saint-Domingue, 


ne 


” recourbément vers latte, qui n'est point non plusii 


CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE. 
LE CORPS. é 


Les cervicales bien distinctes et mobiles par des ax: à 


communs, de même que les vertèbres du tronc qui 
reploient facilement sur elles-mêmes, étant placées 
recouvrement, comme on peut le voir planche 
conformalion qui donne beaucoup de souplesse à 
mouvemens de l'animal. 

Les clavicules solidement jointes à l'omoplate 
un ligament tendineux, et adaptées à la losang, 
cartilage xiphoïde. 
forment des côtes uniformes. L'abdomen est en oütr 
recouvert d'une réunion de côtes grêles en che 
brisé, réunies et solidifiées par des muscles ï 
costaux. s Î 

Le sternum dépassant la cage et s'avançant sous 
dernières vertèbres cervicales, il est prolongé pa 


TEE ES 

Point d'union trop étroite entre les vertèbres 
quelles des altaches nerveuses et tendineuses aol 
un jeu facile dans, tous les sens, excepté pour 


position naturelles . 
Les lombaires sans côtes pendantes : la cage ormée 


de douze sur chaque flanc , différemment élagées vers 


. 


l'épine dorsale. 


Le bassin, ou les os des isles, composé de douze 05, 


y compris les quatre clavicules inférieures. | 


Re u 
LA QUEUE. , ? | 

Différente configuration dés vertèbres caudales que 
l'animal meut à volonté, excepté daus la direction 
supérieure , c'est à dire en cerceau. 


rallèle des Squelettes. 


Gr om 


CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE. 
LE CORPS. 


Les cervicales bien distinctes et mobiles par des axes 
communs, de même que les vertèbres du tronc qui se 
reploient facilement sur elles-mêmes, étant placées en 
recouvrement, comme on peut le voir planche ITT, ! 
conformalion qui donne beaucoup de souplesse aux | 
mouvemens de l'animal. 

Les clavicules solidement jointes à l'omoplate par 
un ligament tendineux, et adaptées à la losange du 
cartilage xiphoïde. 

Frois segmens brisés, et ramenés versle sternum, 
forment des côtes uniformes. L’abdomen est en outre 
recouvert d'une réunion de côtes grêles en chevron 
brisé, réunies et solidifiées par des muscles inter- 
COsfaux. 

Le sternum dépassant la cage et s'avançant sous Îles 
dernières vertèbres cervicales, il est prolongé par le 
cartilage xiphoïde qui sert à la réunion des côtes. 

L'omoplate et les clavicules réunies conjointement 


au sternum , l'humerus ne différant point de celui des 
LA QUEUE. 

Différente configuration des vertèbres caudales qu2 

l'animal meut à volonté, excepté dans la üirection 


supérieure, c'est à dire en cerceau. 


D'UN NATURALISTE. 17 


nuchæ 6, squamis dorsi quadratis sex faritm positis ; 
membrorum squamis crassis, carinatis. Habitat... 
8. Crocodilus galeatus. 
Crista elevata bidentata in vertice, scutis nuchæ 6. 
(Hist. anim. Paris; t. 64.) Habitat in Indià , ultra 


Gangem. 
9. Crocodilus biscutatus. 


Squamis dorsi intermediis quadratis, exterioribus 
irregularibus subsparsis, scutis nuchæ 2. Habitat... 


10. Crocodilus acutus. 


Squamis dorsi intermediis quadratis, exterioribus 
irregularibus subsparsis, scutis nuchæ 6, rostro pro- 
ductiore ad basim converso. (Geoffr.an. mus. Paris, 11, 
tab. 57.) Habitat in magnis Antilis. 


*** Longirostres. 


Rostro cylindrico, elongato, plantis palmatis. 
11. Crocodilus gangeticus. 


Vertice et orbitis transversis, nucha scutulis 2. 
(Faujas, Hist. mont. S. Petri, tab. 46.) Habitat in 
Gange fluvio. 


12. Crocodilus tenui rostris. 


Vertice et orbitis angustiornibus, nuchæs cutilis 4. 
(Faujas, loc. cit. tab. 48.) Habitat... 


[gel 


Tome Il. 


18 VOYAGES 


ARCS SSSR D D D nn ee 5 ee So 


CHAPITRE DEUXIÈME. 


Physiologie raisonnée du Caiman de Saint- 
Domingue. Proportions du sujet décrit, 
ayant quatre pieds huit pouces. 


1e caïman , lézard-crocodile, animal amphi- 
bie, si redoutable dans ses affüts, où 1l garde 
le silence le plus profond; la terreur de tout 
être vivant , au caractère farouche et indomp- 
table, est tantôt d’une couleur obscure, qui 
le fait souvent confondre avec des vieux troncs 
d'arbres abattus ; tantôt d’un vert sale , marbré 
de taches noires, brunes, olives ou grisätres (1). 

Je ne sais pourquoi M. l’abbé Bonnaterre 
refuse le utre d’amphibies aux crocodiles , qui 
le sont cependant réellement. L'eau est plutôt 
leur élément que la terre , où ils languissent , et 
meurent même bientôt desséchés par. l’ardeur 


(1) La couleur noirâtre au lieu de verte, dont la 
robe de certains caimans est empreinte, ne désigne 
pourtant point une autre espèce. Ceux de l'Ester et 
de la rivière de l'Artibonite sont nués de couleurs 
vives et brillantes, tandis que ceux des lagons sau- 
imâtres ont les tons plus rembrunis. 


LS 


Le Cayman Surpris. 


D'UN NATURALISTE. 9 
du soleil qui leur est très-funeste. Aussi, quoi- 
qu'ils se plaisent souvent à recevoir sur leur 
corps l'influence de cet astre, ils sont forcés 
néanmoins de regagner bientôt la plage hquide 
pour faire reprendre à leur peau cette souplesse, 
cette élasticité qu'elle perd par la dessication. 
Sur vingt-quatre heures , le caïman reste à peine 
six heures sur terre, encore Ja majeure parue 
est-ce pendant la nuit. Je m'étendrai davantage 
sur ses mœurs, dans divers traits véridiques que 
je citerai à la fin de son histoire , et dans les 
chasses qu’on a imaginées pour le détruire. 

La disposition naturelle da climat à putréfier 
promptement tout corps corruptible privé de la 
vie , m'a forcé de faire mes observations , tantôt 
sur des jeunes, tantôt sur des vieux; ce qui 
m'a confirmé que les proporuons ne sont pas 
les mêmes, et les caractères aussi parfaits dans 
les jeunes que dans les adultes : mais venons à sa 
description. 

Le sujet avoit, de l'extrémité du museau à 
celle de la queue, quatre pieds bnit pouces; 
ayant choisi cette taille pour pouvoir dessiner 
les figures de grandeur naturelle. Tout son 
corps étoit recouvert d’une peau coriace, cornée 
et écailleuse , armée aux parties supérieures et 
latérales de tubérosités calleuses, qui rendent 

à la taille de dix pieds, ces parties élasuques 


B 2 


20 VOYAGES 
résistibles aux coups de feu.L a queue prise au 
milieu du bassin est aussi longue que le reste du 
corps. 

La téte longue et conique, est raccourcie 
dans les mâles, et plus effilée dans les femelles. 

Le museau d'abord renflé , s’abaissant après 
la proéminence antérieure spatuleuse, remonte 
aussitôt pour aller former la voûte du cerveau, 
au devant de laquelle sont placés verticalement 
deux yeux trés-saillans, séparés seulement par 
une cavité de quelques lignes, laquelle, en 
formant une surface plane, recouvre le dessus 
de la tête d’une double armure qui se termine 
un peu au dessus des vertébres cervicales par 
une ligne arquée légérement au milieu, mais 
plus sensiblement aux deux extrémités qui 
reprenant de chaque côté , en se repliant, une 
direcüion parallèle , vont se joindre au coin 
postérieur de Pocil. Le bout du museau dans sa 
parte renflée, est surmonté d’un disque caru- 
Jagineux eisaillant, perforé de deux trous arqués 
qui servent de conduit nasal et d'organe olfacuf. 
( W’oyez ma monographie du caïman.) 

La mâchoire supérieure (1), festonnée et 
SR 


(1) Le caïman est le seul des animaux dont la 
mâchoire supérieure soit mobile sur l'inférieure. Cette 
découverte est due à Hérodote, La tête du squelette 


LM Ld RE 70. L/ À LÉ 


Tu. d age 21. 


Po: 


EE T 


D'UN NATURALISTE., SI 

armée de trente-huit dents canines et inégales , 
dépasse un peu l’inférieure : au devant de cette 
dernière se trouvent deux dents qui, lors de la 
réunion hermétique, s’emboîtent dans deux 
tuyaux qui, leur servant de gaine , sont placés à 
la mächoire supérieure dont ils dépassent la 
convexité, Ces deux tuyaux se trouvent devant 
le disque carulagineux , canal de sa respirauon. 
Chaque dent est cannelée de bas en haut, 
jusqu’à l’âge où les stries se perdent par le 
développement ou lusé de cette arme terrible. 


(pl. Le fig. 11.) a la mächoire ouverte, pour faire 
voir de quelle manière le crocodile élève la mâchoire 
supérieure sur l'inférieure. A l'égard de l'état de mo- 
bilité de la mâchoire supérieure vers l'inférieure, 
M. Geoffroi Saint-Hilaire observe avec raison, 1°. que 
la mâchoire inférieure est d'un sixième plus longue 
que la mâchoire supérieure et le crâne ; 20, que cette 
même mächoire inférieure présente une cavité à 
double facette, où s'articulent par ginglyme les cornes 
de los temporal ; 50. que le condyle occipital est sur 
la même ligne que les quatre condyles des os tempo- 
raux, en sorte que la tête est réellement retenue 
vers ses points d'articulation , comme le couvercle 
d'une boîte l'est par une charnière; et 40. que les deux 
mâchoies n'ayant qu'un mouvement simple de haut 
en bas, ne peuvent se porter séparément à droite on à 
gauche, pour faire subir aux alimens une sorte de 
trituralion. 


L°3 


22 VOYAGES 


Elles sont également creuses à l’intérieur , s’em- 
boftant l’une dans l’autre pour leur renouvel- 
lement. (F'oyez ma monographie du caïman.) 

La mâchoire inférieure, qui forme une ligne 
droite , est seule mobile et armée de trente dents 
canines , ainsi qu'il suit : quinze de chaque 
côté ; le vide qui se trouve entre les deux cro- 
chets antérieurs du bas, est rempli par deux 
autres provenant de la mâchoire supérieure. 
C’est un emboîtement serré et parfait, au travers 
duquel rien de l'intérieur ne transpire. Je 
compare la jonction des deux rateliers à celle 
du coquillage bivalve, appelé Za grifiite. Les 
dents n’étant que canines à cause de leur dispo- 
sition, l'animal n’a pas besoin de molaires; aussi 
ne fait-il que déchirer et avaler. On voit an 
reste (dans ma monographie du caïman de 
Saint-Domingue, pl. AU, fig. 1ère d’ostéologie) 
que ses mächoires ne peuvent se mouvoir que 
verücalement. 

Les dixièmes dents de la mâchoire supérieure 
qui sont plus grosses que leurs voisines, et qui 
servent à faire des hochets aux enfans, se 
tronvent, de chaque côté, dans une alvéole 
renforcée. Celles de l'inférieure , destinées au 
méme usage , et qui se trouvent à Ja chute de la 
pare renflée du museau, sont, de chaque côté, 
emboîñtées dans la quatrième alyéole. Ces mon- 


D'UN NATURALISTE. 23 


ucules , sans lèvres , ni gencives, sont calleuses, 
saillantes , et point retenues sous un même tissu 
charnu comme dans les autres animaux. Les 
dents sont séparées lune de lautre par un 
espace destiné à -en recevoir une de la partie 
opposée, et enchässées dans leur alvéole res- 
pecuve, trouvant à loger leur pointe dans un 
trou pratiqué à cet eflet dans le milieu de l'os 
maxillaire qui lui fait face. La chute de ces 
premières dents à la suite de quelque combat, 
est réparée par l'apparition de nouvelles qui se 
trouvent au fond des alvéoles. 

La ligne longitudinale de l'ouverture de la 
mâchoire n’est point droite; elle est composée 
de quatre festons. La commissure de la base de 
la mâchoire est renflée dans la peau d’une 
bourse ou condylome, qui se déride pour favo- 
riser la dilatation de la gueule : c'est au dessus 
que se trouvent les oreilles. 

Les oreilles sont apparentes seulement sous 
la forme d’une tunique en feston horizontal. On 
est obligé d’écarter la lèvre , ou plutôt la mem- 
brane qui leur sert de tégument , en forme de 
basque à un battant, pour en examiner l’inté- 
rieur qui se perd autour du cerveau. Cette peaz 
(voyez ma monographie du caïman de Saint 
Domingue ; physiologie, pl. VIT, fig. vr et vi. ) 
étroite d’abord et adhérente à une ligre droite. 

B 


à 


2Â VOYAGES 


sa base diverge en s’élargissant vers le bout 
arrondi. Elle est attachée du côté supérieur, par 
des ligamens; sous le couronnement qui se 
trouve au dessus de locciput : elle est soulevée 
à volonté , et fermée daus l’eau par lanimal (r). 

Glandes musquées. Sous la mâchoire infé- 
rieure, au niveau perpendiculaire de lœil , la 
peau dans ses rides cache, de chaque côté , une 
légère ouverture conduisant à une glande renfer- 
mant du muse, laquelle varie de grosseur 
suivant les âges, comme on peut le voir dans les 
figures vin, 1x, x, x1 de la planche VIIT, de 
physiologie de ma monographie. C'est de cette 
parue et de l'ouverture sexuelle que s’exhale une 
odeur de musc insupportable , lorsque le caïman 
s’étend par terre pour se reposer au soleil, la 
gueule ouverte, ct dans l’état de nonchalance 
qui lui est familier. 


Ses yeux sont d’un jaune verdatre tacheté. 
4 ] 


(1) Certains voyageurs, dit M. le comte de Lacépède, 
auront apparemment pensé que cette peau, relevée en 
forme de paupières, recouvroit des yeux; et voilà 
pourquoi l'on a écrit que l'on avoit tué des crocodiles 
à quatre yeux. Voyez Bryvn. Hist. nat. de la Jamaique, 
page 461. Hérodote dit qite les habitans de Memphis 
attachoient des espèces de pendans d'oreilles à des 
crocodiles privés qu'ils nourrissoient , et embaumoient 
après leur mort. 


D'UN NATURALISTE.. 25 
La rétine qui est suscepuble de se resserrer 
comme dans le chat, est une ligne courte, 
noire et perpendiculaire, lorsqu'il est en repos, 
et lenuculaire lorsque quelque chose l’offusque. 
Elle est entourée d’une raie d’un jaune päle, 
qui s’arrondit d’après les monvemens de la 
réune qui chatoie à volonté. L’iris est une ligne 
noire étroite , entourant la pupiile d’an jaune 
sale. Au moindre étonnement, l'animal recouvre 
le globe de l’œil, d’une paupière inférieure 
cristalline, où membrane mnictitante (1), se 
fermant de l’angle añtérieur , et allant joinüre le 
postérieur. Ce tégument est recouvert lui-même 
d’une paupière extérieure , ridée et écailleuse. 
J'ai remarqué l'usage de cette membrane 
clignotante, en faisant nager un caïman de 
cinq pieds que je retenois depuis huit jours dans 
une chambre, sans aller à l’eau. Ce séjour aqua- 
tique, quoique court, rappela sa férocité. 
Comme il a besoin de voir dans l’eau pour ne 
pas manquer sa proie, sa cornée élant trop 
sensible , la Nature l’a pourvu de cette paupière 
transparente qu'il garde étendue, tandis que 


(1) M. Gecfroi Saint-Hilaire réfute avec raison 
l'article par lequel Hérodote prétend que le crocodile 
ne voit pas dans l'eau. Ses paupières vitrées prouvent 
au contraire que la Nature l'y a destiné. 


26 VOYAGES 
l'opaque est reurée, { Physiologie, planche VIT, 
fig. IV; ouvrage déjà cité.) 

Sa langue, qu'un proverbe créole dit être 
mangée par le chien, dont il est pour cela 
l'ennemi juré , n’est point saillante : elle est 
toujours enduite d’une humeur visqueuse (1), 
cachée sous une membrane pelliculaire très- 
mince, et composée de plis pour favoriser tous 
ses mouvemens. (Physiologie, pl. V et VI; 
ouvrage déja cité.) Quoique cette masse charnue 
soit retenue sous une membrane, elle ne s’en 
contracte pas moins lorsque l'animal veut con- 
duire ses alimens à l’œsophage. Alors elle se 
ramasse, et est portée en arrière à l’aide des 
muscles tüiroïdiens. 

Sa gueule, ce gouflre si avide, est tapissée 
d’une peau ridée d'un jaune clair piqueté de 
points sangumolens ; elle se ferme avec tant de 
force , que souvent ses dents volent par éclats , 


om 


(1) Hérodote dit avec vérité que lorsque le caïman, 
étendu sur les berges, y dort la gueule ouverte, elle 
est tapissée de maringoins souvent retenus par un 
mucus qui l'enduit en tout tems; c’est le todier qui 
va le délivrer de ces hôtes incommodes et nuisibles, 
et dont cet oiseau fait sa nourriture, Aussi le caiman 
même à son réveil, par une reconnoissance légitime, 
ne cherche point à inquiéter un si officieux pro- 
lecteur. 


D'UN NATURALISTE. 27 


surtout si l’objet qu’on lui présente est dur. Ses 
mâchoires éprouvent un claquement sec , lors- 
qu'il cherche à mordre; ce qui a heu lorsqu'on 
se plaît à l’agacer : à ce bruit, tout son corps est 
dans un état convulsif. (Physiologie, pl. V et VI; 
ouvrage déjà cité. ) 

Son gosier, au premier abord de sa capacité, 
paroît très-peu vaste ; mais dès qu'on vient à 
lexaminer , et à éprouver sa dilatation, on 
reconnoît qu'il est très-élastique, semblable en 
cela à celui des serpens. Son entrée est entière- 
ment cachée par une luette à deux pans, recou- 
verte d’une large membrane mobile et pendante, 
qui cède aux impulsions de l'expiration et de 
l'inspiration, aussi bien qu’à la nourriture dont 
la pesanteur et ‘le volume franchissent sans 
peine le léger obstacle. (Physiologie, plancheW ; 
ouvrage déjà cité.) La soupape élastique de la 
base de la langue a la forme d’un cuilleron; elle 
est intérieurement carülagineuse ; flanquée par 
deux os yoïdes (voy. pl. IV de ce volume), 
et placée au fond de sa gueule meurtrière, 
entre les angles de la mâchoire. C’est à l'aide de 
cette adnurable organisation que le caïwan, 
lors du relèvement de la soupape, peut rester 
dans l’eau la gueule ouverte, sans craindre 
l'introducuon du hquide environnant. 


La luette membraneuse à deux pans, reeue 


25 VOYAGES 

dans la cavité de l’épiglotte, dont l’avancement 
concave relève vers le milieu de la parue 
charnue , sert de double soupape contre l’intro- 
ducuon de l’eau qui ne peut avoir lieu à canse 
du happement continu , et de l’adhésion de 
cohésion de ces parties l’une vers l’autre. L’ou- 
verture du gosier étant, dans cet état, imper- 
méable à l’eau, à plus forte raison la trachée- 
artère en est-elle délivrée : alors le caïman res- 
pire par les deux évents du carülage nasal : 
mais, Comme cet air ne lui suffit pas, il reparoît 
sur l’eau, et ouvre sa guenle de temis à autre, 
pour en laisser passer un plus grand volume. 

Le caïman a deux sons différens pour mani- 
fester sa colère : le premier , triste effet du période 
de sa fureur , navre d’un saisissement involon- 
taire ; c’est un rugissement rauque, bas, grave et 
comme étouflé, un peu à la manière d’une lice 
défendant ses petits : l’autre, qui n’est pas moins 
effrayant, est produit par un effortintérieurspon- 
tané, qui Jui fait chasser l’air contenu dans ses 
poumons, lequel obligé d’écarter les deux lèvres 
serrées et pendantes du palais, puis les carontules 
qui ferment le vide de cette partie, de concert 
avec la soupape décrite, sort avec le bruissement 
d'un soufilet d’orgues fortement comprimé. 
{ Voyez l’intérieur du gosier, physiologie, 
pl. IV de ce volume.) 


D'UN NATURALISTE. 29 


Je ne puis nr’étendre ici sur la structure 
interne de ces parties, puisque leur analyse 
anatomique appartient à la description inté- 
rieure, | 

Le cou. Il y a quatre tubercules séparés et 
aigus longitudinalement, posés sur une ligne 
éhiptique qui sert à garanur l’occiput. Chacune 
de ces tubérosités renferme, sous la parue ex- 
térieure cutanée, une base osseuse de même 
configuration. 

La seconde armure qui défend les vertèbres 
du cou, est composée de six de ces cabochons 
ovalaires, comprimés sur leurs flancs, qui con- 
servent leur forme à la base, et offrent une 
lame élipuque au sommet. Les deux du milieu, 
les plus larges, surpassent de moitié les deux 
Jatéraux moins grands en diamètre, qui eux- 
mêmes se terminent où reprennent les deux 
derniers, sur la même ligne des deux premiers. 

Sa gorge grasse et tremblante par ses plis 
ondoyans , est avalée, et forme un goître à l’ex- 
iérieur. Les rugosités du cou très-apparentes, 
et garnies, entre leurs sillons, d’écailles rondes, 
trapèzes , pentagones , hexagones ou quadrangu- 
laires, suivant la position, sont dans d’autres, 
recouvertes de tubercules caronculeux. 

Il marche très-souvent la tête levée, de 
manière à faire. trouver son goître sur la 


30 VOYAGES 


même ligne, d’après la conformation des ver- 
ièbres, qui laissent à l’occiput un jeu aisé. Son . 
mouvement est vermiculaire , en sorte qu’en 
_rampant, le plus souvent son ventre et sa queue 
traînent à terre, d’où lui vient probablement le 
si parfait poli des plaques écailleuses dans cette 
parue. 

Le corps. I se trouve, pour le jeu des omo- 
plates et la direcuon des mouvemens serpentins 
du repule, un intervalle dénué de ces bosses 
lamelleuses, vis à vis les vertébres dorsales , 
c’est à dire, sur la ligne de la joncuüon des hu- 
merus. C’est de là que sortent les pattes de 
devant, pentadactyles, moins longues et moins 
trapues que celles de derrière. Les pieds aussi, 
beaucoup plus peuts, ont le pollex , l’index et le 
médium, armés de trois ongles noirs courbés. 
Les deux derniers doigts n’en ont point. Les 
éperons de l’avant-bras (Physiologie, pl. Ière ; 
ouvrage cité.) denature cornée, sont aux pattes de 
devant, au nombre de cinq; à celles de derrière, 
il y en à huit qui adhérent à la peau, vis à vis 
le péroné. 

Le dos est armé de tubérosités saillantes, 
également sous la forme semi-circulaire. 11 se 
trouve dix-huit pouces depuis la naissance de 
cette troisième armure , qui continue Jusqu'au 
niveau du fémur. Les bandes du dos séparées, 


D'UN NATURALISTE. 3 


91 
pour sa souplesse, par des lignes sillonnées, 
carülagineuses, et d’un tissu plus flexible, se 
terminent irrégulièrement, et vont aboutir sur 
les flancs. Chaque bande transversale est renflée 
au milieu par deux rangs de ces cabochons peu 
saillans et moims larges que ceux des troisième 
et quatrième rangs placés de chaque côté, et 
qui semblent protéger, par leur élévation supé- 
rieure, tout le long de l’épine dorsale, Il s’en 
trouve encore plusieurs’ rangs incorrects, et 
comme placés accidentellement. ( ’oyez pl. Kère 
et Vide l’ouvrage déjà cité. ) | 

Les pattes de derrière sont tétradactyles , 
c’est à dire, ont quatre doigts, dont trois seu- 
lement pourvus d'ongles, lesquels doigts sont 
réunis par une membrane qui leur sert pour 
nager. Toute la partie postérieure de Pavant- 
bras est armée de huit éperons, comme je l'ai 
déjà dit (pl. IX de l'ouvrage cité ). 

Le ventre est d’un jaune blanchätre, formé 
de larges bandes bien disunctes. Cette sorte de 
cuirassé écaillense est par compartimens qua- 
drangulaires, lesquels, à l’apnroche des aisselles, 
vis à vis le sternum, et au contour renflé et 
charnu du masseter, prennent la figure d’hexa- 
gones, de pentagones, lesquels diminuent de 
grandeur, plus ils s'approchent du cul-de-sac 
de la mâchoire inférieure. L'ouverture géniale, 


32 VOYAGES 


commune aux deux sexes, est ridée et sert 
d’anus , ainsi que de développement aux parties 
de la générauon. (Physiologie, pl. II de l’ou- 
vrage Cilé. ) 

Le corps, pris sous les aisselles, a trois pieds 
et demi de contour, et trois pieds dans sa parue 
la plus renflée. Nous tuàämes un mäle de dix 
pieds de longueur, dont le ventre avoit, dans 
cette parue, quatre pieds cinq pouces de circon- 
férence. 

La queue large et charnue, de trente-deux 
pouces de circonférence à sa naissance, de trente- 
six à sou milieu, et de six lignes à son extrémité, 
est composée, dans sa partie double, de seize 
bandes complètes et circulaires, ou tronçons 
surmontés d’éperons lamelleux en carène; ils 
sont trés-flexibles , et vont en croissant vers 
l'extrémité jusqu’à la jonction de la crête simple. 
Chaque éperon a un pouce de hauteur, la base 
en est large de dix lignes. 

Ces bandes doublées sur les côtés, de bosses 
écailleuses et incisives, donnent à ce terrible 
instrument sa dureté , etle rendent redoutable. Le 
resie de la queue, c’est à dire, la crête simple 
est composée de dix-neuf bandes allant en dé- 
croissant de hauteur et de largeur, jusqu’à 
l'extrémité. 

La forme de la queue est donc telle que, depuis 

sa 


D'UN NATURALISTE. 33 


sa naissance au carrefour des crêtes à double” 
rang, elle s’amoindrit et s’effile, quant à la 
partie circulaire des bandes; de manière que 
chacune est marquée d’une ligne qui rétrécit 
de plus en plus la partie charnue, doublant, par 
ce moyen , la hauteur des carulages natatoires, 
pour leur donner plus de souplesse dans l'usage 
auquel la Nature les a destinés. 


Nota. La peau nétant qu’un entrelassement 
de fibres nerveuses, tendineuses , ligamenteuses, 
membraneuses, cornées et écailleuses, fait corps 
avec les muscles de la queue et de la région 
dorsale. Elle est cependant perméable, puisque 
c’est à celte faveur qu’on voit le suintement de 
Ja graisse , lofs de la colère que l'animal éprouve, 
ou de son repos au soleil. L’épiderme enlevé aux 
jeunes caïmans, laisse entrevoir les figures des 
tubercules , et leurs couleurs alors bleues et 
violettes. 


Récapitulation des mesures du sujet 
physiologique. 
Longueur ducorps entier mesuré en ligne 
droite depuis le bout du museau jusqu’à celui PF pou. lig. 
C6 ÉPICES CR 
Longueur de la tête depuis le museau 
QUE POCCIphL, + à à + + "+ ee + + où © n 
Circonférence du museau vis à vis le 
CANAL NS EE M NE Re ON TR 


4 


Tome II C 


34 VOYAGES 
. pi. pouc. lig, 
Circonférence du museau prise au dessus 
MS VOURS 0 S ce Mie ne Re ns SION 
Circonférence de l'ouverture de labouche. » 11 » 
Distance entre les deux narnes. . . . . » » 1 
Diamètre de la proéminence. . …. sg 7 
Distance entre le bout du museau et l'angle 
amtecieur de l'œil: : 4... 0 > 0bfio 
Distance entre l'angle postérieur etl'ouver- 
ture de la soupape auriculaire . . . . . . » » 2 
Lonoueur de l'œil, d'un angle à l'autre . » » 13 
Omeérture dé l'œil ss 6 0m ee 6 
Circonférence de la tête, prise entre les 
yeux et les oreilles. . . . . . : .« .« … « » 10 & 
Longueur de la soupape auriculaire. . . » 1 1x 
Largeur du grand feston . . . . . . . » » 6 
Distance entre les deux oreilles . . . . » 2 2 
Distance entre les orbites et l'ouverture 
denbaiinesnMatatio dites Ve On 
Largeur des orbites . . . . . . . . . » 1 D 
Hauteur des’ orbites... .. .. 4 à 0 1: 
Longueur de la mâchoire de dessous, depuis 
le bout du museau jusqu'au bord postérieur 


de l'apophyse condyloide . . . . . . . . » 9 5 
Epaisseur de la partieantérieure de la fosse 
Met Le PP ET D 
, (dansson1ier renflement. » 1 6 
Hauteur dela mà- | 
; à. dans son 2ème , : . . » 2 1 
choire supérieure, Le K 
dans son 5ème, , 1.» 33 
Honstent AU EUR SE a UT 0 0 
Circonférence du cou à sa partie renflée. 1 2 6 


Circonférence du corps, prise derrière les 
JADE de devant MS US VOIRE 


D'UN NATURALISTE. .35 
pi. pouc. lig. 
Circonférence à l'endroit le plus gros . 1 6 6 
Circonférence devant JE jambes de der- 

GUN PURE SR. MAI, 6 
Longueur de la queue . . . . . . . 2 4 » 
Circonférence à l'origine. . . . . . . F2 » 
Idem partie moyenne, mais renflée. . 1 2 » 
Idem à l'extrémité. 5 2% 
Longueur de} tas , depuis le cu 

JUSQU BOENEE NL PEN NS OS » 2 2 

- Longueur de l'humerus. . . . . . . . » 5 5 
Circonférence du poigiet. . . . . . . 005 
Longueur depuis le poignet jusqu’au bout 

CRT Te CNE ER » 5 4 
Longueur de la cuisse hors du corps. . . » 4 » 
Circonférence de la partie la plus grosse. » 7 3 
Longueur de la jambe, depuis le genou 

ILSQUAUMAISEDRe Net LES S', » 510 
Longueur depuis le talon jusqu’au bout des 

SRE TE - >, 1035 LEA 
Longueur du pied, la mere inter- 

médiaire écartée . . « « + » + + +. »s 5 5 


36 VOYACES 
CHAPITRE TROISIÈME. 


Ostéologie du Caïman de Saint-Domingue , 


le sujet décrit ayant quatre pieds huit 
pouces. 


CHAPITRE QUATRIÈME. 


Examen comparé de Myologie et 
Névrographie. 


Voyez, pour ces deux chapitres, ma mono- 
graphie du caïman de Saint-Domingue. 


Ten. 11. d'age 87. 


Fe 


Anatomie 


D 
d'age 87. 


Anatomie 


+ 


| 


" 


ere 


Fg,r 


3 
+ 


ar derriere. 


Vus en face, etp 


ommgue 


D 


TT 


Viscères du Crocodile de S 


D'UN NATURALISTE. 3 


Le 7, 9%, 2, 7, 7, 0, Se D D D D nn ne eo no ne nn Te Ce ne Te ne 


CHAPITRE CINQUIÈME. 


Splanchnologie, ou Examen du larynx, de 
l’œsophage, des poumons, des lobes du 
Joie, de la rate, du cœur, du pancréas, 
et autres viscères. ( Planche 1IÏ de ce 
volume. ) 


J E passe de merveilles en merveilles, et ne me 
lasse point d’adnurer la sagesse ineffable de 
l'Auteur de la Nature. Il y a dix-septheures que 
l'animal est privé de sa tête, et je vois encore 
les muscles se contracter, se dilater, et offrir 
à mes yeux étonnés les derniers efforts des 
esprits vitaux. Que dis-je? je m’aperçois que les 
vaisseaux sanguins ne communiquent point 
entr'eux. 

Sa langue (planche IV de ce volume) qu’un 
proverbe créole dit être mangée par les chiens, 
est apparente cependant, mais couverte d’une 
membrane pelliculaire jaune, parsemée de 
taches grisätres, au milieu desquelles se trouvent 
des points noirs. La surface est garnie et plissée 
de rugosités bien apparentes. 

Le caïman n’a pas de langue, dit-on; on re- 
marque à la place une simple membrane. Cette 


assertion vient certainement de quelqu'un qui 
C 3 


38 VOYAGES 

n’en a jamais disséqué, ou qui l’a examiné 
superficiellement. Je crois donner, dans le cours 
de mon ouvrage, assez de preuves de son exis- 
iénce pour en parler briévement ici. Qui dit 
membrane, dit une peau plus ou moins dure, 
qui enveloppe les chairs. C’est done sous la 
première membrane jaune, striée par ses plis, 
que se trouve un corps charnu , à la base duquel 
sont situés deux os sous la forme de léviers, qui 
sont les os yoïdes, appartenant en propre à la 
racine de la langue. 

Les muscles linguaux se réunissent sous la 
Jangue vers le milieu, en fer de flèche : des 
vaisséaux en arrosent le dessous, jusqu’au cul-de- 
sac du boutoir inférieur, où les artères se per- 
dent en ramifications insensibles. 

À Ja base de Ja langue se trouve cette soupape 
destinée à fermer hermétiquement l'entrée de 
l'œsophage et de la trachée-artère, lorsque le 
caïman est dans l’eau : c’est le cartilage uroïde 
cavé, lamelleux, et cintré à son sommet, pour 
bien prendre le creux du palais. Il se baisse et se 
relève à volonté par le jeu du muscle lingual, et 
par suite des deux os yoïdes qui, servant de 
Jévier, lui font prendre diverses positions plus 
ou moins inclinées. 

Au centre de la cavité de ce cartilage (pl. IV 
de ce volume) se trouve un corps charnu bomhé 


D'UN NATURALISTE. 39 
et oblong, garni de lèvres vermeilles, et d’une 
fenie antérieure ouverte, et fermée par les 
muscles de cette parue. C’est cette ouverture 
qui donne entrée et issue à l’air affluant et 
expiré des poumons, conduit par la trachte- 
artère qui, à six pouces du larynx, se replie 
pour le ralentissement de l'air effluant. C’est 
aussi le siége du larynx, comme on le voit dans 
les détails de cette parue (pl. IV de ce volume). 
Cette ouverture plus large dans les mâles, est 
par cela plus tremblotante au passage de Pair 
poussé avec force; ce qui donne aux vibrations 
isochrones de l'animal, un ton rauque aui n’est 
point soutenu chez les femelles. 

Derrière la partie décrite, au dessus de la 
trachée-artère, se trouve l’œsophage gaufré, et 
suscepuble d’une dilatation extraordinaire. Il 
adhère aux muscles vertébraux et cervicaux 
internes, et est placé dans la rigole qui les 
sépare. S1, dans la déglutition, sa proie ne va pas 
toute entière dans l'estomac, pour cause d’inca- 
pacité, au moins elle reste dans le gosier qui est 
trés-élastique. L/acuon des sucs salivaires, aidée 
de celle des fibres de l'estomac, concourt à la 
digestion de ses alimens : l'animal vit long-tems 
sans manger, par le peu de déperdiuon, et le 
tissu serré de sa peau. J'en ai conservé dix-sept 


C4 


ko VOYAGES 


jours, bien emmuselés, sans boire n1 manger, et 
toujours assOupis. 

La trachée-artère fléchie se bifurquoit à un 
pied dans le sujet de quatre pieds huit pouces, 
pour se rendre, par deux branches de même 

pature et de deux pouces six lignes de longueur, 
aux deux lobes des poumons oblongs composés 
de vésicules, et arrosés de vaisseaux sanguins : 
ils sont placés debout derrière les lobes dû foie, 
en sorte que pleins d'air, ils s'élèvent plus e 
moitié au dessus de leur grandeur, sans être 
contrariés dans leur graduelle extension (1). 

Les cellules pulmonaires , ainsi que dans les 
cétacces, communiquent entr’elles, de manière 
que si l’on vient à souffler la trachée-artére, 
ious les poumons s’emplissent d’air. D’après 
l'inclinaison en arrière dun diaphragme, les pou- 
mons non gênés dans leur loge cave, peuvent 
s'étendre sur l’épine du dos, et s’y adosser ; ils 
sent séparés par Île muscle trapèze interne. 
(Myologie, pl. IV ; ouvrage cité.) Suivant que le 
caïman contracte ou dilate ses poumons, par 
l'expiration ou l'inspirauon, il baisse ou s’élève 
dans l'eau. 


(1) La courbure de la figure vi, planche 1V, com- 
prime l'air, et rendant sa circulation difficile, occa- 


sionne ce son tremblant produit par la vibration du 
lirynx, 


D'UN NATURALISTE. ét 


Au dessous de la bifurcation du canal aérien, 
qui se rend de droite et de gauche, aux deux 
lobes des poumons, on voit la réunion artérielle 
de l’aorte, et la veine cave ascendante, formant 
un couronnement au dessus de l'enveloppe péri- 
cardine bleuâtre, placée au milieu des deux 
lobes du foie. 

Le cœur, organe musculeux, compressible 
et dilatable , d’où sortent les artéres , et où 
abouussent les veines, est très-petit, et son péri- 
carde contient une grande quantité d’eau :1l n’a 
qu’un ventricule. (PI. XX VIIT del’ouvragecité.) 
L’oreillette droite est plus large, en ce qu’elle est 
destinée à recevoir le sang du tronc principal de 
la veine cave ascendante, des jugulaires et axil- 
laires. Ce mouvement merveilleux angiostatique 
est mu par systole et dyastole, c’est à dire par 
compression et dilatation. Le petit tronc de Îa 
veine cave ascendante va aboutir dans l’oreilletie 
gauche. 

Voici donc la différence qui existe entre les 
repüles et les quadrupèdes. 


Circulation du sang dans les quadrupèdes, 


Dans les quadrupèdes terrestres et non ram- 
pans, le sang poussé du ventricule droit, par la 
systole des muscles du cœur, est transporté 
dans les poumons par l'artère pulmonaire ; d’où 


42 VOYAGES 


se rendant à l’oreillette gauche, et dans ce 
ventricule par la dyastole, il est ensuite rejeté 
par la compression de ce même ventricule dans 
l'aorte, qui le partage dans les ramifications du 
reste du corps, d’où 1l revient au cœur, sa 
source, par l’intermède de la veine cave. 


Circulation du sang dans les reptiles (1). 


Dans les quadrupèdes rampans au contraire, 
c’est par l’ouverture de ce seul ventricule placé 
entre les deux oreillettes, qu'au lieu de passer 
par les poumons, le sang sort pour refluer de 
l'artère pulmonaire en laorte. . 

Les lobes du foie sont inégaux, longs et 
triangulaires, séparés derrière et devant par des 
membranes intermédiaires. C’est dessous le lobe 
droit que se trouve la vésicule du fiel, qui le 
dépasse par le bas de la moitié de la longueur: 
elle avoit dans ce sujet deux pouces de long sur 
huit lignes de largeur ; de la forme d’une poire 
un peu alongée, et attenante à la naissance du 
duodénum. + 

L'estomac arrondi, se wouvant plus à gauche 
qu'à droite, est aminei vers le milieu dans son 
enveloppe. Je trouvai dedans des débris de gros 
mil, patates, des scarabés, des arêtes, des vers, 


QG) La froïdeur du sang tranquille des reptiles les 
rend peureux. 


“ 


D'UN NATURALISTE, 43 
et des restes de volaille. Les pierres qu’on y 
rencontre servent à entretenir la dilatation de 
l'estomac, et lors d’un jeûne un peu long, em- 
péchent a cion des fibres nerveuses. 

Le diaphragme membraneux et nerveux, 
s’arquant sous les lobes du foie vers le milieu 
de l’estomac, est très-mince. 

Les instestins n'étant point divisés d’une ma- 
nicre assez sensible os y disunguer les espèces 
différentes, ce n’est qu’à l’apercu des circonvo- 
lutions qu'on peut tabler à peu près pour 
l'intelligence de la descripion. A proprement 
parler, on ne reconnoît que les intesüins grêles, 
et les gros ; les premiers placés dessus, à lin- 
verse de ceux de l’homme. 

Le tube intestinal a, depuis la naissance Ge 
l'œsophage jusqu’au coude supérieur de l’es- 
tomac, huit pouces; et depuis le départ du duo- 
dénum jusqu'au petit pancréas, un pied, y com- 
pris les circonvolutions : depuis ces replis jusqu’à 
la distincüon des intesüns grêles, trente-deux 
pouces ; et depuis cet endroit jusqu'au rectum , 
trente pouces. Le rectum est long de cinq pouces. 

Le sphincter, qui se wouve au centre du 
rectum , dans le milieu de sa longueur, a un 
bourrelet bien sensible. 

De la rate, un canal se rend au duodénum. 


Elle est située (pl, XXVIIL, fig. 1ère; ouvrage 


5° 


44 VOYAGES 


cité.) à la droite du cul-desac inférieur de l’es- 
tomac, au dessous du lobe droit pulmonaire, et 
appuyée entre les deux prostates. 

À la droite du départ de la circonvolution 
des intestins, se trouve placé un corps solide 
rosacé, abouché par un tube au jéjunum. C’est 
un second pancréas beaucoup plus sensible que 
celui adossé au coude intérieur des mênies in- 
testins. Ceux sous lesquels 1l se trouve, sont 
repliés en deux circonvoluuons serrées. (PL. IE 
de ce volume.) 

Le rectum très-gros, est appuyé sur les. 
reins, qui se trouvent au bas du dos. Ce viscère 
passe au dessus d’une membrane pelliculaire, 
servant de vessie, et qui s’adapte au collet du 
rectum par des tubes’ appropriés ou urétères. 
Les prostates rouges, entourés de graisse, se 
trouvent à chaque côté intérieur des reins oblongs. 
(PI. IIT de ce volume. ) 

Les parties sexuelles, soit dans le mâle ou la 
femelle, sont renfermées dans le canal de l’anus. 

Le cerveau, où plutôt le ganglion, contenu 
dans sa cavité (pl. XXV de ” ouvrage cité), est 
irés-peut, renfermé dans une boîte osseuse en 
losange, et composé de deux lobes antérieurs 
les plus gros, de deux médiaires peuts, et du 
postérieur ou cervelet duquel s'échappe la moëlle 
spinale. 


D'UN NATURALISTE. 45 


Pr os ns ns nr nn sn in nr Te ar 


CHAPITRE SIXIÈME. 


Examen des organes de la génération. 


Voyez , pour ce chapitre, ma monographie 
du caïman de Saint-Domingue. 


en 2 ‘9 2 © 


CHAPITRE SEPTIÈME. 


Préludes de son amour; détails sur son 
accouplernent ; et indication de l’ége auquel 
. . . y 
il peut.produire : assertions appuyées d'un 
tableau tracé par l'expérience. 


Ce n’est point la contenance humble du dou- 
cereux tourtereau près de sa fidelle compagne 
que Je vais décrire ; ce ne sont plus ces roucou- 
lemens mélancoliques et voluptueux , avant- 
coureurs de la jouissance et du plaisir ; mais des 
mouvemens violens, une agitation turbulente , 
une poursuite acharnée, des mauvais traitemens 
pour les refus, et des hurlemens lors du contact 
sexuel. Voici de quelle manière nous avons 
surpris le caïman, et comment je l’ai observé 
dans les préludes de son amour. 

Grossier dans ses manières, pourquoi cher- 
cheroit-1l, à l’exemple des favoris de l'amour, des 


a parer po EE 0 
RE mt 


sms nm 


45 VOYAGES 

bosquets agréables, pour y reposer un corps 
dur et insensible? lui que l’aspeet d’un être 
quel qu'il soit, faugue etirrite, est-ce pour une 
brute de ce ‘caractère que sont faits les beaux 
jours., la verdure émaillée des paisibles cam- 
pagnes, le murmure agréable des peuts ruis- 
seaux?..... Non! les abatus de bois épineux , 
les tiges vermoulues de cardasses desséchées, les 
sinuosilés impratcables des halliers les plus 
hérissés, une eau fangeuse, lente et obstruée 
dans son cours, de plantes aquatiques entre 
lacées , ont pour lui plus de charmes , et sont les 
lieux choisis pour cacher à la Nature et sa laideur 
et sa férocité. Aussi, heureux lorsqu'il est tran- 
quille , c’est un tyran puissant et farouche qui jette 
la terreur et l’épouvante dans toutes les classes 
créées d'animaux qui lui sontinférieurs. Le noir 
limon des rives bourbeuses sert de lit de repos à 
ce morne ennemi de la Nature aimable. 

Tout annonce que le caïman est polygame , 
et je me vois appuyé dans mon dire, par la 
raretc des mâles , et la profusion des femelles ; 
puisque , sur quantité de trous fowillés dans un 
canton barricadé aux deux extrémités de seines, 
nous avons trouvé un nombre prodigieux de 
‘femelles et peu de mâles. 

Nous avons eu aussi plusieurs fois occasion de 
remarquer les combats des mäles; leur poursuite 


D'UN NATURALISTE. 47 


acuve dans l'eau (1) , leur élément familier; leur 
fureur en cas de rencontre, les coups de dents 
terribles qu’ils se donnent en se redressant : l’eau 
bouillonne sous leur poids et sous leurs efforts ; 
les oiseaux aquatiques effrayés, s’éloignent en 
criant, exprimant par la le trouble qui les 
agite; l'oiseau terrestre même; le silencieux 
cocot-zin { colomba parvula, Linnæti) 
craignant pour sa vie, cherche la cime des 
arbres, et cache, sous quelque touffe de feuillage, 
son peut corps tremblotant. Toute la Nature 
en un mot, sourit à leur absence , et gémit à leur 
aspect. Mais le combat cesse; et c’est au vain- 
queur qu'est réservée la jouissance des femelles. 
Il garde à cet effet une exacte surveillance. # 

Maître de son sérail, veut-il accorder ses 
faveurs ? 1l fixe l’objet qu’il envie, annonce alors 
sa fierté parses crisrauqueset redoutables, déploie 
sur l’onde son extrême agihité, la coupe, en 


« 


(1) À l'époque intéressante du rapprochement des 
sexes, où tous les êtres semblent avoir reçu une ame 
nouvelle , les yeux du caiman n'en sont pas plus 
étincelans, et l’ardeur qui ie tourmente n'est qu'un 
besoin à satisfaire, et non un désir produit par de 
douces émotions. Des rugissemens horribles, effrayans 
pour les hommes, mais que sa femelle sait comprendre 
et apprécier, sont plutôt le langage de la fureur que 
de l'amour. ‘ 


48 VOYAGES 

rase la surface, sans même la rider; puis il 
s’avance, se place sur le côté, et d’un coup de 
queue, ordonne à la femelle de prendre la même 
posiuon. Ils se réunissent en s’embrassant, ne se 
servant plus que de leur queue et de leurs pattes 
de derrière, peur se soutenir sur l’eau pendant 
l'intromnssion , qui dure vingt à vingt-cinq se- 
condes. Le plaisir éprouvé, l’acte & propagation 
achevé, ils se séparent, et accompagnent cette 
retraite des cris et rugissemens affreux, qui pré- 
sident à l’acte du coït. Leur naturel étant féroce, 
l'expression de leur amour doit être brutale, et 
comporter les mêmes caractères. 

Mais ce son de voix, qui ne nous semble 
cômposé que d’une modulation, sert pourtant 
à expliquer ses volontés. J’eus la satisfaction, 
en réfléchissant sur ce point, de voir mon hypo- 
thèse confirmée par le fait suivant. J’apercevois 
au dessus de ma tête, le mäle de la cresserelle 
du pays, tournoyer et planer, tenant en son 
bec un mulot qu'il destinoit à sa femelle , occupée 
à couver. Le pourvoyeur se perchant, fit un 
cri : aussitôt je vis sortir d’une vieille masure 
la femelle qui, dans la rapidité de son vol, lui 
enleva l'animal, sans s'arrêter, et alla le de- 
pecer promptement, pour rentrer dans son nid. 
La différence des intonations, la durée des 
sons , leur Qualité interprètent sûrement ce 

| langage 


\ 


D'UN NATURALISTE. 49 

langage inconnu. C’est un dénouement auquel , 
je crois, l’observateur discret doit renoncer. 

Divers examens anatomiques m’ont confirmé 
que le rapprochement des deux sexes, pour la 
copulauon, n’a lieu dans les mâles, qu’à l’âge 
de dix ans, et dans les femelles, de huit à neuf. 
On peut en juger par le tableau de la progression 
des âges et de la taille, annexé à ce chapitre. 
On y verra que, dans ces animaux, la puberté 
est lente et tardive à se déployer, par les dispro- 
portions énormes des facultés progénitrices mâles, 
type le plus en faveur de ma combinaison. 

La fécondité de ces animaux dangereux, nui- 
sible par la quantité de germes destructeurs 
sortis de la terre, à chaque incubation, pour 
l’appauvrir dans ses créatures ,ne dure quetrois, 
quatre, et au plus cinq ans dans les femelles (1) : 
le Créateur apaise donc cette vertu prohfique, 
en rendant, à un certain âge, impuissanies leurs 
facultés, et ne conservant que de quoi entretenir 
l’espèce. | 

D’après l'étendue des ovaires, la quantité des 
œufs, et l'emplacement qu'ils occupent jusqu’à 
leur perfection, je crois devoir répéter que les 
femelles ne pondent point avant l’âge de huit 
ans. Quelle dévastation s’ilen étoit autrement , et 


(1) Foyez le post-scriptum du chapitre +. 
Tome IT, D 


5o VOYAGES 

si la fécondité n’étoit point arrêtée! Une autre 
preuve est qu’à un cerlain àge, ces animaux fe- 
melles trouvées dans le tems de la ponte, si 
elles ont acquis la taille de onze à douze pieds, 
ont cessé d’engendrer. J’en ouvris quantité avec 
ces proportions, qui n’avoient point d'œufs, ni 
aucune apparence que leurs ovaires dussent être 
fécondés : leurs trompes au contraire, aupara- 
vant dilatables, étoient rétrécies et duriusculées, 


Caïmans scrupuleuses , 


oussole , | 


rgeur 
lent 


érieure. 


a 
. 


ole. 
le base. 


dents inf. 
dè nasal. 


1 ctilage très- 


2 hmencée, 


&1 
5 Es dépassant 


Glpar les deux 
2 lignes 1/2. 
Je 3 lig. 1/2. 

; le &lignes® 


8 | 


LP + ä 


Longueur et larseur 


des pliques de son armure, 


Les deux principales du cou, 
ayant 4 lignes sur 5, 
7 lignes sur b. 
7 lignes sur 5 1/2, 
Idem. 
7 lignes sur 6. 
8 lignes sur 7. 


9 lignes sur 8. 


10 lignes sur 9. 
11 lignes 1/2 sur 10, 
13 lignes sur 11. 


15 lignes 1/2 sur 153. 

16 lignes 3/4 sur 14 1/2. 

15 lignes 2/3 sur 16 lignes. 

21 lignes 1/3 sur 19 lignes. 

2 pouces 3 lignes sur 21 lignes. 
2 pouces 9 lignes sur 22 lignes. 
2 pouces 11 lignes sur 23 ligues. 
3 pouces sur 22 lignes, 


La 


è 


RE — 


mm re 


mt gr 


te mir " 
rm 


me IT, page bo, 


Lun jour de naissance, 


six mois 
ui an, 

deux ans, 
Vois ans, 
quite ans, 


doq ans, 


sixans, 
“plans. 
huit ans, 


ntufans, 

dixane, 

douze ans, 
Quatorze ans, 

| tire ans. 
dix-huit anss 
Yngtans, 
Tgt-deux ans. 


TABLEAU des progressions de 


Taille, 


9 pouces 1/2, 


18 pouces. 

24 pouces. 

32 pouces. 
3 pieds 4 pouces, 
kpieds, 


& pieds 8 pouces. 


5 pieds. 
5 pieds 8 pouces. 
6 pieds 7 pouces, 


3 pieds 4 pouces, 
pieds 2 pouces. 

9 piéds 2 pouces, 
10 pieds 4 pouces, 
12 picds1/2. 
1#piels et 5pouces: 
16 pieds Gpouces. 
“Idem. 


Tems de puberté, 


Idem. F 
Adultes ct très=ardens, 
Idem. 
Adultes etmoïns ardens, 
Aduilteset jaloux. 
Moins ardens. 
Invalides, 


la taille, et de la fécondité des Caïmans par rapport à leur âge , fait d’ 


Proportions des parties 
de génération. 


Très-peu sensibles, 


Presqu’imperceptibles, 

À peine visibles. 

Un peu plus sensibles. 

La verge de 8lig. de longueur. 

Le sujet femelle, l'ovaire point 
développé. 

La verge té 10 lig. 1/2 jusqu’à 
la naissance dunerf érecteur. 

Une femelle point formée, 

Pas encore bien formée. 

L’ovaire encore plissé, et 
point encore dilaté. 

La verge de 18 lignes. 

Voy. pl. 31 de mon ouvr. cité. 

La verge de 6 pouces. 

La verge de 6 pouces 5 lignes. 

La verge de sept pouces 1/2. 

La verge de 7 pouces 9 lignes. 

La verge de 7 pouces 10 lignes, 

Racornies et ridées. 


en me servant, pour boussole, de l’époque de la ponte. 


Longueur et largeur 
de la dixième dent 
de la mâchoire supérieure. 


1 demi-ligne. 


1 ligne. 
2 lignes. 
2 lig. 1/2 hors de l’alvéole. 
4lig. sur une lig. 1/2 de base. 
6lignes sur 2 de base. | 


7 lignes sur 2 de base 


7 lignes 1/2 sur 2 1/2, 
8 ligrés sur 2 1/2. 
9 lignes sur 4. 


13 lignes sur 4 1/2. 
15 lignes 1/2 sur 6. 

16 lignes 1/2 sur 7. 

24 lignes sur 91/7. 
3 pouces sur 14 ligné{ 1/2. 
4 poucessur 18 lignel, 
4 pouces 1/2sur 20 lignes. 
Incomplètes et écorhées: 


Idem de Ja quatrième 
et onzième dents 
de la mâchoire inférieure. 


1 demi-ligne. 


ligne. 

1 ligne 3/4 et une 1/2. 

2 lignes et une ligne 3/4, 
4 lignes et 3. 

signes ct4, 


G lignes 1/2 ct 5 lignes. 


7 lignes et 5 1/2. 
7 lignes et 6. 
8 lignes et 7. 


9 banes et 7. 

11 lignes et 10 1/2, 

14 ligues 1/2 et15. 

15 lignes et 14. 

2 pouces 1/2 et2 pouces. 

3 pouces une ligne et3 pouces. 
3 pouces 1/2 et3 pouces. 
Cüssées ou émoussées. 


Longueur de la tête, 
et largeur de sa base 
à læ bascule de l'arc temporal. 


18 lig. sur 7 latèterenflée, 


30 lig- la têle plus développée. 

5 pouces 4]ig. sur un pouce 3 lig, 
5 pouces 8 lig. et 1 pouce 7 lignes. 
6 pouces sur 2 pouces 8 lignes. 

7 pouces sur 5 1/2 de base. 


8/pouces 3 lg. sur 3 pouces 6 lig. 


8 pouces 8 lig. sur 4 pouces 3/2. 
9 pouces 1/2sur 5 pouces2 lignes, 
11 pouces sur 6 1/2. 


11 pouces sur 8, 
13 pouces sur 9 1/2. 
24 pouc. sur 18 pouces, 
30 pouces sur onze, 
3 pieds 1/2 sur 13 pouces. 
3 pieds 11 pouces sur 18 pouces, 
Æ pieds sur 21 pouces, 
Idem. 


après des obseryalions |scrupuleuses , 


Conduits des deux [dents inf. 
près le cartiligé nasale 


Longueur et largeur 
des pliques de son armure: 


Point percés, le canilüge très- 
saillant, 
Les conduits point fonts, 
Point encore percés, 
La fraction des os co 
Les conduits percés. 
Percés, mais (F5 den 
à peine le museau, 
Les conduits perforés 
dents saillantes de hi 
Les dents saillantes del 
Les dents saillantes 
de 5 lignes. 


de 5 lignes 1/21 
Idem. 

de 4 lignes. 

Somi-fermés, 

Bouchés, dents obtikes, 
Idem. 
Idem. 
Idem. 


——————————© —— | 


Les deux principales du cou, 
ayant 4 ligues sur 3, 
7 lignes sur b, 
7 lignes sur 5 1/2, 
Idem, 
4 lignes sur 6, 
lignessur 7. 


lignes suri8s 


10 lignes sur 9. : 
11 lignes 1/2 8ûr 104 
16 lignes sur 11, 


15 lignes 1/2 ur15: 

16 lignes 3/4raur 14/2, 

18 lignes 2/4 sur 16 lignes. 

21 lignos 1/3 sut 19 lignes, 

à pouces 5 lignes sue 21 lignes. 
apouceslo lignes sur 22 lignes: 
2 pouces irlignosaura5 lignes 
Spoucessuralignes. 


D'UN NATURALISTE. SI 


Poe os rs on nr or ne or nr rs in a 


CHAPITRE HUITIÈME. 


Conduite du Mäle et de la Femelle avant et 
après la ponte. 


Pos par une induction naturelle, ces ani- 
maux , sentant le besoin de propager leur espèce, 
éprouvent, dans la régénération printanière, les 
üullatonsirrésisubles de cette passion fougueuse, 
qui donne alors un plus haut ton à leur fureur 
brutale et"jalouse. C’est au sein de la terre, hors 
des regards humains, que doit être confiée la 
progéniture qui doit un jour venger ‘leurs 
outrages, épouser leur férocité, désoler Ja 
Nature, et renouveler leur emploi tyrannique. 
C’est sûrement dans cet espoir cruel, qu'ils 
quittent les froids momens de leur indiflérence, 
pour céder aux impressions poignantes de leur 
bestialité. D'une torpeur engourdie, d’un repos 
glacial, on les voit rapidement passer à un 
période effrayant d’agitauon convulsive et fa- 
rouche. 

I est à croire que le mäle, oubliant son 
esprit de domination et d’égoïsme , aide la 
femelle dans la fouille du nid; je le suppose au 
moins, d’après les traces différentes qu’on aper- 


D 2 


D) VOYAGES . 

coit autour de la couvée. Ce que je puis assurer, 
c’est que la femelle se sert d’abord de ses pattes 
pour agrandir et creuser son trou circulaire; 
mais, quand leur longueur ne peut plus achever 
la profondeur nécessaire, elle fait usage du bout 
de son museau, comme d’une spatule, pour 
caver le creux , et en soruür la terre inutle. 


On est étonné de voir régner une si parfaite 
régularité dans louvrage d’un animal aussi 
inepte; mais la surprise est remplacée par une 
admiration due à la sagesse du Moteur de ces 
merveilles, qui éclaire la stupeur de ces ma- 
chines animées, en accompagnant de quelques 
combinaisons idoines, le tems nécessaire à leur 
régénération. Ce même insunct est encore déve- 
loppé dans les poursuites et les vengeances de 
ce repule carnassier. 


Les œufs, au nombre de vingt-huitseulement, 
sont placés circulairement dans le couvoir, rang 
sur rang, de manière à ce qu'ils ne se touchent 
point. Po prévoir cet inconvémient, la femelle 
a soin d’interposer une couche deterre, etnon de 
la paille on feuilles sèches, ainsi que quelques 
auteurs l’ont avancé. L’humeur visqueuse qui 
se trouve sur les œufs, amoncéle, agslutine, entre 
chaque cavité, les particules terreuses que la 
femelle a soin de répandre sur chaque rang, en 


D'UN NATURALISTE. 5 


sorte que le tout ne forme qu’une seule masse 
contiguë. | 

Les caïmans choisissent, pour placer leurs nids, 
un tertre un peu élevé; et, indépendamment de 
cette première précaution , 1ls joignent celle de 
taper le dôme du couvoir, de peur de la pénétra- 
uon des pluies accidentelles. Aussi la Nature qui 
prévoit tout, ne les fait-elles pondre que dans les 
secs, dans les niêmes endroits qui sont submergés 
dans les pluies (1)! 

La ponte est en mars, avril et mai pour les 
plus tardifs, c’est à dire une seule fois l’année, 
lincubauon est d’un mois, ainsi que nous 
avons éprouvé par des œufs enlevés, et en- 
terrés au pied de notre case, après nous être 
assuré que le développement du germe n’étoit 
point encore commencé. 

La femelle dépose à la bo ou ceouR 
parfaits, dont la coque est dure. J’en ai toujours 


(1) Les repüles ovipares sous le climat torride de 
Saint-Domingue, n’ont besoin de.confier leur postérilé 
qu'à la concentration de la terre, tandis qu'en Europe, 
où le sol n'est point aussi chaud, les couleuvres et 
certains autres reptiles choisissent des tas de fumier, 
plus propres à réverbérer la chaleur nécessaire aux 
progrès de l'incubation. Ainsi tels climats , telles habi- 
tudes, et par-tout des preuves non équivoques de 
l'influence du Génie créateur, 


D 2 


DA VOYAGES 

trouvé vingt-huit humectés d’une humeur vis- 
queuse. La coque crétacée, tapissée intérieu- 
rement d’une tunique épaisse, produit un son 
clair, en raison, je crois, des petits trous dont 
elle est parsemée, et qui traversent jusque dans 
l'intérieur. Ces porosités rendent lincubation 
moins lente et plus facile. 

À. voir les traces de ces animaux près leurs 
nids, on croiroit que lun ou l’autre vient re- 
poser dessus pendant la nuit pour entretenir une 
chaleur constante, etéviter aux œufs la fraîcheur 
du serein, its nécessairement les progrès 
de l’incubation ; mais cette conjecture, quoique 
d’ailleurs vraisemblable, ne peut être citée en 
cette Occasion; car, ayant découvert des nichées, 
ÿai garni l'emplacement , de cardasses , ra- 
queltes , et autres plantes épineuses : elles n’ont 
point été dérangées, et nous n’avons apercu que 
les anciennes traces. 

La femelle, après avoir donné tous les soins 
réservés à la maternité, abandonne, comme les 
tortues, a la concéntration etau soleil l'espoir de sa 
postérité. Ce qui prouve que les œufs n’ont pas 
besom d’une grande chaleur, c’est qu’ils sont en- 
foncés à dix pouces de la convexité, qui leur sert 
d’auvent, où la terre commence à être très- 
fraîche, ainsi que je l'ai remarqué en sondani 
des nichées. 


D'UN NATURALISTE, 55 


Impatiente de se voir reproduite en ses petits, 
l'insunct porte la mère à venir, à l'approche du 
terme de l’incubauon, visiter sa future géné- 
ration. Elle tourne, retourne, s’agite, appelle, 
fait beaucoup de mouvemens sur la place, afin 
d’exciter ses petits à donner signe de vie. Par une 
admirable prévoyance de da Nature, lorsqu'ils 
sentent les mouvemens, ils aboient comme de 
jeunes chiens; alors la femelle gratte, déterre 
les coques , et voit avec joie le fruit de ses 
amours, C’est à la tête de ses peuts qu’elle est 
plus que jamais féroce. Hargneuse et prompte- 
ment irrascible , elle wattend plus qu'on 
l'attaque ; elle fond sur celui dont la présence 
linquiète, et cherche, par cette démarche me- 
nacante, à l’expulser de la vue de ses peuts, 
qu’elle mène à l’eau en grondant, et tournoyant 
comme une poule à égard de ses poussins. Qui 
pourroit alors la heurter de front avec sang- 
froid? Les armes les plus sûres tremblent dans les 
mains vacillantes. Il y auroit de la témérité à 
l’attaquer seul en cette occurrence , où tout 
cède à la force de son boutoir. 


S'il est rare de voir le caïman debout sur ses 
pattes, on le voit communément en cette occa- 
sion, période de sa colère. Il affecte encore 
quelquefois la même marche, lorsqu'il est 


D 4 


56 VOYAGES 


poursuivi par un ennemi qui lui est supérieur 
en force : 1l court alors comme un lézard. 

_ Les petits, qui ne peuvent en naissant rester 
Jong-tems sous l’eau, ne font que plonger et 
reparoitre. La mère les nourrit en dégorgeant sa 
pâture, et la ruminant, lorsque le sac alimentaire 
ombilical a épuisé tous ses sucs nourriciers, 

Les senumens d'amour pour les jeunes rep- 
üles, sont encore moins Jlong-iems soutenus 
dans le mâle que dans la femelle, qui vaille à 
leur accroissement jusqu’à l’âge de trois mois 
environ. C’est pendant cette. garde assidue, 
qu’elle a besoin de toute sa surveillance et de son 
courage pour préserver d’une incursion Carnas- 
sière sa peute famille que le mäle cherche 
continuellement à éteindre; aussi fait-elle tou- 
jours bonne contenance, et l’attend-elle de pied 
ferme , pour détourner, par une prise de corps 
unanime , le coup prêt à frapper, et qui doit 
la priver de quelqu'un de ses peuts. 

En raison de leur imexpérience dans l'élément 
liquide, ils y sont moins en sûreté qu’à terre, 
où 1ls se rassemblent très-près des flancs de leur 
mère, qui les protége des mêmes armes que la 
Nature ui a départies (1). C’est pourquoi ils sont 


— 


{1) Ceite mère, toujours inquiète, cherche de pré- 
férence les endroits des berges garnis de biussons 


D'UN NATURALISTE, 57 


souvent la vicume de cette confiance tranquille, 
surtout si le mâle vient à eux en silence, en cin- 
glant entre deux eaux. Quatre, un jour, furent 
dévorés de suite à la vue de la mère, inconso- 
lable de son défaut de prévoyance. Elle quitte 
bientôt ces soucis maternels, pour reprendre 
ses habitudes premières qui l’écartent impérieu- 
sement de toute société. Aussi, ces bonnes 
habitudes oubliées, porte-relle la guerre chez 
l’engeance animale qui la redoute, et succombe 
par sa foiblesse. 


—— 2 EF PS 


épais, ou de racines de mangliers, propres à recéler 
les jeunes caïmans, et où les gros ne peuveri 
pénétrer. 


58 VOYAGES 
RRS Le BR Le VV VD LL VND 


CHAPITRE NEUVIÉÈME. 


Naissance du Petit, et ses diverses positions 
dans l'œuf. 


uiL est beau pour l'observateur déiste de 
réfléchir sur la formation et le développement 
de la substance homogène du jaune de l'œuf, 
où se trouvent réunis , d’une manière impercep- 
üble et cachée à la lentille la plus mulüpliante, 
les molécules matrices du musc, de la peau, 
des viscères, etc. ! C’estse perdre dans la nuit des 
conjectures que de fonder des systèmes sur des 
secrets que la Nature discrète cachera toujours 
dans son sein. Le voile de la concepuon des 
êtres organisés , pour jamais impénétrable, ne 
pourra tout au plus être que demi-transparent 
aux yeux percans du zélé contémplateur. Cepen- 
dant glorieux du titre d'homme, de maître de 
la création soumise à mon espèce, je dois porter 
partout des regards avides; mais les baisser 
respectueusementsur les points que ne peut fixer 
ma foible raison; reconnoître alors la supré- 
mate incontestable du grand Ouvrier de la 
Nature, qui a limité mes moyens moraux et 
physiques ; leur a assigné un cercle circonserit, 


D'UN NATURALISTE. #9 


et a ordonné au livre des secrets de la Nature, 
de se fermer à mon approche. 

Il est malheureux , pour intérêt del’ouvrage, 
que des circonstances impérieuses , des inimiués 
mal fondées , m’aient empêché de mettre à exé- 
cutuion le projet que j’avois de suivre jour par 
jour , les progrès de lincubauon, et d’en des- 
siner graduellement les planches. J’étois bien 
disposé à observer dans une infinité de nichées 
que je connoissois, mais qu'on eut la méchan- 
ceté de me découvrir pour en casser les œufs , et 
ne me laisser à chaque visite que le regret d'y 
avoir pensé. Je ne puis donc exposer ici que les 
parues les plus évidentes du succès de l’incuba- 
uon , ainsi qu’on peut en juger par les figures 
de la planche V. 

Voici l'exposé de quelques observations vic- 
torieuses des mauvais tours qu’on a voulu me 
jouer. La mère, soit qu’elle exprime irop véhé- 
ment sa Joie , soit que lourde dans ses manières, 
elle ne puisse en mitiger la brutalité, écrase 
toujours plusieurs peuts en les déterrant pour 
leur donner la lumière ; elle paroît même insen- 
sible à la perte qu’elle vient de faire, d'une 
manière plus remarquable que si les pets 
eussent seulement vécu un jour; alors elle sy 
attache. | 

Elle répond à leurs prenuers aboiïemens par 


6o VOYAGES 


une vibration isochrone, rauque ou tremblante, 
qui glace d’effroi les auditeurs de l’engeance 
raisonnable. 

Le peut, dont les yeux sont énormément 
saillans, ést, dans l’œuf, roulé sur lui-même. 
(Planche V, fig. ur.) La coque crétacée cède 
aux batiemens réntérés de son boutoir : elle est 
seche et cassante , garnie, intérieurement d’une 
tunique ou pellicule assez épaisse , que le peut a 
d’abord percé de ses dents aiguës, avant sa 
naissance. ‘ 

Je parle, au Chapitre dixième , de sa férocité 
innée; et j'ai eu moi-même occasion de réitérer 
plusieurs fois l’expérience, en ayant conservé 
huit dans une baignoire pendant quinze jours, 
lesquelsrefusèrentconstammenttoutenourriture, 
tant que le sac alimentaire ne füt pas dépensé. 
Ce sac alimentaire (planche V.) est une partie 
du jaune de l'œuf, entourée d’une membrane 
qui va se rendre, par un conduit vasculaire 
comparable au cordon ombilical d’un jeune 
enfant, aux vaisseaux chyliferes de la courbure 
dc l'estomac, à mesure qu’il est élaboré par la 
digestion. Le peut repule né, ce sac rentre en la 
région hypogasirique , au dessous et devant ies 
intesuns grèles. Alors la suture ombilicale 
(planche V.) se fait longitudinalement au bout 
de quelques jours : elle a quatre lignes de 


D'UN NATURALISTE. 16 


longueur. J’ai conservé dans du tafia un de ces 
petits nouveaux nés, dix minutes sans mourir , 
et sans même qu'il ait donné le moindre signe 
de souffrance, 

Ce sac alimentaire servant d’abord d’intestin 
au reptle qui wa pas besoin, dans l’œuf, de 
déjections alvines, mais seulement d’une matière 
nutritive , est recouvert de vaisseaux sanguins 
ayant leurs troncs abouchés aux veines mésenté- 
riques. Il est très-volumineux, comme on le 
voit d’après nature , comparativement à la 
grosseur de lPamimal qui n’avoit qu'un jour 
de vie , étant éclos le matun devant moi. C’est 
un crible d’où partent autant de ramifications 
pour entretenir petit à petit les vaisseaux chyli- 
fères. C’est donc aussi, si je puis le dire, un 
secondestomacélaborantcette matière précieuse, 
et en faisant passer les sucs où besoin est par 
ses canaux appropriés. Le véritable estomac ne 
contenoit aucun aliment en digestion , et les 
intestins étoient vides. 


G2 VOYAGES 


BR ee LV OR ne 


CHAPITRE DIXIÈME. 


De ses mœurs’, des ruses qu’il emploie, et de 
la finesse de son odorat. 


Lu famille Rossignol - Desdunes est renommée 
à PArubonite par sa constante assiduité à purger 
la terre, depuis plus de trente ans, de ces 
monstres qui, à Fexemple de l’hydre de Lerne, 
reparoissent toujours, mais en quantité bien 
inférieure à celle de cette époque reculée. 

Qu'on juge donc de la férocité naturelle et 
innéedu caïman , par ce seul trait caractéristique. 
Un jour, M. Desdunes père, crut découvrir une 
uichée à une monticule de terre récemment 
remuée et piettée; 1l ne se trompoit pas. Il fit 
fouiller , etse disposant à éteindre cette postérité 
vorace, il écrasa un œuf. L’incubation étoit 
finie ; car le petit animal , en se déroulant, donna 
des preuves de sa méchanceté en lui tra- 
versant de ses dents aiguës la semelle de son 
soulier. 

Maintenant qu’il me soit permis de raconter un 
trait de la gloutonnerie impitoyable des adultes. 
La famille citée, recommandable par son huma- 
nité , ne négligeoit rien pour parvenir à ses fins. 


D'UN NATURALISTE, 63 


Chaquejour plusieurs canots, bien approvisionnés 
de muniuons de bouche et de chasse, voloient 
à la poursuite des amphibies. 1] se üroit quel- 
quefois neuf cents balles par jour dans les parties 
projetées où se trouvoient le plus souvent ses 
huit fils. Un caïman de douze pieds fut harponné, 
et traîné à terre où 1l fut assommé. On l’ouvrit: 
quel fut l’étonnement de trouver dans son corps 
un pareil animal, de moyenne grosseur, à moitié 
digéré, et un chien qu’il venoit d’enlever ! Ce 
qui prouve bien l’élasticité de son gosier, qu’au 
premier abord on juge trop étroit pour l’intro- 
duction de pareilles bouchées volumineuses. 11 
est à remarquer que le caïman ne se nourrit 
de ses semblables que lorsqu'il les rencontre 
sans vie. 

Quoiqu'il ne soit guères prudent de chasser 
seul le caïman , cependant il est bon de recom- 
mander à celui dont on ne peut réprimer la 
passion, d’user de beaucoup de prudence, et de 
ne point regarder pour pusillanimité, ce qui 
n'est que sagesse et prévoyance. M. Desdunes le 
plus jeune se promenoit sur une berge de l’Ester ; 
il aperçoit un gros caïman, il est plutôt rendu 
que le noir qui laccompagnoït. Il avoit eu 
limprudence d’amarrer le bout de la corde 
autour de son bras ; l’animal prêt à couler , il ne 
voulut pas laisser échapper un si gros but, sans 


64 VOYAGES 
y fixer le trait que devoit diriger son adresse : il 
Jance, l'animal est atteint , et rougit de son sang 
l'onde agrée par ses mouvemens, et bouillon- 
rante par son souffle. Le caïman fuit, 1l s’éloigne; 
la corde a déjà filé que le jeune homme, content 
de sa victoire, n’a point encore apercu les pas 
qu’il faisoit vers la mort. Il reconnoît trop tard 
sa faute, et marche déja involontairement dans 
l’eau , entraîné par l’'amphibie furieux , lorsque 
son noir se jette à la nage, le devance, et coupe 
Ja corde. Il est sauvé; 1l frémit, en pensant à une 
représaille plus horrible de la part de l’agressé, 
qui l’entraînoit sous Veau dans le repaire 
tortueux où , s’il n’est point trop aflamé, 1l met 
pourrir toutes ses victimes avant de les manger. 
Une des ruses qu’il emploie est de ne point 
remuer, jusqu'a ce que sakproie lui soit assurée; 
le fait suivant en est une preuve. M. Lachicote- 
Desdunes, allant ramasser du gibier qu’il venoit 
de tuer sur l’eau peu profonde d’un lagon, se 
trouva enfourcher un caïman de dix pieds et 
demi de longueur, qui subitement parut sur 
l’eau avec des intentions perfides, laissant aper- 
cevoir les deux dents blanches qui Jui percent la 
mâchoire supérieure. Notre chasseur , dont le 
courage magnanime est pourtant à cs 
puisqu'il passe quelquefois la prudence, fut in- 
tümidé, et ne voulut faire aucun mouvement; 
car 


D'UN NATURALISTE. 65 


car il y alloit de sa vie. Il fit signe à son domes- 
tique de l’approcher, lui fait tenir horizontale 
ment la crosse de son fusil, dans lequel il mit 
deux balles, sans changer de position. Pendant 
ce tems, le caïman, agitantlégérement sa queue, 
à l’exemple du poisson qui surnage, lur frottoit 
les cuisses ; puis, pointant à bout touchant son 
canon près de l'œil de l’animal, M. Desdunes- 
Lachicotte lui fit sauter la cerveile , et s’en déhvra 
par ce moyen, le seul que la prudence püt lui 
suggérer en cet état critique. 

M. Desdunes père, étoit si adroit, qu'un jour 
ilsauva de cette manière la vie à son domestique. 
Ce dernier, très-imprudent, se jeta à l’eau, 
à la vue d’une tortue qu’il vouloit prendre. 1l 
nageoit, malgré les sages remontrances de son 
maître , qui apercut derrière lui un-caïman 
affamé, ouvrant déjà la ‘gueule pour le dévorer. 
Sans dire mot, il envoya une balle au caïman, 
qu’il tua roide. Le domestique finit malheureu- 
sement , à ce qu'on a lieu de conjecturer. Très- 
friand de tortues (1), 1l alloit les chercher jusque 


(1) Par un instinct fort singulier, lorsque ces tortues 
ont suffisamment pris de nourriture , sans avoir été 
tnquiétées par le caiman, qu'elles reconnoissent pour 
ennemi, elles vont affronter sa présence, et se cacher 
dans son trou, où le caïman ne peut leur faire aucun, 
mal, parce qu'il n€ peut manger dans l'eau. Elles sy 


Loue HI. E 


66 VOYAGES 

dans les repaires des caïmans, où on en trouve 
quelquefois en abondance. Ses vêtemens et son 
chapeau , qu’on trouva sur terre, au dessus d’un 
de ces trous, font croire qu’y ayant rencontré 
l'animal, il a eu à souténir un combat dans 
lequel il a succombé. Jamais on n’a entendu 
parler de lu depuis cette époque. 


Dans la chasse au harpon, il arrive ‘le plus 
souvent que lanimal n’est que blessé ; alors 1l 
faut de grandes précautions pour l'emmuseler. 
Voici la manière qui nous a le mieux réussi. 
On profite du moment de sa tranquillité, et de 
l’étonnement que lui cause la vue d’êtres supé- 
rieurs à lui, en ruses et en adresse, pour lui 
jeter en travers, sur le cou , un pieu qu’à l'instant 
deux hommes saisissent à chaque bout, en Pap- 
puyant vers la terre. L'animal veut bondir, mais 
on arrêle ses mouvemens en usant du même 
moyen, par rapport à la queue. Il est si honteux 
de se voir vaincu, qu'il ne s’agite plus. Alors on 
lui lance à la tête un nœud coulant, lequel, se 


tiennent en repos, la tête retirée, jusqu'à ce que le 
monstre sorte pour faire sa tournée. Elles épient alors 
ses mouvemens et la direction de son excursion, . pour 
bientôt après sortir et nager vers l'endroit opposé, afin 
de gagner la terre; mais elles ont à craindre d’autres 
caimans souvent en maraude. 


D'UN NATURALISTE. 67 


fermant, ne peut pas glisser du museau, qui 
est spatuleux à sa partie antérieure, ainsi qu’on 
Va vu dans les planches de physiologie. 

I ne faut pas se distraire sur les dangers 
qu'offre le voisinage d’un semblable animal; 
car quelquefois, au moment inattendu, il donne 
une secousse qui jette les hommes. à terre. 
Cependant la Nature | toujours prévoyante , 
a restreint , Jusqu'à un certain point, la 
voracité de lamplibie. Ainsi 1l ne poursuit 
l’homme que quand il est pressé par la faim, 
ou lors de la ponte ; il se cache. même à sa vue, 
lorsqu'il a assez trouvé de scarabées, de poissons, 
et d’autres choses propres à rassasier son appéut. 
J'ai trouvé, dans l'estomac des petits caïmans, des 
chevrettes déjà rougies par la chaleur concentrée 
dans ce viscère, pour le travail de la digestion. 

C'est un spectacle horrible que de voir le 
caïman au nulieu d’un feu acüf. Il réunit, dans 
celte conjecture, tout son courage, et menace 
avec fureur les assistans ; en se roulant et 
repliant avec des contorsions affreuses , il 
découvre aussitôt son sexe : c’est alors qu’il 
est prêt à succomber à la douleur effroyable 
qu'il ressent. 

Lorsqu'un gros caïman surprend une tortue, 
1l.s’en saisit, et levant tout à fait sa tête hors de 
l'eau, il broie l’écaille en deux ou trois coups 


E 9 


68 VOYAGES 
de dents , ainsi que nous l’avons entendu plusieurs 
fois. 

C’est en vain qu’on a tenté jusqu'ici de familia- 
riser le caiman ; d’ailleurs cet animal, offrant 
aucun but d’utuihité dans sa conservation , c’est 
s’exposer que de faire de semblables essais. Un 
parüculier du Port-au-Prince a gardé un de ces 

‘ammaux plusieurs années, dans un bassin qu’il 
avoit fait construire pour le succés de cette expé- 
rience. Ille fit prendre bien au dessous de six 
mois, et fut obligé d’y renoncer, ne voyant point le 
caractère féroce de l'animal, disposé à s’adoucir. 

Le période de la taille des caïmans paroît 
être à Saint-Domingue de seize pieds et demi, 
ainsi que l’a observé la famille Rossignol-Des- 
dunes, qui en a fait une chasse journalière et 
constante pendant une trentaine d’années : le 
plus gros qu'ils aient vu et qu'ils ont pris, 
avoit cétte taille. Privé de toutes ses dents, les 
alvéoles fermées par des cicatrices osseuses, l’œil 
morne , les écailles presqu'usées, annoncoient 
une parfaite caducité. Joignez à ces symptômes 
de caducité le peu d’agilité dans les mouvemens; 
il ne se nourrissoit plus que de poissons, ou 
d’autres petits animaux s’engouflrant dans sa 
large gueule, croyant s’y mettre à l’abri. Aussi 
lavoitil toujours ouverte, ne la fermant que 
lorsqu'il vouloit dégorger l'air retenu dans ses 


D'UN NATURALISTE 69 


poumons, en l’expirant par le cartilage nasal. 
Il étoit très-maigre, en raison de sa taille. C’est 
ce caïman qui, tenu vivant à l’éperlin, ennuyé 
dans sa prison, se replia sur lui-même, croyant 
travailler à sa liberté, en sorte que , sans se 
dérouler , 1l atteignit à la hauteur de douze 
pieds la solive où étoit attaché le bout de la 
corde ;. ce qui prouve encore une parfaite 
tension: de muscles. ° 

Des amis du merveilleux ont cru aperce- 
voir des arbustes implantés sur le dos de vieux 
caïmans, à la faveur de l’impercepubilité de leurs 
mouvemens ; mais, avec plus d'attention, ils 
n’ont apercu que des conferves ou d’auires 
plantes aquatiques que ces animaux accro- 
chent en passant près des rives, et qui restent 
sur leur corps quelques heures, ou moins, 
retenues aux apophysés, jusqu’à cequ’une flaque 
d’eau les en détache. 

Une femelle surprise près de ses œufs, s’élanca 
sur M. Desdunes père, et lui déchira sa veste, 
Non contente de cette première vengeance, elle 
se redressa un peu, voulant l’attaquer au visage ; 
mais 1l ne rapporta à la case que la marque des 
deux pieds de l’animal, déjà montés lun sur la 
cuisse, et l’autre sur la poitrine. C’est près d’as- 
souvir sa cruauté sur ce bon père de famille, que 
cette femelle eut peur de deux chasseurs qui 


3 


70 PA VONACGES 

vinrent à Ja défense de leur ami bien en 
danger. Cet événement fut raconté, et le chas- 
seur intrépide de la maison voulut seul laller 
attaquer : 1l parut donc ,; sans mot dire; 
rendu au lieu indiqué, il apercut un <en- 
üer très-étroit en apparence, parce que les 
herbes s’étoient rapprochées. Ne pensant déja 
plus au caïman, 1l crut devoir l'atribuer au 
passage de gingeons qui fréquentoient ces 
endroits solitaires. Il s’avance au milieu de ces 
laïches très-fourrées; mais, à peine a-t-1l fait 
quatre pas, que Île caïman en embuscade 
s’élance sur sa cuisse, et le met sur-le-champ 
hors d'état de défense par la douleur excessive 
que lui cause la morsure : l'animal déchire cette 
cuisse en la secouant rudement; bientôt al la 
quitte pour prendre le bras qui ne pouvoit se 
lever pour l’immoler. Déjà en reculant , 1l cher- 
choit à se frayer un chemin dans les laïches pour 
y entrainer sa proie ! Le malheureux, frénnssant 
de l'horrible avenir que lui présageoient ces 
précautions sanguinaires , profita de ce que les 
toufes étoientmèêlées, pour feindre un mouvement 
de fuite; l'animal ouvrit sa gueule, et lächa prise 
pour mieux reprendre sa victime; mais l’homme 
fut assez prompt pour lui présenter la crosse de 
son fusil qu'heureusement le monstre serra 
fortement sans vouloir la quitter. Le chasseur 
trop heureux de ceite méprise avantageuse, en 


D'UN NATURALISTE, 1 


profita pour hâter sa fuite, et se dérober aux 
regards de son redoutable ennemi. I arriva à la 
case, meurtri, confus, et tout sanglant, dans un 
si mauvais état enfin, qu’il fût mort de ses bles- 
sures , sans les soins particuliers et généreux de 
M. Desdunes pére, son compatissant bienfaiteur. 
On étoit à diner; mais tous les convives quit- 
tèrent la table pour marcher sur l’animal féroce, 
dont la destrucuon étoit d'autant plus désirable, 
qu'à sa première attaque quelqu'un pouvoit 
succomber : on ne revint pas sans sa tête. 
Comme le coq oublie son inimitié pour son 
rival , lorsqu'il s’agit de défendre son espèce de 
la poursuite des pintades, de même le caïman se 
dévoue pour ses semblables, C’est ainsi que nous 
promenant sur les rives de l’Ester , nous ren- 
contrâmes un jeune caïman que nous fimes 
crier ; aussitôt nous en vimes de tous les points 
fendre l’onde en silence, et, avec la vitesse d’un 
trait, venir en troupe au cri de leur pareil, Ils 
tentèrent même de monter vers nous ; mais la 
hauteur des digues en talus les en empêéchèrent, 
Un, plus gros que les autres , parut en redou- 
blant d’eflorts : on lui lanca le harpon, qui 
à plusieurs reprises rebroussa sur son dos, 
parce que, par la posiuon, on étoit obligé de lui 
jeter à pic. La voie oblique est la plus sûre. 
Si le caïman succombe quelquefois aux inva- 


£ 4 


CT 


792 MOTAGES 

sions soudaines et imprévues du requin son 
ennemi juré, ce n’est point qu'il Jui soit infé- 
rieur en force, mais bieñ parce qu’il ne peut 
mordre. dans l’eau, sans courir risque de se 
noyer. Aussi le vivipare a-tl tout l’avantage sur 
lui dans cet élément, tandis qu’à terre ül 
craindroit de l’attaquer. C’ést dans l’Artibonite 
qu'on voit se livrer ces affreux combats dans 
lesquels le requin a tout l’avantage : aussi ne 
durent-ils que quelques momens, car le caïman, 
peu endurant et vindicauf, douloureusement 
tourmenté par les blessures de l’assaillant, veut 
ouvrir la gueule; et détachant de son palais Ja 
soupape cartilagineuse qui y happe, donne, par 
ce mouvement, accès à un courant d'eau qui 
le noye bientôt. 


LADA T 


Post-Scriptum. Ayant eu, depuis la fin de ces 
mémoirés , l'occasion de lire le voyage de Williams 
Bariram dans les parties du sud de l'Amérique septen- 
trionale, et m'étant convaincu, par ma propre expé- 
rience , des erreurs dont la plupart des articles de 
Williams Bartram, concernant le crocodile ,. sont 
aitérés, je crois, par intérêt pour la science, devoir 
réluter des ässertions qu'il seroit dangereux de laisser 
propager. Je ne prétends point être le critique détrac- 
teur de Williams Bartram , mais je dois les observations 
que me dictent la justice et l'impartialité. 


D'UN NATURALISTE  »3 


Williams Bartram dit d'un crocodile qui nageoit : 
« L'eau sortoit à flots de sa gueule entr’ouverte, et ses 
» larges narines l'exhaloient en vapeurs ». On a vu, 
par les détails anatomiques qui précèdent, que la 
conformation des organes du reptile soppose à ces 
prétendus effets. Plus bas : « De nombreux crocodiles 
» hurlèrent pour applaudir au vainqueur ». Le croco- 
dile est silencieux, taciturne et peu démonstratif. 

« De nombreux crocodiles m'investirent, et firent 
» tout pour renverser ma barque». Ceci n'arrive jamais, 
et les crocodiles au contraire, moins hardis dans l’eau 
que sur terre, où le danger provoque leur férocité, 
évitent les canots, ou s'ils les environnent, c’est pour 
plonger et reparoître alternativement. au dessus de 
l'eau, dans l'espoir qu'on leur jetera quelque proie. 

« Îls rugissoient d'une manière horrible en se re- 
» dressant vers moi, et vomissoient sur moi des 
» torrens d'eau ». Celte assertion paroït d'autant plus 
invraisemblable que j'ai prouvé anatomiquement que 
le crocodile navale d’eau que ce qui est nécessaire 
à sa subsistance. 

«Ayant quitté mon canot chargé de poissons, à mon 
» retour je vis un crocodile d'environ douze pieds, les 
» pattes appuyées sur le bord , et prêt à s'emparer de 
» ma pêche. Uiïe autre fois, étant occupé à écailler 
» du poisson sur un rivage , un très-gros crocodile vint 
» à moi, et d’un coup de queue balaya dans l'eau une 
» partie de ce poisson, et ilm’auroit entrainé moi 
» même si je n'eusse fui». 

Bartram dit encore : « Je vis en un endroit tant de 
» crocodiles, qu'il n'eüt pas été impossible de traverser 
» larivière en marchant sur leurs têtes. Enfin, ces ani 
2 maux ayant surpris un banc de poissons , ils en Great 


4 VOYAGES" 

» un si grand carnage que des torrens de sang et d’eau 
» sortoient de leur gueule, et que leurs narines sem 
» bloient vomir des torrens de fumée! !!!» 

II paroïit aussi que le même auteur a examiné 
avec des yeux multiplians et microscopiques les 
nids des crocodiles, puisqu'il lescompare à des monti- 
cules de quatre pieds de hauteur, et prétend qu'ils 
contiennent chacun de cent à deux cents œufs. La pro- 


gression par couvée en seroit rapide, et la multipli- 
cation désolante ! 


S+ 


T1 dit dans un autre endroit, avoir rencontré un cro- 
codile mäle ou femelle, conduisant sa progéniture, au 
nombre decentenviron; mais j'ai, je crois, suffisamment 
prouvé, par des expériences multipliées, que les ovaires 
ne peuvent contenir que vingt-huit œufs , pour que le 
lecteur puisse croire plus long-tems à cette assertion 
exagérée, 

Il dit encore : « Leurs rugissemens ébranlent l'air 
» et l'eau, et font trembler la terre. Lorsque les cro- 
» codiles rugissent par cent, et mille à la fois, on 
» seroit tenté de croire que quelque secousse violente 
» agite le Globe, et l'ébranle jusque dans ses fon- 
» demens!!!!» 

C'est trop s'éloigner de la vérité pour ne pas relever 
de semblables erreurs. Ainsi des voydgeurs exagérés et 
peu véridiques dans leurs narrations , détruisent la con- 
fiance du public qui , je le sens, doit être tardive à se 
prononcer, 


D'UN NATURALISTE 5 


DR RS VOL ns 


CHAPITRE ONZIÈME. 


De la chasse qu’on fait au Caïman dans les 
lagons et au bord dë l'eau ; de la manière 
de découvrir les nichées au frai de la 
Jemelle, et du danger éminent de celte 
chasse. 


OO: appelle à Saint-Domingue, lagons, ce 
qu'on devroit appeler lagunes. Ce sont de peuts 
lacs ou flaques d’eau dans des lieux marécageux, 
qui ne sont entretenus que dans le items des 
pluies , fertilisant ce sol et le recouvrant de 
laiches fourrées. C’est alors qu'on y rencontre 
du gibieren abondance : aussi les caïmans ontils 
soin de les fréquenter, et de fixer leurs repaires 
dans ces toufles si entrelacées , qu’on ne peut 
guères s’y faire un chemin qu’en y mettant le 
feu. Ces lacs bientôt évaporés par les rayons de 
l'astre du jour, perdant ensuite leur humidité 
par la sécheresse de la nouvelle saison, ne 
forment plus que des bourbiers que les 
caïmans n’abandonnent pourtant point encore, 
toujours dans l'espérance d'y trouver leur 
pâture. Le lagon Æarchein qui se trouve après 
le pont de l’'Ester , sur le chemin des Gonaives, 
fat le rendez-vous indiqué pour tenter Patiaque 
d’un monstre qu'on y avoit apercu, 


6 VOYAGES 


L'eau avoit totalement disparu : il falloit 
donc se résoudre à mesurer son courage et sa 
promputude avec la vélocité des caïmans, au 
milieu de cette vase épaisse et infecte, tantôt 
venant battre à la cuisse, tantôt à la ceinture. Il 
falloit s’étourdir sur les dangers éminens qu’on 
avoità craindre, en rencontrant sous les pieds un 
de ces animaux affamés. La passion de la chasse 
anime et rend courageux ; nous nous mimes en 
marche. 

Quatre sondeurs munis d’épieux d’une main, 
et d’un coutelas de l’autre , étoient spécialement 
chargés de nous faire connoître si le chemin 
étoit libre. Venoient ensuite très-près des pre- 
miers, les deux harponneurs, sur la même ligne 
que M. Desdunes-Lachicotie et moi, armés 
chacun d’un bon fusil à deux coups. Nous défi- 
lions donc en bataille, et dans le plus grand 
silence, afin de nous assurer de la victoire du 
monstre qui, en raison de sa grosseur, étoit au 
dessus de la vase, et ne pouvoit couler. 

Sur ces entrefaites, 1l s’en lève un de huit 
pieds, à qui la faim fournit de l’audace jusqu’à 
venir, en grondant et la gueule ouverte, droit sur 
notre bataillon, On le laisse approcher à dix pas. 
M. Desdunes, dont la dextérité est surprenante 
pour tout ce qui regarde les exercices du corps, 
lui décoche une balle qui va le frapper à Fœil, 


D'UN NATURALISTE. 57 
et le culbute. Les deux harpons sont aussitôt 
lancés pour le urer dehors, auprès du boucan. 

Au bruit de larme à feu, le monstre fu- 
rieux nous fait face, et s’avance en ouvrant sa 
gueule effroyable : il grondoit, de manière 
à intimider. Sa contenance étoit alüère, et 
pourtant 1l devoit être vaincu. Il s’élance une 
première fois, dans l’impatience de nous joindre, 
mais :l étoit encore trop éloigné. N'ayant point 
de tems à perdre, j'engageai, pour plus desûreté, 
M. Lachicotte à lui lancer lui-même le premier 
harpon. Il l’atteignit : c’est alors que la vase, 
bouillonnant par les secousses de l'animal plein 
de rage, nous couvrit tous de cette boue puanie. 
Ne voulant point le türer avec le fusil, afin 
de conserver sa tête entière, on lui jeta le 
second harpon. Percé de cette mamiëre, six 
hommes le traînèrent à terre, avec bien de la 
peine. On alluma du feu autour de lui, pour le 
mettre en fureur : 1l rugissoit d’une manière 
effroyable, et rompoit l'air de ses sifflemens. 
Comme un tyran de cette taille et de cetie vo- 
racité étoit à craindre, je lui traversai le cœur 
d’une balle ; des flots de sang sortirent par 
l'ouverture. 

Le monstre, privé d’alimens depuis long-tems, 
étoitextrêmement maigre. Sa taille étoit de douze 
pieds huit pouces, et ouverture antérieure desa 


78 VOYAGES 
mâchoire effrayante, ainsi qu’on peut le voir par 
la figure de la planche V, où sa tête est de 
grosseur naturelle. Son cou y est dans la position 
longitudinale, un peu rétréci1 par la tension des 
muscles fléchisseurs de la tête, vue aux trois- 
quarts et en raccourci, afin de laisser remarquer 
Ja glotte et la forme des deux soupapes un peu 
écariées; Ce qui donne jour à l’ouverture de 
l’œsophage et du canal aérien. La tête est re- 
marquable par les bosses osseuses qui la sur- 
montent, Ces festons supérieurs répondent aux 
inférieurs de la même parue. La tête, à l’ouver- 
ture de l’angle de la mâchoire inférieure, a 
vingt-sept pouces, de largeur quinze pouces. 

Il est trèspeu de dents dans leur position 
convenable, parce que.la plupart ont été régé- 
nérées à la suite de combats, dans lesquels lani- 
mal en brise plusieurs à la fois : beaucoup aussi 
ne sont pas parvenués à leur grosseur. Il est 
impossible de trouver à cet âge des râtcliers 
parfaitement complets. 

- Ce sujet étoit mâle, ainsi que je l'ai reconnu 
d'abord par son collet plus garni, et sa tête 
arrondie dans ses formes. En préparant sa peau, 
j'ai eu occasion de remarquer qu'il étoitborgne, 
par la blessure d’une balle que j'y retrouvai dans 
Porbitaire , laquelle avoit entièrement changé 
de forme. 


D'UN NATURALISTE. 79 

Dans la dernière chasse que je fis le 12 août 
1800, je promis bien de ne plus commettre à 
l'avenir de semblable imprudence; ayant eu trois 
fois face à face un caïman, ne pouvant me 
débarrasser de la boue, et ne devant mon 
salut qu’à ceux qui n’entouroient. Il est vrai 
que , prudent d’abord , je restai seul quelques 
momens dans le canot, laissant M. Lachicotte 
suivre le torrent de sa passion fougueuse pour 
cette chasse ; mais je n’y pus plus ter, lorsque 
j'entendis de suite deux coups de fusil, des cris 
de joie et de frayeur. 

Un de nos noirs, voyant mon impatience, 
offrit de me porter sur ses épaules ; mais il ne le 
put, à cause de la profondeur et de la ténacité de 
la vase : je m’y jetai, et le cœur agité, je me häta 
de rejoindre mon compagnon. Le chemin ne se- 
condoit guëères mon désir, puisqu’à tout moment 
jenfoncois dans un trou plus ou moins pro- 
fond, si bien que le noir , affligé des peines que 
j'avois à me débarrasser à chaque pas, marchant 
devant moi, sapoit, à coups de manchette , des 
gerbes de laîches, pour me servir de traîneau. 
Dès qu'on n'apercut, on me fit signe qu’on 
alloit m’attendre pour tirer un caïman. 

Dans un cul-de-sac presqu’impraucable à 
l'homme , par l’enlacement des mangles, Île 
monstre, le museau seulement hors de l’eau, 


ëo VOYAGES 

grondoit à l'aspect des chasseurs ; enterré sous 
les joncs, je m'y fis un passage, et approchai 
assez prés du repüle, pour l’écraser dans la boue. 
Je ne pus le ürer à la tête, parce qu’il plongea ; 
mais son dos s’élevant un peu, en dépassant le 
niveau, je lui frappai ma balle entre les deux 
épaules, et lui fracassai quatre vertébres; le 
même coup lui rompit la moëlle spinale, et 
perca le cœur : 1l resta sans mouvement. 

En retournant au boucan, 1l s’en leva deux 
au milieu de nous, dans les endroits mêmes 
où nous avions passé. Nous les primes vivans, 
en les entourant d’une seine. Qu’on juge, d’après 
ces faits, du danger de chercher des nichées 
dans une vase où souvent il se lève des caïmans 
au moment où l’on s’y attend le moins; en ce 
jour même, un de nos hommes fut mordu. 


CHAPITRE 


D'UN NATURALISTE. 8r 


NES SLT SSL SACS 


CHAPITRE DOUZIÈME. 


De la Chasse en canot. 


D. par la nature brülante du climat à 
chercher l’ombrage et la fraîcheur, on trouve, 
dans la chasse en canot, la plus récréauve 
et la moins fatigante, à secouer ce sommeil 
assoupissant, à apaiser ce feu ardent qui 
dessèche le corps, à rendre la souplesse à ses 
mouvemens pénibles et paresseux , à respirer 
Jair pur et délassant qu’entretient la frai- 
cheur de l’onde, protégée elle-même par les 
cintres fourrés d’une verdure commune aux 
rives de l'Ester : aussi conseillaije de préfé- 
rence, à tous égards, les promenades sur cette 
plage solitaire, et presque toujours soustraite, 
dans ses sinuosités tortueuses, à l’influence 
torride de l’astre du jour; car, outre le couron- 
nement enlacé des arbres de toute espèce qui 
bordent cette rivière agréable, outre les parfams 
suaves et odorans du citronnier , de l’oranger 
et de l’acacia , le parterre est émaillé lui-même 
d’une verdure toujours nouvelle que le jaune vif 


du câprier, ou le coloris brillant de la grenadille 
relève avec élégance, 


Towe I. | F 


82 VOYAGES 

Les bords de l’Artibonite au contraire, n’of- 
frent à l'œil de l’admirateur, que des crevasses 
hideuses et desséchées où la végétation regret- 
teroit de s'établir; un terrain sec où on ne voit 
cà et là que des arbres souvent languissans, 
ou dont la verdure éuolée rappelle lécou- 
lement passé et trop rapide de cette eau tour-, 
billonnante, à qui le soleil actif ôte toute espèce 
de fraîcheur; mais elle est très-poissonneuse , 
ferulise les terres dans ses débordemens, et est 
excellente à boire lorsque le mon qui la trouble, 
s’est précipité par le repos : voilà son uülité. 

Les courses surl’Artibonite sont d’ailleurs plus 
pénibles , par la rapidité de son lit qui met sans 
cesse le canot en mouvement, et dérange la 
justesse du coup d'œil; moins sûres par l’agita- 
uon conunueile des caïmans qui ne peuvent y 
rester en repos, moins agréables enfin par la 
vase qui, toujours en action avec son eau, en 
trouble entièrement la transparence, et fait 
souvent confondre les caïmans, qui y sont 
en beaucoup plus petite quantité, avec des 
vieux troncs d'arbres que cette rivière charrie 
continuellement. 

L'Ester au contraire, engageant par sa frai- 
cheur et son agrément à déterminer une marche 
lente ou vive, selon le besoin , offre une glace 
tranquille où sont réfléchies ces pommes dorées 


D'UN NATURALISTE. 83 
si délicieuses pour étancher la soif, où au moins 
pour Ja satisfaire. La pureté de sa transparence 
“cristalline permet à l’œ1l d'observer, d'étudier , 
dans leur état de vigueur, les plantes aquatiques 
dont son fond est parsemé, et qui y sont bercées 
mollement par l'écoulement insensible de ceue 

rivière à peine frémissante. Aussi y surprend-on 
souvent les caïmans endormis, s’en approche- 
t-on facilement, sans eMort et sans bruit; 
les voit-on filer entre deux eaux, lorsqu'ils 
veulent se soustraire aux poursuites , et tromper 
l'œil du chasseur en allant reparoître plus loin 
à un point inattendu. Au moins, le chasseur 
adroit voit-il, par le sang, les traces de sa vic- 
toire sur le caïman, qui souvent fuit encore une 
mort prochaine et inévitable. L’onde claire, 
rougie par le sang de l'animal, fournit au chas- 
seur la preuve éclatante de son adresse et de sa 
précision; mais la teinte colorée disparoît bientôt 
pour se confondre à l'élément, une des causes de 
sa perte et de son effusion. 


Il est certain tems de la journée où le reptile 
amphibie, désirant la chaleur , profite de quel- 
qu’échappée du soleil, au travers d’un branchage 
légérement feuillé, pour en laisser réverbérer les 
rayons sur son corps froid et endurci. C’est alors 
que lent à quitter cet endroit propice, le caïman 
s’y laisse surprendre; on arrive face à face, de 


F 2 


84 VOYAGES 
‘manière à ne point le manquer, soit au harpon, 
soit au fusil. : k dit 
Une autre fois, jouissant d’un morne silence 
sous les voûtes sombres abandonnées des habi- 
tans de l'air, il attend près de son repaire le 
passage de quelque proie pour s'en saisir, et 
augmenter avec, la provision de son garde- 
manger ,Où il met pourrirses victimes avant d’en 
goûter. Le chasseur, à lapercu de semblables 
réduits, doit s’y engager prudemment et en si- 
lence. Glacé d’effroi, à l’aspect d'un séjour téné- 
breux et si consternant, on frémit à la moindre 
convulsion de l'animal, se jouant lourdement 
sur l’eau qu'il frappe de sa queue, par léton- 
nement qu’il éprouve au moindre bruit, et inter- 
rompent ainsi le repos de cette nature sauvage. 
Le caïman fuit, plonge, disparoît, etélève bientôt 
son mufle au dessus de l’eau pour remplir ses 
poumons ; c’est aussitôt qu'il faut le rejoindre et 
lui lancer le harpon. S'il est atteint dangereuse- 
ment, 1l s’agite, 1l gronde, bat l’eau de sa 
queue , plonge, replonge , et fuit autant que le 
cordeau du harpon peut s'étendre : il faut le 
suivre , où bien on le perdroit; mais marchant 
sur ses traces , ne Jlächant point le cordeau, la 
douleur ou la rage Hu Otant linsunct, 1l descend 
toujours au leu de remonter, et s’avancant 
ainsi vers la mort, 1l Ja trouve bientôt parmi ces 
herbes où 1l immola tant de vicümes ; lui-même 


D'UN NATURALISTE, 85 
s’y noye, furieux d’être vaincu, et rend, par 
sa mort, le repos aux êtres organisés du canton 
dont il étoit le dévastateur. | 

Souvent il arrive qu’on le tire au fusil ,etque, 
plongeant pour la dernière fois, il va mourir au 
fond de l’eau. On peut revenir au bout de vingt- 
quatre heures en toute sûreté, et on le trouvera 
au même endroit, flottant sur l’eau. Les plus 
gros Caïmans, ainsi que je l'ai éprouvé, ne 
restent qu'une heure ou au plus une heure et 
demie sous l’eau sans se noyer. Avant de plon- 
ger , ils emplissent leurs poumons. La sortie de 
Vair, retardée par les cornets tendineux du 
milieu de la fosse nasale, s'effectue insensible- 
ment par les deux petits tuyaux ; ce qui fait 
apercevoir à la surface, de tems à autre , quel- 
ques bulles d'air s’élevant du fond. 

Le caïman maître chez lui, est plus furieux au 
sorur du trou, où àl se croit aidé et fort 
par la retraite qu'il peut faire, qu’au milieu de 
Peau, où, dès qu’il est fortement inquiété, il de- 
vient timide, etcherche son salutdans la fuite (r). 


(1) Avant de terminer l'histoire du crocodile de 
Saint-Domingue, je dois parler d'un petit sputateur, 
aussi aimable par ses gentillesses que le monstre 
amphibie est grossier dans ses manières. Quoique 
cette digression soit étrangère à cette monographie, 
le lecteur me la pardonnera en faveur de l'objet dont 


ie 


86 VOYAGES 


il s'agit. Je dois accorder un souvenir à l'ami paisible: x 
au compagnon intéressant de ma solitude, au bon 
zizi (tome 11, planc. XI), lézard sputateur qui inté- 
ressoit tous mes momens, savoit délasser, par ses 
moindres actions, l'application d'une étude trop long- 
tems soutenue. Ce charmant animal sétoit tellement 
familiarisé, que je le conservois près de moi, dans 
un gros étui dont il avoit fait sa retraite, et d’où il s'é- 
lançoit soudain au passage des mouches ou autres 
insectes dont il faisoit sa nourriture. Quelquefois 1} 
alloit se chauffer au soleil, puis revenoit auprèsde moi, 
jouer sur mes dessins sans me causer la moindre impor- 
tunité. Souvent, au son de mon violon, il sortoit de 
son élui, et rampoit doucement, avec l'attitude con- 
irainte de quelqu'un qui écoute, et craint de perdre 
nn son. Le pauvre 222 fut un jour la victime de l'étour- 
derie d’un enfant qui, en sautant sur mes genoux pour 
m'embrasser, écrasa mon petit ami reposant sur 
mon sein. Je l'en retirai trop tard, 1l rendoit les der- 
niers soupirs en se reployant, et donnant des preuves 
de ses rezrets de quitter la vie ; il se cramponna à ma 
main qui le nournissoit, comme pour Jui donner Ja 
dernière marque de sa reconnoissauce , et mourut dans 
cette attitude. 


D'UN -NATURALISTE. 87 


LV VILLE D 


CHAPITRE *TREIZIEME. 


De la Chasse aux repaires. 


. manière de chasser le caïman , la plus 
intéressante et la plus curieuse pour ur ureur 
adroit et intrépide, est sans contredit la plus 
dangereuse. Face à face avec le monstre furieux, 
si le coup d'arme ne fait que le blesser, à 
Pinstant qu'il s’élance, 1l ne faut pas, comme on 
le dit, se décider à le laisser fondre vers soi, pro- 
fitant brusquement de ce moment pour faire une 
feinte, et courir s'emparer de sa queue, où alors 
on est hors de danger; mais bien, fuir si on n’a 
pas de quoi lui faire résistance. Non seuiement il 
n’est pas prudent de se fier à la queue du caïman, 
mais c’est qu'avec 1l ramène la proie vers sa 
gueule, qu'il dirige à l’instant de côté pour la 
recevoir. Les mouvemens du caïman sont si sou 
ples, que d’un moyen effort, son museau a atteint 
le gros de sa queue, sans presque être replié. Les 
narrateurs fabuleux attribuoient son impossi- 
bilité de se retourner avec agilité, à la posiuon 
de ses côtes qu'ils disoient être placées horizou- 
talement. Les mouvemens de rage qu'si exécuic 


88 VOYAGES 


avec la tête ou la queue sont si véloces, qu’on ne 
peut les suivre des yeux. 

Voici de quelle manière nous avons procédé 
a l'attaque d’une femelle en train de pondre. 
Sortant de déposer, à l'ombre de bois inabor- 
dables , une partie des œufs de sa couvée , elle 
entendit du bruit , et se jeta à l’Ester avec lagi- 
lié qui lui est ordinaire en cas de surprise. Nous 
gueltämes ses mouvemens, et la vimes filer 
entre deux eaux jusqu’à une certaine distance; 
mas elle échappa à nos regards acufs dans des 
berbes aquatiques dont l’Ester est recouverte, 
qu’on appelle vulgairement salades ; c’est Le 
pontéderia des botanistes. | 

Un de nos surveillans vis à vis le contour 
d’une gorge assez profonde , remarquant à ses 
pieds de Peau récemment salie , preuve certaine 
de la présence du caïman, nous appela : aussitôt, 
de passer de l’autre bord , et de concerter s&r 
les mesures à prendre pour la parfaite réussite 
de notre attaque. 

Deux noirs, habiles plongeurs, sont chargés 
de barricader l'ouverture de la gorge avec des 
pieux trés-serrés et amarrés de lianes phiantes ; 
trois autres, de percer la voûte de l’antre, afin 
de s’assurer de sa forme. Déjà la peine et l’im- 
patience avoient passé le plaisir, les ouvriers 
indolens demandoient relâche par la dureté du 


D'UN NATURALISTE.  & 


tuf entre-mélé de racines, lorsqu'on entendit un 
bruit sourd : tous furent ranimés. Le pionnier 
armé de son lochet, M. Lachicotte et moi, de nos 
fusils ; les uns de houes, d’autres de harpons ou 
mäàchettes ;. chacun reprit son poste. 

Le faîte bientôt s’écroula sous les coups redon- 
blés des bécheurs revivifiés par l'espérance. On 
décida de sonder. Ayant introduit une perche de 
six pieds environ ,l’animal irrité deceuteagacerie, 
frémit de tout son corps, fittrembler le tertre qui 
nous portoit, poussa un rugissement épouvan- 
table, et reuntle bois qui se broya bientôt sous ses 
dents incisives. Une commune joie se fit ressentir : 
pour aiguillonner davantage le reptule, on seservit 
d’une gaule armée d’une pointe de fer très-aigue. 
C'est alors que furieux et oubliant le danger 
qu'il alloit courir, 1l se prépara à sortir pour se 
venger de ses agresseurs. À peine apercus-je Île 

gbout de son museau, que plein d’impatience, je 
n’en pus attendre davantage, je làchai mon coup. 
La balle lui traversa de part en part les parties 
supérieure et inférieure de la mâchoire, d’où il 
jaillit à Pinstant beaucoupde sang. Pleinderage et 
grondantd’une manière effrayante ,illaissa sa tête 
à découvert. Mon second coup fut détendu; mais 
la pierre se brisant sur le bassinet ,ne putmeitre le 
feu à l’amorce. Lecaïmansereuraensedébattänt. 

Résolu de l’attendre en face, je me baissui, 


#” 


90 VOYAGES 


prêt à lui faire bonne contenance, en cas d’une 
nouvelle sortie. [l ne tarda pas à reparoître; 
mon coup partit, la balle Iui cassa la mâchoire 
inférieure gauche, et alla ressortir par une ver- 
iébre cervicale. Son sang ruisseloits mais il ne 
fut que plus irrité, il s’élance..…. M. Lachicotte, 
qui m’avoit procuré cette chasse, üre; la balle, 
entrant par l’œsophage , lui traverse les intesuns, 
et va sortir derrière et dessous l’anns. Dangereu- 
sement blessé, 1l se retire et garde un silence 
menaçant. Le croyant mort dans son trou, on fit 
descendre un homme pour le haler dehors. La vue 
d’un être qu'il croyoit son ennemi, ranime ses 
forces et sa colère ; il court rapidement surlui. Un 
cri unanime est poussé..….….; mais une nouvelle 
balle lui enlevant le crâne, le laisse sans mouve- 
ment, et en délivre la victime innocente, sur 
laquelle il alloit assouvir sa cruauté féroce (+). 
Nous examinämes ses blessures; c’est alors 
que nous vimes bien disunctement où les coups 
avoient porté. La Nature faisant en lui un der- 
nier effort, lui fit encore rappeler sa juste ven- 
geance; et c’est pour l’exercer, qu'il se servit de 


(1) Les lingots de fer ; proposés par M. Geoffroi 
Saint-Hilaire, dans ses observations sur les habitudes 
attribuées par Hérodote, aux crocodiles du Nil, seroient 
d'autant plus avantageux pour la chasse aux caimans, 

. que les balles de plomb s’aplatissent. 


D'UN NATURALISTE, ot 


sa queue, son arme la plus terrible, et la fonetta 
avec encore assez de roideur contre un Curieux 
qui heureusement l’esqniva, et se retira pru- 
demment, remettant plus tard ses observations. 
Le caïman ne peut la faire mouvoir que dans le 
sens horizontal : c'est de cette maniére que, 
nagcant doucement entre deux eaux, 1l s'ap- 
proche lentement et sans agitation , du rivage où 
il voit un animal se désaltérer ; touchantla terre, 
il monte rapidement vers Jui, et d’un coup de 
queue qu'il ramène vers sa tête, il lance à l’eau 
la bête imprudente, si elle n’excède pas la gros- 
seur de la chèvre, chien ou cochon ; mais, dans 
le cas contraire, lorsqu'il surprend un bœuf ou 
cheval, c’est par les narines qu'il l’entraîne à 
l’eau, le noye, et le conduit dans son trou où 1l 
le laisse pourrir , ainsi que me l’ont cerüfié d’in- 
trépides plongeurs, qui ont eu trés-souvent l'occa- 
sion de le remarquer , en cherchant des tortues. 
L'animal étant trop mutülé pour le bien ob- 
server anatomiquement , je le fis néanmoins 
ouvrir pour diverses raisons. C’étoit une femelle 
de huit pieds de longueur, du bout du musean 
à celui de la queue. Je trouvai vingthuit œufs 
parvenus à leur parfaite grosseur, quoique la 
coque encore molle, dans deux canaux placés 
de chaque côté sur les reins, et correspondans 
en haut à l'ovaire, et au bas à l’orifice de Fovi- 


* 


92 VOYAGES 


ductus. Les œufs, dans leur état parfait, avoient 
trente-cinq lignes de longueur sur dix-neuf de 
largeur : ils n’ont point de forme ovoïde, ce sont 
deux lignes parallèles, simplement arrondies 
aux deux extrémités. (7oy. pl. V.) 

Voulant contenter les spectateurs, qui préten- 
doient trouver l’époque de sa naissance au 
gref de son estomac, contenant, dit-on , autant 
de pierres que l'animal a d’années , je le fs ouvrir. 
On en trouva vingt-cinq, parmi lesquelles 1l 
s’en rencontra d’arénacées, et un grain de plomb 
à canard qui avoit changé de forme. C’est appa- 
remment la dégustation vorace de quelque gibier 
mort, qui nous procura cette rencontre. Quant 
aux picrres qui se trouvent dans l’estomac , elles 
sont, je crois, destinées à triturer les alimens 
peu digesufs, tels que le bois et autres corps 
durs dont se nourrissent les caïmans, en disette 
d’unenourriture plus succulente, et à entretenir, 
en ce cas, la dilatation des intesuns, et non point 
à marquer leur âge. 

. C’est en cherchant à prouver à mes entêtés 
cette vérité plausible et incontestable , qu’on vint 
nous avertir de la présence d’un jeune caïiman 
dans les halliers de l’autre bord de l’Esier. Comme 
j'en désirois un de cette taille , afin de m’assurer , 
et de la conformité des âges et des sexes, je me 
fs piroguer ; mais M. Lachicotte, qui nvavoit 


D'UN NATURALISTE. 93 


devancé, le joignit. Craignant, en raison de sa 
peutesse, de le massacrer, et de le mettre, par la 
mutilation , hors d'état de répondre à mes.vues, 
1l le tira assez près des narines, pour que la co- 
lonne d’air vivement rompue, refoulée etrentrée 
en elle-même, le renversät comme asphyxié. 
Il le saisit, et l’attacha avec une corde; peu aprés 
le caïman reprit ses sens : cependant, quoique 
sans blessures , 11 mourut au bout d’une heure, 
M. Lachicotte témoignoit pour cela son éton- 
nement, puisque tant de fois 1l en conserva 
ainsi quinze jours sans manger. On ne peut 
donc attribuer sa mort qu’à l'expérience phy- 
sique qui lui fut tout à fait défavorable. 

Trois jours après, M. Lachicotte, toujours 
empressé de satisfaire mes désirs, traver- 
soit à gué un bras de l’Ester qui sert à notre 
habitation, de cañal d'arrosage. Il apercoit, à 
fleur d’eau, un caïman qui, la gueule ouverte, 
se chaufloit au soleil. Pensant à la dissection que 
j en avois projetée, sans craindrel’éminent danger 
qui le menacoit, il se détermine à le prendre 
vivant , afin qu'aucun de ses ©6s ne soient 
rompus, et que je puisse examiner à mon loisir 
ses moyens de défense en état de gêne, sa 
souplesse dans ses mouvemens tortueux, et la 
force de sa queue lorsqu'il est irrité, et qu'il 
veut se venger. Très-adroit à lancer l’éperlin, il 


94 VOYAGES 


le tenoit d’une main , détachant de l’autre un 


pistolet du ceinturon de son sabre. 11 s’avance ; 
l'animal terrible, lors de sa ponte, n’attend point 
qu’on l'attaque. En travers devant son agresseur, 
le caïman donne un violent coup de queue, et 
l’eau le conduit face à face : l'animal ouvre sa 
gueule meurtrière, et la referme trois fois avec 
bruit, à quatre pouces de la cuisse du chasseur. 
Grondant d’avoir manqué sa proie qui, d’abord 
retenue dans la boue, s’en débarrassa bientôt, 
et attendit de pied ferme le monstre pour lui 
décocher une balle qui lui fracassa l’omoplate. 

L’amphibie , sensible à cette blessure , re- 
plongea doucement sous l’eau ,et y resta pendant 
que le chasseur irrité appela à son secours de 
bons plongeurs qui lui étoient fidèles : brûlant de 
venger leur maître , ils étoient déjà dans l’eau avec 
leur seine , lorsque l’animal , voulant l’éviter , s’y 
trouva pris. C’est alors que, plein de rage, il 
tenta , avant de périr, de se venger à son tour. 
Se trouvant ressérré , le caiman, de plusieurs 
coups de queue, rompit le filet, et finit par s’en 
délivrer aveée ses dents terribles. Bientôt 1l 
s’élance vers l’un des plongeurs qui, en fuyant, 
tombe à genoux, mais aussitôt se relève et lui 
échappe, L'animal surpris de son peu d’agilité, 
en raison de sa soif de sang, alla une seconde 
fois cacher sa honte au fond des eaux, qui se 
troublèrent par sa vive agitauon, 


D'UN NATURALISTE. 05 


On lui fait une seconde attaque , dans laquelle 
il est vaincu, amarré tout vivant, et conduit 
prisonnier, confus de sa docilité. Je fus de suite 
averti, et me transportai sur les lieux. Je fis 
délier les pieds attachés sur son dos, afin d’exa- 
miner sa démarche. 

La mâchoire muselée, deux fortes cordes le 
retenoient à un pisquet. On l’excita pour rallumer 
sa colère assoupie en apparence; d’un coup de 
queue il frappa si rudement la cuisse d’un des 
spectateurs, qu’on la crut cassée. Le même mou- 
vement rompit les cordes , et il commencoit à se 
démuseler. I devenoit redoutable ; je voulus ter- 
miner de suite mes essais , et c’est pour sonder sa 
parue sensible que je lui piquai une balle der- 
rière la mâchoire inférieure, qui, lui coupant 
la jugulaire et le canal aérien, ressorut de l’autre 
part, pour se ficher en terre. Etourdi du coup, 
et peu assuré sur ses pieds engourdis, il tomba 
sur le côté , rendant beaucoup de sang, et râlant 
sourdement, à cause de sa nouvelle blessure, 
Cependant, reprenant ses sens et sa fureur, il 
se rephioit sur lui-même; maisj’avois déjà décidé 
où devoit porter le coup fatal : plus prompt que 
lui, ma balle Patteint entre l’oreillé et l'œil, 
et lui fait sauter la cervelle. Il se roïdit, débat sa 
queue, couvre ses yeux, et expire sans plainte, 
en faisant un dernier bond, , 


06 VOYAGES 

Je le fis ouvrir : c’étoit une femelle de sept 
pieds , ayant beaucoup d'œufs, et dans l'estomac 
une seule pierre; ce qui confirme mon asser- 
ton, et détruit entièrement le conte absurde 
des anciens. 

Le caïman ne s’amuse point à mordre, mais 
à déchirer et dépecer , en secouant brusquement 
Ja tête. La proie qu'il üent est bien tenue. Si 
c’est une jambe, par exemple, dilacérée sous la 
pression énergique de son râtelier cruel , il faut 
couper Ja chair, ou plutôt, par compassion, tuer 
Vanimal sur la place; car il ne lâche jamais 
prise, malgré l'introduction de leviers, qui re- 
broussent toujours. + 

On m'en prit un dans une seine, qui resta 
cinq jours sans manger , et tout aussi cruel, sans 
que ses forces parussent s’afoibhir. Je le con- 
servois dans une chambre, pour examiner ses 
mœurs, qui ne sont pas du tout douces n1 so- 
ciales; car, quoique retenu par le train de der- 
rière ,1ls’élancoitversmoi,etfrappoitsirudement 
sa queue ou sa tête contre le banc sur lequel je 
m'étois réfugié, qu'a chaque coup, ou sa mà- 
choire saignoit abondamment par la force de la 
contusion, ou les dents étoient éclatées, ou bien 
encore sa queue étoit endommagée. 

Ayant besoin de l’observer , et ne sachant 
comment Je faire mourir sans détériorer lé sujet, 


j'imaginai 


D'UN NATURALISTE. 97 


jimaginai plusieurs moyens. Aucun ne me 
réussit mieux que celui de l’étranglement, par 
le moyen d’un tourniquet, C’est à l'approche 
des derniers instans du caïman, que sa peau 
devient perméable dans ses rugosités, à cette 
graisse en déhquium qui s’exhale sous la forme 
d’un fluide jaune ruulent, L'animal eut une 
longue agonie. 

Quand il fut mort, je découvris que sous sa 
double paupière , la réune qui n’étoit que d’une 
demi-ligne de largeur, avoit changé de forme 
pour prendre celle d’une circulaire de quatre 
lignes de diamètre. Je parle d’un sujet de quatre 
pieds dix pouces. 

Je terminerai le récit de mes observauons par 
dire, que ce qui rapproche moralementle caïman 
de Saint-Domingue du crocodile du Nil, c’est 
son goût pour les chiens; c’est pourquoi , quand 
on veut le faire mordre aux appâts qu'on lui 
a tendus, on fouette de ce côté des chiens, afin 
de les faire crier. Aussi est-1l fort imprudent 
de se mettre à la nage avec un chien, que les 
caïmans éventent de fort loin. 


Tome III. 


98 VOYAGES 


ATLAS CSSS D Se Ve a es Ve 


EXTRAIT 


Du Rapport fait à l’Institut de France , 
sur un Ouvrage manuscrit relatif au 
Crocodile de Saint-Domingue. 


INSTITUT NATIONAL; 
Classe des Sciences physiques et mathématiques. 


Le Secrétaire perpétuel pour les Sciences naturelles, 
certifie que ce qui suit est extrait du procès - verbal 
de la séance du lundi 15 juin 1807. 


Nos avons été chargés, Mrs Tenon, Lacépède 
et moi, d'examiner un ouvrage manuscrit de 
M. Descourulz, sur le crocodile de Sumnt- 
Domingue. Pour en mieux faire sentir l'intérêt, 
il est bon de rappeler à la classe quel étoit, il y a 
encore peu d'années, l’état de la sience à l'égard 
de ces monstrueux repules. 

Les voyageurs ne voyant des crocodiles 
qu'isolés, et ne pouvant les comparer entr’eux, 
n’en avoient point saisi les différences. Ils les 
considéroient tous comme semblables, et leurs 
descriptions ne portant point sur les caracteres 
peu sensibles qui les distinguent, avoient fait 
eroire aux plus habiles naturalistes, qu'il n’y a 


D'UN NATURALISTE. 09 


qu'une seule espèce de vrai crocodile dans les 
deux Contnens, 

C’est seulement depuis que les voyageurs ont 
mis plus de soin à rapporter les objets qu'ils 
rencontrent, et à les déposer dans les grandes 
collecuons publiques, qu'il a été possible d’oh- 
server à côté l’une de l’autre les espèces très- 
semblables non seulement dans ce genre , mais 
dans presque tous ceux des grands animaux, et 
de remarquer dans cet examen comparatif les 
différences peu frappantes qui échappoient , 
quand on les voyoit chacune séparément à de 
grandes distances, de tems et de lieux. 

Ainsi, quoique les crocodiles des divers pays 
aient été décrits par d’habiles gens, celui 
d'Egypte par Perrault et Duverney , celui du 
Brésil par AMargrave, celui de la Caroline par 
Catesby , etc. ; leurs descriptions ne fournissoient 
aucun moyen de les distinguer. 

Cependant toutes ces espèces sont différentes, 
et il y en à encore plusieurs autres. L'un de 
nous en décrira dix dans un mémoire qu’il se 
propose de lire incessamment à la classe, sans 
compter les crocodiles à longs becs, auxquels on 
a parüculièrement réservé le nom de gapials. 

Le crocodile de Saint-Domingue occupe dans 
ce nombre un rang distingué, parce qu’il est la 
seule, de toutes les espèces d'Amérique, qui se 


G 2 


100 VOYAGES 

rapproche des formes communes aux espèces 
de l’ancien Monde. Sans lui, on auroit pu di- 
viser le genre en deux sous-genres, qui auroient 
eu des caractères assez marqués, et dont chacun 
auroit été propre à l’un des deux Continens. 

Sa ressemblance avec Ze crocodile vulgaire 
ou du N7/, est même si grande, qu'il a fallu 
beaucoup d’attenuon de la part de M. Geoffroy, 
pour en saisir les marques disunctuves qui con- 
sistent seulement dans un plus grand alongement 
du museau, et dans une autre distribution des 
écailles du dos. 

À Ja vérité , il existoit depuis long-tems d’excel- 
lentes figures de ce crocodile, et de son anatomie, 
dans les manuscrits de Plumier, déposés à la 
bibliothèque impériale ; mais ces manuscrits 
étoient restés inconnus au public, et d’ailleurs 
Plumier ayant vu que ce seul crocodile, 
n’avoit pu insister sur ce qui doit véritablement 
le faire reconnoître. 

C’est donc cette espèce paruculière et inté- 
ressante dont M. Descouruilz vous a présenté 
l'histoire. 

Il en a observé un très-grand nombre pendant 
son séjour à Saint-Domingue, et en a disséqué 
plus de cinquante, 

Il en donne une description très-exacte , ac- 
compagnée de grandes figures coloriées, etc. 


D'UN NATURALISTE, IOI 


Il décrit et représente avec le plus grand soin 
Fostéologie, la myologie et la splanchnologie de 
cet animal; et comme nous avons eu nons- 
mêmes l’occasion de disséquer un crocodile frais 
de Saint-Domingue, que le général Rocham- 
beau avoit envoyé au Muséum d'Histoire natu- 
relle ; que d’ailleurs nous avons fait Panatonne 
de diverses autres espèces conservées dans Ja 
liqueur, nous avons pu nous convaincre de 
l’exacutude de plusieurs articles de la descripüon 
de M. Descourulz. Ses figures nous ont aussi 
paru dessinées d’après nature, et avec des 
yeux d’observateur. Élles remplissent cinq 
planches. L’ostéologie y est traitée avec le plus 
grand détail. On y voit en général, un grand 
nombre de parties de l'animal qui w'avoient 
pas encore été représentées. Les objets que nous 
avons été à même de vérifier d’après nos observa- 
tions précédentes, nous garantissent l’exacutude 
de ceux qui sont nouveaux pour nous. 

La parue de son ouvrage la plus intéressante 
pour les naturalistes, parce que c’est celle qu’on 
ne pouvoit obtenir que dans sa potion, consiste 
dans ses remarques sur le développement et les 
habitudes de ce dangereux animal; elles con- 
üennent un trés-grand nombre de faits nouveaux 
pour les naturalistes. 

M. Descourulz nous apprend que les fernelles 

G 3 


102 VOYAGES 


sont beaucoup plus multipliées que les mâles ; 
que cependant ces derniers se battent entr’eux 
par jalousie ; que les deux sexes s’accouplent 
dans l’eau , en se tenant sur le côté; que l’intro- 
mission dure au plus vingt-cinq secondes ; que 
les mâles deviennent prohfiques à dix ans, etc. 

Il à dressé une table de l’accroissement du 
crocodile , depuis sa naissance où 1l n’a que 
neuf pouces et demi, jusqu’à l’âge de vingt-deux 
ans où 1] atteint seize pieds et plus. 

La ponte se fait en mars, avril et mai. La 
femelle creuse, avec les pattes et le museau , un 
trou circulaire dans le sable , sur quelque tertre 
un peu élevé ; elle y dépose à peu près vingt-huit 
œufs, enduits d’une humeur visqueuse, qu’elle 
dispose par lits, séparés par des lits de terre. 
Les peuts éclosent au bout d’un mois. Vers ce 
tems, la femelle vient les appeler et gratter la 
terre autour d’eux, pour les aider à sorur; 
ensuite elle les conduit, les défend, surtout 
contre le mäle qui cherche à les dévorer, et les 
nourrit en dégorgeant sa pâture pendant environ 
trois MOIS. 

Ce crocodile , comme tous les autres, ne peut 
mordre n1 avaler dans l’eau , sans courir risque 
de se sufloquer, en laissant pénétrer ce liquide 
dans son larynx; mais il entraîne ses victimes 
daus des trous qu’il creuse sous l’eau , où il les 


D'UN NATURALISTE.,. 103 
noye, et les laisse pourrir : 1l les extrait alors 


pour les dévorer sur le rivage. 


5 

La roideur de ses vertèbres, n’est pas aussi 
forte qu’on le croit ; 1l peut très-bien se courber 
de côté, au point de mordre sa queue. 


Ces diverses observations toutes précises, et 
rapportées à une espèce bien constatée , four- 
nissent une base solide à la véritable histoire 
naturelle des crocodiles. 


En y comparant ce que M. Geoffroy a observé 
sur l'espèce vulgaire du Nil, ce que les Amé- 
ricains rapportent de celle du Mississipi et de 
la Caroline , ce que Margrave , Dazzara et 
Laborde , nous disent de celle du Brésil et de 
la Guyane; on découvre que chaque espèce a en 
propre de certaines habitudes, comme de cer- 
tains caractères disuncufs, et qu’en même tems 
elles ont toutes en commun un nombre d’habi- 
tudes plus grand , comme elles se ressemblent 
aussi entr’elles par la presque totalité des points 
de leur conformation. 


La science seroit heureuse, si chaque voyageur 
s’attachoit ainsi à approfondir quelqu’objet paru- 
culier, et à contribuer ainsi pour sa part à 
l’éclaircissement de quelque poruüon du système 
général. 


G 4 


104 VOYAGES 

Nous pensons donc que la classe doit témoi- 
gner à M. Descourulz, la sausfaction qu’elle 
éprouve de l’heureux emploi qu'il a fait de ses 
loisirs CC. 

Fait au Palais Impérial des Beaux-Aris, 
le 15 juin 1807. 


TonÉ np à 
Signé, TENON, LACÉPÈDE, 
et CUVIER, rapporteur. 


Nota. Métant proposé de suivre ponctuel- 
lement l'ordre du discours préliminaire du 
premier volume, je vais entretemr le lecteur de 
mes observations sur les mœurs et coutumes des 
Guinéens transportés à Suint-Donnnigue. 


D'UN NATURALISTE. 105 


Ph PS ie or os ie rs os re OR ns 


PLANCHE IIL 


Splanchnologie. 


Dessins de demi-grandeur naturelle. 


F g. 1ère, (a) Cartilage tiroïde détaché à l1 naissance 
de la langue de la membrane pelliculaire, qui roule 
dessus daps tous les mouvemens de cet organe. (à) La 
trachée-artère. (c) Sa bifurcation pour se rendre au 
centre des poumons. (d) Œsophage, et sa direction 
vers l'estomac. (e) Veines cave, et aorte s'élevant 
du ventricule du cœur. (f) Le cœur sous son en- 
veloppe péricardine. (2) Les poumons pleins d'air. 
(Ah) Les deux lobes du foie. (4) La vésicule du 
fiel, reposant sa pointe sur la petite courbure de 
l'estomac. (j) L'estomac couvert des ramifications de 
ses vaisseaux gastriques. (k) Le duodenum sortant 
de la petite courbure de l'estomac. Les intestins sont 
écartés pour laisser voir les membranes qui tapissent 
les vaisseaux chylifères. (/m) Le colon hors de po- 
sition. (n) Circonvolutions du jéjunum recouvert de 
l'épiploon. Le pancréas (0) placé dans la région hy- 
pogastrique, près du colon. (p) Le rectum. (gg) Les 
reins. (r) Epiploon très-mince, (s) ‘Fissu graisseux du 
diaphragme. 

Fig. 11. Les mêmes viscères vus par derrière. (a) Le 
cartilage tiroide. (à) La lotte. (c) L'œsophage. (4) L'es- 
tomac. (e) Poumons enflés d'air. (f°) Veines. (gg) Por- 
tions aperçues des deux lobes du foie. (k) Vésicule 
du fiel. (:) Epiploon. (7j) Prostates. (4) Membrane 
urinaire , servant de vessie. (/}) Les deux reins adossés 
au rectum. (m) Le rectum. (nnnn) Circonvolutions 
des intestins, | 


106 VOYAGES 


RRR RTL EVER VI RVRIRRVLY 


PEANCHETIY: 


Anatomie de la langue, du larynx et de la 
trachée-artere. 


Dessins de demi-grandeur naturelle. 


Ps G. 1ère, La langue détachée des os maxillaires, 
auxquels elle adhère par la membrane qui la recouvre. 
(a) La langue. () Sommet de l'arc de la soupape 
tiroïde cartilagineuse et mobile, ou épiglotte. (c) Sa 
concavité. (d) Ouverture de la trachée-artère, fermée 
par deux lèvres renflées qui se rapprochent lorsqu'il 
en est besoin. C'est la glotie ou petite fente du la- 
ryox, par laquelle air que nous respirons descend 
etremonte , et qui sert à former la voix. (e) Larynx, 
voûte charnue et cartilagineuse, qui conduit à la 
trachée-artère. (f) Corps dela trachée-artère. (g) Œso- 
phage. (4) Son entrée. (4) Corps charnus, adhérens 
à ces parties. (k) Muscles œsophagiens. | 


Fig. 11. (a) Suite de la trachée-artère. (b) Sa bi- 
furcation pour se rendre aux poumons (cc) flasques, 
privés d'air, et hors de position. (d) Proéminences 
graisseuses, qui assurent l'imperméabilité de ces 
organcs. 


Fig. 111. (a) Epiglotte, soupape cartilagineuse , 
privée de ses tégumens musculeux et cutanés. (2) Sa 
cavilé. (cc) Ses bords se recourbant vers le centre. 
{d) Jonctiou et naissance de l'os yoide au cartilags 


D'UN NATURALISTE. 107 


de la soupape. Ils sont rabattus, vers l'intérieur , pour 
Ja connoissance de leur forme ; car, dans la position 
ordinaire, la saillie médiaire se trouve presqu'en 
dedans, de manière à servir de point d'appui, sur 
les chairs, au levier qui fait, par ce moyen, la 
bascule lorsque la partie postérieure se baisse , et 
qu’elle est retirée pour le happement de la soupape 
au palais. (e) Os yoide, n'ayant qu'une seule corne. 
(ff) Seséchancrures cartilagineuses festonnées. (g) Car- 
tilage cricoide. 


Fig. 1v. Os yoïde, ou corne du cartilage tiroide, 
vu de côté. (a) Tête du levier. (2) Coude servant 
de bascule. (c) Fin de la courbure du levier. 


Fig. v. (a) Langue hors de position , recouverte 
de la soupape du cartilage tiroide, (b) rabaissée vers 
elle. On voit distinctement la glotte (c), et le gaufré 
de l’œsophage. (d) La naissance du palais. (e) L'ou- 
verture cordiforme nasale (f), qui procure l'air au 
caiman, même dans l’eau, pourvu qu'il ait le bou- 
toir dehors au dessus du niveau, et que le cartilage 
cintré adhère au cintre, distingué par une couleur 
rosacée. 


Fig. vr. (a) Cartilage tiroiïde dépouillé de ses té- 
gumens. (b) Larynx ouvert pour en connoître l'inté- 
rieur, qui n'a rien de particulier. (c) Canal aérien. 


108 . VOYAGES, etc. 


« 
RU ARR DL LR LR DR 


PLANCHE VV. 
CŒÆufs du Caïman. 


Réduction à moitié de grandeur naturelle. 


À 
x | x - … 
F, G. 1ère, Œuf entier du caïman. 
Fig. 11. Les deux moitiés, et le jaune s'en écou- 
Jant avec le blanc. 


Fig. 111. Le caïman dans l'œuf, reployé sur lui- 
méme, et dont on n'apercoit point la tête. 


Fig. 1v. Le jeune caiman sortant de l'œuf, avec 
sa férocité innée. 


Fig. v. Le jeune caiman dans l'œuf; autre position 
qui permet de distinguer sa tête. 


Fig. vr. Tronc d'un jeune caiman où l’on remarque 
le sac alimentaire (a) , et l'ouverture ombilicale (D). 


Fig. vir. Sac alimentaire en correspondance avec 
l'estomac. (a) Le sac alimentaire ; (b) l'estomac ; 
(c) développement du tube intestinal. (d) Œsophage ; 
(e) la langue ; (f°) tube de-correspondance. 


Fig. virr. Tronc du même, après neuf jours de 
naissance , où l'ouverture ombilicale (a) est réunie 
par une suture qui disparoit avec l'âge. 

Wig. 1x. Crâne du même, scié, et son cerveau mis 
à découvert, 


ESSAI 
SUR 
LES MŒURS ET COUTUMES 
HABITANS DE GUINÉE, 
A SAINT-DOMINGUE; 


Pour servir à l'Histoire générale de l'Afrique, 


: | | 
U { : : 
| 
} | : 
s e 
: 
. 
û 
0 
L 
1: 
} 
î 4 
0 
e, . 
ne 
1 Fe 
C2 : : 
: L . 
1 
{ L 
l 
| t 
| Ù 
eu 
le n ” 
f 
à ï 
Le 
’ + 
Ch A 


LR Se LR LV SR OR RO RO D D 


AVANT-PROPOS. 


La Nature à Saint-Domingue, ne me 
laissant aucun repos, ses curiosités sans 
cesse renaissantes, réveillant à chaque 
instant mon activité, me donnèrent à 
connoitre que j’étois loin d’avoir scruté 
ses réservoirs secrets. Que faire? mon 
tems étoit tout employé, la nuit me 
restoit ; c’est dans son calme imposant. 
que je fus inspiré, et que je méditai 
l'Histoire naturelle des diverses peu- 
plades guinéennes , dont nos nombreux 
ateliers étoient composés. Cependant 
le souvenir de voyages en Guinée, de 
narrations d'hommes célèbres me décou- 
rageoient , et sembloient déclarer nulle 
mon entreprise, lorsque réfléchissant 
qu’aux descriptions cosmographiques et 
topographiques , il faut savoir ajouter 
les nuances dans les mœurs de ces 
peuples non civilisés, leurs coutumes 
bizarres, leurs lois, leurs usages, et sur- 
tout le caractère propre aux sujets de 


chaque peuplade, je repris courage, en 


112 AVANT-PROPOS. 


me persuadant qu’il y avoit encore beau- 
coup à désirer. 

Entouré souvent dans mes courses 
vagabondes, de l’oiseau nocturne qui, 
dans son vol silencieux , sembloit ne pas 
reconnoitre en moi un habitant de la 
nuit, je me fauflois près des groupes de 
nègres, sans être aperçu d'eux, et me 
repalssois avecavidiié de leurs entretiens 
qui les reportent toujours dans leur pays 
regretié; où bien, je questionnois les 
moins farouches et les plus naïfs, pour 
retirer d’eux, et confrontér par compa- 
raison, l’éuincelle d’une vérité qui ne 
devroit jamais ètre trahie. 

Ce sont donc ces observations réité- 
rées qui m'ont fait connoître les mœurs 
des Africains. Plusieurs traits caractéris- 
tiques , que Je cite à l'appui, intéres- 
seront peut-être mes lecteurs. Puisse le 
but de cet Ouvrage historique, puissent 
mes bonnes intentions mie mériter l’in- 
dulgence du public, et une confiance à 
laquelle la vérité de mes récits me permet 


d’oser prétendre! 
ESSAI 


er or ot on eo os or or on or Pod Poe on on os es or os os or BR on 
ESSAI 
SUR LES MŒURS ET COÛTUMES 


DES HABITANS DE GUINÉE, 


A SAINT-DOMINGUE. 


INTRODUCTION. 


D une des soirées de la saison des pluies, 
fatigué de la chaleur du jour , ayant d’ailleurs 
employé la matinée à la chasse fatigante des 
lagons (1) , je voulus jouir librement de la 
fraîcheur , et fuyant tout abri infesté par les ma- 
ringoins (2) et la bigaille (3), je m’avancois 
derrière une colonnade de palmiers pour respirer 
l'air embaumé d’une haie de citronniers , lors- 
qu’à la lueur de la lune j’apercus un groupe 
de nègres rendant furtivement un hommage 
idolätre à leur wangua ou fétiche que je ne pus 


4 > s 
(21) Les lagons ou lagunes sont des marais à peu 
près desséchés, où 1l reste encore un peu d’eau. 


(2) Les maringoins ou cousins sont de petits in- 
sectes volans, avides de sang, et fort incommodes. 

(5) La bigaille ou moustiques : on appelle ainsi de 
petites mouches imperceptibles, avides aussi de sang. 


Towe IL. H 


114 VOYAGES 


d’abord distinguer , mais que je reconnusensuite, 
à ses sifflemens , pour une énorme couleuvre, 
objet de l’adoration de ces êtres supersutieux, 
et en faveur duquel ils se privoient tour à 
tour de leur manger, et particulièrement de leur 
laitage dont le repule déïfié est fort friand, 
ainsi qu'on pouvoit en juger par l’ivresse que 
cette fétiche éprouvoit, lorsqu’elle s’étoit gorgée 
de lait (1). . 

Lom de vouloir troubler ces cérémonies noc- 
turnes, je me tins à l’écart, à la faveur des 
bananiers qui, ombrageant le sentier, me ser- 
virent de retraite, et d’où je pus à mon aise faire 
les remarques que je citerai en tems et heu. 
Cependant la nuit s’avancoit; la constellation 
de a Poussinière rentrant vers l’horizon, Le lu- 
cide bayacou ou étoile du matin , éclairant les 
montagnes et permettant de disunguer leurs 
contours, à la faveur de sa brillante réverbé- 
rauon, je laissai dans sa "muette adoration la 
cohorte prosternée , pour aller nie livrer au 
repos. 

Le lendemain , mon premier soin futdecharger 
un nègre de la case , aflidé et très-intelligent , de 


(x) Cette couleuvre à tête de chien, est si peu 
dangereuse qu’elle tète les vaches et les négresses 
endormies sans qu'elles en soient incommodées. 


D'UN NATURALISTE. 119 


m’amener , chaque soir et tour à tour, plusieurs 
nègres de.nations diflérentes, sous le prétexte 
par lui de nationner (1) avec eux, en buvant le 
tafia et fumant la cigare, afin qu’à force de 
questions faites par lui, sans que je parusse y 
être présent, je pusse, à l'écart, apprendre de 
leur propre bouche les vérités et détails histo- 
riques qui font l’objet de cet Opuscule: 

Voici le résultat de mes notes et de mes 
observations. | 


(1) Nationner, terme nègre; ils appellent aussi 
bâtiment celui ou celle avec qui ils ont fait la traversée 
d'Afrique à Saint-Domingue. 


116 VOYAGES 


Ps ns ns on si VV D 


CHAPITRE PREMIER. 

Nègres Dunkos, et Aradas. Belle stature de 
ces peuples. Attachement prononcé des 
femmes pour les hommes. Leur corps est 
tatoué. Caractère physiologique propre 
aux femmes Aradas. Les nègres Aradas 
sont empoisonneurs. Négresse sage-femme 
devenue bourreau des enfans, et brulée 
vive. Sa superstition. Pouvoirs du roi: Les 
Aradas sont idolätres , et leurs femmes 
galantes. Gratitude d'une vieille négresse 
Arada infirme. 


L: plus beau sang a formé ces peuples; il 
semble que, pour ces créatures, la Nature ait 
perfecuonné tout particulièrement son mode 
générateur dans leurs formes nobles et gra- 
cieuses. Les hommes et les femmes y sont d’une 
stature belle et proportionnée : leur démarche 
n’est point celle de la contrainte, elle est noble, 
assurée, grave et enjouée tour à tour. 

Les femmes de Dunkos, surtout, ont pour 
les hommes qui leur sont chers, des préve- 
nances aimables dont la réciprocité devient le 
prix. Leurs paisibles amours n’ont rien de 


D'UN NATURALISTE. 117 


matériel, rien de turbulent; la délicatesse les 
anime, et les graces les accompagnant dans leurs 
rendez-vous nocturnes, c’est di sentiment que 
naît l’éuincelle de leur véritable amour ; amour 
durable, et assis sur des bases que’la fri- 
volité ne peut ébranler. Ils laissent aux maté- 
rialistes le soin abject et brut de passer d’une 
femme à une autre. Leur cœur n’a parlé qu'une 
fois, et c’est pour toute la vie; aussi sont-ils 
vraiment heureux dans leurs amours, de ne 
point connoître le partage. Le papillon incertain 
de la fleur sur laquelle il doit se fixer, est 
malheureux tant qu'il voltige ; les instans s’é- 
coulent > etine] jouit point réellement : il récolte 
bien , mais il ne trouvera son vrai trésor qu’ au 
sein de la rose entr’ouverte pour le recevoir, et 
qui doit lui prodiguer ses parfums et ses richesses. 
Qu'il y reste dans cette fleur; qu’il analyse, 
qu’il apprécié’ sa substance , et n’aille point 
mésallier le délicat pollen de son nectaire à 
celui du caustique et vénéneux uthymale ou du 
grossier chardon. 

Les Dunkos et les Aradas sont tatoués, c’est à 
dire , marqués de coupures d’après lesquelles on 
disüngue, par les dessins, les familles et leur 
rang dans la société. 

Tous les nègres , mais particulièrement les 
Aradas, employent assez communémentle poison 


H 35 


118 VOYAGES 


pour se venger de leurs ennemis. Un d’eux 
nommé Samedi, de l'habitation Rossignol- 
Desdunes , quartier de l’Arubonite , où j'ai 
écrit ces mémoires , avoit trouvé le moyen d’em- 
poisonner deux enfans de son rival ; les preuves 
en étoient presqu'acquises , mais m’étolent point 
sufMisantes pour le faire condamner. Cependant 
on le livra, à Saint-Marc , entre les mains de la 
jusuce , . il fut interrogé à plusieurs reprises 
sans pouvoir le convaincre pourtant de l’énor- 
mité de son crime, dont son ton patelin rendoit le 
soupcon injuste et trop prématuré. Déjà les semi- 
preuves étoient regardées insuffisantes, déja le 
juge et son sr A se préparoient à proclamer 
son innocence , lorsqu'un gendarnie qui lac 
compagnoit apercut, dans le crépu de ses che- 
veux , un papier roulé. Persuadé qu’on pourroit 
üurer de cette découverte , une inducuon 1irré- 
cusable, le garde s’empresse d’en donner avis 
au juge, qui fit saisir l’accusé, et mettre de nou- 
veau sur la sellette | après avoir fait arracher de 
ses cheveux, plusieurs pets cornets de papier 
contenant üne poudre grisâtre que l'accusé avoua 
être du poison pareil à celui dont il s’étoit servi 
contre Îles enfans , et qu’il avoit réservé pour lui, 
afin d'éviter les tortures affreuses du supplice 
qui lui étoit préparé. I montra de plus , par un 
aveu complet, les ongles de ses deux pouces 


D'UN NATURALISTE, 119 


qu'il laissoit croître depuis long-tems , et sous 
lesquels 1l avoit fixé du poison pour s’en servir 
au besoin. Le juge ayant acquis , par l’aveu du 
coupable , les preuves nécessaires , bien con- 
vaincu qu'il n’avoit pas à condamner un inno- 
cent , appliqua contre lui toute la rigueur d’une 
punition exemplaire due à son crime : le cou: 
pable empoisonneur fut brûlé vif. 

Une négresse Arada , sage-femme de la même 
habitation , contre laquelle on avoit de pareils 
soupçons, fut aussi traduite au même tribunal, 
où elle avoua en riant qu’elle n’avoit pas de plus 
grand plaisir que de détruire Doi humaine, 
sur ous celle qui étoit destinée à l'esclavage ; 
qu elle devenoit, par ce MOYEN’ la libératrice des 
malheureux mercenaires à qui l'existence devoit 
être à charge. Atteinteetconvaincue par son propre 
aveu, celte négresse fut condamnée au même sup- 
plice que le premier accusé. Comme elle s’avan- 
coit vêrs le brasier qui devoit la consumer, elle 
paroissoit repentante , et marchoit Éi la 
tête baissée, lorsque tout à coup, par un excès 
de rage-et de désespoir , arrachant une ceinture 
qui retenoit sa chemise : « Voyez , dit-elle , st 
» Jai bien mérité mon sort ; les soixante-dix 
» nœuds dont cette ceinture est garnie , dési- 

» gnent la quantité d’enfans tués de mes propres 
» mains, soit par le poison , soit par une cou- 


H 4 


120 VOYAGES 

». tume exécrable qui me faisoit un devoir d’en- 

» lever ces jeunes êtres à un honteux esclavage. 

» Ma qualité de sage-femme me donnant les 

» occasions de tenir en mes mains les nouveaux 

» nés , dès quej'y pressois une de ces victimes, 

» de peur qu’elle néchappät , je plongeois à. 
» l'instant une épingle dans son cerveau , par 
» la fontanelle : delà , le mal de mächoire si 

» meurtrier en cette colonie , et dont la cause 
» vous ést maintenant connue. Je meurs con- 
» Lente à présent que je n'ai plus rien à confesser , 

» et vais rejoindre dans mon pays, tout ce que 
» J'y ai quitté ». À ces mots , elle s’élance avec 
intrépidité vers le brasier dévorant où bientôt 

elle fut réduite en cendres, en poussant des 
hurlemens affreux. 

Le roi, quoique très-puissant en Guinée, est 
lui-même assujetu à des lois de convenance qu'il 
ne peut enfreimdre. Relégué dans l'intériepr de 
son palais ,1l n’en sort jamais; seulement une 
fois la semaine 1l présente sa tête à une grille 
pour donner certains ordres. Il prend sês repas 
en présence de toute sa cour ; et comme il lui est 
défendu de boire du vin , si recherché dans ce 
pays , il se Sert d’un verre à soupape, afin de 
ne point paroiître en faute; et pour tromper 
toute surveillance, lorsqu'il se dispose à boire, 
un échanson favori frappe de la baguette ; alors 


D'UN NATURALISTE. 121 


le peuple se prosternant, le roi lève la soupape, et 
boit le vin tout à son aise : après quoi l’échanson 


va remplir Je vase mystérieux de semblable 
hqueur. É 


Le culte des nègres Aradas est varié : les uns 
adorent la lune , d’aütres des bélemnites ; ceux- 
ci l’eau, ceux-là les serpens. Leurs prêtres 
ont beaucoup d’empire, et ont, pour marque 
distincüve, un anneau de fér au bras; lequel 
anneau, une fois soudé , leur est laissé même 
après leur mort. # 


Les femmes très-lascives (1) trompent, avec 
beaucoup d’adresse , la vigilance de leur #rors 
ou mari. Elles sont très-caressantes, et sacri- 
fient bien volontiers tous autres plaisirs aux doux 
jeux de l'amour. La danse même , cet exercice 
auquel elles se livrent avec une espèce de fré- 
nésie , na plus d’appas pour elles, dès que la 
bouche.de leur amant a fait sonner l’heure du 
rendez-vous. 


Lorsqu'un nègre Arada a été mésestimé de ses 
semblables pour cause d’égoïsme , s’il vient à 
mourir, ses héritiers , à leur calenda , font rôur 
un chien dont l’odeur attire les autres qui vien- 
nent hurlerautour de la case du défunt, en signe 


(1) Et babillardes à l'excès. 


122 VOYAGES 


de réprobation : sa mémoire dès ce moment est 
flétrie. . 

La nourrice de ma belle-mère existoit encore 
sur l’habitation : abandonnée pendant l’absence 
de sa bienfaitrice, et vivant des Hbéralités d’au- 
trui, puisque les pie étoient abolies par 
les Le révolutionnaires,, cette femme menoit 
Jexistence la plus douloureuse. Infirme, im- 
potente, rongée du virus siphilis, appelé Les 
pians, qui lui fit tomber les poignets et les 
pieds, elle se traînoit sur ses moignons gercés 
et douloureux, dès qu’elle vouloit se déplacer 
de sa case , pour se mettre au soleil. Nous 
arrivâämes à Saint-Domingue, et son premier 
soin fut de venir implorer notre piué bienfai- 
sante. Elle manquoit de tout : on sut pourvoir 
à ses besoins ; mais elle n’eut pas de plus g srande 
joiè qu’en recevant une mousticaire, ou pavillon 
sous lequel elle pouvoit se mettre à l’abri de la 
piqûre des innombrables maringoins (ou cou- 
sis), qui en fasoient une victime. Rien de 
plus incommode , rien de plus fatigant que 
d’être continuellement exposé à la voracité de 
ces msectes avides de sang; et la bonne femme 
étoit dans ce cas, tant à cause de son infirmité 
qui lui empêchoit de chasser ces moucherons, 
en agitant un vieux linge autour d’elle, comme 
c’est l'usage parmi les nègres, que parce qu’elle 


D'UN NATURALISTE. 123 


n’avoit point de pavillon pour se mettre à l'abri 
pendant son sommeil. Elle fut si reconnoissante 
des hbéralités qui lui furent faites, que pour 
mieux en témoigmer sa grautude, elle eut re- 
cours aux coutumes guinéennes ; C’est pourquoi 
elle fit le simulacre de la danse (en raison de 
son infirmité), et parla langage, c’est à dire, 
nous fit entendre un long monologue, que nous 
ne comprimes que par ses gestes de remer- 
cimens (1). 
ne 
(1) Les nègres aiment à gesticuler, et à exprimer 
dans le langage les sons imitati(s, 


124 VOYAGES 


at RAR AAA SSL SSD ee eV 


CHAPITRE DEUXIÈME. 


Nègres de Fida. Les femmes y sont extraor- 
dinairement coquettes, mais tatouées. 


Lx femmes, toujours énvieuses de plaire par 
des parures plus où moins recherchées, con- 
servent au moins en Europeles beautés naturelles 
dont elles sont douées ; à Fida, c’est une cou- 
tume opposée : les négresses se font limer en 
festons leurs dents éblouissantes, et traverser 
la lèvre inférieure, d’un anneau lourd et grossier, 
qui détruit le charme du sourire, ce charme si 
puissant pour tous les cœurs consumés d'amour ; 
ce qui fait disparoître les graces du principal 
asile de la volupté. Leur bouche, ridiculement 
contraciée , éloigne et semble dispenser des pré- 
ludes de Pamour. 

Leur gorge n’est point naissante, qu’elle a 
déjà été mutilée par un tranchant cruel qui en a 
détruit la forme et le contour, et n’a laissé, au 
lieu d’une peau fine et lisse, que des grumeaux 
charnus et désagréables au tact, autant qu’ils 
sont ridicules à la vue. L'amant n’y va pas 
cueillir, y presser voluptueusement, sous sa 
bouche amoureuse, un bouton de rose; celui 


D'UN NATURALISTE. 195 


de leur sein , outre sa couleur: noire et peu 
attrayante, est coloré de vermillon , contraste 
affreux à la vue, et bien peu fait pour agacer 


les passions d’un Européen qui a connu d’autres 
charmes. # 


SSL, V, SAS SAS SL Se a Te To nn Ta a Ta Va a To nn 


CHAPITRE TROISIÈME. 
Coutumes funéraires des nègres d'Essa. 


u’ON respecte la mémoire d’un homme qui 
s’est illustré, c’est le propre de tous les philo- 
sophes ; mais qu’on crée une divinité d’un défunt 
dont les restes sont sans puissance, et qui, par 
sa décomposition, par son anéantissement, donne 
une preuve incontestable de sa frêle humanité, 
de son essence mortelle, voilà le comble de la 
supersütuion. Les nègres d’Essa sont dans cette 
hypothèse ; ils adorent comme leur divinité 
le dernier de leurs rois. Dans une pagode om- 
bragée par les plus beaux arbres riverains de 
la principale route de leur capitale , ils placent 
sur un trône enrichi d’ornemens précieux, le 
roi défunt qui doit être adoré jusqu'à la 
mort du roi régnant, qui indique le mo- 
ment de sa sépulture. Le cadavre est em- 
baumé et oint de l'huile d’un palmiste et d’une 


6 VOYAGES 


teinture d’un bois amaranthe, qui lui conservent 
très-long-tems sa fraîcheur, et s’opposent, par une 
vertu styptique et astringente, au relâchement 
du tissu cutané. Le défunt est somptueusement 
vêtu jet a, nuit et jour auprès de lui, un homme 
pour le garder. Quelquefois dans leur marche, 
les voyageurs entrant dans la pagode, s'adressent 
au mieux vêtu pour faire des questions; mais le 
gardien lui observant qu’il ne parle pas, et que 
c’est une divinité, alors l’idolâtre voyageur se 
prosterne et l’adore. 


D'UN NATURALISTE. 127 


- . 
ne ns or Ps 


© CHAPITRE QUATRIÈME. 


Cruautés des nègres d'Urba ; leur conduite 
arbitraire en cas d'un meurtre commis. 
Obsèques du corps assassiné. Idée des 
Makendals , que le‘roi consulte lorsqu'il se 
prépare au, combat. Suites funestes de leur 
barbare oracld Trait historique et con- 
version d’un de leur roi idolätre. 


Fe peuple d’Urba est inhumain et féroce, 
arbitraire dans ses résolutions de vengeance. 
Si un assassinat est commis , ‘les parens du 
défunt ne cherchent point à découvrir l’auteur 
du meurtre ; mais, se réunissant autour du 
mort , ils se cachent, et attaquent le premier 
passant qu'ils éventrent impunément et sans 
crainte de punition judiciaire , regardant cette 
vicume livrée par leur dieu PBrataoth , et 
devant être immolée aux mânes de leur com- 
pagnon chéri. ‘Alors on se prépare aux ob- 
sèques du parent, en laissant r. corps de leur 
vicüume exposé aux injures de l’air, et à la 
voracité des bêtes féroces. On fouille à cet effet 
une trés-grande fosse à l’endroit où le meurtre 
a été commis, afin que l’ame du défunt ue 
puisse errer dans d’autres lieux. 


128 VOYAGES 

Le cadavre embaumé est exposé dans une 
cage de fer, de manière à ce que le corps ne 
communique point à la terre. Par ce moyen, 
al est également ,à l’abri des tigres et autres 
animaux Carnassiers qui ne peuvent y porter 
aucune atteinte, au moyen des barreaux de fer 
et: de la profondeur de la fosse. Le corps, 
indépendamment de ces premières précautions, 
est garanti par un ajoupa Construit au dessus 
de lui, ce qui le rend inaccessible aux intem- 
péries du tems. 

Le roi d'Urba entretient à sa cour une 
réunion de magiciens qu’on appelle assez géné- 
ralement en Guinée, Makendals (1). Leur 
devoir est de prévoir et d'annoncer le sort des 
batailles , d’en faire connoître l'issue, sous peine 
de chäumens très-rigoureux , que les pauvres 
devins savent esquiver ,en désignant dans l’armée 
certains soldats , contraires au bonheur du roi, 


(1) Nom d’un nèsre empoisonneur qui commit à 
St.-Domingue des forfaits atroces ; énnemi des blancs, 
il avoit juré d’en éteindre la race. Ce second Cartouche 
fascinoit les yeux des nègres , qui le regardoient comme 
un prodige; il fut pris plusieurs fois, et trompa la 
surveillance de ses gardiens, ainsi qu'il avoit prédit : 
enfin 1l fut brûlé vif, en annonçant qu'il s'échapperoit 
encore des flammes , sous la forme d’une mouche; ce 
que les nègres croyent encore aujourd'hui. 

LA 


# et 


D'UN NATURALISTE. 129 


et cause de la défaite par leur conduite crimi- 
nelle x lesquels, dans la plus parfaite innocence, 
subissent la puniuon provoquée par la dénon- 
ciation arbitraire des Makendals. 

Lorsque le roi d’'Urba a perdu beaucoup de 
monde à la guerre, il fait rassembler le conseil 
devinatoire , consulte les membres qui le com- 
posent, sur la manière de repeupler son 
royaume; alors il lui est recommandé par l’au- 
torité diabolique, d’acheter, 1°. cent couis 
(vases naturels qu'on obuent du fruit du cale- 
bassier après qu'il a été vidé); 20. cent canaris 
(grands vases de terre où l’on conserve l’eau 
dans sa fraîcheur) ; 3°. cent esclaves. Les 
Makendals font transporter le tout sur le grand 
chemin , et avec le sang-froid d’une ame vouce 
au crime, ordonnent l’ouverture des cent 
esclaves, dont ils font remplir le corps, d’huile 
rouge de palmiste, et de certains coquillages; 
puis on les enterre sur la place, par l’eflet atroce 
d’une barbare superstition. 

Un roi d’Urba , idolätre comme son peuple, 
mais dont le cœur étoit disposé à recevoir les 
utiles semences de la vraie religion, tomba 
malade , et soit pour obéir aux usages de sa 
nation , soit par crainte du peuple , 1l consulta 
les magiciens de sa cour pour être délivré de son 
affreuse maladie; mais ce fut en vain; car que 


Tome II, I 


130 VOYAGES 


pouvoit cette horde hypocrite?' Sur l'avis d’un 
missionnaire qui travailloit à sa conversion, il 
jura que dès ce moment 1l ne reconnoissoit que 
le Dieu du ciel et de la terre, et il fut inconunent 
guéri. 


RD 


CHAPITRE CINQUIÈME. 


Les nègres Æminas croient à la Métempsy- 
cose. Mère ayant sacrifié ses enfans a Saint- 
Domingue, pour les dérober a l'esclavage. 


LE nègres Aminas et les Ibos croient à la 
métempsycose. « Pourquoi, me disoit l’un 
» d’eux , ne chercherions-nous pas à alléger la 
» pesanteur de nos chaînes , par l'espoir d’un 
» sort plus heureux ? La perte de notre liberté 
» doit nécessairement entraîner celle de notre 
» chétüve existence. Vous ne devez donc plus 
» blâmer autant en nous le suicide, puisqu'il 
» met fin à nos tourmens ». En eflet, les 
Aminas et les Ibos , en arrivant à Saint-Do- 
mingue , ou dans toute autre île, où leur destin 
est d’y être esclaves et d'y arroser la terre de 
leur sueur, croyent échapper aux mauvais 
traitemens des maîtres, trop souvent injustes et 
crucls , en se donnant la mort. Ïls se noyent par 


D'UN NATURALISTE. IôE 


compagnie, ou se pendent à la file les uns des 
autres , bien persuadés qu'après leur mort, ils 
sont transportés dans leur pays, et y recouvrent 
le rang , la fortune, les parens et amis dont le 
sort de la guerre les avoit frustrés. 

Nous eûmes sur l’habitation où je me trou- 
vois , une négresse Amina qui fut vendue avec 
ses deux enfans. À peine débarquée, sans avoir 
éprouvé aucun mauvais traitement de M'° Des- 
dunes, qui agissoient envers leurs esclaves, 
comme de bons pères envers leurs enfans, on 
la voyoit errer , hors des travaux, vers les rives 
de d'Ester, s'arrêter à chaque instant pour 
mesurer de sa vue la profondeur de cette riviere 
Jjimpide , et pousser quelques soupirs en élevant 
les yeux au ciel , et se frappant la poitrine. Cette 
malheureuse mère excita particulièrement l’in- 
térêt de M. Desdunes père, qui la fit traiter 
avec beaucoup de ménagement, regardant 
l’émanation de ses regrets, comme dépendante 
de la nostalgie , ou maladie du pays. H ne put 
cependant parvenir à lui faire oublier un sort 
dont la rigueur n’étoit pourtant qu’imaginaire. 
Cette femme fut trouvée un matin, noyée avec 
ses deux enfans qu’elle avoit attachés à sa 
ceinture, pour les soustraire, ainsi qu'elle, à 
V’esclavage. Les cris des enfans, repoussant les 
horreurs d’une mort prochaine, furent bien 


I 2 


132 VOYAGES 

entendus de quelques nègres pêcheurs, mais qui 
ne sachant point à quoi en attribuer la cause, ne 
s’empressérent point de donner du secours. 


QU SSSR SSL AR SD 0 D D nn 0 2 6 1 


CHAPITRE SIXIÈME. 


Les nègres Ibos sont fidèles dans leurs ser- 
mens d'amour. BRegrets d’un prisonnier 
fait esclave, et arraché &@ sa patrie. Il 
retrouve sa tendre Evahim , vendue esclave 
à Saint-Domingue sur la même habitation 
que lui. Union d’Aza et d’Evahim , ‘afin 
d’obéir aux coutumes de leur pays. Leur 
attachement réciproque. Chanson créole 
relative a leur absence. 


CU: jeune nègre Ibo, arraché en Guinée à de 
bons parens , à sa patrie, à celle qu’il aimoit, 
avoit été vendu à M. Pélerin, habitant des 
cayes Saint-Louis, à Saint-Domingue. Ce jeune 
Africain asservi à un double-sclavage, trainoit 
ses pas tous les soirs, après son travail, vers le 
bord de la mer ; alors fixant l'horizon d’un œil 
umide et baigné de pleurs : © ma patrie! 6 
Evahim! disoital ; puis ses bras élevés retom- 
boient soudain, et sa plainte s’exhaloit eu 
soupirs ! 


D'UN NATURALISTE, 133 


Ïl revenoit à sa case, lorsque les ombres de la 
nuit ne lui permettoient plus de distinguer au 
loin les derniers flots de l'Océan, et que la 
faugue , autant que la faim, l'obligeoient à 
aller prendre une nourriture frugale qu'il arro- 
soit de ses larmes. Les dimanches et fêtes , loin 
de partager la gaieté bruyante des chicas (1) , 1l 
s’isoloit au loin, et bientôt sa pensée le repor- 
toit en Guinée. Enfin, la vie de ce malheureux 
Ibo n’étoit qu'un soupir répété d'amour et de 
regrets, lorsqu'il apprit qu'un navire .négrier 
venoit de mouiller dans la rade des Cayes, et 
qu'il y avoit à bord beaucoup de nègres de sa 
nauon. L'espoir est le soutien dn malheureux : 
que de conjectures ! que de doutes ! Evahim, 
prisonnière en même tems que lui, n’avoit pu 
entrer dans le parti de nègres vendus à son 
capitaine, parce qu'il étoit au complet. Le 
premier bâtiment pouvoit la transporter, mais 
où ? De tous côtés on demandoit des bras afri- 
cains. H espéroit pourtant, mais sans oser se 
livrer au doux pressentiment de revoir sa tendre 
Evahim, lorsqu'il apprit que M. Pélerin , son 

L 


(1) Le chica, danse nègre, consiste à faire mouvoir 
jes hanches et les Iombes, en conservant néanmoins le 
reste du corps dans un aplomb qui ne doit pas même 
stre contrarié parles sesles voluptueux que font les bras, 


[5 


134 VOYAGES 

maîtré, vénoit d'acheter un parti de nègres Ibos. 
Une joie involontaire s'empare soudain de l’ame 
de cet amant passionné; le calme reparoît en ses 
sens agités. Quelle est sa surprise, lorsqu'il 
reconnut Evahim et sa mére dans le groupe des 
négres nouvellement débarqués! Le passage 
trop rapide de la douleur au plaisir, le rend 
d’abord insensible , 1l doute de son bonheur ; 
mais revenu bientôt de cette incerutude léthar- 
gique , 1l s'élance dans les bras d'Evahim, qui le 
recoit avec les mêmes transports, et tous deux 
versent alors de douces larmes. La mère rappelle 
au jeune homme les présens que sa fille a recu 
de lui, coutume guinéenne qui exigeoit leur 
union. Celui-ci, pour toute réponse , enlève 
Evahim dans ses bras, et la transporte à la case 
qu'elle doit désormais partager avec lui. 

Ces jeunes amans furent depuis un modèle 
de constance; leurs veilles étoient en partie con- 
sacrées à chanter leur doux rapprochement , et à 
le célébrer. La lune, souvent témoin de leurs ser- 
mens, le fut aussi de leurs voluptueuses étreintes. 
C'est à la lueur amoureuse de cet astre mélan- 
colique qu’Aza et Évalhim jonissoient, dans des 
délices inappréciables, du bonheur de s'être re- 
trouvés ; et c’est à la favenr du calme enchanteur 
de la nuit qu'Evahim , attentive aux leçons d’Aza, 
apprenoit de lui le parler créole. Aza li pro- 


D'UN NATURALISTE. 135 


noncoit d’abord, en chantant et s’accompagnant 
de son banza, les mots chéris des amans ; puis 
les rassemblant, il en formoit des phrases aux- 
quelles il appliquoit un chant naturel. Comme 
je trouvai les idées de ces jeunes amans mal 
secondées par les expressions, et que Pair m'en 
parut insigmifiant, je crus devoir, par intérêt 
pour une constance aussi rare parmi ces peuples 
grossiers , et en faveur de la délicatesse de 
leurs sentimens, concourir à les faire plaindre, 
et estimer des cœurs sensibles. C’est à cette 
considération que je recüfiai le mieux possible 


Jes paroles de leur entreuen auquel j'adaptai un 
nouvel air de ma composition. 


Dialogue créole. Traduction libre. 


EVAHIM. E VAHIM. 


a | guetté com’ z’ami toüé, 


Aza ! fixe les yeux sur moi, 
g li fondi semblé cire! 


Vois les effets de mon martyre ! 
1ps la! toué tant loigné de moüé!  J'étois tant éloigné de toi! 


di là, guetté moüé sourire ! Aujourd’hui... tiens... vois moi sourire, 


orange astor li douce au cœur, L'orange reprend sa douceur, 


Evahim n’a plus de tristesse. 
é fais goûté n’ioun grand bonheur Ton retour est le seul bonheur 
ami toué gros de tendresse. 


him plus gagné tristesse. 


Que pouvoit goûter ta maîtresse, 


AZA. AZA. 
juior à moué ci lala crâsé ! ÂAza gémissoit comme toi ; 
n pas gagné quior à z'ouvrage ; Il n’avoit plus cœur à l'ouvrage ; 
oùé nuit, jour mon té songé , Nuit et jour occupé de goi, 
fait li crâser davantage. Il souffroit encor davantage. 


I Ve 


u 
4 


136 


AZA. 


Mon pas capab’ souffri z'encor, 
Mon té mouri loin de z’amie .. .! 


Vla qu’Aza nien’ place de la mort, 

Dans quior à toué trouvé la vie, 
EVAHIM. 

Bouche à toùé doux passé syrop! 
AZA. 

Baiser tien doux passé banane. 
EVAHIM. 

Dans mains z’ami j'ouquà de l’eau 

Li soucré passé souc à canne. 

Aï z'ami! toujours tout pour toué : 
Baï’ main sur quior !.… li ca qu’échose ! 
A ZA. 

Li broulé semblé quior à moüé ! 
Tous deux. 


Crois ben piq” c’est pour même cause. 


VOYAGES 


AZA. 


Accablé par les coups du sort, 
J’allois mourir loin d’une amie. ..! 
Mais au lieu de trouver la mort, 
Dans ion cœur je trouve la vie. 


EVAHIM. 


Aza ! que tes baisers sont doux! 


AZA. 


_ Le tien l’est plus que la banane. 


EVAHIM. 


Des mains d’un ami , d’un époux 
L'eau pure vaut le jus de canne. 


Je te donne à jamais mon cœur : 
Aza !.. sens le... comme il s’agite !… 


A Z A. 
Le mien brüle de même ardeur. 
Tous deux. 


L'amour le fait battre aussi vite, 


Dialogue Créole 
(e) 


Evahin $ 


| 
Berne Li 


quet-l CON X@-7U lotte 
f- sé Les yeux sur 2704 


een 
en 
ne mr Z 


D 2 EE - 


fon-dt vem-blé cv-Te % ax voue lai (O17-7€" AOU PRO Jour - de - le L-LE MOUE S'OUTL 7'e Z'OTange af -L07 
C/10 74 ue e At quel-te ru J'Ô 

foto de mon La ly-re ; Î lot Au- jour - d'la tent--vors mor sowTÈ- - --7e To-ran ge re 

7 y e 


| 


Fr, RS RS SV 
J RD HET on = ; Lo 
E-va- him plus gag - drit-les doué fais gou- te nioun grandbon- heur a Z'a-mt le FT 
ceur £- va- him n'a plid trés lex ton re tour. ext le seul Gone leur que. pou-voitt gow - ten 


= î 
a DE 


| SAza Aza ; 
it Di BE FLE - 
Qruxor & modes ct lala crasre! Aza genrussot Cormnrre Or, 
fé. Ne ME. 1% 
Mon 222877772 graor à L'ouvrage, L'n'avoitplis cœur & L' ouvrage; 
A lote rat jour mon te “onge': Mat et Jour occupe de lot, 
Ca lat & raser davantage, Z souffrait encor davantaye. 
‘ É < ‘ 
Mon pad capablsoufré z'encor, Accable par les corps de ort, 
Mon te mouré Un de z'amce….! Jalloi mourir bi d'une anue..! 
Va gu'Aramaen’ place de Ur mort, Mail au lu de trouver la mort, 


Dans quior@ lode trouve Ur ve, Dand do tour Je trouve Lx vte. 


4 


ES 2) ne 
Ÿ. 221, l'age 230. | me. 
Con Expressione \ 


Chant 


” CI 
VO BT DES DS. CRUE POUNE CREER) OPEN GE ASE. 1 
Le nr 


2 A 
Ed = 4 1] DEF SUJET I RN ESS re ELLES CS LE mn 
RAR LE nes — 
A D 
D ve ET re Parme mt) 
CE ne Lo NE 2 
Ed 0 OR) FER EEE 000 DOS 0 ARS) D” JP" (ER ÆROEOEES O8 00 PO GRR EEnR TEE DEEE GES __ ANR AMENER 7 2 5 D 
RL RE —————— — — 
fon - 4 ? CC -7e gps da toûe lard (01g-R€ di a 
Le ° * “ . 
Jets de mon mar (y-re Je-tois tant é- - loigné de do 
SE 
La] 
TER. 
— — 


. æJ Y ” ” 
Cœur Æ-va-lum plus gag -- 1e tristes - - h- 
ceur ÆE- va-/am n'a plud de tris-les.--{- 
a + © e + x 2 
A = = LE : ee 
VAR et | ER VENTE GR RSR RON GRORSRENES (M ET COS, CESR EN PA CREME 
ES DER CRT ER RSR REC CORRE RSR: b— 
re 
æ n APE ut Re = 
ES  ——— — à z 
TE 0e — 
De [TE EL | SE 
a 


Quior & ru 
Mon Pad ge 
À toue nuit. 
Mon rs Cap 
Mon Le 7207 
Va qu ‘Aza 
Darid quior 


À Amoi Evahim 


re dans nains Za-mt jou: ‘qu à de - - l'eau 
‘ na -ne des- mains dun a- mm dme - - poux 


2 fois & Evahim 


1 ES  — eee CC ES 
— ER 


ad Lilitum Fnsemble = 


dou: - -e Z ca qu 'e cho se 
e A le comme W  s'&-gt- - - L 
[= Le 


À 
e 
2 
l'lxar 
Meur Evahim > ’ 
A 'Amoroso = Aza J En Evaln 
= — = u 4 — ee 
PR — 
—+- . mue Vi: 7 CT £ GER : Z 5 F ÿ L& : 
* Bouche a loue deux pi se JyY-TOP az-serT toue doux pas-se Ba. na -ne dans mans La-nù Jou'gua de » > l'eau È 
4 2e que led bai sers sont doux de ten l'est plu que La Ba. - main d'un @: 7x dun e - = pau 


2 
L TE PAS: : LÉ soucré. à can - - -"-..ne [ sou crénas je ; 5 ' 
4 vow-cre par d'é wo Z £ É cr'e p € - : douc à can ne nt 
lexu pu - re vaut Le Jud de can ne lea pu- re vatt Le Jud de tan ne nr 
mm == me : 
f— tete = es ot 0 9 OS CS © om mm SO 
Es mesE S=Æ=S == D = es 
4 Pre -re ee 
> + ABS + e e 5 
De ET | 
a a ——————— EE 
= BE 
Dre o— = 
lo TS == = =, fm T° 
lougours dut pour totce Ba main LU 7748 guaor” A LORS 4 ca qu € 20 
a-ya-mats non card A xa d'en Jo conume comme Ù 'a- gt: 


7 7/2 vem- 0e guror a moté 


= ; 5 
cre-- ben pre! c'est pour mere Cau} 
e 277777 &ru- Le de méme ar- - deu 


l'Amour Le fait Battre ant VE 
' - 


D'UN NATURALISTE. 13 


Re he ns Re nn RO D LR 


CHAPITRE SEPTIÈME. 


Candeur des jeunes négresses de Beurnon. 
Considération des prétendues pour leurs 
époux futurs. Soumission des femmes envers 
leurs maris. Fiançailles célébrées dès Lejeune 
age. Propreté des femmes de Beurnon. 
Soin qu’elles ont de leur corps. Prostitution 
purñie par l'esclavage. Leur mariage. Mode 
de leurs accouchemens. On tatoue les en- 
Jans au huitième jour après leur naissance. 
Vexation atroce d’un jeune prince afri- 
cain envers une jeune négresse. Religion 
des nègres de Beurnon. Distribulion des 
maisons dans ce pays. Coutumes du rot; 
justice rendue par lui. Le vol considéré 
diffamatoire. Adultère royal puni de mort. 


Ô pudeur! digne sœur de l'innocence, tu 
rèunes à Beurnon , parée de tous tes charmes. 
Modestes et mides, les jeunes filles viennent- 
elles à rencontrer un jeune homme? pour mar- 
quer la soumission parfaite qu’elles auront 
pour leur mari, elles se prosternent jusqu'à ce 
qu’il soit passé outre ; autrement, si, respectant 
peu la coutume de cette bienséance ; elles 


138 VOYAGES 


restent debout en cherchant à le fixer, elles 
sont vouées au mépris, et traitées d’effrontées. 

Une prétendue rencontre-t-elle en publie 
l'époux que ses parens lui destiuent? elle s’in- 
cline respectueusement, et si elle est à portée 
d’avoir de la verdure, elle lui en compose à la 
hâte un bouquet qu’elle lui offre , en promesse 
des jours heureux qu’il aura à passer avec elle. 
Cette soumission des femmes pour leurs époux 
va plus loin; elle est tellement exagérée, et les 
hommes exercent envers elles un empire si 
absolu, qu’une épouse ne présente jamais rien à 
Son mari, sans préalablement lui avoir fait une 
révérence très-respectueuse. 

Si un jeune homme voit un bel enfant du 
sexe féminin, et qu'il lui fasse quelque présent, 
la fille, devenue nubile, est obligée de l’épouser. 
Cette coutume est également observée chez les 
Jbos. 

Les femmes de Beurnon sont d’une propreté 
recherchée dans leur intérieur, très-soignenses 
pour leurs ustensiles de ménage, et le lustre 
parücuher de leur corps. Après leurs bains 
répétés trois fois par jour, elles sont dans FPusage 
de s’oindre le corps avec l'huile d’un palmiste 
qui en fourmit de plusieurs espèces différentes. On 
obtient cette substance oléagineuse par la macé- 


ration ei l'expression de son écorce et de ses 


D'UN NATURALISTE, 139 
grainés. Il est un autre moyen de parvenir au 
même but; c’est de mettre bouillir dans de l’eau 
ces parties concassées : 1l s’en dégage l’huile qui 
surnage bientôt à la superficie de l’eau, dont on 
la sépare par Pimbibition d'un coton en duvet, 
que l’on présente légérement à la surface. 

Lorsqu'il s’agit à Beurnon de consommer le 
mariage, de vieilles femmes sont choisies pour 
l'examen de la nouvelle épouse , et elles Ja con- 
duisent au lit nupüal au son des instrumens et 
des chants d’alégresse, si elle a été reconnue 
vierge. Dès ce moment la nouvelle mariée jouit 
de la plus haute considération. Dans le cas 
contraire , à la perte de la fleur qui devoit être 
réservée et cueillie par l'époux, sont attachés le 
mépris et l’indignation de ses nouveaux parens 
qui peuvent alors la répudier. Les lois de cette 
nation sur ce point sont très-sévères et irréfra- 
gables. La pudeur y trouve un asile sûr et 
respecté, tandis que la honteuse prosutution y 
rencontre la punition réservée à ce vice dégra- 
dant. Une négresse de Beurnon, reconnue livrée 
à une scandaleuse débauche, est enlevée par 
ordre du roi, condamnée sur-le-champ à 
l'esclavage , et vendue au premier bâtiment 
négrier (1). 


(1) La traite des noirs date de l'an 1442. Un Por- 
tugais ayant fait deux Maures prisonniers , les vendit 


140 VOYAGES 

Les femmes d’ailleurs fort lubriques et com- 
plaisantes , deviennent, lorsqu’elles sont mariées, 
d’une ridicule décence à l’époque de leurs 
couches. Il n’est permis à aucun homme d’en 
approcher; elles confient aveuglément et exelu- 
sivement à des sages-femmes souvent très- 
ignorantes, le soin de mettre au monde leurs 
enfans. Lorsque le cordon ombilical est coupé, 
on cache avec soin sous l’oreiller de l’enfant 
nouveau né, les ciseaux neufs qui ont servi à 
cette opération, On ne les emploie à lPavenir 
qu’à cet usage. 

Par une prauque délirante et non moins ab- 
surde , si l'enfant a le hoquet, vite on a recours 
à la sage-femme qui défile sa couche , et après 
en avoir mouillé un fil, elle l’applique sur le 
front de l'enfant qui, dit-on, est délivré à 
l'instant de cette incommodité. | 

Victimes d’une coutume barbare , ces jeunes 
enfans sont, huit jours après leur naissance, sou- 
mis au tranchant cruel qui doit dessiner , par 
des incisions plus où moins profondes , le ca- 
ractère de leur nation : c’est ce qu’on appelle 
tatouer. Telle secte indique les marques au 


en Afrique, sur les bords de la rivière d'Ouro, et obtint 
en échange dix nègres, et une certaine quantité de 
poudre d’or, 


D'UN NATURALISTE. 141 
visage, telle autre à la poitrine ; celle-ci au bras, 
celle-là par tout le corps où l’on aperçoit, à un 
certain âge , des dessins symétriques du soleil 
pour ses adorateurs , de langues de feu pour les 
prosélites de ce culte idolâtre, d'animaux divers, 
de repules , enfin de contours d’architecture 
naturelle tracés en relief par des coutures sail- 
lantes recouvertes de l’épiderme de la peau. 

Il n’est point de crime impuni, et tôt ou tard 
la Providence assure au forfait une peine quel- 
conque. Un jeune prince africain , d’un natu- 
rel féroce, se promenoit, suivi d’une trentaine de 
ses gardes ; 1l apercoit un enfant de trois ans en- 
viron , assis sur le bord de la route , et occupé à 
jouer tandis que sa mère chaufloit un four. Ce 
prince appelle celle-ci pour la complimenter et la 
féliciter de la beauté de son enfant; puis l'ayant 
pris, et faisant parade, aux yeux de ses favoris, 
de la supériorité que lui donnoient et son rang 
et les forces qu’il avoit à ses ordres, 1l jette au 
feu ceue jeune créature, qui fut consumée en 
peu de tems. La douleur de la mère ne produisit 
aucun eflet sur son cœur farouche et sanguinaire, 
En vain elle porta des plaintes au roi; cette 
malheureuse ne fut écoutée que pour entendre à 
son tour une sévère réprimande qui fut donnée au 
jeune prince. Mais Dieu protégeoit l’innocence. 

Le jeune prince ayant su qu’on devoit 


142 VOYAGES 

donner une fête à une cour voisine de ses états, 
résolut d’y faire un voyage pour son amusement. 
La fille de ce roi étranger portoit le nom d’une 
bête féroce de la forêt, qu’on chasse en ce pays 
avec passion, et qu'on nomme /abani. Comme 
lidole à laquelle il sacrifioit demandoit des Za- 
banis ; sans réfléchir que l'espèce humaine n’étoit 
point exigée pour le sacrifice, aussitôt qu’il 
entend ce mot, 1l court vers la princesse, et 
l’égorge comme hors de lui-même. Voilà une 
guerre terrible allumée entre les deux puis- 
sances ; et le malheureux père offensé, ayant 
fait prendre le jeune prince, le fit brûler lui 
et sa suite, pour apaiser les manes de sa chère 
Evoha. 

Dieu soutint la cause innocente de ce père 
malheureux, et lui fit remporter la victoire, 
quoiqu’à forces inégales avec son voisin. Une 
parue des prisonniers qu’il fit, furent massacrés, 
au moins ceux appartenant au Jeune assassin, 
soit par les liens du sang, soit par ceux de 
lamiué, ou bien encore de l’esclavage. Pour 
les prisonniers neutres , ils furent vendus et 
transportés en grande parte à Saint-Domingue, 
où il en existe encore plusieurs sur lhabitauon 
Rossignol-Desdunes, où j'ai écrit ces faits. 

La religion dominante des nègres de Beurnon 
a beaucoup de rapport avec celle des Phylanis, 


D'UN NATURALISTE, 143 
L’ambition est un monstre à leurs yeux : ils ne 
cherchent qu’à protéger leurs semblables; c’est 
pourquoi ils ne font jamais la guerre. Sévères 
observateurs de l’hospitalité , si un étranger 
arrive au pays de Beurnon, le chef de cette 
peuplade unie, pour capter les bonnes graces 
de linconnu et le retenir dans ses états, lui 
donne des terres et une de ses filles en mariage. 
JL lui est de plus fourni des vivres jusqu’à la 
première récolte qu'il aura pu faire. Voilà, ce 
me semble, les premiers fondemens de la re- 
ligion naturelle : «Faites aux autres ce que 
vous voudriez qu'on vous fit ». 

Îls ne mangent de viande que celle sa- 
criliée et bénie par leur grand-prêtre, appelé 
alpha. L'usage de la viande de porc leur est 
interdit. Un homme qui fait pémitence à Beur- 
non, se tent sur les grands chemins, avec des 
canaris pleins d’eau, dont il offre, par charité, 
à tous les passans ou voyageurs fatigués. 

Les siliques du mimosa olens de leur pays, 
bouillies avec du jus de citron, leur fournissant 
de lencre, les plus instruits d’entr'eux se 
chargent de transmettre à leurs frères le code 
de leur loi divine. Une plume de bambou trace 
sur des planchettes, à défaut de papier qui y 
est très-cher, ou sur des taches de palmiste, les 
dogmes de leur religion. Un livre ainsi achevé, 


144 VOYAGES 

est envié de tous les acheteurs. Les coquilles, 
leur monnoie ordinaire, ne sauroient le payer, 
et on ne peut l'obtenir que par l'échange de 
douze gazelles (ou jeunes vaches) prêtes à mettre 
bas. Ainsi des peuples barbares ont le plus grand 
respect pour des simulacres que des nations 
civilisées se plaisent à ridicuhiser. 

Leur vénération est si grande pour un livre 
de priéres, que lorsqu'ils Pont touché, ils ne 
le quittent point qu'après lavoir lu, ou chanté 
de mémoire. El y a plus ; sa possession leur est si 
précieuse, qu'ils préféreroient, dans le besoin , 
vendre tous leurs animaux, que de se démunir 
du recueil de leurs lois sacrées. On en a vu dans 
l'incendie imprévu de leur case, arriver du 
iravail , pénétrer sous des solives embrasées, et 
chercher leur hvre au .nnheu des décombres, 
par leur foi de ne point mourir en exerçant 
cetle œuvre de piété. 

Les habitans de Beurnon ont un code de 
lois pour la puniuion des crimes,.qui doivent 
être attestés par trois témoins. Leur bonne foi 
est telle que, si les accusateurs dont ils ne 
doutent point de Ja sincérité, se lèvent, l’accusé 
est condamné à être pendu. 

Chaque maison de Beurnon forme un îlet 
clos , au milieu duquel se trouve une cour. 
C’est là qu’à la chute du jour, chaque famille 

se 


D'UN NATURALISE. 145 


se rassemble pour se soustraire à la voracité 
des bêtes féroces. Je me rappelle que dans ma 
jeunesse, me dit une nourrice de la grande case, 
étant allée avec ma tante à une peuplade voisine, 
pour vendre quelques provisions de bouche, 
j'oubliai mon tanga qui les contenoit; mais je 
n’osai avouer ma négligence, bien résolue de me 
lever au milieu de la nuit, pour retourner 
le chercher. Bientôt éveillée par la crainte, je me 
mis en route, commettant l’imprudence de laisser 
la porte ouverte, ayant oublié les trop fréquentes 
visites des bêtes sauvages. 

La crainte d’être grondée par ma mère, me 
fit mettre la peur de côté, et je m’acheminai 
seule pendant la nuit. Je rencontrai deux jeunes 
hommes vêtus de manteaux blancs, qui me 
demandérent où Jj'allois : je leur racontai mon 
aventure. Ils me dirent gravement à leur tour : 
« Vous êtes seule de fille, votre mère a six 
» enfans ; ne conunuez pas votre route ». Et en 
me parlant de la sorte, ils me reconduisoient. 
À peine arrivés devant ma porte, ils me dirent 
précipitamment : «Rentrez , rentrez vite, et 
» fermez bien la porte, ou vous serez mangée par 
» les bêtes ». Cette sorte de prédicuon me fit une 
grande impression; cependant je remerciai ces 
êtres généreux de l'intérêt qu’ils prenoient à 
moi. ll ne se passa pas trois minutes, que des 


Tome LIL k. 


140 VOYAGES 
léopards, des ours et des tigres, qui probable- 
ment m'avoient éventée, vinrent hurler à la 
porte. | 

Le roi de Beurnon ne sort jamais ; et si quel- 
qu'un, dans l’intérieur de son palais, vient à le 


rencontrer et qu'il ose le regarder fixement, 


son audace est punie de mort. Lorsque le roi 
doit rendre justice à des plaignans , assis sur son 
trône, sa figure est dérobée aux regards de la 
populace , par une draperie élégamment fes- 
ionnée. S'il prononce une sentence , elle est 
portée au réclamant par sept hérauts disposés et 
placésen amphithéätre sur sept degrés progressifs. 
Alors le sujet, pour marquer sa respectueuse 
soumission .au jugement de son monarque, 
et lui témoigner son humble reconnoissance , se 
prosterne, et applaudit des mains , après s’être 
couvert la tête de cendres. 

Le vol est abhorré, et tellement regardé con- 
iraire aux lois de la société, que les fautes ne 
sont pas réputées personnelles, mais qu’elles 
entraînent la perte de toute une famille, Par 
exemple, le roi, soit par l’austérité de sa mo- 
rale, soit par une spéculation Ilucrauve, fait 
semer dans les places publiques ou sur Îles 
grands chemins , des colliers, bracelets ou autres 
joyaux, pour éprouver la retenue de ses sujets ; 
ses courtisans sont placés de manière à pouvoir 


wc 


D'UN NATURALISTE. 147 


examiner les fauufs, sans être apercus. Si des 
enfans ramassent ces objets qui ne leur appar- 
tiennent pas, les courtisans s’en saisissent, et, 
dès qu'ils sont reconnus, ils sont vendus, eux 
et leur famille, 

L’adultère royal est puni de mort. Une reine 
fat séduite par un de ses courüsans , et attachée 
aux branches vacillantes d’un arbre, au dessus 
d’une rivière, pour y mourir de faim; tandis 
que le père de l'enfant, résultat de leurs amours 
clandesunes , fut empalé et exposé au marché, 
afin d’y servir d'exemple. 

IL est permis aux habitans de Beurnon de 
chasser une fois l’année , à l’époque de la ponte 
des poules d’eau, canards et tortues. Pour cet 
effet, 1ls mettent le feu aux herbes des marais, 
afin d’expulser de leurs nids les oiseaux aqua- 
üques , de s'emparer de la quantité innombrable 
de leurs œufs, et des tortues qu’ils rencontrent. 
Comme ce peuple ne se nourrit que de viande 
boucanée ou fumée, ces provisions durent d’une 
année à l’autre. 

Simples dans leurs mœurs, 1l en mourut un 
sur lhabitation Robuste, pour avoir mangé, 
à son arrivée de la côte à Saint-Domingue, du 
manioc blanc amer, qu'il avoit pris pour du 
manioc rouge ou doux, la seule-espèce existante 
dans son pays; ce manioc blanc est un poison 


K 2 


143 VOYAGES 

subul, si l’on n’en a exprimé le suclaiteux mor- 
üfère, pour obtenir de la fécule un aliment, 
espèce de pain qu'on nomnte cassave, et qui 
se. dessèche sur des plaques de fer rougies au 
feu. Le contre-poison du mauioc blanc ou amer 
est le suc exprimé du raucou, pourvu qu’on 
en fasse usage sur-le-champ. 


nr nr ne ON NO 


CHAPITRE HUITIÈME. 


Les Mozambiques professent. la religion 
catholique, qui leur a élé communiquée 
par les Portugais. Leur conduite louable et 
édifiante dans les églises. Secte de Vaudoux 
inozambiques, espèce de convulsionnaires. 
Certains se nourrissent de sang humain. 


Le parue des nègres mozambiques ont 
recu la connoissance du vrai Dieu par les Por- 
tugais, qui sont souvent en relation avec eux; 
ils sont zélateurs d’un culte dont ils éloignent les 
abus, et prolessent de cœur une religion qui 
leur est chère ; et bien éloignés de croire à une 
contrainte honteuse lorsqu'il s’agit de rendre 
des hommages à l’Auteur des êtres, leurs 
offrandes sont celles d’un cœur pur, généreux , 
et entièrement consacré, au vœu qu'il a formé 


L 


D'UN NATURALISTE. 1/19 


de remplir ses devoirs. Ainsi convaincus que les 
cérémonies pieuses doivent exciter ou la ferveur, 
ou la joie, ou la tristesse, ils se présentent à leur 
temple , pénétrés du sujet qui les y ature, et s’y 
comportent toujours d’une manière décente et 
relativeau lieu saint où ils se trouvent. 


Par exemple, ils dansent le jour de la messe 
de minuit, au milieu du sanctuaire , en réjouis- 
sance de la nativité du Sauveur, tandis que dans 
un autre tems, à l’époque de la semaine sainte, 
on les voit se rendre en foule au temple , la tête 
baissée, et observant le plus morne silence. 
Voilà les Mozambiques chrétiens, fidèles obser- 
vateurs de la loi qu'ils ont juré de ne point 
enfreindre : maintenant examinons la secte de 
leurs vaudoux ou convulsionnaires, diagonale- 
ment opposée aux principes de bienfaisance et 
de charité des premiers (1). 

1] en existoit une réumion sur l’habitauon 
Pélerin, dite Petite- Place-le- Mince , située 


(1) Quand les Néophites vont implorer leur vau 
doux ou serpent , ils se prosternent devant lui, par 
rang d'âge. Les uns lui demandent à capter la bien- 
veillance de leurs maîtres; d’autres à acquérir de 
l'argent, ceux-c1 à se faire aimer de leurs maïtresses , 
ou de pouvoir triompher de nouveau d'un cœur 
devenu infidèle, et tant d'autres souhaits. 


K 3 


130 VOYAGES 

quarüer des Cayes Saint-Louis | à Saint-Do- 
mingue ; et C’est du propriétaire, témoin ocu- 
Juire des faits que je vais publier , que je uens 
les détails suivans : «Nous avons, me dit-il, sur 
» notre habitauon plusieurs vaudoux mozam- 
» biques, qui se réunissent assez souvent pour 
» obéir à une coutume de leur funeste insuitu- 
» uon. La cérémonie a lieu sans le moindre 
» apprèt , soit que cachés par les cannes à sucre, 
»ils cherchent à se dérober aux regards des 
» curieux , Soit qu'ils prennent cette précaution 
» avec lPintention d’être plus tranquilles. Des 
» que l'endroit est choisi , ils commencent ainsi: 
» un jeune enfant, chargé probablement de leurs 
» fautes, est placé an milieu du cercle dont ils 
» l’envirounent ; puis deux à deux , et trois à 
» trois, ils s’avancent vers lui, le frappent lége- 
» rement tour à tour sur l'épaule; on le voit 
» bientôt tomber en crise et se rouler. Huit 
»jours après cette cérémonie, Je vis, dit 
» M. Pélerin , l'enfant dépérir à vue d'œil, et 


4 
Le 


avant la fin de l’année, une mort attendue 


— 
er 


terminer les jours malheureux de cette inno- 
» cente victime }. ( | 
M. Mirault, habitant de la Peute-Riviere, 
quarüer de lArubonite , avoit plusieurs nègres 
mozambiques. L’un d'eux se trouvoit infirnnier 


à l'époque d’une maladie que son maître fit, et 


D'UN NATURALISTE. Toi 


dans laquelle la saignée fut ordonnée. Le chi- 
rurgien avoit recommandé de garder la palette, 
etil ne fut pas peu surpris lorsqu'il sut à son 
retour , que le nègre mozambique avoit fricassé 
le sang de la palette , et que semblable aventure 
lui arrivoit toutes les fois qu'il étoit à même de 
satisfaire son goût dominant pour le sang 
bumain. 


CHAPITRE NEUVIEÈME. 


Sépulture des rois de Dahomet. Leur 
barbarie envers leurs prisonniers. Habil- 
lemens de ces peuples. Leur parure. 
Les femmes oignent leur corps, et se 
musquent avec le produit de la civette. 
Usage du teklé. Continence des femmes 
enceintes. Leur confiance dans les amu- 
lettes. Les vétemens des filles différens de 
ceux des femmes. 


Le: préparaufs des cérémonies funéraires des 
rois de Dahomet ressemblent plutôt aux dispo- 
sions d’une fête de réjouissance , qu'aux tristes 
apprêts d’un deuil qui devient par suite pres- 
qu'universel. Vicuümes d’une absurde supersti- 
üon, si c’est aux premiers de la cour qu'est 
réservé le fatal privilége d'accompagner le ro: 
K 4 


152 VOYAGES 


dans sa tombe, on les prépare de manière à 
arriver au moment du sacrifice irréparable de la 
vie par des fêtes joyeuses et bruyantes, dans 
lesquelles ces infortunés s’étourdissent sur l’ave- 
nir qui leur est préparé. 

Le roi étant mort, l'instant de sa «sépulture 
étant arrivé, et les fêtes propitatoires étant 
achevées, un héraut somme les femmes, les 
enfans et les esclaves du monarque d’avoir à 
se revéur de Îenrs plus riches ajustemens, et 
après une danse victimale qui s'exécute entre ces 
êtres condamnés , on Jeur tranche la tête, et 
Jeurs cadavres, fumans encore, sont précipités 
dans la fosse destinée à recevoir le corps du 
monarque , qu'on pose très-respectueusement 
sur le monceau de ses victimes , de peur qu'il ne 
touche la terre , et ne vienne à se salir. 

Le roi de Dahomet, loin d’user envers ses 
prisonniers , de la générosité digne de son rang, 
les maltraite et insulte à leurs malheurs, par des 
actes d’une cruauté inowie. C’est aux anniver- 
saires des fêtes que ces infortunés sont exposés 
nus aux insultes de la populace, pour devenir 
ensuite des victimes expiatoires, du sang des- 
quelles chacun s’abreuve , en le sucant à l’envi. 

L’habillement des nègres de Dahomet con- 
siste en un teklé et un mammale, morceaux de 
toile ou d’étoffe dont ils se drapent le buste, et 


D'UN NN NAÂTURALISTE. 155 


dérobent aux yeux indiscrets la différence du 
sexe. Ils mettent beaucoup d’art et de prétention 
dans la coupe de leurs cheveux , et forment avec 
ceux épargnés par le rasoir, des dessins plus 
ou moins symétriques, que les plus riches 
traversent en outre de lames d’or, que les 
pauvres remplacent par des plumes éclatantes, 
ainsi que les Congos. 

Leur cou est orné d’un collier à double rang 
de corail ou d'ivoire , de cuivre ou de fer, tous 
ces objets étant confusément rangés à la suite 
l’un de l’autre. Leurs bracelets et leurs bagues 
de même uature, sont ordinairement matériels. 

Les femmes très-propres se lavent sans cesse, 
puis se parfument avec une huile odoriférante 
qu’on obuent dans le pays, du palmier à cha- 
pelet. Elles se musquent aussi avec de la civette, 
ou des feuilles d’asperuta odorata. (Linné.) 
Elles fardent leur visage avec diverses couleurs, 
iclles que le raucou, l’ocre, etc. Leurs trois 
rangs de collier en sautoir sont entre-mélés de 
verroteries , de coquilles, d’agates, divisées en 
compartimens égaux , par des pièces de mon- 
noie d’or. Leur calcaneum est orné d’un anneau 
d’argent. 

Le teklé sert aux négresses:de Dahomet, à 
soutenir accroupis derrière elles leurs enfans, 
même pendant leurs occupations, Ce doux 


L2 
124 VOYAGES 
fardeau ne les empêche en aucune manière 
de vaquer aux détails de leur ménage. 

Les femmes enceintes , glorieuses du nouveau 
ütre de mère qu’elles vont acquérir, sont très- 
réservées ; elles cessent d’habiter avec leursmaris, 
et font tout en un mot pour que leur grossesse 
prospère. Leur parure est alors sans affectation , 
et propre à laisser libre Ia circulauon du sang ; 
c’est pourquoi elles quittent leurs lourds bra- 
celets, pour revêur leurs bras de manchettes 
d’écorce à brins pendans, dont chacun, par 
suite de cette superstition naturelle aux Gui- 
néens, est réputé avoir une vertu pour lenfant, 
ou pour accouchement. On teint ordinairement 
ces manchettes en rouge , couleur des féuches, 
Les vêtemens des femmes, en général, ne sont 
pas ceux des filles. Les enfans des deux sexes 
sont nus jusqu’à l’âge de deuze ans, usage con- 
servé et perpétué par les nègres créoles des 
diversescolonieseuropéennes policées. Lesenfans 
sont chargés d’amulettes, dont les propriétés 
ficuves sont en faveur de la sante. 


D'UN NATURALISTE. 155 


| 


CHAPITRE DIXIÈME. 


Les Akréens , Crépéens et Assianthéens ont 
la peau et les cheveux diversement nuancés. 
Leur nourriture. Idée de ces peuples sur 
l'existence de Dieu. Ils sont idolätres , et 
pourquoi Ils consultent leurs fétiches dans 
Les circonstances critiques. Le héron vénéré 
parmi eux. Description de leurs maisons. 
Ils conjurent les flots avant de combattre. 
ITabillement des soldats. Leur précaution 
pour les prisonniers à faire. Manière dont 
ils se préparent au combat. Armes des 
généraux. Instrumens des musiciens. Ils 
tuent les blessés ; enfouissent leur argent 
avant la bataille. But de leurs guerres. 
Ils sont tous pécheurs , et ont une mémoire 
très-fidelle. Les Popéens sont très-céré- 

. Monteux envers leurs supérieurs. Ridicule 
de leur superstition. Empire des prêtres. 
Commerce de ces peuples. 


Cie peuplades, voisines l’une de l’autre, sont 
formées de nègres dont la peau noire est diver- 
sement nuancée, Leurs cheveux crépus sont 
noirs dans ceux-ci, rouges dans ceux-là, et 


156 VOYAGES 
blancs chez d’autres individus, dès leurs pre- 
miers ans. Leurs mains sont couvertes de taches 
blanches affreuses à voir, par leur contraste 
entièrement opposé à la couleur de leur corps. 

Ils se nourrissent d’herbages , de sang épicé 
à peine cuit, de friture puante, de poisson 
gäté, préparé à l'huile de palmier. 

Les Akréens Crépéens et Assianthéens recon- 
noissent un Étre suprême, principal et unique 
moteur des merveilles de la Nature; mais ne le 
croyant pas en rapport direct avec ses créatures, 
le supposant bien assez occupé de la surveillance 
des astres. [ls se créent des divinités subalternes 
ou féuches, pour émettre auprès de lui leurs 
volontés. Ce qu'il y a de plus absurde c’est qu'ils 
choisissent à cet effet la plus vile des créatures. 
Ils adorent un serpent non venimeux , ‘parce 
qu'il en dévora un mal-faisant qui étoit prêt à 
mordre un nègre. 

On le ces fétiches pour la guérison des 

maladies: et on leur offre, pour ENS leur 
protection, des animaux vivans qu’on attache 
à des poteaux jusqu’à ce qu'ils soient dévorés 
où par un oiseau de proie, ou par les chiens de 
buissons (1), espèce de loups si féroces et si 
bardis qu’ils viennent près des maisons y hurler 


(1) Jackals. 


>. 


D'UN NATURALISTE. 15 


et chercher des vicumes. Le héron est aussi 
parmi eux en vénération , et il est défendu , sous 
des peines très-graves, de troubler les nichées de 
ces oiseaux. Les maisons des Akréens, Crépéens 
et Assianthéens sont basses et toujours enfumées. 

Ces peuples, avant de combattre, vont con- 
sulter la mer. Lorsque les flots sont en courroux, 
ils concluent que leurs armes seront victorieuses, 
etque la Nature demande vengeance. Les soldats, 
revêtus d’un seul mammale ou tanga, portent 
sur leurs dos une giberne de‘peau de tigre pour 
contenir les provisions de bouche, et les cordes 
destinées aux prisonniers qu'ils feront dans la 
bataille. Ils ont pour coiffure, sur leurs cheveux 
saupoudrés d’ocre rouge, un casque de peau 
de bète féroce, ou de vertébres garnies de 
plumes, et d’une queue qu'ils laissent pendre 
derrière leur tête. Leur cou est garni d’amu- 
lettes qui doivent les protéger. Ils crient avant le 
combat, et se blanchissent la figure pour pa- 
roître plus hideux. Les généraux ont un bâton 
sculpté, et un sabre dont la poignée est revêtue 
de pointes ou aspérités bien peu commodes 
pour le maniement. 

Les musiciens sont placés, pendant l’action, 
derrière les combattans. Les uns portent sur leur 
tête , des tambours formés d'arbres creusés, et 
sont immédiatement suivis dans leur marche, du 


1558 VOYAGES 

negre batteur , tenant les baguettes qui sont de la 
: forme d’un crochet dont l'extrémité est en boule ; 
les autres sonnent des cors de dents d’éléphant. 

La guerre ne s’entreprend entre ces peuples 
et leurs voisins que pour égaliser les nations. 
Les soldats se défient avant l’acuon. Ils ne se 
servent point de flèches dans leurs combats, 
mais de grands couteaux ou mâchettes avec 
lesquels ils se battent, se défendent, et coupent 
Ja tête aux blessés qui ne peuvent plus marcher. 
Ces têtes, aprés la bataille, sont disséquées , et 
conservées en trophée par chaque vainqueur 
qui les abandonne à sa postérité. En tems de 
guerre ils enfouissent leur argent dans de grands 
pots. 

Les Akréens, Crêpéens, Assianthéens sont 
presque tous pêcheurs, et aiment passionnément 
le poisson qu’ils trouvent en abondance dans la 
rivière de Quitta, qui est très-poissonneuse. Ces 
Ichtyophages salent et font sécher au soleil les 
poissons avant de les manger. 

Îls ont une prodigieuse mémoire, et citent 
des particularités d’époques très-éloignées , avec 
une exactitude surprenante. 

Très-cérémomieux envers ‘leurs supérieurs, 
les nègres popéens les saluent jusqu’en terre , en 
faisant craquer leurs doigts. Abrutis par des 
coutumes superstineuses, s1 les prêtres, par um 


D'UN NATURALISTE. 159 


intérêt quelconque, leur défendent de voir la 
mer et leur prescrivent de rester dans leur 
intérieur , 1ls demeurent dés-lors sous le coup de 
la loi, et la moindre infracuon en ce cas est 
punie de mort. Les prêtres se divinisant, 1l est 
également défendu au peuple, sous les mêmes 
peines, de contempler les processions, dans la 
crainte de perdre la vie; ces cérémonies étant 
trop augustes pour la vue d’un mortel. Les 
Popéens font un commerce d'ivoire et de bois 
de santal. 


160 VOYAGES 


D Ve D D D VV VOL RS RU Rs 


CHAPITRE ONZIÈME. 


Mœurs des Plhylanis. Ils mènent une vie 
errante. Lieux qu’ils choisissent pour y 
carnper, eux et leurs troupeaux. Union 
intime des familles de cette peuplade. 
Punition infligée aux enfans. Respect de 
ces derniers pour les gens ägés qu’il ne leur 
est point permis d'interrompre au milieu de 
leur conversation. Leur religion semblable 
a celle des Juifs. Description de leur 
temple, et des-cérémonies qui s’observent 
dans leurs fêtes. Instructions de l’Alpha 
ou grand-prêtre. Sacrifice du bélier au jour 
d’Audebiché. Pureté de la morale de ces 
Nomades. Peineinfligée aux bouchers. 
Opinion des Phylanis , sur l’existence des 
esprits. 


er dans leurs goûts, purs dans leurs 
mœurs , l'ambition n’est point connue des Phy- 
lanis ; elle fuit cette peuplade innocente , et ne 
peut détruire sa frugalité. Une vie agreste et 
indépendante a pour eux plus d’attraits. Sans 
asile déterminé, sans chaumière précisément 
établie, un roc mousseux et verdoyant que 

| baigne 


D'UN NATURALISTE. 161 


baigne une cascade fraîche et tumultueuse, 
ou des rameaux de palnners rassemblés à la 
hâte, pour la construction d’un ajoupa , servent 
à ces heureux pätres et à leurs nombreux trou- 
peaux qui voyagent avec eux, de retraite et 
d’abri contre les ondées du soir , ou les feux 
brülans du midi. EL 


Destinés à mener une vie errante comme les 
Juifs dont ils semblent professer la religion ; se 
croyant descendans de Caïn , et marqués à cet effet 
d’une couleur étrangère aux autres hommes, les 
Phylanis font consister leur bonheur à s’épargner 
des besoins inutiles, et à se détacher des biens de 
la terre. La tranquillité de leur conscience leur 
prouve, par cet état inappréciable de quiétude , 
qw’en cessant de poursuivre le fantôme de l’am- 
bition, ils ont trouvé dans la vraie et uule 
philosophie le secret d’être à jamais heureux. 


C’est dans l'intention de perpétuer cet état de 
félicité , que.chaque famille de Phylanis voyage 
dans l’intérieur de la Guinée, campe avec ses trou- 
peaux au milieu des sites les plus rians, qui ne 
contribuent pas peu à flatter agréablement leurs 
sens. Leurs caravanes sont composées de bœuf, 
gémisses , et de chiens, êtres utiles et fidèles amis ; 
de chèvres èt de moutons, animaux paisibles et 
producufs. Chaque famille jouit en paix des 


Tone II, L 


162 VOYAGES 

douceurs de la vie champêtre; les Phylanis 
s’éloignent avec soin des endroits habités, re- 
doutant une contagion qui pourroit leur devenir 
funeste : leur franchise évite la dissimulauon 
des nègres de bourgades prétendues policées, se 
contentant de leur fournir du laitage , en échange: 
de vivres tirés du sein d’une terre que leur 
défaut de résidence ne leur permet pas de cul- 
üver : ils communiquent à cet effetavec ces habi- 
tans inconnus , sans pourtant se familiariser 
avec des êtres que bientôt ils ne doivent plus 
revoir , les desuins de leur existence les conduisant 
dans les divers cantons de Guinée qu'ils par- 
courent successivement. 

Que de fois le jour, des tableaux intéressans 
de la vive Nature égayent et charment les 
momens de loisir de ces fanulles pacifiques! 
lci, c’estun vieillard caduc qui reuent à folätrer 
sur ses genoux mal affermis un jeune enfant : 
voyez comme celui-ci se débat; et déjà vic- 
torieux des vains efforts de la débile viaillesse , 
comme il s’échappe, pour disputer une place 
à son frère accroupi au dessous d’une génisse 
qu'on va traire; mais le partage devient égal, 
et chacun d’eux pressant d’une main délicate 
les tetins qu’ils se sont choisis, voyez- les 
s’abreuver à longs traits d’un lait écumeux et 
éblouissant , dont l’abondance , au moindre 


D'UN NATURALISTE. 103 
mouvement de l'animal, vient se répandre sur 
le vermillon de leurs joues. 

S'élève-1t-1l une dispute de friandise? la 
querelle éphémère est-elle allumée ? qui va 
l’éteindre ? leur mère commune : elle accourt 
en allaitant un jeune nourrisson content de sa 
portion, et qui, craignant déjà le partage de 
sa bouteille chérie, bondit , et cache, sous les 
caresses de ses mains gentilles, une provision 
qu'il veut avoir pour lui seul. Il se mettroit 
bientôt en colère, il pleureroit , il crieroit en 
agitant ses peuts pieds, si , au mépris de sa pré- 
caution, quelqu’importun feignoit de vouloir 
ai ravir un trésor qu'il ne sait point appartenir 
qu'à lui seul. Telle est la vie privée des bons 
Phylanis , telles sont leurs récréations légitimes, 
lorsqu'ils ont satisfait aux légers devoirs que leur 
imposent les réglemens de leur association. 

Une mère vendue à Saint-Domingue, sur 
l'habitation que j'occupois, avoit conservé les 
usages de son pays, et punissoit un de ses né- 
grillons pour une faute assez grave. Je vis cet 
enfant en pleurs placé près la porte de la case, 
à la vue de ses camarades qui le morüfioient, 
ayant une pierre fort lourde sur sa tête, et 
tenant de ses mains ses deux oreilles, obligé de 
se baisser, pis se relever successivement jusqu’à 
ce que ses genoux vinrent à fléchir de lassitude, 


L 2 


3164 VOYAGES 

instant où la pénitence fut remplie ; 1l n’en étoit 
pas encore à ce point, que m’apercevant, 1 
me cria du plus loin : Pardon, maître! Je me 
rendis à ses instances, et après une lecon sévère, 
je l’envoyai implorer celui de sa mère, qui lui 
fut accordé à ma considération. 

Les enfans des Phylanis sont très-respectueux , 
et tellement habitués à la discréuon et à l’obéis- 
sance, que la moindre infraction à cet ordre 
sévère est punie tres-rigoureusement de diffé- 
rentes peines proportionnées à la nature de la 
faute. Par exemple, lorsqu'un de leurs parens ou 
des étrangers plus âgés qu'eux engagent une 
conversation , il ne leur est permis que d’en- 
tendre, et la correction la plus rigide devient 
leur partage , s'ils ont osé rompre le silence. 

C’est par une suite de cette coutume que les 
enfans ne mangent point avec les grandes per- 
sonnes , pour laisser ces dernières plus libres 
dans leurs entretiens ; aussi la moindre curiosité 
est-elle suivie d’une correction très-rigoureuse. 

La religion des Phylanis paroîït être celle des 
Juifs. Un nègre phylanis , strict observateur de la 
loi , est autant parfait qu’un homme peut l’être. 
Leur grand-prêtre appelé a{pha, n’abuse point 
de Pautorité que leur confrance en lui a établie ; 
il pratique la morale qu’il inspire, et le moindre 
différend estjugé par ce sacrificateur, qui voyage 


D'UN NATURALISTE. 165 


toujours à la tête de chaque peuplade. Austères 
imitateurs de leur père Abraham , ils sont voués 
comme lui au Dieu qu'ils implorent; ei sil 
s’agit de faire profession de leur foi, et de jurer 
qu’ils croient bien en Dieu, ils le témoignent en 
publiant hautement devant leurs semblables , 
«qu’ils donneroient volontiers leurs enfans, si 
» ce sacrifice étoit exigé du Dieu qui leur donna 
» l'être ». 

Allah, .veut dire Dieu en leur langage ; 
et le mot amen signifie, nous vous remercions 
du boire et du manger. Le’temple qu’ils cons- 
truisent à la hâte, lorsqu'il s’agit d’un sacrifice 
propiuatoire, s'appelle guine-grine, dans l'inté- 
rieur duquel ils ne pénètrent jamais sans préa- 
lablement s'être purifiés, à l'exemple des Juifs, 
par un bain de pieds et de mains. 

Bien convaincus que dans un édifice superbe, 
ou dans un local simple, la magnificence du 
grand Dieu créateur est la même, et qu'aucune 
tentative des hommes ne’peut en relever l'éclat, 
ou l’afloiblir, parce qu’elle est une et naturelle, 
ils suppléent à leur défant de résidence pour 
l'édification stable de leurs temples, par le choix 
des endroits propres à rapprocher la créature de 
son Créateur. La vue d’un bois touffu, dont la 
verdure active témoigne en faveur de l’Auteur 
de la Nature, attire d’abord leur attention; ils 


L 3 


166 VOYAGES 


inspectent l'endroit, et cherchent à réunir, sous 
son cintre , toutes les qualités requises. De 
hautes futaies dont la cime seulement est ba- 
lancée par le vent, un foible jour que produit 
leur ombrage touffu, des nappes d’un verdoyant 
gazon , des arbres fruitiers, pour en offrir les 
prémices et en dessiner le contour; des rochers 
frémissans sous le bruit de cascades choisies 
pour la purification et l’entreuen de la frai- 
choeur du lieu; un respectueux et imposant 
silence qui convient au rapport direct de 
l’homme avec Dieu, seulement interrompu par 
des oiseaux créés pour chanter ses louanges, 
voila le heu choisi au sein des campagnes, pour 
l’édificauon de leur temple. Leur principale 
fête qui se renouvelle tous les ans, au solsuce 
du printems, s'appelle Audebiché. Les Phylanis 
observent, avant son époque, un jeûne privatif 
de trente jours, et la dernière semaine, ils ne 
font un repas que le soir de chaque journée. 

La veille du grand: jour d’Audebiché, cette 
fête la plus solennelle , ils se réunissent, et con- 
duits par Palpha , ils cheminent vers le lieu 
appelé Bambé , choisi pour l'établissement du 
sacrifice. Chacun des assistans dépose un peut 
fagot au centre de la place qu'ils invesussent ; 
puis , aprés la prière, l'alpha miet le feu au 
bücher , et étant secondé par chacun des Phy- 


D'UN NATURALISTE. 167 


lanis mäles armés d’un uson, comme en Europe 

au jour du feu de Saint-Jean, ce grand-prêtre 

dit hautement dans son langage, en parlant 
de la flamme de ce foyer: « Peuple, mes frères, 

» voici encore un des bienfaits de notre grand 

» Dieu ». 

Le soleil couchant termine ordinairement cette 
pieuse cérémonie; chacun se retire en paix, et 
se livre au sommeil, toujours doux par la 
pureté de leurs acuons. Ils ne peuvent cependant 
pas le goûter long-tems ; l'alpha veille, et sa 
grande ferveur exige des sacrifices : un de ses 
acolytes est chargé par lui, vers l’heure de mi- 
nuit, de sonner de la trompe pour réveiller tous 
ceux des Phylanis qui ont jeûné, et ce bruit 
grave leur annonce qu'ils doivent prier. Bientôt 
réunis à l’alpha dont ils respectent les ordres 
sacrés, ils lui témoignent, par une inclination 
profonde , leur confiance et leur sounussion ; 
après quoi l'alpha répond : « Nous dormons au 
» lieu de prier! et Dieu pourtant veille sar nous 
» le jour et la nuit ». Un signe de tête devient 
une réponse approbative. La nuit se passe en 
pricres. 

Le lendemain , dès que létoile du maun 
annonce un nouveau jour, lorsque les vapeurs 
dela nuit, combinées encore avec les parfums de 
Ja Nature, font cireuler leur suave odeur ; lors- 

L 4 


- 


168 . VOYAGES 
que les oiseaux éveillés dégagent leur tête de 
dessous leur aile pour annoncer les pre- 
miers les merveilles de leur existence, les 
Phylanis ne veulent point avoir à rougir d’être 
prévenus dans leur adoration par des créatures 
qui leur sont inférieures, et sonmises à l’antorité 
de l’homme; ils portent à l’envi leurs pas dans 
les campagnes encore humides de rosée, cher- 
chent des fleurs pour en ceindre leur tête, et les 
cueillent doublementenrichies d’un frais cotôfé 154 
d’une odeur suave et douce, et du brillant des 
perles vacillantes que le serein a développées. 
Les voilà qui se rencontrent, et autant pour 
obéir à Ja sympathie de leur caractère, que pour 
honorer le Seigneur par une nnion inume parmi 
eux , ils se prennent les mains en se disant 
bonjour, et, se souhaitant toute prospérité, ils se 
caressent comme un frère el nne sœur. 
Cependant l'instant approche où le sacrifice 
va étre annoncé, et tous les Phylanis réunis 
près de l'alpha, lengagent à commencer la 
cérémonie, Voilà le cortége à son départ. Douze 
trompettes ouvrent la marche ; ils sont suivis de 
deux colonnes de Phylanis, hommes et femmes, 
couronnés et séparés les uns des autres ; apres 
eux, s’avancent à pas plus petits et plus précipités, 
douze enfans mâles ayant également la tête ceinte 
de fleurs diversement nuancées, retenant au 


D'UN NATURALISTE. 169 


milieu d'eux, par des guirlandes de roses blan- 
ches, une jeune victime, un treizième enfant 
couronné de fleurs de la même couleur. Enfin 
l'alpha dont la vieillesse ralentit la marche, 
suit avec peine, et termine ce simple cortége. 
Arrivés au lieu destiné à la consommauon du 
sacrifice , ils y trouvent un bücher préparé, le 
fatal couteau posé au bas, et le vase destiné à 
purifier le grand-prêtre avant d’exercer les 
fonctions de son ministère. Le peuple se divise et 
se range circulairement, et l’alpha arrive au pied 
du bûcher, toujours précédé du groupe des 
enfans. Celui que l’on a choisi pour victime est 
dépouillé de ses fleurs, et présenté au peuple, 
tandis qu’il appelle à grands cris les auteurs de 
ses jours. Ceux-ci, glorieux d’avoir été choisis 
pour immoler leur postérité au grand Dieu, 
rejoignent pour la derniére fois leur enfant 
chéri, leur seule espérance, se livrent à une 
muette douleur dans leurs derniers embrasse- 
mens, et, pour donner une preuve plus authen- 
üque de leur entier dévouement à la cause du 
grand Dieu, ils embrassent pour la dernière fois 
leur enfant, qui lui-même donne signe de son 
approbation en indiquant de son foible doigt la 
route du ciel; ses plus proches parens le posent 
sur le bûcher. C’est alors que le sacrificateur, 
aprésavoir invoqué l'Eternel, dessille les veux des 


r7 VOYAGES 


assistans, et leur annonce que Dieu n’a point 
créé l’homme pour lui être offert en holocauste, 
que ce sacrifice ne lui est point agréable; qu’il 
commande à la création , et doit remplacer la- 
néantissement de son être par celui d’un animal 
soumis à sa volonté. Aussitôt l’enfant est 
enlevé du bûcher, élevé au plus haut par les 
bras d’un groupe d'hommes nerveux , offert au 
peuple qui dès ce moment le considère, et il est 
remplacé par un mouton que l'alpha égorge 
à l’instant. C’est, comme on le voit, le simulacre 
du sacrifice d'Abraham. 

L’holocauste étant consumé par le feu, l'alpha 
et le peuple se prosternent en actions de graces ; 
ils baisent humblement la terre , et se redressant 
les bras en croix surla poitrine, l'alpha leur déve- 
loppe les dogmes sacrés de leur institution en 
ces termes : « Si vous voyez, leur dit-il, votre 
» pere et votre mère infirmes exposés à l’ardeur 
» du soleil, portez-les à couvert, ou déracinez un 
» jeune bananier, et plantez-le derrière eux, afin 
» qu’ils soient protégés par son ombrage ». 

L’alpha dit encore : « Si vous n’avez pas soin 
» des pauvres, si vous tuez ou volez; si l’esclave 
» se révolte, si vous n’assistez point les malades, 
» tremblz! Dieu vous punira. Jeunes gens, 
» honorez les vieillards pour être, à votre tour, 
» honorés comme eux dans un âge plus avancé. 


D'UN NATURALISTE.  aiva 


» Respectez leur foiblesse ; souvenez-vous qu’ils 
» ont travaillé pour vous, etsuppléez à la débilité 
» de leurs membres impuissans et infirmes, par 
» le travail de vos bras vigoureux qui doivent 
» les faire exister. | 

» Enfans! dès que vos forces vous le per- 
» mettent, ne laissez jamais votre père piler un 
» grain qu'il a récolté à la sueur de son front; il 
» partage avec vous les bienfaits de cette pro- 
» duction nutritive, partagez avec lui son labeur 
» d’après vos facultés ». L’alpha dit aussi : « Si 
» vous priez, et que vous ne donniez pas aux 
» pauvres, vos prières sont perdues ». 

La plus grande propreté est exigée des 
bouchers des Phylanis, et une amende consi- 
dérable leur est infligée lorsque le couteau qui 
est pendu à leur côté est taché d’une goutte de 
sang, ou quand leurs hardes en sont imbibées. 

Je partois un jour de grand matn pour donner 
la chasse aux caïmans qui désoloient nos rives, et 
nous enlevoient beaucoup d’animaux qui vont y 
boire ; accompagné de quaire harponneurs 
portant aussi des filets, nous suivions en silence 
un des bras de l’Ester , lorsqu'un de mes 
nègres aperçut en maraude et crut reconnoître 
un zation phylanis (nation veut dire compa- 
triote) qui cherchoit, en s’enfoncant dans des 
champs de maïs, à se dérober à mes regards, 


172 VOYAGES | 
de peur de punition; mais, comme personne de 
notre groupe n’avoit encore parlé, l’un d’eux 
nommé Fleuri, lui crie d’une voix sépulcrale : 
haucou ! qui veut dire bonjour. Le malheureux 
maraudeur fut saisi d'une frayeur si grande 
qu'il tomba à la renverse, croyant avoir affaire 
à un zomby (ou revenant); ce qu’il nous avoua 
lorsqu'on alla le relever. 


* 


Rs LL RU 


CHAPITRE DOUZIÈME. 


Les nègres de Diabon sacrifient les étrangers 
a leurs dieux. Empire des prétres de Bodé; 
leur criminelle autorité. Les étrangers im- 
molés , et l'assassinat toléré. Religion des 
nègres d'Ufé, bien opposée à celle de 
Diabon et de Bodé. 


 . notre nègre Charpentier, vint à son tour 
donner des détails sur les mœurs des nègres de 
Diabon , ses compatriotes. Il avoit tout récem- 
ment recu le baptême, aussi ne craignit-il 
point de décrier les abus de l’idolâtrie de ses 
frères. « Nos dieux sont méchans , disoit-il, 
» impitoyables pour les étrangers qui sont surpris 
» sur notre territoire; ils paient de leur tête 


» leur audacieuse erreur, et sont sacrifiés pour 


D'UN NATURALISTE. 173 


» apaiser le courroux de nos déïtés inhospi- 
» talières ». 

Les prêtres de Bodé usent avec latitude de 
leurs prérogatives sur les idolätres qu’ils ensei- 
gnent : leur règne est celui de la terreur la plus 
iyrannique. Veulent-il se procurer des mar- 
chandises sans débourser aucun argent ? ils an- 
noncent que leur dieu estirrité, et qu’1ldemande 
du sang. La malheureuse vicüime est choisie par 
eux-mêmes dans le peuple, sil n’y a point 
d'étrangers; nouveau moyen criminel d’exercer 
leur vengeance envers leurs ennemis. L’inno- 
cence est sacrifice, et le cadavre démembré pour 
le distribuer aux sacrificateurs. Tant que ces 
prêtres féroces et impies possèdent la portion 
ensanglantée de leur vicume, ils lexposent 
alternativement dans le marché sur ce qui leur 
fait plaisir, et le marchand est obligé de leur 
livrer l’objet deleur choix, sans demanderaucune 
rétribuuon. 

Leurs lois absurdes, immorales et contraires 
à l’ordre social, autorisent le crime, loin de le 
T éprimer. Par hot siun assassin se présente 
comme tel à Bodé, 1l est reçu honorablement, 
et toutes les jeunes fiiles vont, à l’envi Fée 
de l’autre, s’offrir à lui pôur épouse ;4andis que 
si un voyageur étranger est rencontré demandant 
l'hospitalité, 1l est pris, malgré ses protestations 


174 VOYAGES 


de soumission envers les lois du pays, et égorgé 
à linstant. 

Les nègres d’'Ufé n’adressent point leurs hom- 
mages à des simulacres faits par la main des 
hommes; 1ls choisissent, pour exciter leur com- 
ponction, les preuves matérielles de l’anéan- 
üssement humain , preuves incontestables de 
l'existence d’un Être suprême qu’on croiroit 
bien loin de la pensée de ces idolâtres, mais qui 
paroît pourtant en être rapproché par leurs 
coutumes philosophiques, servant d’argument 
irrésisuble en faveur de ces peuples, d’ailleurs 
hons et hospitaliers. 

Dans un lieu sombre et sauvage, au milieu 
d’une nature primitive, dans des crevasses 
souterraines de rochers escarpés , au centre d’un 
imposant ombrage, cette peuplade pénètre en 
silence, la tête baissée, et d’un pas grave et 
respectueux. Aucune fétiche ne se présente à 
leurs yeux , ils n’ont point de prêtres, puisqu'ils 
n’ont point de mystères. Le vaste et ténébreux 
édifice consacré à exciter leur componcuon, à 
émouvoir leurs facultés intellectuelles, à pro- 
voquer un retour au bien dans les cœurs 
criminels; cet édifice, dis -je, est tapissé d’osse- 
mens Mine que u mort a réunis depuis des 
siècles. C’est là que pensant à Ja fragilité de leur 
existence, au sort prochain qui les attend, ils 


D'UN NATURALISTE. 175 


2 
sont frappés d’une bienfaisante terreur qui les 
éloigne du mal, et les rend bons et bienfaisans. 
Ïls sont déjà loin du temple , qu’ils observent 
encore un silence qui n’est interrompu que 
par une belle action envers les plus malheu- 
reux de leurs semblables , ou par quelqu’exhor- 
tauon consolante d’un père à son enfant, d’un 


ami à son ami... Que pensera-t-on de cette secte 


AUS USA D À 0 D À En À À 0 D en D a Ve Vo Vo Va 


CHAPITRE TREIZIÈME. 


Caractère des Congos. Ils n’ont aucune 
considération pour les vieillards. Parure 
des Congos. Ils aiment passionnément le 


tafia , et recherchent la chair musquée du 
crocodile. 


O, peut consulter, pour la descripuon topo- 
graphique du royaume de Congo, les auteurs 
qui en ont déjà parlé, mon but n’étant que de 
faire connoître au lecteur le caractère essentiel 
et les mœurs de chaque peuplade en particulier. 
Les Congos en général sont voleurs, et tellement 
effrontés que l’un d’eux surpris en flagrant délit, 
ne voulut jamais convenir du vol qu'il tenoit à la 
main ; c’étoit une poule : « Pourquoi, lui 


170 VOYAGES 

» disois-je, rentres-tu à ta case avec une poule 
» qui ne Vapparüent pas ? Moi, pas connor 
» maîtr”, répondit-1l, mais maman poule ci lalà 
» drôle oui! li vini astor jetté en haut mains 
» moi. Ton dessein, réparus-je, étoit de la 
» plumer et de la faire cuire? Aï! maîtr à 
» moi! s’écrie astucieusement le Congo, bon Dieu 
» puni moi, si moi, Capab’ faire bagage ci lalà : 
» moi vlé seulement chauffé li en haut case à 
» moi, guetté comme plumes à li mouillé, 
» pauvr” bête » ! En disant cela , il Jui prenoit le 
cou, le caressoit et l’embrassoit. IL n’étoit 
point étonnant que la poule eût les plumes 
mouillées , puisque, pour se dérober aux pour- 
suites acharnées du nègre voleur, elle s’étoit 
jetée dans un canal où il avoit su Pat- 
ieindre; c’est ce que j'appris, et ce dont il ne 
voulut jamais convenir , quoique lui ayant pro- 
visoirement fait rendre la poule à celui à qui 
elle appartenait. 

Les Congos, loin de respecter les vieillards 
comme les Phylanis, n’ont aucun égard pourleurs 
parens âgés ou infirmes, et ils les forcent à piler 
le maïs qu’ils destinent à leur unique nourriture. 

Les Congos portent leurs cheveux crépus 
entre-méêlés de plumes de diverses couleurs , 
piquées à l’aventure et dans tous les sens. Ainsi 
que les fbos et les Nagos, ils ont les dents de 

devant 


D'UN NATURALISTE. 1774 


devant sciées en plusieurs festons, et ils ont le 
plus grand soin d’en entretenir la blaucheur et 
la propreté ; c’est pourquoi ils se servent, ainsi 
que les nègres des autres naüons et tous les 
habitans des colonies, de racines fibreuses qu’ils 
tiennenttoujours à la bouche pour les nettoyer (1). 


()1l y eut à Saint-Domingue, dans les premiers 
momens de l'insurrection des noirs, une horde de ces 
révoltés, appelés Congos tous nus, parce qu'en effet 
ils ne faisoient pas même usage du tanga. Ils avoient 
pour chef un mulätre makendal. ‘Tous ces brigands, 
réunis pour faire honte au genre humain et le désoler, 
avoient la tête surmontée d’un casque formé d'un crâne 
humain accompagné de sa chevelure. Leurs joues, leur 
menton et leurs seins étoient colorés d’un rouge assez 
vif pour imiter le sang. Le chef de cette troupe infer- 
nale, hideux de figure, avoit des formes dispropor- 
tionnées, et portoit au cou et à toutes les articulations, 
des paquets de têtes de crapauds, couleuvres, et autres 
semblables talismans. Par-tout la mort annonçoit 
son passage , et ses satellites cruels égorgeoient 
tout ce qui se présentoit à leurs yeux ; chiens, chats, 
cochons, rien m’étoit épargné, et tout être animé 
devenoit la victime de leur furie désastreuse et vaga- 
bonde. L'amour du sang les enivroit au point qu'ils en 
laissèrent par-tout des traces sur l'habitation de l'Etable, 
où ils vinrent s'installer pendant quinze jours, pour 
exercer leurs dégoûtans mystères. Lorsque leur chef 
redoutable vouloit rassembler sa troupe, il siffloit, 
et dans la position la plus indécenie, introduisant le 


To II. | M 


1178 VOYAGES 

Les Congos sont très-friands de tafia ; un jour 
que J'avois oublié de donner la rauon à un 
d'eux qui me servoit d’harponneur pour la 
chasse du caïman , il me dit d’un ton naïf ettout 
contrit : « Maître! Congo pas encore gagné dent, 
» et vous sévréz li »! Ce qui veut dire, non litté- 
ralement , mais dans le sens parabolique : 
« Maître, je suis encore à jeun, et n’ai point de 
» dents pour manger, ne me sevrez donc pas de 
» ce tafia qui va me mettre en état de prendre 
» mon repas ». Je vis un jour ce même 
harponneur emporter furtivement les membres 
ensanglantés d’un caïman sur lequel je venois 
d'observer la circulation du sang. Je ne savois à 
quel propos il m’avoit dit pendant mon expé- 
rience : (Maître ,n’a pas faire li souffrir comme ca 
» donc ! caïman li y’oun’ boun’ bagage, et pis 
» vous va malheureux , Quand vous va mouri». Je 
reconnus bientôt que la chair d’un caïman mort 
dans des tortures semblables , ne lui étoit plus 
agréable à manger, et que pour m'engager 
à lui donner à l’avenir sans être entamé par 


doigt dans son anus, 1l restoit en cette posture révoltante 
pendant que ses acolytes, accourus de toutes parts, 
dansoient autour de lui en poussant des hurlemens 
affreux. Ces brigands, par un génie imitateur, furent à 
Saunt-Domingue, ce que les jacobins furent en France, 


D'UN NATURALISTE. 179 


le fatal scalpel , il m’annoncoit, par une conjec- 
ture de métempsycose, qu'ayant fait autant 
souffrir les caïmans , je serois moi-même , après 
ma mort, en butte aux cruautés du premier 
chasseur. Toutefois il m’assura que dans son 
pays on est très-friand de la chair de ces ani- 
maux, dont le goût musqué est cependant 
insupportable, mais que les Congos aiment 
beaucoup. 


M 2 


160 VOYAGES 


QU SSSR ne ne nn D no D D 0 D 7 


CHAPITRE QUATORZIÈME. 


Idée des Faudoux (1). Définition du mot. 
Leurs opérations ridicules et emphatiques. 
Maladies qu'ils donnèrent & un habitant 
de la Petite-Rivière, plaine de l'Artibonite, 
et à des nègres dont ils étoient jaloux. 
Sortiléges prétendus. Prédiction faite à 
Toussaint-Louverture , chef noir à Saint- 
Domingue. Tours facétieux que les vaudoux 
se plaisent « faire dans les calendas. 

AS beaucoup entendu parler d’une secte 

idolâtre appelée vaudoux à Saint-Domingue, 

et dont la réunion avoit lieu sur notre habi- 
tation , je fis venir une négresse affidée qui, 
après m'avoir détaillé des faits surnaturels, me 
rendit le témoin oculaire des frénéuiques céré- 


() Suivant les nègres Aradas, fidèles sectateurs 
du vaudoux, ce mot exprime un être tout-puissant 
et surnaturel, auquel les autres créatures doivent 
obéir; et ce prodige quel est-il ? un hideux serpent 
qu'ils déifient, mais rendant ses oracles par la 
bouche de certains nègres adroits, qui deviennent 
son organe, et pour lesquels les nègres initiés ont 
la plus grande vénération. 


D'UN NATURALISTE. 181 


momies de ces espèces de convulsionnaires. « Les 
vaudoux , me dit la véridique Finette (+) ,isont 
de nations différentes ; ils tombent en crise par 
suite d’une sympathie imconcevable. Réunis sur 
le terrain qui doit être le théâtre de leurs gri- 
maces convulsives, 1ls sourient en se rencon- 
trant, se heurtent avec rudesse, et les voilà tous 
deux en crise ; les pieds en l'air, hurlant comme 
des bêtes féroces , et écumant comme elles. 

» Je passois un jour , poursuivit-elle , auprès 
de deux de ces espèces de convulsionnaires , et 
soit que leurs prosélytes aient eu l’intenuon 
d’accréditer leur système, soit que par ces 
preuves irrécusables , ils aient voulu profiter de 
mon jeune àge pour m'initier dans leurs mys- 
tères , on m’introduisit dans le cercle, et il fut 
ordonné à l’un d’eux, par le chef de la horde, de 
prendre dans ses mains du charbon allumé qui 
lui fut présenté, et sembla ne point le brûler; à 
l’autre de se laisser enlever des lanières de chair 
avec des ongles de fer, ce qui fut ponctuelle- 
ment exécuté, sans que je remarquasse le 
moindre signe de sensibilité. 

» Dompète ( c’est le nom du chef tout-puis- 
sant de la horde fanatique ) a, disent-ils, le 


(1) Négresse afhdée et intelligente, dont j'ai déjà 
fait l'éloge, et qui a été éduquée en France. 
M 3 


182 VOYAGES 


pouvoir de découvrir de ses yeux , et malgré tout 
obstacle matériel, tout ce qui se passe , n’im- 
porte à quelle distance ; propriété ficuve bien 
faite pour en imposer aux crédules, et tyranmiser 
les incertains dont le défaut de confiance est 
puni par le poison qui leur est familier , et, dans 
les mams du Dompète, d'un usage journalier et 
impuni. 

» Les acolytes de cette secte ont aussi entre 
eux des moyens magiques d’exercer leur ven- 
geance. Un homme a-t-1l essuyé les rigueurs 
d’une amante, ou l’infidélité d’une maîtresse 
habituée ? un piquant de raie jeté dans l’urine 
de la coupable, le venge de son outrage, en 
frappant soudain l’infidelle d’unemaladie de lan- 
gueur, que le vaudoux fait cesser à volonté par 
une préparauon différente. 

» C'est par un semblable mouf de jalousie, 
qu’une négresse nommée Jeanne Claire, d’une 
habitation de la plaine lArtibonite , ayant excité 
l'envie de la femme d’un vaudoux , fit mettre 
en opération son mari qui par un sorulége 
rendit cette rivale (ou matelote) muette et dif- 
forme aux yeux fascinés de son amant qui la 
répudia , et ne la vit depuis qu’avec horreur, 
malgré les témoignages d’attachement de cette 
femme qui, pour opérer une réconciliation si 
désirée, lui offrit tout ce qu’elle possédoit. 


D'UN NATURALISTE. 183 


L'amant d’abord courroucé, se radoucit pour- 
tant à la proposition de ces offres généreuses. 
Jeanne Claire se disposoit à Iui remettre la 
cassette contenant ses bijoux et ses effets les 
plus précieux : quelle fut sa surprise lorsqu’au 
lieu de la trouver à sa place, elle n’y rencontra 
plus qu’un amas de terre et d’ossemens humains ! 
O désolation! mais l'effet du philtre n’étoit point 
éternel , l'amant creusa et fouilla le tertre dépo- 
sitaire de l’opération magique, et ce fut à l’ins- 
tant où la cassette reparut,que la femme double- 
ment enchantée recouvra et sa voix et son 
trésor. 

» Une des preuves encore que les sortiléges 
n’ont qu'une durée limitée, c’est, continua 
l’historienne, la maladie singulière qu’éprouva, 
par ces effets magiques, M. Dériboux , habitant 
de la Petite-Rivière des Gonaïves. Il eut un diffé- 
rend avec un vaudoux , et sans menaces de la 
part de son ennemi il fut atteint dès le lende- 
main d’un vomissement dans lequel il rendoit 
de gros morceaux de chair crue. Ce n’est 
qu'après six mois de souffrances que le maléfice 
cessa. 

» Un autre vaudoux, par suite de la jalousie 
d’un confrère , opéra ce phénomène : son rival, 
homme robuste et bien fait, devint hideux et 
couvert de lèpres qu’il conserva jusqu’à ce qu'il 


M 4 


184 VOYAGES 

eut renoncé à la femme qui lui causoit cette 
infirmité. Sur la menace du vaudoux, le lépreux 
quitta le quartier, et recouvra bientôt une par- 
faite santé. 

» Un fait non moins extraordinaire mérite 
d’être cité. La femme d’un vaudoux venoit de 
perdre son mari, qui en mourant lui avoit laissé 
le secret de dérober son argent à la recherche 
des voleurs, en leur fascinant les yeux. Joyeuse 
de posséder ce secret merveilleux , elle faisoit 
étalage de sa fortune, et l’élevoit de beaucoup 
au dessus de sa valeur, ayant en vue par ce 
stratogême d'augmenter le nombre de ses 
adorateurs. Adomis , nègre cuisinier de M. Des- 
fontaines |, habitant des Gonaïves, rusé et 
envieux de mordre à la grappe, résolut de 
chercher à lui plaire, espérant, après un items 
d’assiduités et de caresses, devenir le semi-pos- 
sesseur du riche buun annoncé. 

» Dans ses fréquentes visites, il cherchoit à 
flatter la. friandise de Claire, en lui apportant 
des mets déhcats, soustraits à la table de son 
maître. Un jour que par l'abondance des 
gâteaux, autres provisions , et surtout une bou- 
teille de marasquin , il avoit tenté de la rendre 
déraisonnable au point d’obtenir son secret, 1i 
fut déçu de son espérance, et apprit seulement 
d’elle, que le tonneau qui se trouvoit dans le 


D'UN NATURALISTE. 185 


coin de la case, derrière son hamac, renfermoit 
le trésor en quesuon, mais qu'il étoit défendu à 
tout autre qu’elle de pénétrer jusque-là ; et, pour 
preuve de son privilége exclusif, elle engagea 
Adonis à tout tenter pour enlever cet argent du 
baril où il étoit. Celui-ci souriant, voulut en vain 
y plonger le bras à deux reprises, étant repoussé 
chaque fois par une force invisible ; cependant , 
ne perdant pas courage , 1l fit une troisième 
tentauve, mais quelle fut sa surprise lorsqu’en 
introduisant son bras, il crut sentur une cou- 
leuvre qui, par la détorsion de ses replis tor- 
tueux , sembloit vouloir s’élancer sur lui! Adonis 
plus prudent que courageux, renonça soudain à 
expérience, mais conserva le désir d’appro- 
fondir l'intensité de ce mystère. Pour sausfaire 
sa curiosité , 1l alla donc trouver un vaudoux 
son ami,et moyennant une bouteille de tafia, 
il obunt de lui le moyen de rompre ou plutôt 
de détruire le charme de ce prestige d’illusion. 
Ïl reçut du vaudoux un peu de terre de cime- 
üère, qu'il lui fut ordonné d’aller déposer 
derrière le lit de Claire à son inscu, destinée, 
Jui dit-il , à l'endormir, et avec elle son secret. 
Toute canse surnaturelle étant détruite, Adonis se 
présenta chez sa maîtresse qui s’endormit bientôt 
dans ses bras, après qu’il eut préalablement 
achevé son opération; d’où il résulta succés 


186 VOYAGES 


complet, au moyen duquel il fit la loi à 
sa maîtresse, et ne consent à lui remettre 
à son tour son trésor que s'ils s'appartenoient 
l’un à l’autre. Celle-ci y consentit sans peine, 
aimant Adonis plus que tout autre de ses 
courtusans. 

» On sait, me dit l’historienne, que Toussaint- 
Louverture, à l’arrivée de l’expédition francaise 
commandée par le général Leclerc , se fit dire 
sa bonne aventure par un de ces vaudoux famé 
dans l’art devinatoire , et qu’il lui futannoncéau 
fort de la Crête-à-Pierrot, qu'il seroit trahi et 
livré aux Francais par son premier chef, celuien 
qui il avoit plus de confiance, de féroce Des- 
salines. [’événement réalisa la prédiction du 
vaudoux ». | 

Les vaudoux, par un, esprit de contrariété 
qui leur est personnel, ament à troubler les 
plaisirs qui ne sont pas les leurs; aussi les voit- 
on à la découverte des calendas (danses noc- 
turnes) s'y faire des signaux , et, prévoyant 
leurs succès, rire entr'eux d’avance de l’em- 
barras de leurs dupes. Un d’eux plus confiant 
que les autres, me prenant par le bras, me 
dit tout bas intention où 1l étoit, amsi que ses 
€amarades, de faire donner /e calenda à tons 
les diables. I} n'eut point achevé ces paroles, 
que tous les danseurs se plaignirent de borbo- 


D'UN NATURALISTE. 187 


rismes , qu'un bruit crépitant se fit entendre, 
et que la confusion se fit remarquer sur tous les 
visages étonnés; aussitôt de se fixer et de rire 
aux éclats, puis de se dépiter, comme contraints 
d'abandonner le poste où la gaieté les avoit 
placés. Vous voyez, me dit alors le vaudoux, 
combien tous nos danseurs sont’ interdits, et 
Combien de vents chacun rend sans pouvoir en 
empêcher ; eh bien! nous sommes les auteurs 
de cette espiéglerie qui consiste à répandre 
dans le nulieu du bal une poudre composée de 
sucre imbu de la’ sueur d’un cheval harassé. 
Voilà conuinua-t-1l, tout notre secret, mais 
n’en parlez à personne; car nous aurions sûre- 
ment lieu de nous repenur d’avoir troublé ce 
diverussement. | 


188 VOYAGES 


CHAPITRE QUINZIÈME. 


Caractère des nègres créoles à St.-Domingue. [nté- 
rieur de leur ajoupa. Costume des hommes et des 
Jemmes. Parure burlesque d'un de nos conduc- 
teurs d'atelier. Tnidolence des hommes ; préve- 
nances des femmes pour eux. Passion qu'ils ont 
pour la danse. Anecdote à ce sujet. Procédés 
cruels des sages-femmes. Coutumes funéraires 
envers les enfans qui périssent entre leurs mains. 
Ætiachement des mères pour leurs enfans qu’ils 
élèvent mal. Punition de ces mémes enfans. 
fndolence des jeunes nègres. Respect qu’on leur 
recommande envers les sens âgés. Amour propre 
des postillons. Adresse des nègres pour tous les 
ouvrages manuels, la chasse, la péche et les 
exercices du corps. [nimitié des nègres pour les 
blancs. [ls croient à la prédestination. Supers- 
tition des idolätres. Diverses anecdotes à l’appui 
de cette assertion. Coutumes bizarres. Remèdes 
ridicules des Caperlatas ou charlatans. Proverbes 
créoles, Naïveté. Dénominations créoles. Impar- 
tialité des nègres pour leurs semblables , desquels 
ils sont toujours envieux. Leur perversité. His- 
toire d'un fils dénaturé. Cruauté de deux enfans. 
Lépreux chassé et abandonné. Religion avilie. 
Réflexion comique d’un nègre prét à monter à 
da potence. F'unérailles des nègres d'habitations. 


IBinaree naturelle aux nègres, les porte à 
Saint-Domingue , hors l'heure de leurs travaux, 
à s’accroupir au soleil, où ils restent en cet 
état plusieurs heures sans donner signe d’exis- 


D'UN NATURALISTE. 1:89 
tence; et la pipe à la bouche, la main remplie de 
grains de maïs, ils comptent et recomptent ce 
qu'ils doivent, ou ce qui leur est dû. Je ne sais 
par quel contraste les femmes d’ailleurs très- 
propres, aflectent une conduite contraire à 
l'égard de leurs enfans : elles seules prennent 
trois fois le jour les bains si nécessaires dans 
les climats chauds pour la santé, et abandon- 
nent leurs négrillons qui se roulent nus dans 
la poussière, et se livrent à cet exercice jusqu’à 
un âge trés-avancé. Les mères poussent. plus 
loin et ce défaut de soin et leur mal-propreté. 
On en voit sur le midr, les unes occupées à 
chercher les poux de leurs enfans, pour les 
manger à mesure qu’elles en trouvent, tandis 
que leurs hommes à genoux auprès d’elles, s’oc- 
cupent des mêmes soins ; les autres sucer le nez 
de leurs enfans morveux. 

S'il existe parmi cette classe d'hommes, des 
soins excessifs pour leurs enfans, il est des 
exceptions qui couvrent d’opprobre les auteurs 
de ces cruautés. Je vis sur notre habitation, des 
mères laisser à demi-mort un de leurs enfans, 
coupable souvent de la moindre faute; une 
autre, Ô excès de barbarie! une marâtre bien 
digne de la peine du talion , qui impatientée de 
ce que son enfant lui demandoit sans cesse à 
manger pendantqu’elle faisoit cuire son calalou, 
se lever brusquement, et lui mettre dans la 


190 VOYAGES 


bouche un œuf bouillant qu’elle y retint en la 
lui fermant de sa main. 

. Veut-on connoître un ajoupa ? Qu’on se figure 
une chaumière meublée de canaris, de cale- 
basses sciées transversalement par le milieu 
(en guise de plats), de sicayes ou cuillers faites 
d’une tranche du calebassier marron, de coëts, 
ou petites calebasses traversées par une baguette 
pour puiser dans le canaris, et qui servent de 
pots à l’eau; quelques peaux de bœufs, ou 
nattes de paille au lieu de lits : c’est au milieu 
que sont rassemblés quelques tisons sans 
conduit pour la fumée, et autour de lâtre 
de cette case rembrunie, que se réunit 
toute la famille. Un groupe de nègres de 
tout âge et des deux sexes, fuyant le soir les 
maringoins qui invesüssent leur rêétraite, et 
qui se décèlent par leur bourdonnement , ou 
d’une manière plus sensible, par leurs piqûres, 
sont nus etaccroupis, les uns conversant, les plus 
vieux parlant langage guinéen; ceux-ci fre- 
donnant quelqu’air de calenda, tandis que les 
plus jeunes se vautrent sur le ventre, entretien- 
nent dans le feu des bouses de vaches sèches, et 
dont l’épaisse fumée chasse les maringoims de 
l'intérieur. 

La mère de famille veutelle distribuer les 
bananes ou patates boucanées pour le repas, 
on allume le bois pin ou bois chandelie, dont 


D'UN NATURALISTE,  19+ 


la vive clarté absorbe bientôt celle du foyer 
toujours peu ardent. Souvent le père, en contem- 
plant le cercle de ses enfans, se décide à piler le 
maïs , ou bien le petit mil pour /e mous$a ; à 
tresser le jonc ou à faire des panneaux, quelque- 
fois des chapeaux de pulle, ou bien encore des 
filets, pour vendre tous ces ouvrages au marché 
deda ville voisine. 

Passe-t-on près d’une case habitée par des 
jeunes gens nouvellement établis, bravant l’a- 
charnement de l’essaim des maringoins , la 
femme , au son maigre et monotone du banza, 
que pince le nègre son compère, s’exerce à la 
danse chica , en brossant de son pied endurei la 
terre qu’elle réduit bientôt en poussière par 
un frotiement prolongé. 

Les hommes toujours choyés par les femmes 
qui ‘se disputent leurs faveurs , qu’elles 
achètent quelquefois par des rixes sanglantes , 
ont pour le travail une mise simple et légère, 
Un mouchoir de Madras qu'ils ceignent cent 
fois le jour avec grace, ou un large chapeau de 
paille tressée, une chemise décoltée très-blanche 
et trés-fine, souvent en lambeaux, car le rac- 
commodage est parmi eux une sorte de déshon- 
neur; un grand pantalon de zinga, guinguan 
ou nankin, les pieds nus ; le cou des plus 
élégans, orné d’un gros collier de perles en or 


192 VOYAGES 


ou de verroterie ; voilà leur vêtement journalier. 
Celui des femmes n’en diffère qu’en ce qu’au 
lieu de pantalon , elles portent, aux travaux du 
jardih, un jupon à longue queue, souvent de 
mousseline la plus fine. Infatués de la supério- 
rité de leurs costumes, on voit près d’eux , dans 
le même sillon , leurs parens guinéens, le corps 
nu, avec un seul tanga qui dérobe leur sexe aux 
regards; la peau gercée, huileuse par fois ou 
terreuse, auxquels les nègres créoles insultent 
en disant : « Moi bèn soucié père à moi! li 
» nègre gros’ peau , et moi nègre peau fin ; li sale 
» trop moi dis vous; guetté li, bonda h à Pair ». 
Ce qui veut dire : « Je me soucie fort peu de 
» mon père; il a une peau grossière , tandis que 
» Ja mienne est plus fine; d’ailleurs 1l est trop 
» sale ; régardez, tout son derrière est à l'air ». 
Les jours de cérémonie, de calanda’ par 
exemple, qui est une danse nocturne funéraire, 
pour le plaisir de laquelle un nègre voyagera 
toute la nuit pour s’y rendre, les créoles sont 
plus parés, mais avec ce maintien affecté qui 
est du plus grand ridicule. Par exemple, nous 
avions pour conducteur des moulinières à coton, 
un nommé Joseph, peut maître (1) réputé 
dans toute l’Artibonite, et dont la caricature 


(1) On les appelle Candiots, 
m'avoit 


D'UN NATURALISTE. 193 
m'avoit tant plue, que je le peiznis en son cos- 
tume, prêt à monter à cheval. L'inceudie révf- 
luuionnairé qui a dévoré ma fortune et la ma- 
jeure partie de mes effets, ne me permet pas de 
joindre ici ce portrait curieux ; je vais ÿ suppléer 
par une description exacte, Joseph étoit sur 
le point d’exercer un cheval peautre , et vint me 
demander Ja permission de s’absenter, autant 
pour se faire voir que pour m’annoncer qu'il 
étoit désiré par toutes ses commères ; Car ces 
négres sont avantageux et fort prévenus en 
leur faveur. Je vis: mon homme , ayant ses 
Jarges mains revêtues d’une paire de gants 
blancs de femme, qu’il avoit trouvée je ne sais 
où, et qui n'ayant pu se prêter, par leur élastui- 
cité, à la grosseur de ses doigs, étoient déchirés 
de toute part, et n'en recouvroient absolument 
que les phalanges; un chapeau à la main, d’une 
forme trés-haute , la tête suifée et poudrée à 
blanc par derrière, et les cheveux du devant 
noirs et naturellement crépus ,de longues boucles 
d'oreilles ayant peine à suivre le contour de 
sa cravate qui l'engoncoit jusqu'aux yeux, 
et par dessus laquelle étoient trois rangs de 
colliers; une veste de nankin qui, ne lui appar- 
tenant pas , lui étoit de beaucoup trop courte, 
et laissoit voir deux avant-bras noirs, con- 
trastant avec la blancheur de ses gants; un 


* Tome IL, N 


194 VOYAGES 

pantalon de basin, destiné à être imbibé de 2 
sueur du valeureux coursier qu’il devoit éprou- 
ver ; enfin des bottes, je ne sais de quel siècle, 
car je ne crois pas jamais en avoir vu de pareille 
forme : voilà son costume ! 

Voulant nous procurer le plaisir de le voir 
monter à cheval, il alla chercher le sien qui 
fut d’abord effrayé d'être attaché à un poteau, 
et s’eflaroucha à la vue de tous les nègres 
dé la grande case. Voici l'instant critique : 
Joseph n’étoit point bon maquignon ; il ne put 
se mettre en selle qu'après une bonne demi- 
heure dessais infructueux. Il se croit déja maitre 
dé l'animal indompté, lorsqu’à un malheureux 
coup d’éperon , le cheval furieux , ruant et 
faisant en même tems le saut de mouton, le 
jette les quatre fers en l’air. Joseph est furieux , 
mais il ne veut point démordre de sa présomp- 
üon; on reprend le cheval, il s'apprête à être 
plus circonspect, et à ménager le jeu de ses 
éperons : nouveaux revers! Pour cette fois, le 
coursier l’abandonne et fuit à toutes jambes dans 
les bois, pour épargner à notre écuyer créole 
une nouvelle honte, | 

J'ai déja observé que les hommes exigeoient, 
de la part de leurs femmes, des soins exclusifs 
et personnels ; on jugera, par les traits que je 
vais citer, à quel point est poussée l’indoleuce 


D'UN NATURALISTE. 109 
de ces favoris de l'amour, et quel empire ils ont 
sur leurs maîtresses. On voit sur les grandes 
routes , les jours de marché, les nègres des 
habitations, portant à la ville le fruit de leur 
industrie, comme chapeaux, couïs et calebasses 
sculptées ; d’autres des volailles , ceux-ci des 
vivres de terre, ou des fruits ; les pêcheurs, du 
poisson salé ; enfin les chasseurs, du gibier de 
diverses espèces, comme canards sauvages, sar- 
celles, gingeons, pintades marronnes, raniers, 
tourterelles , etc., suivant la saison; et qui 
le diroit? leurs femmes, ou leurs mate- 
lotes (rivales) supportent à pied la cha- 
leur du climat, portant sur leur tête les plus 
lourds fardeaux , tandis que le jeune nègre, 
leur amant commun, se carre seul sur un 


. mulet qui souvent n’est ni sellé ni bridé Elles 


cherchent, par ces précautions, à le conserver 
toujours frais et dispos, et à lui éviter des fa- 
ügues dont leur sexe privilégié peut braver les 
inmconvéniens. 

La passion de la danse est tellementimpérieuse 
chez les nègres créolisés, qu'ils s’y livrent à 
l'excès, et ne quittent leur indécent calenda 
qu’épuisés de fatigue et d’amour par la lubricité 
de leurs mouvemens, et le développement impu- 
diquede ceute ivresse effrénée qui agace impérieu- 
sement leurs sensations. Chaque nation y dépeint 

N 2: 


196 VOYAGES 

son caractère, et glorieux d’en soutenir l'impor- 
tance, on voit chaque individu briguer les 
suffrages des spectateurs en faveur du caractère 
de sa nation. Un de ces enthousiastes déja en 
crise au seul bruit du bamboula (1) qu'il 
entendoit encore assez loim du rassemblement, * 
commenca son manége , toujours s’avançant 
vers le cercle de ses rivaux. Il l’atteignit enfin ; 
ivre de plaisir et de dé Jices, mais 1l étoit nègre 
Ibo, et comme étranger au rond d'Arada qui 
ne reconnut point sa coutume, il fut repoussé 
rudement. En vain par des signes de pitié voulut:l 
intéresser en sa faveur, et rentrer dans le cercle; 
il‘ne parvint à attendrir les danseurs qui gra- 
geoiené (2) qu'avec une des bouteilles de tafia 
qu'il portoit à la main; la bouteille étant vidée, 
les murmures recommencèrent : le dansomane 
donna successivement l’autre, et gourdin par 
gourdin jusqu'a deux gourdes , toujours en 
grageant; enfin sur le point de tomber de las- 
situde, mais ranimant tout à coup ses forces , il 
envoie chercher ses poules et tout son avoir, 
toujours en grageant, en sorte qu'après la danse, 
revenu de sa manie, 1l ne possédoit plus rien, et 
n’eut que des yeux pour pleurer sa faute. 


" 
EEE 


(Gi) Tambour qui sert à faire danser. 
2) Grager est une modification de la danse chica. 


D'UN NATURALISTE. 197 


Un autre trait dont J'ai été témoin, ca- 
ractérise bien celte passion dominante. Une 
négresse créole, Ursule , venoit de perdre Francois 
son compère (1); elle paroissoit inconsolable de 
cette perte prématurée, en venant à la case me 
demander un mouton pour le calenda. Zees 
banzas, les bamboulas étoient déja dehors, 
et n’attendoient plus que des acteurs pour 
la danse; personne du nombreux cortége ne 
s’étoit encore présenté, quand on vit Ursule 
sortir de la case, les veux baignés de larmes, 
le mouchoir à la main, et la poitrine sul- 
foquant de sanglots. « Francois li allé! disoit- 
» elle, pauvre Francois! pauvre n’homme 
) 


æ 


à moué qui mour! »! Puis en sanglo- 
tant elle marchoit la tête baissée, et recom- 
mencoit à plusieurs reprises ses doléances, 
lorsque soudain et graduellement développant, 
d’abord d’une manière insensible, puis tout à 
coup déterminée, la danse des funérailles, elle 
se mit touten se lamentant à danser cica pour 
Francois, et à chanter en pleurmichant. « Quittez 
» moi danser pour hi; quittez moi danser pour 
» li. » 


(1) On-donne ce nom au nègre qu'une négresse 
a adopté, et qu'elle affectiônne préférablement à 
tout auire, 


NS 


108 VOYAGES 

Rien de plus brutal dans leurs manières que 
les négresses sages-femmes, comme on peut en 
juger par ce qui suit. Elles ne font point de Higa- 
ture au cordon ombilical , au moins celles quel’on 
appelle Æradas et Congos, qui se contentent 
de le couper, et d'y appliquer sur-le-champ un 
gros uson de feu ardent pour le cautériser. 
C'est, comme on le voit, un triste, prélude pour 
le nouveau né. Observant les préparaufs de l’une 
d'elles , je n’avois encore rien apercu d’extraor- 
dinaire , et je croyois , lui ayant vu prendre un 
üuson ardent, qu’elle le desuinoit à allumer la 
pipe qu'elle avoit à la bouche, lorsque soute- 
nant la bonté de son opérauon, elle donna un 
second conseil à la mère, si l'enfant avoit des 
coliqnes. « iteméde là h facile, discitelle, 
».mordez en hant nombriv à li; li va crier tout 
» à stor, ça fai li tribouiller trippes venu” 
» à h(r)»!!! Er le soin des générations est 
confié à des êtres aussi sinpides ! Puisse un 
avenir plus heureux rétablir en ce pays infor- 
tuné , des lois sages qui n’y existent plus depuis 
l'anarchie ! 


Je vais citer un trait de limpériue punis- 
F 


er 


(1) Ce remède est facile : mordez-lui le nombril, 
 criera sur-ie-cham avec des efforts qui feron! 
dénouer ses intestins ti! 


D 


D'UN NATURALISTE. 199 


sable de ces sages-femmes. Je fus appelé par 
M. Rossisnol-Desdunes-Lachicotte , habitant 
de l’Arubonite à Saint-Domingue, et mon parent, 
pour porter des secours à Mike Laurette, sa 
ménagére, venant de faire une fausse-couche de 
deux garcons qui n’eurent que le tems d’être 
ondoyés. ‘La mère entre les mains: de deux 
mévgérés, étoit accablée par les souffrances qu’oc- 
casionna la sorue, à la fois, des deux enfans 
renfermés dans le même arrière-faix. Cet accou- 
chement contre nature désorganisa les parties 
génitales , et fit prendre à ces sages-femmes igno- 
rantes , le cou de la matrice sortie de posiuon, 
pour le second arrière-faix, en sorte que ces deux 
empiriques ürailloient dessus avec force, et 
s’étonnoient que, malgré leurs eflorts, cette 
partie sensible résistât à leurs fréquentes onglées. 
Le siége de la pudeur aussi maltraité, meurtri 
et tout contus s’enflammoit , menacoit de gan- 
grène, et étoit gonflé au point de ne pouvoir 
rentrer, lorsque j’arrivai trouvant la malade sur 
ses deux enfans morts, et n’étant point encore 
délivrée : état déplorable, triste effet d’une 
dangereuse ignorance | 

Il arriva une troisième sagefemme qui se 
disoit plus habile que les autres, parce qu’elle 
avoit vécu dix-sept ans avee un chirurgien du 
pays ; ce n’étoit pas faire son éloge, car étant réputé 


N 4 


200 VOYAGES 


sans talens , on cherche à oublier son nom, et 
l’on doit remercier la mort de lavoir enlevé à la 
colonne. Cette troisième empirique plus dan- 
gereuse encore que les denx précédentes, se 
mépreuant ensuite sur la nature de l'accident, 
me proposa d'introduire ma main dans l'inté- 
riear du vagin; ce que je rejetai desuite, voulant 
calmer, par des émolliens, cette partie déjà 
trop irritée, pour la faire rentrer dans son état 
naturel dès qu'il en seroit tems. Cependant 
celie dernière sage-femme revint à la charge, et 
me sollicita de permeure et d’'ordonner une 
inection qu'elle teuoit de ce chirurgien, son 
Hippocrate : e‘étoit du fort vinaigre dans lequel 
où débat un jaune d'œuf. Je reculai d'horreur , 
et la priai de discontinuer ses soins pernicieux, 
me réservant de -oigner moi- même la malade, 
qui se calma bien vite dès qu'elle eut pe un 
bain de manves, 

J'onbliois de rappeler les tourmens que firent 
endurer les deux premitres empiriques à la mal- 
heureuse victime de leur impériue. Voyant de Ja 
lenteur dans l’accoucliement , elles voulurent 
introduire dans la gorge de la malade, une spatule 
de bois qui sert en ce pays à remuer les ragoüts, 
sous le prétexte par ce moyen, et en lui assenant 
des coups de poing sur le dos, de lui faire 
faire des efforts qu’elles prétendotent salutaires : 


D'UN NATURALISTE. 201 


heureusement ces pfatiques_ barbares furent 
refusées ; mais pour y suppléer, elles firent 
avaler à la malade, pendant une courte absence 
que je fis, des plumes roussies réduites en pons- 
Sicre , des toiles d'araignées, et des inlsions de 
calebasse, en sigrande abondance que le gon- 
flement de la vessie par da suppression de 
l'urine la mettoit en risque de se déchirer. Mais 
je m'arrête pour pleurer snr le sort des femmes 
de la colonie , cent fois moins cruel si on laissoit 
agir la Nature, 

M'étant assuré , par la glace ei l’alcali volaul, 
de la mort certaine des innocens jumeaux, on 
les fit enterrer dans la chambre de la mère, 
au dessous d’un cofire, ainsi qu'il est d'usage 
pour les fausses-couches dans certains quartiers 
de la colonie. . 

Les négresses créoles aiment beaticoup leurs 
enfans, et les allaïtent des années entières si 
elles ne deviennent pas enceintes. Rien de plus 
gâté par la mère qu'un négnillon, tant qu'il n’a 
point atteint l’âge de raison ; tout ce qu'il y a de 
bon est pour lui, et le père et la mère sont de 
nouveaux esclaves de sa volonté et de ses caprices. 
Mais tout change bientôt; son bon 1ems est 
passé, et la transiuon subite d’une pleine et 
entière hberté dans ses actions, à la sévérité 
d’une nouvelle conduite qu’on exige subitement 


Fr 


202 « VOYAGES 


de lui, excitant en son arhe des mouvemens de 
rebellion, 11s sont sur-le-champ réprimés par de 
violentes corrections que’ mériteroient plutôt le 
père etla mère, assezinjustes pour ne pas préparer 
graduellement leurs enfans au service qu'ils exi- 
gentincontinent d'eux. Ilsdes gätent d’abord, tolé- 
rent,autorisentmèmeleurs peccadillesenfantines, 
tandis que, par une soudaine réflexion, un joug 
de fer est levé au dessus d’eux, et qu’on les 
assomme pour leur faire perdre les mauvaises 
habitudes qu’on leur a laissé contracter. 

Je pris plaisir à voir la correcuon d'un petit 
nègre qui se moquoit d'un estropié. $a mère 
Jui tenoit les deux mains dans une des siennes, 
et lui fit faire ainsi le tour des cases en lui 
rappelant à chaque instant la nullité de ses 
bras pour se défendre, et assaisonnant sa re- 
montrance*de quelques coups de courroie : cet 
enfant tout honteux demandoit la grace que 
celle-ci ne lui accorda qu'après plus de deux 
heures de ce châtiment. 

Un mot sur l'indolence des feunes nègres : 
Javois choisi, pour me suivre à la chasse et 
porter mon gibier, le négrillon le plus rusé et 
le plus leste de l’habitation; encore marchoit-1l 
si doucement que le gibier blessé auroit eu le tems 
de reprendre ses forces et réparer ses blessures 


A 


avant d’être pris. I] étoit si gourmand qu'il 


D'UN NATURALISTE. 203 
mangeoit sans cesse avec avidité des oranges, 
où des goyaves, des melons d'eau à moitié 
murs, sans en être Jamais rassasié ; Si PEU SOI- 
gneux que mes bottes, que l’on nettoie dans le 
pays avec des feuilles de palma-chrisu chauflées, 
des oranges aigres et du noir de fumée pour les 
rendre luisantes, 1] me les apportoit couvertes 
de pepins et de plaques de noir non broyé. 

Il est enjoint aux enfans, pag leur mère, de 
porter respect aux gens plus âgés qu'eux ; d’ap- 
peler par exemple les nègres en âge viril, 
oncle, et les négresses, maman ou tante. 

Il est de l'honneur des posullons nègres de 


conduire les cabriolets, seules voitures en usage 


D 
dans le pays, au grand galop, et de chercher 
souvent les chemins les plus difficiles, de tra- 
verser des buissons, pour éprouver la valeur de 
leur attelage, et relever leurs talens aux yeux de 
ceux qu'ils conduisent. Je voyageois à mon ar- 
rivée dans la colonie pour me rendre à un repas 
de corps, et j'avois choisi le posullon le plus 
adroit de l'habitation ; mais il surpassa l'envie 
que J’avois de me rendre promptement à ma desu- 
nauon, et fatigua en moins d’une heure son 
premier relai de trois mulets vigoureux. 

«+ Ces posullons se regardent très-humiliés de 
voir rebouqués (1) les animaux qu'il condui- 


(1) Terme du pays, qui veut dire harassés. 


204 VOYAGES 

sent; aussi le mien agissant de ses bras, de ses 
jambes, frappant les insensibles quadrupèdés, 
étoit-1l sur le point de se livrer à sa douleur 
sans l’heureuse rencontre du second relai. 
Pour ne point déroger à son caractère, oubliant 
sa courbature, il remet son nouvel attelage en 
baleine, et pour le réduire au même état de 
lassitude que le premier, ce qui selon lui 
indiquoit la supériorité de sa force sur les 
animaux, il traversa les bois au lieu de suivre 
les chemins , me faisant craindre pour mes 
yeux le cinglement des rameaux épineux du 
bayaonde et de lacacia; enfin calculant une 
direction en ligne droite, et voulant se frayer 
une route nouvelle à travers les bois , les 
cardasses et les raquettes, 1l s’égara au point 
de ne plus se reconnoître dans des savannes 
aussi immenses que celles qui sont appelées 
savannes l Hépital et Desdunes, prèsle bourg 
des Gonaïves. Cependant, aprésbeaucoupdetours 
et de détours, au cri des pintades domestiques , 
nous arrivames par un Côté opposé au chemin 
que nous eussions dû prendre, à une hatte appar- 
tenant à M. Desdunes-Lachicotte , et reconnimes 
avec étonnement les personnes et les lieux : 
mais cetendroit n’étoit point celui de mon rendez- 
vous ; je changeai de posullon, etun attelage frais 
m'y conduisit pour cette fois par les grands 
chemins. 


D'UN NATURALISTE, 205 


Très-adroits dans tous les exercices du corps, 
les nègres créoles sont moins lourds et moins 
rustres que leurs aïeux africains ; mais ils sont 
déchus de cette simplicité naturelle, propre aux 
derniers, etqui est remplacée dans les créoles par 
un esprit fin, menteur, vain et turbulent. Soi- 
gneux de profiter des ressources que leur offres 
la Nature, on voit les négres créoles dont les 
besoins se sont multüpliés, peigner laloës 
pitt (1) ,eten ürer une filasse d’un blanc éblouis- 
gant dont ils font toute espèce de cordages; plus 
loin, le père africain et son fils créole revenir 
courbés sous un faisceau de’ joncs, le déposer 
sous le bananier qui ombrage leur case, en 
ürer les brins les plus droits, les plus fins et 
les plus flexibles, les tresser , et en former de 
jolies nattes destinées au service de table, ou à 
reposer leur corps indolent; plus loin, «autres 
portant des calebasses de toute grandeur pour 
leur servir de vaisselle. Les plus adroits ont 
tous les ustensiles de leur ménage ciselés de 
diverses. figures; ils gravent souvent sur les 
couïs qui leur servent de gobelets, des dessins 
pleins de goût et de proportion , sans l'aide-de 
règle ni de compas, 


(1) Ou chanvre des Indiens; aloe disticha » aRpElé 
cabouille à Saint-Domingue. 


206 VOYAGES 


Hardis plongeurs, même entourés de repules 
voraces , tels que les caïmans, ils croient à la 
prédestinauon , et bravent le danger le plus 
imminent. L'eau semble être leur élément 
favori, et dès l’âge le plus tendre ils se jouent sur 
l'onde, et semblent défier les poissons par la 
élocité de leurs mouvemens. 

D'autres, passionnés pour Ja chasse et sûrs 
du point de mire , sont chargés, dans certains 
quartiers giboyeux, de faire la provision de la 
semaine avec sept coups de poudre bien comptés 
aussi ne la urent-ils point aux moineaux. 
Ils chassent en se traînant sur le ventre (1) dans 
l’eau peu profonde des lagons, portent le fusil 
sur leur tête, et tuent d’un seul coup plusieurs 
oiseaux toujours réunis el vivant en société , 

.tels que pluviers dorés, canards de diverses 
espèces , pintades marropnes et pigeons ra- 
miers. 

Notre chasseur me disoit un jour, après 
l'explosion de mon fusil , plus foible que celle du 
sien : («Maître , qui ca vous capab’ faire z’avec 
» pettards layo , qui pas pouvé arriver jou’quà 
» eanards layo » ? c’est à dire, «que voulez-vous 
» faire avec vos pétards de coups'de fusil , 1ls ne 
» pourront jamais atteindre ces canards » ? Ces 


(1) Ce qu'ils appellent aller à chatons. 


D'UN NATURALISTE. 207 
chasseurs trouvent leur coup manqué, s'ils ne 
saignent point de la bouche par la répercussion 
terrible de leur arme, où 1ls mettent jusqu'a dix 
doigts de charge. Îls ne qualifient de bon chas- 
seur que celui qui a assez de courage pour 
supporter un tel coup. 

Môins bruyant dans les fonctions de son minis- 
ère, le pêcheur d'un œil avide et attentif 
parcourt le rivage, décide du lieu où il doit 
tendre ses filets ussus de fibres de l’aloës pitt ou 
de l'ananas; cet amas de pontéderia (que les 
nègres appellent volet) donne retraite à un 
hodeau, à un têtard; cette vase recèle une 
anguille; dans le courant, sous les racihes 
nombreuses de ce mangle, doivent se trouver des 
écrevisses et des tortues; vite, le projet n’est pas 
plutôt concu qu'il est exécuté, et le pêcheur 
assuré du succés de ses conjectures , ne revient 
jamais à vide à la case" qu'il approvisionne 
journellement.  ” 

Il règne chez les noirs, contre les blancs, une 
jalousie envieuse qui les porte sans cesse à faire 
du tort à leurs maîtres, et inocule en eux cet 
esprit désorgamisateur qui est la base de leur 
caractère anu-social. Par exemple, une plante 
parasite, appelée vulgairement corde à violon (1), 


(1) Espèce de cuscute, 


208- VOYAGES 


parce qu’elle a véritablement cetie forme, 
s'étant fixée sur une haie de citronniers ou 
d’autres arbres fruiuers, cause la mort de tout 
arbre, aux dépens duquel elle prend son 
existence , par son enlacement tortueux , et 
par sa complexion circulaire autour des uges, 
dont elle intercepte le mou ement de’la séve ; 
cette plante préjudiciable n’étoit encore connue 
et répandue que dans Ja parue du nord, 
lorsque tout à coup ses ravages. se manifes- 
tèrent dans celle du sud : on reconnu l’auteur 
de ce maléfice , qui avoua sa faute, et la cause 
de son projet désastreux. 

Tous les nègres, tant les Guinéens qne les 
créoles , croient à la prédestiuauion. Nous avions 
pour pêcheur un excellent plongeur qui pour- 
suivoit les tortues au milieu des'caïmans qui en 
sont très-friands, el s’exposoit ainsi à la nage, 
les narguant, les combattant même quelquelois 
pour enlever leur proie, bien persuadé qu'il ne 
périroit point, si ce n’étoit point son heure. 

Pendant la guerre du sud, qui inspiroit aux 
nègres, mêmeaux plus pusillanimies, la bravoure 
et l'audace? la prédestination. Il leur étoit dit 
que tous ceux qui étoient tués au combat, se 
trouvoient à l'instant transportés en Guinée. 

Dans la guerre des révoltés, les nègres off- 
ciers prenoient le nom de leurs anciens maîtres 

blancs, 


CE LS 


D'UN NATURALISTE. 209 


blancs, pour avoir plus de droits de commander 
a leurs semblables. Les officiers tués et ramassés 
sur le champ de bataille, étoient enterrés avec 
leurs armes. : 

Une sécheresse générale désolant le quartier 
de l’Arubonite, surtout les cotonneries qu’on 
ne peut submerger à volonté par cause de 
l’éloignement de canaux ou rivières, il y ent 
en 1803 une diselte complète de vivres de toute 
espèce, ressource journalière pour le cultivateur. 
À cette disette étoit nécessairement attachée une 
hausse considérable aux marchés des viiles voi- 
sines, dans le prix des légnmes ou racines 
alimentaires. Les prêtres des idolttres de notre 
habitauon entourée d’eau, et tonjours féconde 
en ces denrées comestibles, imaginèrent de se 
servir de leur caractère, et de profiter de leur 
influence pour en imposer aux idolätres de lenr 
secte, etexiger d'eux une partie de leur récotte, 
bien décidés à en ürer parti en leur faveur : ils 
annoncèrent aux trop crédules superstitieux , 
que leur grand dieu, qui combatioit pour leur 
prospérité et leur liberté, étoit allé à la guerre, 
etque, par nn excès de sa valgnr intrépide, il y 
avoit eté blessé ; qu'il leur interdisoit donc 
jusqu’à nouvel ordre, l’nsage du calalon, de 
toute espèce de feuilles et fruits du girau- 
mon, etc., destinant toutes ces plantes vulné- 


Tone IN, | Q 


210 VOYAGES 


rares , résolutives et maturatives au pansement 
de ses larges et profondes blessures! Les pauvres 
croyans d'apporter à l’envi tous les fruits de leurs 
jardins , et de se regarder bienheureux de pou- 
voir faire quelque chose en faveur de leur divi- 
nité; et les prêtres trompeurs, de se réjouir et 
de vendre furtivement, ou de manger tous les 
topiques , et autres remèdes consacrés à leur 
dieu imagmaire. 

Une de ces victimes du fanatisme le plus ré- 
voltant (1) que je tirai de cette erreur gros- 
sière, me conduisit à leur rassemblement, et je 
vis adorer, devant un gros mapou creusé par 
le tems, une couleuvre qui y faisoit sa résidence, 
et à laquelle, dans l’intervalle des prières, on 
apportoit de quoi se nourrir, en viande, poisson, 
moussa, Calalou, et surtout du lait pour se dé- 
saltérer, provisions que les prêtres avoient soin 
de faire disparoître au premier moment d'absence 


(1) Superstitieux à l'excès, les nègres croient à 
l'influence malheureuse de certains jours, et s’imaginent 
pressentir souvent un fâcheux avenir, où ils augurent 
mal du don qu’on leur fait, sil est offert par la main 
gauche. On a vu de ces fanatiques se troubler en ce cas, 
tomber malades, et enfin terminer par la mort leur 
existence inquiète. C’est pourquoi les idolâtres portent 
des fétiches qu'ils appellent gardes-corps, et qui les 
préservent, disent-ils, de tout sortilége. 


D'UN NATURALISTE. oII 


des sectateurs, annonçant ces offrandes consom- 
mées en leur présence, etexigeant leur remplace- 
ment par d’autres. Un mouvement d'indignation 
m’ayant saisi, j eus la hardiesse de leur annoncer 
la nullité des pouvoirs de leur fétiche, en les 
persuadant qu'un dieu dépendant de la volonté 
et de la puissance de l’homme, n’étoit plus un 
dieu. Murmures! mais, comme à cette époque 
les nègres étoient plus politiquement soumis aux 
blancs par des ordres de Toussaint-Louverture , 
j'osai achever ma tentauve, et en leur criant : 
Voyez quel est votre dieu, et combien je suis plus 
puissant que lui! J’ajustai aussitôt la conleuvre 
reployée sur elle-même, et mon coup la cribla. 
Cnis affreux !!! désolation universelle ! I se fit 
un silence après lequel le chef me dit : « Maître, 
» vous va voir, fusil à vous pas capab’ iuié, 
» mioun’ pièce gibier z'encor’ »! Ce qui veut 
dire : «Maître, qu’avez-vous fait, le dieu va 
» vous punir de votre audace; votre fusil est 
» faussé , et à l'avenir vous ne pourrez plus tuer 
» avec, une seule pièce de gibier »! Je ris de 
cette superstition, et pour mieux leur prouver 
leur erreur , je tuai devant eux la première 
tourterelle qui me passa à portée. Je vis tons ces 
idolâtres intrigués, mais je ne sais quel eflet aura 
produit sur leur morale cet événement bien fait 
pour les convaincre de leur erreur. 


O 2 


219 VOYAGES 


On peut encore juger de la supersution des 
nègres par ce trail caractérisuque. J’avois chassé 
toute une matunée dans les mornes du Port-de- 
Paix, où j'herborisois en même tems pour ajou- 
ter à ma collecuon des oiseaux, des plantes , et 
iout ce qui concerne un choix de ce genre. 
Un noir me guidoit dans ma course incertame , 
etse chargeoit de tout ce qui devoit être rap- 
porté à la case. Nous étions au mois d’août, et 
les productions animales ne pouvant se con- 
server, je les dessinois pour préparer au plus 
vite la peau des oiseaux. Mon conducteur ne 
m’avoit point engore vu à l’ouvrage; je le fis 
venir pour lui faire reconnoître les oiseaux que 
javois tué le matin devant lui. Quelle fut sa 
surprise, de voir dans une attitude vivante, et 
sur des papiers, des oiseaux qui n’existoient 
plus! il recula de frayeur, en s’écriant tout 
enroué : « Ah! bon dieu!!! bon dieu!!! queu 
» bagage! blanc france ci lala Ii diab” même! 
» Ce comme li coucher en haut papier 
» toute” bagage layo! Ah! Don dieu!!! bon 
» dieu »! Rien de moins surprenant que de voir 
un homme de ce genre, étonné, à la vue d’un 
travail qu’il ne peut définir, mais de le voir en- 
suite refuser de prendre mon verre, et d’y boire 
du tafia pour lequel un nègre se feroit fouetter ; 
c'est ce qui surpassa mon attente. 


D'UN NATURALISTE. 213 


Le relêvement de la luette , de la brisquette (r) ;: 
et quelques chandelles de suif de France, sont 
les seuls consolateurs des mourans, parmi les 
noirs non policés. Un homme à l’agonie se dit 
soulagé de quelque maladie qu'il ait, si on l’en- 
lève par les cheveux pour la chute de la luette; et 
c’est pour cette raison qu'en se les faisant couper, 
les nègres en réservent une touffe au dessus de 
la fontanelle; si donc on frappe le malade à coups 
redoublés sur l'estomac pour la brisquette ; si 
on lui fait cadeau d’une chandelle pour sucer ou 
s’oindre le corps, on avaler dans les infusions 
dont ils font usage pour toutes les affecuions de 
poitrine , 1l se dit guéri. 

On ne peut rendre la vénérauon qu'ont les 
nègres pour le suif France , auquel ils attribuent 
des vertus toutes particulières, etqu’ils regardent 
comme leur panacée universelle. L'un de nos 
sujets, un vieux hatuer appelé Zouts, me vantoit 
un jour toutes les qualités du suif France. I me 


(1) Les nègres sont fort sujets à la cardialgie, 
mais ils prétendent que ce mal insupportable provient 
du dérangement du cartilage xiphoide qu'ils ap- 
pellent brisquette. Les nègres, ordinairement sobres, 
deviennent voraces lorsqu'ils tombent malades; d’après 
leur systême, de beaucoup manger pour ne pas 
tuié cor à yo de grand goût. De grand goût veut dire 
de faim. 

03 


214 VOYAGES ‘. 


faisoit sa cour par rapport à une caisse de chan- 
delles qu'il voyoit déballer, Comme elle étoit 
molle au point de ne pouvoir la faire tenir 
droite ,il en exaltoit la supériorité sur une bougie 
que je lui montrois, et que je lui offrois au lieu 
d’une chandelle. Il la repoussa, en me disant : 
« Moi, bien connor souif” France myore passé 
» cila z’Anglais layo, qui vini conyounin moun’ 
» de avec vié souif à yo qui pas sentir pièce, et 
» qui dour semblé bâton ». Ce qui veut dire : 
« Je counois bien que ce n’est pas du suif de 
» France ; 1l estbien meilleur que celui des 


LV 


> Anglais, qui viennent tromper le monde avec 
» leur vieux suif qui n’a aucune odeur, et qui 
» est dur comme un bâton ». 

Ce même hatuier, desséché par l’éusie , 
refusa de bons alimens que nous lui faisions 
administrer, demandant en place un morcéau 
de chandelle, où même de suif coulé. Il préten- 
doit, appuyant son dire par de vives exclama- 
uons, qu'en le faisant fondre dans de la soupe, 
ou du sirop de batterie, cette panacée soutenoit 
merveillcusement son estomac contre ses foi- 
blesses. Enfin on ne finiroit pas de raconter 
ioutes les extravagances que feroit un nègre pour 
un morceau de suif. 

On fait à Saint-Domingue un grand usage de 
jus de citron dans les alimens, comme acide 


D'UN NATURALISTE. 215 
anu-putride, antuiscorbutique et rafraîchissant. 
Un mulâtre m'en voyant mettre dans tous les 
mets à mon arrivée, me dit qu'avec ce régime 
j'aurois beaucoup de bile. II basoit son système 
absurde sur la couleur jaune du jus de citron. 

L'empire des noirs ayant expulsé de la colonie, 
pendant la révolution, une grande parue des 
blancs qui n’y étoient plus en sûreté, puisqu'on 
ne pouvoit réclamer l'application des lois qui 
leur étoient favorables, on fut obligé de confier à 
des nègres la santé des malades de chaque habi- 
tation. Je voyois sans cesse un chirurgien noir, 
à qui nous payions un abonnement pour tous 
nos sujets, venir faire ses visites. Îl n’y manquoit 
jamais toutes les fois que l’on tuoit un porc 
dont on fait grand usage dans ce pays, lors- 
qu'il est boulli avec des bananes mûres ou non 
mûres. Îl semble que de sa case 1l entendoit les 
dermers cris de la victime. On lui avoit donné 
le nom de chirurgien à rasoir, parce qu’aflublé 
de sa trousse dans une ceinture de maréchal 
ferrant , ayant, au lieu de bistouris, de mauvais 
rasoirs, il s’étoit présenté pour ouvrir le ventre 
à une femme lente à accoucher. « Qui ca, ca, 
» disoit-1l, üembé femme ci lala, quitté moi baye 
» faire, moi va ba-li soru z’enfant c1 làalà ». Il étoit 
pressé, et vouloit, par cette voie meurtrière, hâter 
l'accouchement de cette malheureuse négresse 


0 4 


216 * VOYAGES 
dont j'eus le bonheur de sauver la vie, ayant 
renvoyé l’empirique pour la délivrer moi-même. 

Il estquelques proverbes très-expressifs dans le 
langage créole ; en voici un quiest de ce nombre. 
Pour désigner un parleur, et In: reprocher ses 
verbiages, on lui dit : « Bouche à to1 pas gagné 
» dimanche». Dimanche en ce cas équivaut au 
MO repos. 

Un nègre fainéant veut-1l répondre en même 
tems à la voix secrète de son indolence, et à 
celle plus criarde encore de sa gourmandise, il 
se sert du proverbe suivant : « Moussa gout ; 
» piler mal ». Ou bien: « Que le moussa est bon ! 
» mais qu'il est fâcheux d’être obligé d'en piler le 
» mais ). 

Lorsqu'un nègre en veut à un autre, s’il est le 
plus hardi, il va trouver son ennemi; et pour 
liujunier et le défier, 1l fait claquer ses doigts 
pour signe de rixe, semblant dire : « Je me 
» moane cle 1o1 ». Une des grandes menaces qu'on 
peut citer encore, c'est celle ci; lorsque l'int- 
miuées! ponssée à son période, que les murmures 
conmencent, que les mouvemens impatiens 
augmentent, e: que la fureur échauffe, embrase 
ces cerveaux naturellement exaltés, l’agresseur 
crie à son adversaire comme pour le provoquer 
à lilmtie : « N'a pas taqué moué!... n’a pas taqué 
« moué... z'affaire à toué, si toué capon, prends 


D'UN NATURALISTE, a17 


» garde! moué va casser boudin toué ». Ce qui 
veut dire : « Ne m’échauffe point, ne m'ataque 
» point, et si tu es capon, tremble! prends garde 
» de m'irriter davantage, ou je te crève le 
» ventre ». 

Je voyageois de Saint-Marc au Port-au-Prince 
avec le gérant de l’habitation, qui y étoit de- 
mandé pour des questions relatives à notre levée 
de séquestre, et pendant les trente lieues de dis- 
tance on apercoit toujours, en côtoyant le rivage 
de la mer, la montagne de la Gonave qui se 
trouve et forme une île au milieu du canal du 
Port-au-Prince. «Jean-Louis, lui disois-je, 
» aimerois-tu vivre à Ja Gonave? tu y aurois 
» du gibier, du poisson en quantité, et tu serots 
» maître absolu dans cet endroit inhabité. 
» Paix bouche à vous, me répondl, moué pas 
» v’lé allé là : qui çà mon capal” faire? qui? 
» Gonave «1 là? Gonave ci lala bagage après 
» suiv’ moun dd’ hayo marchant sus l’eau tant 
» com” monde ». Îl croyoit que la montagne 
changeoit de place comme nous! 

Lorsqu'un nègre créole veut parler de la 
femelle du coq, 1l l'appelle maman poule : 
« Vla n'iouw’ maman poule qui grasse oui » ! 
Ou « Voilà une poule bien grasse » ! Le mâle de 
latruie, papa cochon : « Papa cochon ci Jalà 
> li bon pour yo saigné li ». Ou « Il est tems 


218 VOYAGES 


» de tuer ce cochon ». On dit aussi : Papa bœuf, 
maman bœuf, maman seringue , etc.. 

A l’époque de l'anarchie oùles blancsn’avoient 
aucune autorité, et où leur plus pure intenuon 
étoit souvent même mal interprétée , 1l s’éleva 
une dispute entre deux de nos nègres au sujet 
d’un cheval volé par l’un d’eux. Ils vinrent 
réclamer justice auprés de nous; mais, nous 
gardant bien d'émettre notre opinion, nous 
envoyämes chercher le capitaine de gendarmerie 
qui, nègre comme eux, prononca sur-le-champ 
en faveur de celui qui pouvoit le récompenser 
de son zèle. 

Le pauvre condamné fut aussitôt maltraité, 
hé et garrotté sur un cheval, pour être conduit 
en prison ; mais je ne pus m'empêcher de rire 
du dialogue suivant entre le gendarme et Aza , 
nègre jugé coupable ; le voict : 

Aza. Ah ca frère, n’a pas’marrer moué si fort 
donc ! 

Le GENDARME. Si frère (1). 

Az4. Mon pas voleur pourtant. 

Le GEnparme. Si frère. 

AzA. Mon pas capab’ marché sans sabre tienn” 
à moué. . 


(1Y On sait que les nègres s'appellent frères et sœurs 
Lorsqu'ils ont la méme marraine, qu'ils révèrent autant 
que leur mère, : 


* 
s D'UN NATURALISTE. 219 

Le Gexparme. Si frère. 

AzA. Mon pas capab” monté en haut cheval ci 
lala. 

LE cexparue. Si frère. 

AzA. ( Frappant du pied , pleurant et s’ar- 
rachant les cheveux.) Moué pas capab” m'y 
uembé. | | 

LE GENDARME. Si frère. | 

AzA. (Plus résolu.) Et jupe à commère à 
moué; baye moué:.li pour couvrir moué... haï!.. 
haïl.... haï! vous ’marrez trop fort. 


Du courage, Toquaille, lui crioit le gérant 
Jean-Louis Aza, qui portont le même nom. 
On monta Ie pauvre patent sur le cheval , et on 
lui lia les pieds par dessous le ventre de l'animal; 
mais 1} paroît qu'il étoit maître fripon, et exercé 
dans la janglerie, puisque , maluré les entraves, 
nous apprimes qu'il s’échappa. 

Une négresse âgée, infirme, ayant le corps 
couvert de pians (1), alloit la tête nue, vêtue seu- 
lement d’un tanga en lambeaux, chercher dans le 
jardin un peu d'herbe pour en faire un calalou, la 
seule nourriture que ses facultés lui permettoient 
de prendre, lorsqu'on vint lui annoncer l’arrivée 
de son fils , guide de Toussaint-Louverture , et 
resté au service depuis plusieurs années. Marie 


(1) Ulères vénériens. 


220 VOYAGES » 


Noël sentant ses forces se ranimer au nom du 
seul enfant qui lui restoit, hâtoit ses pas chan- 
celans, dans l'espoir de retrouver un soutien dont 
l'absence étoit l'unique cause de sa détresse ; 
quelle fut sa surprise quand ce fils dénaturé 
environné de tous les nègres de l'habitation qui 
étoient joyeux de le revoir , apercevant sa mère 
nue ou couverte de lambeaux, et dans l’état de 
misère le plus complet , feigmit de ne plus la 
reconnoître, et la repoussa avec horreur, en 
disant que cette vieille zombie vouloit le tromper, 
qu'il n’avoit jamais été son fils, qu'il rougiroit 
de lui appartenir ; qu’à son départ il avoit à la 
vérité laissé sa mère infirme, nrais qu’elle 
possédoit un mobilier auquel il n'étoit point 
disposé à renoncer! Qu'on se peigne l'état 
désesperé de cette pauvre mère, répudiée par 
son fils , avec menaces, coups et invectuives ; se 
roulant, mordant la terre où elle vouloit entrer ; 
elle appeloit la mort à son secours, lorsque nous 
Papercümes , et la fimes venir à la case. Dès ce 
jour elle fut mise sous notre protection spéciale, 
et nourrie des restes de la table. Elle étoit 
tellement décharnée qu’on eût pu pendre son 
squelette d’après nature. Le procédé du fils 
m'ayant donné la plus mauvaise opinion de ses 
principes, j'en écrivis à Toussaint-Louverture, qui 
rappela ce fils iugrat à son corps, et le fit punir. 


F 


D'UN NATURALISTE. or 


Je frémis au souvenir des imprécations qu’un 
mulätre guide de Toussaint, appelé Hazulime, 
prononca sur la fosse de sa mère, en la menacant 
de jeter au vent ses dépouilles mortelles, si sous 
peu il n’avoit point d'enfant. 

Victimes de l’anarchie, comme tous les 
blancs, nos contrariétés se renouveloient cha- 
que jour sur notre propre habitation, au point 
que nos culuvateurs, jaloux de nous voir tran- 
quilles, déhouaclèrent (1) le parc où l’on 
mettoit jeûner nos veaux , afin de leur fournir les 
moyens de rejoindre leurs mères , et deteter le lait 
sur lequel nous comptions pour notre existence. 
Une autre fois, afin d’exciter la vengeance des 
têtes déjà trop exalices, quelques mal-inten- 
üonnés coupérent les licous des mulets liés à un 
poteau , et destinés à charrier le coton. Ce projet 
tendoit à les laisser égarer dans les jardins des 
culüvateurs , afin qu’ils en mangeassent les pro- 
ductions. Enfin, sur notre propriété, nous 
éuons moins maîtres que le dernier des esclaves 
dont nous ne pouvions retirer ni services, ni 
vivres. 

Un nègre maquignon, ne pouvant dompter 
un cheval peautre , avoit attaché à sa queue son 
chien fidèle qui volugeoit impitoyablement au 


nes 
L] 


(:) Terme du pays, qui veut dire démembrer. 


2929 VOYAGES 


gré de la course irrégulière du quadrupède, 
lui lançant des ruades dont le chien fut tout 
écloppé. La course finie, ce nègre cruel détacha 
son chien, dont la première démarche fut de se 
traîner aux pieds de son maître pour y chercher 
encore sa main Caressante, oubliant son injustice 
et sa cruauté qui venoient de le livrer à un si 
affreux supplice! 

Enfin on voyoit parmi les nègres créoles, 
dont l’immoralité est poussée au dernier point, 
et dont les principes sont incomparablement 
plus corrompus que ceux des Africains ; on 
voyoit, dis-je, des pères prosutuer leurs filles 
pour une somme très-modique, et leurs mères 
trafiquer de leur virginité. 

Un mulâtre de la même habitation, qui se 
vantoit d’avoir versé le sang des blancs avec 
autant de plaisir et de sang-froid que celui des 
animaux ,.prit, afin de se retracer ses forfaits, 
une brebis qu’il ouvrit, ou plutôt qu'il déchira 
vivante, pour en arracher en riant les viscères 
palpitans!!! 

Je revenois un soir d’un beau verger de l’ha- 
bitauon , où sur le bord dé la rivière limpide de 
l’'Ester je m’étois assis à l’ombre d’épais bam- 
bous, pour y éplucher, peler et savourer 
l'orange , la goy ave , la sapotille et Le corrosol 
qui enrichissent cette plantation , lorsque je 


D'UN NATURALISTE. 223 
surpris deux négrillons se livrant en cachette à 
leur odieuse méchanceté. L'un d’eux, après avoir 
cassé la patte d’un chien qu'il avoit pris à 
l’éperlin , l’avoit amarré afin de mieux le battre 
à son aise, en l’écrasant entre deux planches. 
L'autre , non moins cruel , retiroit par la jambe 
un chevreau du tetin de sa mére, afin de Île 
faire languir et crier. Quelle dépravation de 
mœurs! quelle perspective pour leur vie future ! 
Je les fis marcher devant moi tous les deux, et je 
les conduisis à leur mère qui , après les repré- 
sentations convenables, leur infligea la plus dure 
puniuon , en les privant du moussa et du tum- 
tum (mélange de bananes mûres et de patates 
bouillies et pilées au mortier) qu’elle distribua 
devant les fautifs à ses autres enfans. 

La nourrice de ma belle-mére, étant sur 
le point de mourir, demanda dans son agomie 
lente et douloureuse une goutte de tafia pour 
rincer sa bouche; ses enfans lui refusérent en 
Paccablantd’injures :elle mourntuneheureaprés. 
Aussitôt, pour sausfaire aux coutumes du pays, 
ces mêmes enfans s’arrachoient les cheveux , pleu- 
roient avec sanglots, tellement qu’au bout de 
six heures de cette douleur feinte, ils étoient 
enroués. Voici la coutume satisfaite. Maintenar 
1l fallut préparer la dernière demeure à ce corps 
déjà putréfié ; aucun des parens ne voulut 


224 VOYAGES 


pourvoir aux préparatifs, et sans linceul , sans 
cercueil, ellealloitcorrompre l’air de sa demeure, 
lorsque nous l'envoyàmes ensevelir , et porter 
en terre par les nègres de la grande case, dans un 
cercueil qui lui fut préparé. On rassembla, 
comme il est d'usage, quelques enfans pour 
précéder le corps, et dout l’un d’eux portoit une 
croix de bois faite sur-le-champ avec une branche 
d'arbre quelconque. Les parens immoraux et 
dénaturés, qui d'abord s’étoient reurés , repa- 
rurent tous pour le fesuin du calenda et la danse 
funéraire. Nous fûmes forcés de tolérer ce ras- 
semblement, dont le composé nous révolta ; les 
blancs à cette époque (1802) n’ayant plus de 
pouvoir sur leurs nègres, nous nous condam- 
nâmes au silence. 

Les Guinéens s’entre-aident dans l’infortune, 
mais les nègres créoles sont plus égoïstes, et 
la plupart sans charité. Un de nos sujets, 
nommé Léon, lépreux depuis long-tems (ne 
pouvant être retenu à linfirmerie, puisque 
l'empire des noirs les avoit abolies sur les 
habitations) vivoit avant notre arrivée, à la 
merci de tous les cultivatenrs de l'habitation, 
Jorsque tous ses bienfaiteurs, d'un commun 
accord, le chassérent ignominieusement tontes 
les fois qu’il venoit réclamer de quoi alerter 
son corps impotent. Îl maigrissoit à vue d’uil, 

faute 


D'UN NATURALISTE, 32 


faute de secours, eteût infailliblement succombé 
à sa misère sans notre arrivée. 

La reconnoissance d’un Dieu, voilà la base 
des vertus sociales ; un athée, sil peut en 
exister , est-1l un être moral?! ! Sans n’étendre 
sur un sujet si délicat à traiter, je rapporterai 
seulement que l’impiété qui existe parmni les 
nègres depuis la révolution, a été la cause 
de désordres , de malheurs rénérés ;et de forfaits 
inouis. Toussaint-Louverture, croyant devoir 
rappeler les nègres à leur devoir, avoit ordonné 
sur chaque habitation une priére du soir. C’est 
à celle époque que nos nègrés divisés par les 
Opinions élevérent un schisme entr'eux. Ils 
rioient les uns des autres dans les cérémonies 
pieuses, jusque-là que de mauvaises, mères 
disoient à leurs enfans de ne pas prier Dieu, 
puisqu'il ne les empêchoit pas de mourir ! 

Chaque habitauon dans les colonies renferme 
an local destiné à recevoir les nègres défunts. Le 
cimetière de l'Étable étoit loin du tumulte de 
notre peuplade. Dans une enceinte protégée par 
des cardasses , raquettes , pingoins, divers aloës 
et autres plantes épineuses qui en interdisent 
l'entrée aux animaux ; dans ce heu paisible, 
témoin seulement des plaintufs accens de For- 
tolan, poursuivant toujours sa compagne, ou 
du roucoulement mélancolique du iourtereau 


Tone LL, P 


226 VOYAGES 

rappelant près de lui sa tendre moitié, reposoient 
les dépouilles de tous ces malheureux. Rarement 
un bon fils y alloit pleurer sur l’auteur de ses 
jours : plus souvent on y vit avec horreur un 
être barbare, guide de Toussaint-Louverture, 
insulter aux manes de sa mére, morte pendant 
son absence; blasphémer contr’elle, de ce qu’il 
n’avoit trouvé aucun argent pour lui à son 
retour ; l'appeler par mépris négresse gros’ 
peau , parce qu’elle étoit originaire de Guinée , 
et par conséquent moins délicate que lui, qui 
se donnoit, ainsi qu’à tous les nègres créoles, le 
nom de nègres peau fin. De Îà une division , et 
des rixes sur l'habitation. Ce fils pervers poussa 
l'infamie jusqu'a vouloir déterrer sa mère avec 
son sabre pour abandonner ses dépouilles à la 
voracité des caimans qui avoient près de là leur 
repaire , et qui se nourrissent volontuers de 
chair corrompue. , 

Je côtoyois un jour ce cimeuère avec mon do- 
mestique , lorsque j'apercus un petit scops, espèce 
de chat-huant, placé près d’une fosse, sur le bord 
d’un trou creusé par lui-même, et où il avoit 
établi sa demeure. Familier au point de le prendre 
à la main, je me mettois à même de l'ajouter 
à ma collection. Déjà je couchois mon fusil en 
joue, lorsque Nicolas mon nègre s’écria : « Haï! 
» maitr” à moi, qui ca vous va faire ? oiseau 


D'UN NATURALISTE. 227 
» ci làlà n’a pas gagné malice pièce, li gardé 
» toutes camarade’ à nous ; gueltéz comm ca h 
» faire à vous coucout » ! Ce qui veut dire : 
« Ah! mon maître, qu’allez-vous faire? cet 
» oiseau n’est pas méchant, il veille auprès de 
» tous nos frères; voyez comme il vous fait la 
» révérence»! En effet, dès que l’on passe auprès 
de ces oiseaux qu’on trouve toujours au guet aux 
deux flancs de leur trou, ils poussent un peut 
cri en faisant à chaque fois une révérence, et se 
tournant à mesure que l’objet animé s’éloigne 
d’eux ; mais cette révérence qu'on attribue au 
bon accueil de ces oiseaux , est un mouvêment dû 
à l'inquiétude qu’ils ont de voir quelqu’étranger 
autour d’eux. La passion des calendas est si im- 
périeuse parmi les nègres que les parens de l’ago- 
nisant, dans l’impauence de se livrer à la danse 
dès qu'il expire, lui disent tous ordinairement : 
« Papa! qui ça ca? pourquoi vous pas parür 
» pour l’aut moun'de, quoi ca vous tendez ? 
» Boun’ Dieu, bezouin vous; faut pas boucher 
» chemin à z’autres, partez pour mettre tambour 
» déhors ». Ce qui veut dire : « Papa! comment 
» cela? pourquoi ne vous décidez-vous pas 
» à mourir, qu’attendez-vous donc? le bon 
» Dieu a besoin de vous ; en restant sur terre, 
» vous empêchez à un enfant de naître; mourez 


P 2 


228 VOYAGES 


» donc bien vite, afin que nous puissions mettre 
» le tambour dehors ». 

Selonles nègres, dit M. Moreau-de-Saint-Méry, 
Dieu fit l’homme , et le fit blanc : le diable qui 
lépioit, fit un êire tout pareil; mais le diable 
le trouva noir lorsqu'il fut achevé, par un chà- 
ment de Dieu qui ne vouloit pas que son 
ouvrage fût confondu avec celui de lPesprit 
malin. Celui-ci fut tellement irrité de cette diffé- 
rence, qu'il donna un soufflet à la copie, et la 
fit tomber sur la face, ce qui lui QE le nez et 
lui fit gonfler les Ten D'autres nègres moins 
ol disent que le premier homme sorut 
noir des mains du Créateur, et que le blanc n’est 
qu'un nègre dont la couleur est dégénérée. 

Selon MT Moreau de St.-Méry, on reconnoît 
parmi les nègres d'Afrique qu’on débarque à 
Saint-Donungue , 


Des Angouas: Des Créoles ; 
Aoussas ; De la côte des Dents; 
Aradas; De la côte des Esclaves ; 
Bambaras: Des Graines ou de 
Bissagots ; Malaguette ; 
Blancs ou Albinoss De la côte d'Or; 
von 
Bouriquis ; De Madagascar ; 
Cangas ; Du Benin; 
Caplaous ; Cap Vert; 
Congos ; Galbar ; 


Cotocolis ; Monomotapà ; 


D'UN NATURALISTE, 


Des Fantins; 


Foëdas ; 
Fonds ; 


229 


Des Mokos ; 


Foules, Poules ou 


Poulardes 
Ibos ; 
Mais ; 
Mandingues 
Mayombès ; 
Mines ; 
Misérables ; 


5 


oO 
2 


Mondonoues ; 
Mousambès ; 
Mozambiques ; 
Nagos; 
Ouaires ; 
Popos ; 
Quiambas ; 
Sénégalais ; 
Socos ; 


Yoloffes. 


Je crois pouvoir intéresser le lecteur en lui 
faisant aussi connoître , d’après le même auteur, 


le résultat de toutes les nuances produites par 
les diverses combinaisons du mélange des blancs 
avec les nègres , et des nègres avec les caraïbes, 
ou sauvages ou indiens occidentaux , et avec les 


indiens orientau 


Xe 


Le 


Combinaisons du Blanc. 
D'un blanc et d’une négresse vient un mulâtre. 


mulâtresse , 
quarteronnée , 
métisse, 
mamelouque , 
quarteronnée, 
sang mêlé, 


maraboue, 
griffonne , 
sacatra , 


quarleron. 
métis. 
mamelouck. 
quarteronné. 
sang mélé. 

sang mêlé qui ap- 
proche du blanc, 
quarteron, 

idem. 

idem. 


OR 


230 VOYAGES 
BE, 
Combinaisons du nègre. 
D'un nègre et d’une blanche vient un mulitre. 
sang mêlé, idem. 
quarteronnée,  zdem. 


' mamelouque, idem. 
mélisse , idem. 
quarteronnée, : marabou. 
mulâtresse , griffe. 
maraboue, idem. 
griffonne , sacatra. 
sacalra , idem. 

ÉLE 
Combinaisons du mulätre. 

D'un mulôtre et d’une blanche vient un quarteron. 
sang mêlé, idem. 
quarteronnée , idem. 
mamelouque , idem. 

D'un mulatre et d’une métisse, idem. 
quarteronnée , idem. 
maraboue, mulitre. 
griffonne, marabou. 
sacalra , idem. 
négresse, griffe. 

IV. 


. + Combinaisons du quarteron. 


D'un quarteron et d’une blanche vient un métis. 


sang mélé, idem. 
quarteronnée , idem. 
mamelouque , idem. 
métisse , idem. 
mulätresse , qu'rleron. 


maraboue, zdem. 


D'UN NATURALISTE. 291 


D'un quarteron et d'une griffonne vient un mulâtre, 


sacatra , idem. 
négresse , marabou. 
L £ 


Combinaisons du métis. 
D'un métis et d'une blanche vient un mamelouck. 


sang mêlé, idem. 
quarteronnée , idem. 
mamelouque, idem. 
quarteronnée , métis. 
mulatresse , quarleron, 
maraboue , idem. 
griffonne, idem. 
sacatra, . mulâtre, 
négresse, idem. 
VI. 


Combinaisons du mamelouck. 

D'un mamelouck ei d’une blanche vient un quarteronné, 
sang mêlé, idem. 
quarteronnée, dem. 

D'un mamelouck et d’une métisse vient un mamelouck. 
quarteronuée, métis. 


mulätresse , quarteron. 

maraboue , idem. 

griffonne, idern. 

sacatra mulatre. 

négresse , idem. 
VII. 


Combinaisons du quarteronne. 
D'un quarteronné et d'une blanche vient uu sang mêlé. 
sang mélé , dem. 
RÉ cbieies quarteronné. 


P 4 


VOYAGES 


D'un quarteronné et d'une métisse vient un mamelouck. 


quarteronnée, métis. 


mulâtresse , 
maruboue, 
griffonne, 
sacatra , 
névresse , 


VIIT. 


D'un sang mélé et d'une blanche vient 


quarleronnée, 
mamelouque , 
métisse , 

quarteronnée, 


mulatresse , 
maraboue, 
griffonne , 
sacatra , 
négresse , 


IX, 


Combinaisons du sacatra. 


D'un sacatra et d’une blanche vient 


sang mêlé, 
quarteronnée , 
mamelouque , 
métisse , 
quarteronnée, 
mulatresse , 
maraboue , 
griffonne, 
négresse , 


quarteron. 
idem. 
idem. 
mulâtre. 
idem. 


Combinaisons du sang mélé. 


un sang mêlé. 
idem. 
quarleronné. 
mamelouck. 
métis. 
quarteron. 
idem. 

idem. 

idem. 
mulatre. 


un quarleron. 
idem. 
mulitre. 
idem. 
idem. 
idem. 
marabou. 
griffe. 
idem. 
sacatra. 


D'UN NATURALISTE. 2 
».e 


Combinaisons du griffe. 


(es 
[Se 


D'un criffe et d'une blanche vient un quarteron. 


sang mêlé, idem. 
quarteronnée , idem. 
mamelouque , idem. 
métisse , idem. 
quarteronnée, mulitre. 
mulalresse, marabou. 
maraboue, idem. 
sacatra , griffe. ” 
négresse , sacatra. 
Len à . 


Combinaisons du marabou. 


D'un marabou et d’une blanche vient un quarteron, 


sang mêlé, idem. 
quarteronnée , idem. 
mamelouque , zdem. 
mélisse, idem. 
quarteronnée, idem. 
mulâtresse , mulâtre. 
griffonne, marabou. 
sacatra , griffe. 
négresse , idem. 
XII. 


Combinaison des sauvages et caraïbes de l'Amérique, 
ou indiens occidentaux. 

Comme leur nuance est celle du mulâtre, leurs com- 
binaisons ont exactement les mêmes résultats, excepté 
que les cheveux sont moins crépus dans les combinai- 
sons qui approchent du nègre, à partir du mulâtre, 


234 VOYAGES, etc. 


et qu'ils sont plus longs et plus droits dans les com- 
binaisons qui partent du mulâtre pour aller vers le 
blanc. 


XIIL 
Combinaisons des indiens orientaux. 

Leur nuance étant celle du griffe, les combinai- 
sons qui résultent de leur mélange peuvent être com- 
parées à celles du sacatra. Mais les cheveux de ces 
Indiens étant longs et plats, tant que ce caractère 
des cheveux est remarquable dans les combinaisons, 
on les appelle indistinctement zingres; et quand 
les cheveux deviennent laineux , ils sont confondus 


avec les autres combinaisons du griffe, auxquelles 
ils ressemblent le plus. 


Rs Ve 


Je vivois tranquille à Saint-Domingue, et 
je ny livrois à mes goûts constans sur l'Histoire 
naturelle, lorsqu'un autre orage politique vint 
gronder, et embraser de nouveau les quatre 
parues de la colonie, Les événemens que cette 
insurrecuon funeste fit développer, +22t trop 
majeurs pour en soustraire la relation que J'ai 
d’ailleurs promise. La premiére parue du mé- 
moire suivant est destinée à servir d’introductuon 
aux deux autres, dans lesquelles le politique 
impartial apprendra à juger une couleur en 
faveur de laquelle une foible piué fit long-tems 
balancer l’incerutude d’un jugement qui ne doit 
plus tre équivoque. 


DÉTAILS DE MA CAPTIVITÉ 


PAR QUARANTE MILLE NÈGRES, 


Contenant des Anecdotes secrètes sur les règnes 


DE 


TOUSSAINT-LOUVERTURE ET DESSALINES, 


Chefs des Nègres révoltés à Saint-Domingue ; 


Pour servir à l’histoire de la révolution de ce pays. 


RDS ee D SR SL RE RL LU D DS 


AVANT-PROPOS. 


Au! ne me reportez plus sur une scène 
sanglante, ai-je dit bien des fois aux 
amis qui m'ont sollicité de publier les 
détails de ma captivité!!! Ne me re- 
tracez plus des horreurs monstrueuses 
dont le souvenir est affligeant autant 
qu'il est pénible? Le public, à qui ce 
précis es comme annoncé par les 
journaux des 22 et 23 fructidor an x, 
vous en saura gré, m'ont-ils répondu. 
C’est donc dans l'intention de lui être 
agréable que j'ai broyé des couleurs 
sombres pour nuer mon tableau de son 
véritable coloris. 


J'ai circonstancié dans la première 
partie, les principaux événements de la vie 
de Toussaint-Louverture et de Dessalines 
pendant les six années de mon séjour 
à Saint Domingue, puisque, plus que per- 
sonne, J’étois à même d'observer ces 
deux principaux chefs, par le caractère 
indépendant attaché à mes fonctions de 
voyageur naturaliste. 

Dans la seconde partie, j’airetracé des 


scènes atroces dont j'ai été le témoin 
forcé. 


238 AVANT-PROPOS. 

Enfin dans la troisième, qui est très- 
précise, je nrécarte de ce théâtre san- 
glant, pour exposer quelques particula- 
rités qu’on ne me saura peut- être pas 
mauvais gré d’avoir développées. 


Ces faits marqués au coin d’une vérité 
pure, donneront à connoître le génie 
actuel des noirs, et la ténacité de leur 
principes pour une indépendance entière 
et absolue. 


Et toi, 0 monpère , quel cœur est plus 
digne que le tien de lire avec attendris- 
sement au livre de ma vie ! Le sentiment 
de la Nature que tu possèdes dans toute 
sa pureté, m'est un sûr garant qu’en pen- 
sant aux dangers que j’ai courus, ton ame 
sensible s Te vers ce Dieu tout-puis- 
sant qui, en me conservant l’existence au 
milieu d’assassins inexorables, a su faire 
triompher du crime , et l’amour paternel 
et la piété filiale. Que de graces à rendre 
au Protecteur invisible de mes jours mal- 
heureux > puisque, sans sa Main tutélaire, 
tu n’aurois plus de fils, et que j’ai encore 
un pére! 


EMPIRE ARBITRAIRE 


DES NOIRS, 
Avant l'arrivée du Capitaine - Général 


LECLERC. 


PREMIÈRE PARTIE. 


Pres n'avoir point à peindre un chimat 
fortuné dont les innocens et paisibles habitans 
concourent mutuellement à leur bonheur com- 
mun ?..! Pourquoi n'avoir point à décrire des 
sites embeliis par les dors prodigues et sans cesse 
renaissans de linfauigable Nature?..! Pourquoi 
ne rencontrer que des monceaux de cendres, 
eu des ossemens dispersés ?..! Pourquoi ne 
signaler que des fronts ridés ou noircis de 
fumée , des yeux ou ruisselans de larmes, ou 
cuncelans de rage et de désespoir ?..! Pourquoi 
enfin heurter en tous lieux le crime, et le voir 
régner impitoyablement au milieu de ses 
cohortes sanguinaires et'tumultueuses ?..! Pour- 
quoi?..! L'ile de Saint-Domingue sourdement 
consumée par un volcan assoupi, prêt à vomir de 
nouveau la désolation et la mort, étoit à mon 
arrivée en l’an vu (1798) l'espoir de tous ses 


LL] 


240 VOYAGES 
babitans qui , comme les abeilles , arrivoient de 
toules parts pour concourir au rétablissement 
d’une colonie naguëres si florissante. 

Toussaint-Louverture y régnoit alors en 
souverain dominateur. À deux mille lieues de la 
métropole, comme 1l le dit cent fois , 1l lui étoit 
sans doute fort facile de donner des lois, de les 
révoquer; de condamner, d’absourdre; d’être 
soumis on révolté, d'approuver ou de réprou- 
ver, de punir ou de pardonner. Aussi c’est 
rassasié de ces pensées flatteuses, jaloux de sa 
suprématie , comptant sur une souveraineté à 
jamais récusable , qu’il me recut fort mal pour 
être porteur de lettres de recommandation des 
principales autorités d'Europe. Elles servirent, 
comme pour mon malheur, je l’éprouvai trop 
Jong-tems ! à développer en lui de jaloux soup- 
cons, à concentrer plus tard un ressentiment 
injuste , enfin à déclarer un coup de foudre que 
le Ciel seul a pu détourner en m’enlevant à ses 
coupables projets. 

« Qu’ai-je besoin, me ditil alors, de ces 
» lettres en votre faveur ; la France peut-elle 
» voir d'où elle est, ce que je fais 1c1 ? Ne suis-je 
» point maître de mon autorité ?...... libre 
» dispensateur de ma protection ?..! Allez... 
» allez... à l’Arubomite, je parlerai pour 
» vous à M, Roume ». 


D'UN NATURALISTE.  a4i 


Interdit par cette première réception , je crus 
devoir sur-le-champ en donner avis à l’agent 
du gouvernement, M. Roume , qui venoit de 
remplacer le général Hédouville , avec lequel je 
m'étois croisé à la hauteur de Madère. 

M. Roume me recut convenablement aux 
dispositions de mes dépêches, et m’imvita à 
diner à son gouvernement. C’est à ce repas 
qu'après s'être long-tems entretenu avec moi des 
arts et de l’histoire naturelle , il m’engagea à 
remplir une tâche qu'une société n’avoit pu 
poursuivre , à travailler à la description anato- 
mique du caïman de Saint-Domingue, qu’on 
demandoit de France. Honoré de la confiance 
qu'il me témoigna , je lui promis de remplir 
avec vérité et scrupuleuse exacutude les fonc- 
üuons dont 1l vouloit bien me revêtir. J’ai eu la 
satisfaction de lui tenir parole. 

Cette entrevue choqua le jaloux et envieux 
Toussaint-Louverture , qui, me rencontrant le 
lendemain au sorur de l’agence, me reprocha 
vivement de n’être point parti pour l’Arubonite, 
comme j avois paru en avoir le projet; et sus- 
pendant sa visite, il me ramena à son gouver- 
nement où cette fois il me combla de preuves 
feintes d’affecuon, me retint à dîner, et me 
forçca d'accepter de sa main une nouvelle com- 
mission, en me disant que la signature du papa 


Tour IL, 


2/Â2 VOYAGES 

Toussaint étoit connue par-tout, et que je 
voyagerois avec plus de sûretéet plusd’agrément. 
Jusque-là ce chefambitieux ne faisoitquerivaliser 
le pouvoir de lagent Roume ; mais voulant 
prévaloir sur ce dermer, et faire plus gran- 
dement les choses, il m’autorisa à disposer de 
quatre guides dragons toutes les fois que j'en 
aurois besoin pour mes voyages. L'ordre à ce 
sujet fut envoyé à tous les commandans mili- 
taires : moyen ingénieux de s’assurer de ma 
religion. , 

Je n’étois point encore arrivé à l’Arubonite, 
qu'un courrier de Toussaint-Louverture n’y 
avoit devancé, pour indisposer sourdement 
contre moi le commandant de l’arrondissement, 
un nommé Titus d’'Hanache , nègre im- 
trigant et scélérat, qui date dans les annales 
de mon séjour à Saint-Donungue. 

. Fidèle observateur des ordres de son tyran, 
Titus s’en rendit avec délices le scrupuleux 
exécuteur, C’est pourquoi il établit sur nous un 
pouvoir despotique dont les effets oppresseurs 
tendoient à nous décourager. Envieax du 
fermage de nos habitauons, il nous prêta des 
propos contre Toussaint-Louverture , d’après 
l'examen desquels il espéroit au moins produire 
notre déportation. 

Titus nous fit voler sans resuituuon les ani- 


D'UN NATURALISTE, 243 


maux de nos haras , échappés aux précédentes 
dévastations par leur invalidité passagere ; il 
nous fit vexer par nos propres sujets, tourmenter 
par des esclaves qui refusoient hautement de 
nous obéir , jusque-là que possesseurs encore 
de sept cent cinquante-trois nègres , nous étions 
obligés de nous servir nous-mêmes, tandis qu’im- 
purément, et contre notre gré, ce chef audacieux 
en disposoit habituellement. 


Toussaint- Louverture indisposa également 
contre nous les administrateurs des domaines 
qui, sous des prétextes avantageux pour le 
gouvernement, retenoient le prix des fermages 
qui nous étoient accordés, et usurpant nos 
droits , nous asservissoient à  d’impérieux 
besoins. C’est ainsi qu’on violoit en ces lieux la 
foi promise aux propriétaires et aux propriétés. 


Les gendarmes noirs chargés de lexécuuon 
de ces dispositions favorables, refusoient de 
sévir contre leurs amis ou ceux de leurs connois- 
sances, à plus forte raison contrée leurs parens ou 
compères, par un engagement sacré qui les unit 
inséparablement. C’est pourquoi lors d’un délit, 
la patrouille s’esquivoit et protégeoit par cette 
tolérance une dangereuse impunité. Il falloit 
souffrir sans se plaindre, à cette époque où les 
blancs considéroient peu les sacrifices qu'ils 


O 2 


244 VOYAGES 


étoient obligés de faire pour mettre leur vie en 
sûreté. 

Lesculuvateurs forts de l’appuide Titus, rioient 
de notre impuissance, afectoient de nous voler, 
sans chercher à se dérober à nos regards; et 
accoutumés dans ce vice, enhardis par des chefs 
perturbateurs , la flamme , le fer et le poison 
étoient successivement tentés pour nous exclure 
de la scène du Monde, 

Maïtres de nos biens, sans en pouvoir dis- 
poser , et ie meilleur terrain ayant été divisé aux 
culuvateurs insolens et ingrats, nous essuyions 
d'eux le refus de plantes légumineuses sur les- 
quelles nous avions tout droit de prétendre, 
mais dont Pinjustice nous privoit. Nos ressources 
étoient modiques, les fondés de pouvoirs ne 
touchoient rien , et le gouvernement s’étoit 
réservé le droit de palper les revenus, à la 
charge de faire passer en Europe, aux proprié- 
taires, des mandats de pareilles sommes percues. 

Enfin nos persécutions étoient poussées à un 
tel point sur lhabitauon, que notre asile fut 
souvent violé pendant la nuit, jusqu’à être obligé 
de faire feu de la chambre même de mon repos; 
que les torches furent nnses plusieurs fois à notre 
case; que le canot de passage fut chaviré par des 
plongeurs soudoyés pour attenter à ma vie; 
que des embuscades furent postées, el que j’en 


D'UN NATURALISTE. 245 
j'essuyai sans accident le feu à plusieurs reprises ; 
que nos vaches laiières, destinées à lapprovi- 
sionnement de la maison, furent tuées etenlevées 
à force ouverte; que les parcs furent démembrés, 
nos voitures et cabriolets dérobés par autorité 
supérieure; que nos chevaux furent lächés dans 
_les jardins de réserve accordés aux culuvateurs, 
afin de les exciter contre nous, et de pouvoir 
nous impuiter les dommages involontaires causés 
à leurs fourrages ; persécutions dans lesquelles 
nous eûmes la douleur de voir nos fidèles sujets 
maltraités , etleurs ennemis triomphans ; que nos 
chevaux de selle furent ou estropiés dans les 
savannes , Où empoisonnés à la maison; que nos 
vergers furent pillés, les arbres fracassés, et les 
fruits nous en furent refusés; que d’indécens 
calendas furent affectés lors de nos maladies occa- 
sionnées par le poison de nos nègres ; enfin que 
nous fimes souillés par la bouche calomnieuse 
de limposteur Titus. 

Je fis un second voyage au Cap, où j'eus oc- 
casion d'étudier plus à mon aise le caractere 
bien politique du vieux Africain, ainsi que sa 
pénétration littéraire. Je lui vis en peu de mots 
exposer verbalement le sommaire de ses adresses, 
rétorquer les phrases mal conçues , mal saisies ; 
faire face à plusieurs secrétaires qui alternative- 
ment présentoient leur rédaction; en faire re- 


ve 


= 


246 VOYAGES 
trancher les périodes sans effets; transposer des 
membres pour les mieux placer ; enfin se 
rendre digne du génie naturel annoncé par 
Rainal, dontil révéroit lamémoire ,en l’honorant 
comme son précurseur. Le buste de cet auteur 
étoit respectueusement conservé dans chacun 
des cabinets particuliers attachés aux diverses 
résidences de cet Africain présomptueux. 
Quant à sa vie privée, Toussamnt-Louverture 
étoit sobre, peut-être par méfiance : il ne buvoit 
qu'aux fontaines escarpées, dans une feuille de 
bananier que lui seul coupoit de la uge; ou 
bien à la ville, des mains de personnes affidées 
qui répondoient sur leur tête du moindre déran- 
gement de son estomac, et de la plus légère 
colique qu'il n’eût pas manqué de croire oc- 
casionnée par un breuvage empoisonné. L'eau 
étoit sa seule boisson; jamais aucune liqueur 
enivrante n’aliéra sa raison. C'est pourquoi, 
le plus ordinairement , 1l choisissoit pour sa 
nourriture des mets entiers, non susceptübles 
d’être drogués, comme fruits , œufs, bananes sans 
être épluchées. Il étoit singulier, lors de grands 
repas, de le voir au premier service peler 
une orange où un avocat, et trés-rare de le voir 
transgresser Ja rigidité de son régime, en man- 
geant une demi-douzaine de biscuits encaissés, 
ou de macarons faits sous ses yeux, ou par les 
femmes revêiues de sa rare confiance. 


D'UN NATURALISTE, 247 

La cour de Toussaint-Louverture étoit bril- 
lante : il gardoit à l'égard de ses semblables, 
adjudans-généraux et généraux , la retenue al- 
üère, le silence imposant, dus à l'importance 
du caractère qu’il représentoit. 

Nul employé n’étoit introduit sans être décoré 
de son uniforme. Il falloit lui parler avec sou- 
mission , et surtout beaucoup de circonspection. 

Mais il existoit parmi lesofficiers noirs quelques 
caricatures pour parure affectée et maintien 
emprunté. J'ai vu, dans ce voyage, l'original 
Gingembre-Trop-Fort, homme de basse sta- 
ture, mais de beaucoup de prétention : c’étoit 
un colosse de quatre pieds huit pouces de hau- 
teur, qui pourtant se croyoit intrépide et redou- 
table. Son sabre , large comme la moitié de son 
corps, étoit insoulevable, et faisoit plus de bruit 
que d’exploits : son chapeau avoit de rebord la 
moitié de sa taille, 

On le montoit à cheval comme un mannequin. 
Ses bottes étoient armées d’éperons dont les 
flèches étoient si longues, qu’elles eussent pu 
servir de juchoir-à plusieurs poules. Barbouil- 
lant le français, cet homme épris de l’art mili- 
taire étoit toujours habillé avec des marques 
de disincuon. Ses deux chaînes de montres qui 
lui descendoient jusqu’aux genoux, volugcoient 
dans sa marche, et servoient à lui chasser les 


Q 4 


248 VOYAGES 


mouches. Ses boucles d'oreilles, par leur masse 
et leur pesanteur , avoient entièrement défiguré 
cette partie. Les selles de velours à franges d’or 
n'étant point assez moëlleuses pour lui, 1l avoit 
l'impudence, quoique montant un cheval d’al- 
lure, d’être assis sur un gros oreiller. Voilà 
pour le haut parage. 

D’autres officiers , ayant le cou embarrassé de 
cravates à écrouelles, ne laissoient à découvert 
de leur figure écrasée que deux gros yeux saillans. 
Poudrés à blanc par derrière , et sans poudre par 
devant, 1ls évitcient par là les contrastes dans les- 
quels la teinte mixte de leur peau n’eût pas brillé, 

Tous leurs doigts surchargés de bagues ma- 
térielles, étoient gonflés par défaut de circula- 
uon. Les simples officiers, moins éclairés et 
moins répandus dansle grand monde, poussoient 
plus loin le ridicule : ils portoient des boucles 
d'oreilles à femme. 

Si Toussant-Louverture redoutoit l'obscurité 
d’un appartement, il avoit soin aussi, par le 
même esprit de méfiance , de ne point se trouver 
près d’une lumière pour donner prise à quel- 
qu’ennemi du dehors, qu'il croyoit toujours 
prêt à faire feu sur lui:: c’est pourquoi il se 
tenoit conünuellement dans le coin le moins 
éclairé, et hors de la portée des fenêtres ou des 
portes. 


D'UN NATURALISTE 249 


Il manquoit rarement d'assister à la messe, et 
s’occupoit , dans chaque endroit, des plus peuis 
détails préparatoires. Il alloit lui-même à la 
sacrisie, questionnoit tous les officians, leur 
faisoit une courte morale, puis 1l retournoit 
sur son siége d'honneur. Là, ses aides de camp 
favoris, chanteurs de cantiques pour Jui com- 
plaire, enlevoient ses armes pesanies, lui ôtoient 
son mouchoir de tête, qu'il ne découvroit qu’à 
l’église ou pour des cérémonies extraordinaires, 
et lui présentoient un livre dont il n’interrom- 
poit la lecture que lorsque le sacrifice étoit 
achevé. | 

Souvent s’immiscant aux foncuons du sacer- 
doce , il commentoit le sermon du curé, haran- 
guoit le peuple et ses soldats. Il préchoit une 
morale qu'il étoit bien éloigné de suivre. Il 
tonnoit contre les célibataires qui vivent en 
concubinage , comme :l est d’usage dans le 
pays; ordonnoit le mariage, et menacoit de 
punitions exemplaires les violateurs de ces ser- 
miens sacrés. 

Cependant, autant en emportoit le vent, 
püusqu’à la fin de chaque office 1l donnoit en 
particulier ses audiences de faveur aux dames, 
les portés fermées et tête à tête. Jai connu un 
mari, M. G***, qui poussoit la complaisance 
et la bonhomie jusqu’à faire sentinelle à la porte, 


259 VOYAGES 

pendant la conférence de sa femme dont il 
ignoroit l’exposé , qui duroit quelquefois très- 
long-tems. Mais Mr G***, bien éloigné d’aucun 
soupcon, d’après la morale hypocrite qu’il venoit 
d'entendre | blämoit les personnes qui se per- 
mettoient les moindres plaisanteries à cet égard. 

Toujours en voyage , et porteur de ses 
propres ordres; plutôt courrier que potentat , 
notre chef africam poussoit l’exigeance jusqu’à 
prétendre être recu au passage de chaque ville, 
le plus souvent avec le dais , et toujours avec des 
présens , des palmes et du canon. A:la somp- 
tuosité de ces déférences qui devenoient oné- 
reuses par Îleur fréquente répéution, étoit 
attaché le regard favorable, ou de vengeance 
qu'il fançoit à sa réception. Aussi se plaignoit-il 
toujours du Cap , quoiqu'il y ait été couronné 
plusieurs fois, tandis qu'il faisoit l’éloge des 
autyes endroits , Saint-Marc , le Port-an- 
Prince, etc., où rien n’étoit épargné pour lim 
prodiguer les honneurs enviés par son ambition 
démesurée, 

Plusieurs dames marquantes, qui en société 
en faisoient dédain , n’ont pas rougi de poser 
sur leur sein des fleurs qui lui avoient été jetées, 
d’entrelemr avec lui de galantes correspon- 
dances , de lui faire des déclarations outrées, en 
un mot de l’habiller de pied en cap, en poussant 


D'UN NATURALISTE. 25 r 


le ridicule jusqu’à hu broder par le bas des che- 
mises de bauste. 

Toussaint - Louverture avoit la mauvaise 
habitude de faire venir quelquefois de très-loin 
un habitant, avec promesse de l'écouter ; puis, 
après l'avoir fait introduire dans son appar- 
tement, de s'échapper sans mot dire par 
une porte dérobée, de monter en voiture, et 
de ne plus reparoître, en laissant le suppliant 
dans le plus cruel embarras. Il se jouoit de ces 
sortes d’aventures. | 

Je fus un jour trés-mal écouté pour avoir 
voulu lui parler le patois du pays, car il ne s’en 
servoit que pour haranguer les ateliers ou ses 
soldats , au secours de ces comparaisons 
énergiques, presque toujours bien concues et 
bien appliquées. 

Environné par sa propre splendeur, appe- 
sanüssant la verge de. sa direction oppressive 
sur les hommes qui lui témoignoient de l’indifié- 
rence , il ne pardonnoit jamais. Dès qu'il s’étoit 
prononcé, ses décrets étoient 1rrévocables. 
Doué d’une mémoire locale tonte particulière, 
il reconnoissoit après plusieurs années un 
individu quelconque , que souvent il n’avoit vu 
qu’en passant et dans la foule; ou bien sil 
avoit eu avec cet Ctranger quelque rapport, il 
lui citoit son afliure en le nommant. Jamais, 


252 VOYAGES 
en un mot, il n’exista de plus parfait phy- 
sionomiste. . 

Ecuyer sans principe et sans grace, mais iné- 
branlable sur le chevalle plusindompté, Toussaint 
se plaisoit à monter les coursiers rétifs, et les 
ramenoit pour l'ordinaire à de bonnes habitudes. 
Possesseur de chevaux les plus beaux, les plus 
ardens , les plus fougneux , 1l exigeoit que ses 
dragons guides le suivissent dans ses voyages 
précipués et de longue haleine ; aussi toujours 
plusieurs chevaux périssoient-ils au milieu de 
ses courses inconsidérées. 

Toussaint-Louverture singeoit dans les repas 
de corps la magnificence des autorités fran- 
caises, et attachoit beaucoup d'importance à 
faire faire par ses officiers-généraux de service, 
les honneurs de son gouvernement, surtout pour 
la récepuion d'étrangers, ‘els que Suédois, 
Américains de la Nouvelle-Angleterre , Danois , 
Anglais, et autres capitaines de bätimens en 
relation de commerce avec la colomie, visant à 
en soutirer secrétement des poudres dont :ül 
sut toujours approvisionner , jusqu’à encom- 
brement , ses magasins de réserve placés dans 
des endroits escarpés, quelquefois construits 
dans les creux de rochers inabordables. 

Toussaint- Louverture exigeoit, ainsi que 
Dessalines, la visite journalière de toutes per- 


D'UN NATURALISTE. 253 


sonnes marquantes, sous peine d’être déclarées 
suspectes , disgraciées , et par contre - coup 
molestées soit sur: les habitations, si c’étoit un 
propriétaire , soit pour les corvées de ville, si 
c’en étoit un habitant. 

Les diners priés des deux chefs étoient animés 
par une musique bruyante. Celle de Toussaint- 
Louverture étoit composéedequarante individus, 
tant blancs qu'hommes de couleur ; celle de 
Dessalines comprenoit le même nombre de mu- 
siciens, mais presque tous noirs. Il est bon d’ob- 
server que ces deux généraux, jaloux l’un de 
l’autre, payoient à l’enviles maîtres de ces corps, 
ou plütt leur faisoient de belles promesses pour 
favoriser les progrès des élèves. Les deux chefs 
eurent souvent des assauts de prépondérance 
dans lesquels Dessalines, le soumis Dessalines 
cédoit le pas, pour mieux caresser la passion 
dominante de son chef suprême. Chaque santé 
étoit annoncée par une fanfare de soixante tam- 
bours et autant de fifres aigus, dont le bruit, 
quoique retentissant, étoit étouflé par les salves 
continuelles d’une artillerie bien servie. 

Fous les soirs également, musique aux deux 
gouvernemens : malheur aux acteurs qui se 
rencontroient sur le passage de Dessalines , lors- 
qu’il étoit de mauvaise humeur ; car l'harmonie, 
loin de l’adoucir, fatiguant ses oreilles mal 


254 VOYAGES 
organisées , 1l arrivoit plein de fureur , et dis- 
persoit à coups de bäton la troupe effrayée. : 
Moins pohüque que Toussaint-Louverture , 
mais plus ouvert et plus prononcé dans sa tyran- 
mic, Dessalines étoit cruel, irrascible et farou- 
che ;1l n’écoutoitaucune réclamation. Que de fois 
une seule observation coûta la vie à l’homme 
qui eut l’audace de lui parler sans son ordre! 
Semblable au farouche Assuérus, malheur à 
celui qui le trouva hors de sa rare clémence: 
malheur aussi à celui pour qui la fatale tabatière 
étoit ouverte (1) ! 


(1) Le conseil des makendals(magiciens du pays) qu'il 
consultoit,luiavoitindiquélesignecertain de reconnoitre 
Ja perfidie et le ressentiment concentrés contre lui dans 
le cœur de l'individu qu'il avoit interpellé. Ilcherchoit à 
lire dans l'électre où miroir interne de sa tabatière, que 
le tabac humide annonçoit des principes de résigna- 
tion de la part du dénoncé, et que le sec demandoit du 
sang ! Ainsi sa superstition lui faisoit au hasard décider 
du sort d’un innoçent! ainsi le paisible habitant obligé 
de lui rendre visit, étoit souvent condamné sans être 
entendu , sous la simple dénonciation d'un soldat à qui 
peut-être on avoil refusé des générosités que les cir- 
constances malheureuses ne permettoient plus de faire. 
« Grenadier layo, disoit-1l, vous voir nhomme ci 
» làlà..... Conduis fi pisser » ! Le mot pisser indiquoit 
l'effusion du sang par la mort à la baïonnette. A ce 
signal affreux, les grenadiers d’antichambre avoient 
ordre de se saisir de celui contre lequel la fatale taba- 
tière avait élé roulée dans les mains. 


D'UN NATURALISTE. 295 


La classe qui toujours eut le plus à souffrir de 
la vengeance de Dessalines fut celle des hommesde 
couleur , en qui ilreconnoissoit un esprit de pré- 
. pondérance , de domination, qui altéroit , trou- 
bloit dans son imagination crainuive ebméfiante la 
toute-puissance de son règne destructeur. Que 
de fois sa femme, bonne et compatissante, fut 
maltraitée pour avoir demandé la grace de lun. 
d’eux ! Ce monstre oubliant les liens qui l’unis- 
soient à elle, bravant ses pleurs , insensible à ses 
supplications, tourmenté de la voir à ses genoux 
implorer sa pitié pour une classe contre laquelle 
il conservoit une haine inexunguible , la renver- 
soit de ses pieds, et il étoit pour lors inexorable. 
J'ai vu cette trop sensible femme , par un senui- 
ment bien louable , le suivre en se trainant, se 
déparer en s’attachant à ses habits, revenir à la 
charge, et après avoir essuyé toute sorte d’hu- 
miliations , obtenir enfin, par importunité , la 
faveur qui lui étoit si précieuse. Alors oubliant 
son humiliation , séchant les larmes de l’incer- 
utude, elle voloitaux prisons, délivroit les caputs 
tremblans et agités de crainte et d'inquiétude. 

Què d'exemples on auroit à citer de ces traits 
généreux pendant la guerre du département du 
Sud , où tous les prisonniers étoient ordinaire- 
ment punis de mort, quelquefcis après avoir 
enduré trois ou quatre mois d’affronts, d’humi- 


256 VOYAGES 
hiations et d’ignominie, dans l’intérieur des 
terres, par les noirs qui énervoient ainsi avec 
délices leur envie jalouse et dénaturée ! 
Soixante-douze mulâtres relégués aux Go- 
naïves où ils se rendoient utiles par leurs talens 
manuels, et où, par leur bonne conduite, ils 
s’étoient en général concilié l’esume et la 
fructueuse compassion de ceux qui les em- 
ployoient, donnèrent des soupcons à Dessalines 
qui, jaloux de cette confiance accordée à leur 
utilité, se les fit dénoncer setrétement comme 
des conspirateurs contre sa personne! Leur bou- 
cherie fut ordonnée! Ces vicumes sans appui, 
sansdéfense, furent conduit Qu lieu du supplice, 
au nulieu d’un peuple immense d’amis ou parens 
pleurant sur leur sort, mais n’osant s’opposer à 
cet arrêt irrévocable. C’est dans la savanne aride 
du morne l'Hôpital, sur le bord de la grande- 
route, qu'ils furent massacrés, avec ordre de les 
priver de la sépulture , pour donner à counoître 
a leurs partisans le sort qui les attendoit. 
Comme à cette époque je faisois tous les deux 
jours le chemin de notre habitation aux Go- 
naïves, mon cheval effrayé , reculant d'horreur , 
heurtoit malgré moi ces cadavres infects et gon- 
fiés. Je fus prévenu à la ville de passer outre, 
sans faire des remarques qui n’étoient pas de 
saison. 


ti 


D'UN NATURALISTE. 257 

Il en est qui ne furent pas aussi heureux que 
mo1, ou plutôt en qui des sentimens naturels 
parlèrent avec tant de force que, courant à leur 
perte , ils bravérent une mort assurée. 

Des mères, des épouses et leurs enfans, cô- 
toyant ce cheinin arrosé du sang de tout ce qui 
leur étoit cher, s'avancoient avec confiance pour 
reconnoître les morts, pleurer sur leurs tristes 
restes, et leur donner la sépulture qui leur 
avoit été refusée !... Mais... Ô excès de barbarie!!! 
à peine se livroient-ils aux derniers devoirs, 
que leurs corps frappés rouloient eux mêmes sur 
ceux. qu'ils venoient inaumer!...... De farouches 
soldats placés par ordre dans des buissons 
voisins, laisoient feu sur tous ceux qui, par 
humanité, se présentoienten ces lugubresdéserts! 

Une mére entr'autres fut tuée sur les lieux 
pour s’être glissée , à la faveur de la lune, sur ce 
théâtre de sang, dans l'intention d'y rénmir et 
d’arroser de larmes les cadavres de son mari 
sexagénaire, et de son fils père de sept enfans!…. 

Les corps de ces victimes à peine décomposés 
furent en parue déchirés par les caïmans babitans 
les roseaux de ces parages , par des chiens aussi, 
qui se disputoient entr'eux ces lambeaux hvides 
et putréfiés. Quelqnes-uns cependant restérent 
deux mois, leurs ossemens étant à demi-calcinés 
par l’acuon réverbérante du soleil. 


Toue HL R 


258 VOYAGES 

Dessalines , toujours altéré de sang et jamais 
rassasié , ordonna une nouvelle exécution. Huit 
hommes de couleur faits prisonniers dans la parue 
du sud, sont impitoyablement condamnés à être 
canonnés devant l’église des Gonaïves, sur la 
place vague qui s’y rencontre. Pour cette fois, 
Toussaint-Louverture veut repaître ses yeux des 
charmes de la vengeance. Un officier est le pre- 
mier qui se présente. « À bas les épaulettes, lui 
» dit Toussaint? A bas! s’écrie l'officier de 
» couleur, à bas! je me suis battu pour les 
» gagner, Je me battrai et mourrai pour les 
» défendre... qu’on approche si on l’ose.….»! 
Son juge sanguinaire, interdit par cette ferme 
réponse, forcé de l’admirer, lui ordonne encore 
plus despouquement de passer devant le canon, 
mais veut en vain l’y faire attacher. «Fais ta 
» prière, lui crie le tartuffle Toussaint-Louver- 
» ture ? Oui, répond le condamné, je prie 
» Dieu de me pardonner ». Puis d’un ton plus 
ferme : « Mais to1!....…. to1!...... toi Toussaint! 
» prie le Ciel qu’il te pardonne tout le sang que 
»tu as fait verser injustement ». Toussaint 
tremblant de rage , ne répondit que par le mot, 
feu. L'homme n’est plus, il est dépecé, et 
disparoît aux yeux qui le pleuroient avant ce 
coup fatal. . 
Que fût devenu le général Vernet, au cœur 


D'UN NATURALISTE. sa 


259 

bon et compaussant, pour avoir demandé la 
grace de l’un d'eux , si Henri Dumirail et 
Jean-Bapuste Louverture, officiers et favoris de 
Toussaint, n’eussent détourné les deux pistolets 
déjà braqués sur lui par le tyran africain. La 
piué proscrite étoit condamnée ; et pourtant 
quelle est la cause que Vernet cherchoit à dé- 
fendre? celle d'individus de sa couleur, pour 
lors voués à la France, et qui n’eurent d’autre 
accusation que celle d’avoir bu à la santé 
de Rigaud qu’ils croyoient en faveur, et devoir 
commander des forces qu’on attendoit d'Europe 
pour réduire les facons, et ne conserver dans 
la colonie qu’un seul et même esprit. 

Un. autre prisonnier fut renversé seulement 
par le coup de canon, les cordes qui laua- 
choient rompues ; et n’étant point incommodé 
de cette percussion, il s’élançca vers la porte 
de l’église des Gonaïves, comme asile sacré et 
inviolable , et se précipita vers l’autel qu'il 
embrassoit, pour y être à l'abri d’une nouvelle 
persécution !..... Mais... Ô excès de barbarie! 
des soldats le suivirent, pénétrèrent dans le sanc- 
tuaire , et oubliant qu'il doit être inviolable, ils 
rapportèrent la victime au bout de six baïonnettes 
qui la transpercoient de toutes parts! Le curé 
interrompt son office, va crier vengeance à 
l'inexorable Toussaint qui, confus, veut d’abord 


R 2 


260 VOYAGES 

s’excuser, mais finit par dire au curé : « Blane 
» là gagné gros cœur, oui »! Voulant par là lui 
reprocher l'intérêt trop vif qu'il prenoit à son 
ennemi. 

Le troisième fut un nommé Pierrette, qui 
fut attaché devant le canon, en croix de Saint- 
André. Le coup partant, les cordes sont coupées, 
le malheureux enlevé en l'air, et blessé seule- 
ment par six mitrailles dont il guérit après 
avoir obtenu sa grace, pour avoir crié, Dieu 
est juste! 

Le quatrièmé fut emporté et disséminé, sans 
qu’il restät vestige de son malheureux corps. 

Le cinquième nommé fermont , ivrogne de 
profession et facéueux à l'excès, en marehant à 
la mort, cherchoit par son monologue burlesque 
à adoucir la sévérité de son arrêt inique. Il s’a- 
vancoit vers le canon à pas lents , et en faisant sa 
prière , il se retourna vers Toussaint, et lui dit 
naïvement : « Comment ca, général, songez 
» boun’ Dieu, donc.... ca pas bèn pièce ca 
» vous fais là.... aï, maman moüé qui fait 
» moûé.... vous Capabl’ quitter mourr canoñ- 
» nier à vous du morne Blanc » ?...! Puis allant 
à genoux vers Toussaint : « Vous pas songé, 
» général, moüé üré vous d’nioun” z’embus- 
» cade». Et sans attendre la réponse, se relevant 
brusquement : «Non, dit-il d’un ton résolu, 


D'UN NATURALISTE. 261 


» moïé pas vlé mourr jour di li». Vernet 
obunt sa grace, et le pauvre diable oubliant 
déjà que les portes du trépas lui avoient été 
entr'ouvertes, s’avançcant vers son bienfaiteur 
avec familiarité, il lui frappe le ventre en li 
disant avec gaieté : «Eh bèns général Vernet, 
» vous songé case la Crête-à-Pierrot. .... Vous 
» gai encore passé moûé quand yo quitté vous 
» aller. Ventr’à vous caba nev li plat... plat. 
» semblé crapaud qui sec ». 

Les trois autres ne furent pas aussi heureux , 
et subirent la mort. 

Enfin l’ordre de destrucuon des hommes de 
couleur étant donné dans tous les quaruers, 
mais ‘Loussaint voulant.feindre et semblant 
s’humaniser , passoit à l’Arcahaye, et demandoit 
au commandant de cet arrondissement des nou- 
velles de tels ou tels qu'il savoit morts d’après 
ses ordres : Hss’existent plus, répond le com- 
mandant. Ici l'hypocrite jouant le publie, frap- 
pant des pieds et paroiïssant étonné, dit d’un 
ion pitoyeux et lamentable : «Aï!.... aï!.... aïl.. 
» monde layo mauvais oui!!! moûüé di yo ba- 
» liser.…... yo dessoucher même ». Donnant par 
là à entendre qu'il avoit bien ordonné de punir 
les coupables, de les reconnoître, de châtier 
cette classe, mais point d’eu détruire Pespéce. 
Sur quoi lui répondit le commandant, en étu- 


R 3 


262 VOYAGES ’ 


diant cette feinte. « Ga vous vlé, général, quand 
» la pluie tombé, tout ca qui déhors mouillé ». 
Ce qui veut dire : «Comment parnn tant de 
» coupables reconnoître un pett nombre d’in- 
» nocens » ? 

Deux hommes de couleur échappés à ce 
carnage me racontoient, ayant quitté leurs 
antres sauvages à l’arrivée de l’armée française, 
que , fuyant le couteau de la proscription, ils se 
rélugiérent au sommet du morne l'Hôpital ; 
que de là, dominant sur la plaine, 1ls furent 
témoins impuissans des massacres de leurs frères ; 
qu'ils y vécurent pendant sept mois de racines 
sauvages, jusqu'à ce que la culiure de quelques 
grains qu'ils avoient -emportés avec eux, ait 
pu leur fournir une nourriture plus alimentaire. 
Ba chasse aux piéges leur étoit également fami- 
lière , et c’est par ce moyen, me dirent-ils, qu'ils 
apprivoisèrent et se rendirent profitables des 
chèvres laiueres. 

Ce w’étoit point assez des adultes pour’ as- 
souvir la rage despotique et envenimée de Tous- 
sénérale d’enfans 


5 
d'hommes de couleur, sous le prétexte d’une 


saint ; 1] ordonna une levée 


école martale, et les fit jeter tous dans un grand 
puits qu'il fit ensuite combler, sans s’adoucir 
aux cris des mourans ! Le général Christophe, 
aujourd’hui encore chefdes révoltés, commanda 


D'UN NAFURALISTE 63 


l’exécution de la parue du nord. Ces événemens 
eurent lieu à l’époque du siége de Jacmal, où 
Toussaint étoit furieux d’éprouver de la résis- 
tance; occurrence en laquelle Dessalines forcoit 
ses troupes à être valeureuses, ayant des pièces 
de canon derrière les bataillons pour faire {eu 
sur les fuyards, où même les indécis ; ceux, 
en. un mot, dont la bravoure étoit chancelante 
et point à l'épreuve. 

Au reste, pendant le règne des noirs, la 
prépondérance étoit du côté des Africains. Les 
blancs peu considérés, pour ne pas dire auda- 
cieusement méprisés, étoient hors d’état, par 
l'infériorité de leur nombre, de prendre l’équi- 
libre. Depuis l’arrivée des Francais, ces derniers 
eurent l'avantage quelque tems ; mais, dans l’un 
et l’autre cas, les hommes de couleur servoient 
toujours de point d'appui pivotant à la balance 
toujours active des deux classes précédentes : 
aussi furenteils de tout tems le jouet et la prin- 
cipale vicume des noirs, dont ils s’écartoient 
volonuers par le caractère de fierté qu'ils ont 
presque toujours eu en partage. 

Il est un autre supplice plus secret par 
lequel Dessalines, à l’époque de la même 
guerre , fit périr les hommes de couleur les plus 
disungués. Il avoit fait construire sous terre, à 
la Crête-à-Pierrot, des casemates de six pieds 

| R 4 


264 VOYAGES 
carrés Où on laissoit mourir ces malheureux 
prisonniers , asphyxiés par les vapeurs sonter- 
raines, aussi bien que par la raréfacuon de 
air. 

Revenons à la vie privée de Dessalines. 

Sous l'apparence de la générosité, il conten- 
toit son avarice. Je le vis souvent refuser de payer 
des créances de trois ans, non suscepubles 
d’une plus haute valeur, disant que pour 
Dessalines ce n'étoit rien que cela. « Ca d’'hau 
» pour case Dessalines ». I laissoit ainsi mourir 
de faim son maître de musique, à qui 1l devoit 
cent cinquante portugaises qui égalent aix mille 
francs , lequel n’avoit pas même le droit de 
lui demander un à-compie sous peine d’être 
disgracié , et peut-être fusillé si ce tyran 
n'étoit pas de bonne humeur. be pauvre jeune 
homme, dont l'état d'insututeur devenoit fau- 
gant pour, rédure l'incapacité grossière de 
quarante élèves noirs qu’il conduisoit au bâton, 
méritoit bien d'être payé, mais 1l perdit son 
salaire par la trahison de Dessalines. ° 

Il entroit dans les vastes projets de Toussaint- 
Louverture de flatter quelques momens les 
blanes, pour les préparer à l'indépendance qu'il 
avoit projetée, mais qui fut sans ellet, ses 
menées sourdes ayant été découvertes. Îl eut 
besoin de Pacüvité de Dessalines pour se con- 


D'UN NATURALISTE. 265 
cilier l'estime de ses censeurs ; 1l projeta donc un 
grand changement dans le pays, la restauration 
de la culture trop long-tems délaissée, ou pour 

mieux dire, encore active, mais en faveur 
_ seulement des nèures propriétaires , et ceux des 
jardins ,. desquels le malheureux habitant, 
spolhié de sa fortune, privé de tout, étoit à 
l’époque antérieure obligé d'attendre une exis- 
ience ürce et usurpée de ses propres terres qui 
avoicent passé en d’autres mains, 

Nos fermiers, par exemple, poussèrent 
l’audaciense impudence avant notre mise en 
possession, jusqu’à nous refuserde fourrager quel- 
ques paquets d'herbe pour quelques haquenées 
échappées par leur maigreur à la dilapidauon 
générale de nos immenses baras. Ils nous refu- 
soient de l'herbe dans une savanne vague et 
étendue non entourée, et remplie d’animanx 
voisins et étrangers. Le fourrage est si bon en ce 
terram fertile, que le voyageur se détourne 
volonuers de la route à l'aspect de cette verdure 
rlante, et est invité à faire reprendre vigueur à 
son cheval fatigué ; les cabrouets y sont dételés, 
el jamais aucun reproche, qui n'est vraiment 
pas faisable , n'a été fait aux étrangers de la part 
du fermier dont l’envie et l’inimiué ne pesérent 
jamais que sur le propriétaire. 

Que de fois, à cette ‘époque infortunée, 


266 VOYAGES 

possesseurs de cinq lieues de pays et de sept 
cent cinquante noirs , nous nous servimes nous- 
mêmes ! que de fois on fut sourd à nos demandes 
supphantes de mauvaises racines de patates jetées 
au rebut pour les cochons. Nous gémissions dans 
les bois, de l’inactivité des lois, et de l’insolence 
intolérable et criminelle des hommes chargés 
de faire mettre à exécution celle qui étoit si 
favorable pour assurer le respect aux proprié- 
taires el aux propriétés. 

L’éperlin à la main, nous courions aussi 
nous-mêmes , dans les savannes brûlantes , lacer 
les chevaux dont nous avions besoin pour faire 
cent démarches importunes et infructueuses 
auprès des admumistrations alors avides et 
vénales. Ce n’étoit point une pete affaire.que de 
joindre à la course, des chevaux qui, quoi- 
qu’esténués , éprouvoient encore le souvenir de 
leur ancienne vigueur, à la digestion du fourrage 
succulent dontils faisoient leur päture. 

Qui pouvoit en süreté rester sur les habita- 
uons où on avoit à craindre, comme nous 
Vavons éprouvé , le feu , le fer et le poison ? On 
saitque sur la plupart des habitations, les cases , 
depuis les premiers incendies, sont provisoire- 
ment construites à jour en ozaclées ou échsses. 
C'est. dans ces retraites peu solides que nous 
avions à affronter huit et jour-la fureur de 


D'UN NATURALISTE. 67 


mauvais sujets toujours aigris et insurgés Contre 
les propriétaires. 

Toutes les nuits, vers minuit, dix d’entre 
eux , guides de Toussaint, et porteurs de grands 
sabres, venoient avec fracas daguer leurs lames, 
dans le cruel espoir de rencontrer mon corps à 
la hauteur du lit dont ils connoissoient la posi- 
üon ; puis ils frappoient aux portes, me provo- 
quoient, enfin ne cessérent ce manége que 
lorsqu’en faveur du caractère dont j'étois revêtu 
je les eus fait punir. Le curé de Saint-Marc venu 
pour un baptême, fut contraint par le mauvais 
tems de coucher sur l'habitation; il y tomba 
malade de peur, ayant été témoin une seule 
nuit de ces scènes d'horreur et de vexation qui 
se renouveloient chaque jour sous des modifi- 
cauons différentes. 

Dessalines goûtoit alors en paix le fruit de ses 
crimes , et jouissoit de notre malheur. Il faisoit 
embellir , à Saint-Marc , la maison Lucas (1). 
Plus heureux que cet habitant, nous échappämes 
au même sort après avoir heurté la fierté du 


(1) © souvenir affreux ! long-tems il fit attendre le 
propriétaire de ce nom pour lui payer le montant de 
cette acquisition : ce ne fut que la veille du massacre 
général qu'il lui compta les cinq cents portugaises 
qu'il lui reprit en le faisant assassiner le ‘premier 
de tous à l'arrivée des Français. 


268 VOYAGES ‘ 

ügre africain , en refusant de Jui vendre une de 
nos habitauons dont 1l étoit envieux, et qu'il 
prétendoit avoir à un prix de beaucoup inférieur 
à celui d’un autre acquéreur qui, se sachant 
en concurrence avec un rival si dangereux et si 
passionné , se retira, en sorte que l'habitation 
ne fut pas vendue : ce refus nous brouilla long- 
teins. 

C’est dans les salons à carreaux de marbre et 
bien lambrissés de M. Lucas, que Dessalines 
donnoit ses fêtes et sa musique. Celui de récep- 
tion étoit orné des portraits de divers généraux 
francais, célébres par leurs victoires; mais il 
eut soin de laisser un vase emplacement au 
milieu du pan principal, où 1l se fit peindre à 
huile, de grandeur naturelle, an milieu d’un 
camp de noirs, comme voulant effacer ses voi- 
sins par la hauteur de sa stature, et le rébaut du 
coloris. | 

Résolu de travailler à sa réputation , et sentant 
l'urgence de ne plus laisser dans l’acuvité et la 
réflexion les noirs qui eussent bien pu retourner 
sur leurs pas, et préférer leur, régime antérieur 
au régime de fer qu’il leur imposoit , il usa d’un 
sümulant tout particulier pour les troubler et 
les frapper de terreur. Il accrut sa sévérité et 
devint inabordable tellement qu’à la nouvelle 
de son arrivée dans un quarüer, tout le monde 


D'UN NATURALISTE. 269 
trembloit, et que les ’culüivateurs passoient les 
nuits au jardin, dans la crainte d’être surpris en 
flagrant délit, et pour éviter une mort assurée . 
en Cutre-passant la tâche qu'il leur avoit donnée 
quelques jours auparavant. 

En cas de mécontentement il n'épargnoit per- 
sonne, et cédoit arbitrairement à Ja réaction de 
vengeance d’un peui chef qui quelquefois avoit 
du fiel contre celui qu'il dénoncoit, H fit ainsi 
mourir sous Je bâton plusieurs blancs du 
Mont-Roüï et de l'Artibonite , quelques-uns 
ayant été mis vivans dans des étuves chauffées 
par la bagace (1). Au reste, l’énumération des 
supplices les plus affreux réjonissoit ce cœur 
sanguinaire qui se complaisoit à faire reparoître 
sur la scène toutes les victimes de sa despotique 
barbarie. Ces récits l’égayoient !!! 

Dessalines , vu l'importance de notre grande 
place (2) la plus considérable du quaruer de 
l'Arubomie , s’y étoit attaché particulitrement 
Six mois avant l’arrivée des Français ; aussi 
la fitil chan$er-subitement de face : ce n’étoit 

(1) La bagace est un amas de cannes à sucre passées 
par le moulin, dont on a exprimé le sucre, et qui 


dans les équipages sert à chauffer vivement les four- 
neaux, 


(2) Le mot place dans ce cas équivaut à celui d'habi- 
tation. 


270 VOYAGES 

plus un vaste terrain Gisif, et regrettant sa 
fécondité. Il prêta ses trésors, et enfanta dès 
cette année une récolte immense, dont nous 
n’eûmes que la flatteuse espérance. Dessalines 
en prit donc les rênes pour raflermir sa réputa- 
üon , asseoir plus sûrement son nom, et le faire 
planer impérieusement dans toute la colonie. 


11 donnoit une tâche, et le jour indiqué pour 
sa perfection , il arrivoit à l’improviste avec 
quarante guides et son état-major. Les deux 
cents cases étolent cernées, visitées ,*et au cas 
qu’il fût heure de travail, teus ceux qui étoient 
trouvés dans l’intériéur étoient condamnés * à 
la bastonnade. Ainsi le plus paresseux devenoit 
vigilant malgré lui, par ces mesures violentes. 


Notre gérant ou conducteur principal fut un 
jour trouvé endormi à sa case sur les six heures 
du maun; Dessalines le fit prendre, amarrer, 
et conduire pas à pas jusqu'à l’endroit du 
travail (r), le faisant alternativement frapper par 
ses vingt satellites qui lui crioient: « Z'affaire à 
» vous papa »! Le pauvre malheureux ne put 
éviter un seul coup, malgré nos instances que 
Dessalines nous somma de cesser parce qu’elles 


(1) Ce terrain à cultiver étoit à l'extrémité du grand 
jardin d'une lieue de longueur qu'il falloit traverser. 


D'UN NATURALISTE. 271 
nuisoient, disoit-1l, à l’intérêt de la culture. Le 
patent arriva perclus et mutlé, après plusieurs 
relàches dans le chemin, et il fut rapporté à 
demi-mort dans son lit où 1l enfla et resta six 
mois malade et impotent. Ces scènes révoltantes 
se réltéroient souvent. 

Un jour que Dessalines étoit de bonne humeur, 
il m’emmena avec lui dans la tournée du jardin : 
au grand mécontentement de Titus commandant 
notre arrondissement , et notre oppresseur ; 
lorsque nous fümes arrivés, et que tous les 
culüvateurs, par crainte autant que par habi- 
tude , eurent crié avec exclamauon , grands 
gestes et extravagance : « Bonjour, père à 
» nous » ! Dessalines les fit ranger, puis leur dit 
en me montrant : « Vous autr” voir put blanc 
» ci làlà, c’est z’ami moûüé; li pas méchant pièce; 
» ainsi vous autr’ prenn’ garde li pas arriver à 
» nien ». Titus écumoit de rage. Je profitai de 
ce moment favorable pour porter contre l’auteur 
de tous nos maux , et du désordre de nos 
ateliers, dix-sept chefs d'accusation qu’ilécoutoit 
en grondant à voix basse et frappant des pieds, 
étonné de ma hardiesse; voulant répondre, et 
Dessalines le lui défendant par son Azur farouche, 
et souvent répété avec vivacité. 

Après tous mes reproches fondés , aprés le 
dire de mes témoins, Dessalines lui fit d’abord 


272 VOYAGES 

une morale de comparaison , le dégrada ensuite 
en lui arrachant ses épaulettes , et par chaque 
chef d'accusation que Titus ne put démenur, 
le général lui fit essuyer sur le dos le roulement 
de sa garde de discipline. Ensuite 11 nous fit 
accoler, en recommandant à Titus de ne con- 
server en son Cœur aucun levain de ressentiment, 
de ne plus faire parler de lui; puis à moi , d’ou- 
blier tout le passé. Dessalines , après avoir lui- 
même sarclé, pour donner l'exemple, revint 
diner à la case avec ses officiers. 

Titus conserva deux ans cette rancune : six 
mois après celte aventure , 1] me fit écrire une 
lettre par son secrétaire, mais une lettre trés- 
amicale quoiqu'insidieuse, par laquelle, je ne 
sais à quel propos et par quel hasard , il m’invi- 
toit à venir passer une journée chez lui, sous 
prétexte de pêche et de chasse dans un canot 
volage et versaule, sur la rivière tourbillonnante 
de l’Arubomite infestée de caïmans ,etde requins 
égarés dans leur poursuite véloce et acharnée. 

J'éludai cette proposition en prétextant un 
voyage aux Gonaïves, que je fus obligé de faire 
sans besoin pour éviter les rapports fidèles de 
ses vigilans espions choisis dans nos propres 
sujets. 

Sot, mais méchant, Titus attendit mon retour, 
et changea Le mode de la proposiuon; et ce fut 

pour 


D'UN NATURALISTE. 273 


pour m’offrir n'importe quelle somme afin de le 
peindre. En vain lui représentai-je que le genre 
de l'Histoire naturelle n’étoit pas celui du por- 
trait , 1l fallut céder, et: promettre, mais à cette 
condiuon, qu'il viendroit prendre ses séances 
sur notre habitation. Ge n’étoit plus la même 
chose pour lui, et son but étant manqué, 1l 
garda un silence que j'eus soin de ne pers 
troubler. 


Trois semaines après, je revenois de Saint- 
Marc; un de mes dragons m’ayant devancé pour 
les préparaufs du bac dont Titus étoit le péager, 
celui-ci apprit mon arrivée; et sans paroître, il 
me fit préparer un fafraichissement soporifique 
qu’on vint n’offrir de sa part, à mon passage sur 
le bord de la grande route. Cette ruse grossière, 
cette prévenance accoutumée fit naître en moi 
de justes soupcons, et RE fit très-chaud , 
je remerciai, disant qu’en route, et entre les 
repas surtout, J'avois pour habitude de ne rien 
prendre. 


. À l’arrivée de l’expédition française lorsque 
je croyois n’avoir plus rien à craindre, surtout 
faisant route avec le chef de la troisième légion 
de gendarmerie , mOn ami, lequel étoit en 
tournée ; Titus profita d’un grain de pluie dont 
nous fümessurpris, afin denousengager à prendre 


Tous IL | S 


274 VOYAGES 

gite chez lui pour la nuit. Ne pouvant faire 
autrement, nous acceptämes. Îl se ditindisposé , 
et nous laissa souper seuls. Une heure æprès, le 
colonel et moi, nous fûmes saisis decoliques et de 
vomissemens répétés, n'ayant que le tems de 
parur sans bruit n1 bdiite-selle pour éviter de 
plus grands malheurs. Malgré certaines précau- 
uons prises sur une habitation voisine, nous 
fûmes cinq mois attaqués tous deux de coliques 
et de fièvres nerveuses. Le colonel qui mangea 
plus que moi, fut empoisonné d’une si cruelle 
manière qu'il en conserva plus d’un an des 
reliquats douloureux et inquiétans. Titus devint 
marron le lendemain , saps que nous ayons 
jamais pu en entendre parler depuis. 

Si Dessalines aimoit ses trou pes, c’étoit comme 
soutiens de son pouvoir, et exéquteurs de sa 
volonté. Employant contre les crimes politiques 
Ja baïonnette, le poison, les noyades, il ne pu- 
nissoit ses soldats que par le fusil ou les verges : 
ce dernier supplice étoit effrayant par ses prépa- 
ratfs funèbres et inhumains. Les soldats faisoient 
de ce jour un jour de réjouissance : il y aveit 
calenda (1) en l'honneur du défunt. Tout en 


se. 


(x) Le calenda est une danse nègre consacrée à 
célébrer les funérailles : elle est extravagante et fort 
imdécente, . 


D'UN NATURALISTE 273 


préparant les banzas et le bamboula (1), on 
acéroit les épines des branches d’acacia qui 
servent à cet affreux supplice. Le patient mar- 
chant pas à pas, selon l’ordre de guerre, au 
milieu des deux rangs d’exécuteurs, étoit impi- 
toyablement frappé, déchiré, au bruit d’une 
fanfare gaie de fifres et tambours qui redou- 
bloient d’ardeur pour étouffer les cris de l’écor- 
ché, percant toujours par intervalles, jusqu’à ce 
que ses genoux venant à pher, il expirät enfin. 
Pendant ce tems, Dessalines nageant dans la 
joie, monté sur un banc en raison de sa peute 
taille, pesoit tous des coups, excitoit les moins 
cruels par des menaces inhumaines, en criant à 
tue-tête : «Ga a n’ien, bai toujours »! Eh bien! 
plus esclaves que jamais, ces nègres le servoient 
en criant sive la liberté!!! Enfin” Dessalines 
traçoit à ses 1mitateurs le sentier des forfaits dans 
lequel il ne marchoit qu'avec trop d’assurance. 
En se faisant regarder fixement par un soldat, il 
J’absolvoit ou le condamnoit sans entrer en ma- 
tière, et sans qu’il fut accusé. N’komme la pas 
bon , n’annonçoit rien de bon en eflet; car 


(1) Les banzas et bamboulas sont deux instrumenss 
le premier à cinq cordes, se pince comme la guitare ; 
le second est un tambour élevé qu’on fait rouler ajec les 
doigts. 


S 2 


276 VOYAGES 
tôt ou tard on ressentoit les funestes suites de 
celte interprétation fatale. 

Il régnoit une grande subordination dans ces 
troupes mal-propres et toujours mal tenues, 
contraste parfait avec le faste éblouissant de tous 
les généraux nègres. À l'exception des gardes 
d'honneur, linfanterie marchoit pieds nus, sans 
bas, et avec des culottes courtes et déchirées; 
primiuvement la jambe en l'air comme des 
pantins , mais d’une manière plus régulière 
depuis larrivée des soldats francais en la 
colonie. 

Le système acoustique des nègres est si maté- 
riellement combiné, si inébranlablement cons- 
iruit, qu'il leur faut double charge dans les 
fusils, pour qu'ils soient satisfaits. Ils n’appellent 
que pétards les simples cartouches. C’est ainsi 
que les chasseurs d'habitations calculent lors- 
qu'ils vont à la poursuite de bandes innom- 
brables de canards qui obscurcissent Pair. Ne 
pouvant ürer qu’un, ou au,plus deux et trois 
coups par jour, ils vont à eux en se traïnant 
dans l’eau peu profonde des lagons; et pour que 
l'abondance puisse suppléer à la privation de 
pouvoir ürer souvent, ils mettent deux car- 
touches et deux, poignées de plomb qui s'écarte 
ettucimmanquablement. Aussi se moquoientils 
de mes charges; mais au moins je revenois lou- 


D'UN NATURALISTE.  2- 


jours sain et sauf à la case, tandis qu'eux ne 


3 


croyoient point avoir chassé s'ils ne rapportoient 
un sac de gibier, oubliant la douleur d’une 
joue contuse, ou saignante quelquefois comme 
je l'ai vu, une clavicule cassée, où l’omoplate 
foulée par la répercussion. 

Les militaires valeureux n’ont aucune récom- 
pense , et leurs acuons d'éclat restent dans 
lPoubli. Les invalides, privés d’une’juste retraite, 
sont réduits à trainer honteusement leur iriste 
existence, el à demander avec larmes le pain de 
la misère. Eh bien! le génie militaire les mai- 
trise au point qu’ils aiment mieux être estropiés 
sans moyens, et être honorés du nom de soldat, 
dédaignant celui ‘servile de nègre de houe , 
qu'ils donnent aux culuvateurs , au dessus des- 
quels ils se croient de beaucoup élevés. [ls n’ont 
pas de plus grande jouissance quand ils ren- 
contrent des culuvateurs, que de faire blanc 
de leur épée, de grands mouvemens ; du tapage, 
des simulacres de décharge d’arüllerie; et lorsque 
ces gens moins rusés ont l’imaginauon frappée, 
ils se font valoir à leurs yeux fascinés {1). 


(1) «Eh que vous connor queug'chose, vous pauv’ 
» diabl, vêus baussales ?.! Vous nègr jardin pas 
» connoi à rien..... Nous younn’ connoy batt la 
» guerre nous Z'aut… C'est çà queuq chose que d'hatt Le 
» guerré»l..... 


h 2 


4 


278 VOYAGES 

La ville du Cap comme la plus considérable 
de File , étoit le théâtre des événemens politiques 
aussi bien que le foyer des conjectures révolu- 
tionnaires. C’est la que Tousssaint-Louverture 
y tramoit ses Pas c’est la que plus d’une 
fois 1l voulut secouer le joug de la France, en 
ménageant dans l'esprit du peuple les avantages 
de l’indépendance ; c’est là qu’on flatta son des- 
pousme; c’est là que de vils courtuisans lui persua- 
dérent que sa puissance étoit capable de repousser 
tout ce qui oseroit altenter à la plénitude de son 
autoruté ; c’est là enfin qu’un dangereux conseil 
le décida à devenir ingrat envers la mére-patrie. - 

Le général Moyse étant au Cap à la tête d’un 
paru considérable, et fidèle au Gouvernement 
francais , s'étant prononcé 1irop ouvertement 
contre un décret sanguinaire de Toussaint- 
Louverture son oncle, par lequel il lui étoit 
enjoint à une certaine époque d’ordonner le 
massacre des blancs de la parte du nord qu'il 
commandoit, fut soupconné d'infidélné à sa 
couleur; et pour prévenir un coup de part, 
Toussaint- Louverture fit devancer la fatale 
journée, en en confiant la coupable exécution à 
d’autres commandans moins serupuleux , et 
poussant l’astucieuse politique jusqu’à imputer 
au général Moyse ce crime dont lui seul étoit 
Vauteur , et ce dernier dégagé et innocent. Il le: 


D'UN NATURALISTE. 279 


taita donc d’assassin , et se prévalant hau- 
tement du sacrifice* qu'il faisoit de son propre 
neveu pour l'intérêt du sang français, il fit 
marcher contre Moyse, comme rebelle à son 
- autorité, le général Dessalines à la tête d’une 
petite armée. Moyse s’étant rendu à discréuon , 
fat trompé dans sa bonne foi, condamné et puni 
de mort , emportant avec lui, par cette mesure 
atroce , le secret du grand conspirateur. 

Dessalines émit quelque tems après des 
espions pour sonder les projets de la métropole, 
et avoir des détails de l’expédiion du général 
Leclerc. Il en eut de certains , et intercepta toute 
correspondance alors en acuvité ; 1l fit circuler 
l’ordre , vu l’apparence d’une riche récolte, de 
se tenir prêts à bien recevoir nos frères qui 
alloient arriver. Etoit-ce pour ne pas nous donner 
à soupconner les supplices préparés à notre, 
crédulité ? je le crois. Ainsi dans le même tems 
1l fit un crime de correspondre avec notre mère- 
patrie, tout en paroïissant nous disposer en sa 
faveur. 

Voici quelque chose de plus fort. J’étois au 
bourg de la Peute-Rivière , un certain jour où 
Deéssalines y avoit rassemblé le canton et les 
ateliers ? il donna à ses troupes, en présence des 
blancs, les instructions que voici: « Soldats, 
» v’là blanc’ france qui après veni; si yo tran- 


280 OV OMAGES | 
» quil ça bèn... vous va quitté yo tranquil'; 
» mais si moué va conno’ qu'yo veni pour 
» chicaner v'zaut’, prenn’ garde, soldats !.…... 
» prenn’ garde attenuon... hun!..… quand 
» moué va dir” vous hun!... vous va cerner 
» camarade” à yo... vous va coller yo... vous 
» va ramasser vo tant comme moutons... VOUS 
» va parqué yo..…. aprés'ca z’affaire à Dessa- 
» lines ». Cette harangue mit en effervescence 
Ja tête des noirs toujours disposés à la rebel- 
bon, les rendit audacieux, énerva leur frein , et 
nous remplit tous de consternation , puisque 
notre sortdépendoitdelamoindreinconséquence, 
devenant Otages de nos propres bourreaux. 
C’est immédiatement après que parut im- 
primée la fatale adresse de Toussaint-Louver- 
ture ,-qui servit à notre condamnation , et qui 
inissoit par ces mots : «Les Francais n'arriveront 
» à moi, s'ils sont traîtres, qu'après avoir 
» marché sur les débris des propriétaires et des 
» propriétés ». Elle électrisa tellement la tête 
des nègres, que par-tout on en rencontrant seuls, 
armés, et se parlant à eux-mêmes ; jusqu’au 
vieux hatuer, conducteur de nos troupeaux, 
que je surpris adossé à un palmiste, le cachrim- 
beau à la bouche, et le grand fouet sur l'épaule, 
tenant à la main un long bâton ferré d’une 
baïonnette toute rouillée, Il eut un monologue 


D'UN NATURALISTE. 281 


original que je lui laissai défiler tout au long, 
ayant peine à retenir mon rire , et n'éclatant que 
pour lui faire tant de peur , qu'ayant lâché mes 
deux coups de fusil en l’air, le vieux boiteux 
qui n’étoit point aguerri, tomba le ventre contre 
terre en criant : &Aï!..aï!.aï!.. view’ Louis 
» mourt là caba jour d'i.là ». En vain je le 
secouois, 1] n’osoit croire encore à son existence. 

Cependant Dessalines , commencant à se pro- 
noncer ouvertementwcontre l’armée expédition 
paire , évitoit, détestoit jusqu’à leur idiome; 
c'est pourquoi il reprit irès-sévérement le fils 
d’un propriétaire des Gonaïves, qui, créole de 
Saint-Domingue, s’avisa de lui parler bon 
français : Tiembé lague à sous, li dit-il en 
le toisant avec dédain, pourquoi chercher 
tienn’ les autr’ ? . 

C’est également ainsi qu'il parloit en voulant 
désigner des blancs anciens dans le pays, 
babitués-à ses mœurs et usages , et qu'on pour- 
roit, disoit-il avec faveur, épargner au besoin. 
« Blanc qui savé manger calalou, li pour nous ». 

C'est à semblable époque que ce général divi- 
sionnaire disoitaux conducteurs des habitations, 
pour les tranquiliser au sujet de quelques noirs 
qu’il faisoit politiquement fusiller ponr-capter ja 
confiance des blancs : « Moué après baye chat 


» rat’ pour migronner li... mais serré toujours, 


2892 VOYAGES 


» nioun” fusil dans quiou bananier ». Ce qui 
veut dire : («Je donne au chat un rat pour Pa- 
» muser..….. mais soyez toujours sur vos gardes, 
» et cachez un fusil dans les bananiers pour vous 
» en servir au besoin ». 

Enfin Dessalines avoit pour lui un jargon 
persuasif. « Grand vent p’ute pluie », disoitl" 
à ses soldats, en leur annonçant que les Français 
nouvellement arrivés ne pourroient résister à 
. leur marche forcée, et quege climat les meutroit 
bientôt hors de défense. 

De même Toussaint appeloit le colonel 
Gingembre-Trop-Fort, le porteur de ses ordres 
verbaux , Parole dans bouche , expression 
forte et sigmificauve. Avar@de sa confiance, ilne 
la prêtoit momentanément que par l’extrême 
urgence où 1l étoit quelquefois de faire parvenir 
ses ordres en même tems dans plusieurs endroits 
différens; ce qui lui faisoit dire : Airé aut 
mieux passé tendé. & M vaut mieux voir que 
» d'entendre, ou il ne faut croire que ce que l’on 
» à VU ». 

« C’est pas moi, disoit-il aussi à des pro- 
» priétaires des Gonaïves, qui va malheureux , 
» moi va b’entôt mouri ; mais Français layo 
» veni pour chicaner vouz autr” : tendé hèn 
» ça moi di vous; bœuf mouri, quitté malheur 
» pour cuir ». 


D'UN NATUÜRALISTE. 283 


Un officier noir de ses affidés étant part 
d’après les ordres de Toussaint pour aller sou- 
lever la partie espagnole, se rendit à Saint- 
Michaël, où par un esprit contraire à celui dont 
il étoit l'interprète et qu'il venoit inspirer, 
il fute tué comme chef d’une sédiuon déja 
allumée. Toussamt-Louverture fit venir auprès 
de lui le maire de cet endroit, et après lavoir 
traité avec douceur, un jour que de Coche- 
relles (1) 1l se rendoit avec ce fonctiônnaire 
public au bourg des Gonaïves pour y entendre fa 
messe, et qu’il cotoyoit l'habitation Desrouville, 
iout en égayant la promenade de ses proverbes 
habituels, tout en caressant fraftreusement 
la vicume innocente qu’il'alloit faire immoler, 
se voyant entre deux haies à Pabri de tous 
regards, et pour seuls témoins de son crime les 
initiés dans sa scélératesse, Loussaint condamue 
des yeux !.... À ce signe compris, le magistrat 
est assailli par quatre cavaliers armés qui Île 
mutilent en un moment, et le laissent sans vie et 
sans sépulture, Mme DY**, par humanité autant 
que par horreur d’un tel spectacle, obunt du 
général Vernet que le corps soit enterré. 

Tel fui le début des massacres qui précédèrent 


l'arrivée des France ais, contre lesquels Toussaint 
e 


(1) Habitation sur laquelle il avoit secondairement 
fixé son gouvernement des Gonaives, 


584 | VOYAGES 


s’étoit si impérieusement élevé. Ayant toujours 
contrarié la mission des agens français par des 
canons et des baïonnettes, il osa enfin lever 
entièrement le masque, et parut à découvert en 
manifestant son projet d'indépendance. Afin de 
plus sûrement indisposer les noirs contre les 
militaires de l’expédiuon, et par une opposiuon 
formelle, mettre à l'abri ses immenses pro- 
prictés, et conserver inviolable sa suprématie, 1l 
signal® l’étendard de la rebellion, s’entoura de 
ses fidèles conjurés, et eût opposé une digue bien 
plus meurtrière sans les prudentes dispositions 
de son vainqueur. | 

« La France est ingrate, leur disoitl, et loin 
» de reconnoître mes services, loin d'approuver 
» ma conduite, elle envoie des forces pour nous 
» remettre dans l’esclavage; mais jurons, sol- 
» dats, de ne jamais plier sous sa loi. Ils veulent 
» nous tromper ; soyons ingrats. Ils viennent 
» nous ravir une liberté dont ils nous avoient 
» assuré la durée; rassemblons nos forces, et 
» périssons tous , s'il lé faut, mais que nos frères 
» soient hbres » !.… 

Dessalines de son côté, pour mieux‘capter le 
suffrage des noirs en leur faisant espérer le retour 
de Toussaint-Louverture, leur annoncçoit aussi 
que les Francais de cette expédition ”n’étoient 
que des émigrés qui vouloient usurper le pays ; 
que les vrais Français viendroient ensuite. 


æ 
D'UN NATURALISTE. 285 


RER R VV LR RO CR Re D 


TYRANNIE DES NOIRS 
* A L'ARRIVÉE 


DES FRANCAIS. 


SECONDE PARTIE. 


D parjure à son 
pays , trahissant l'Espagne, disimulant encore 
sa rebellion , violant les traités, en faisant égorger 
des équipages anglo-américains qu’il a recus 
dans les ports, comme Y ayant apporté l’abon- 
dance ; Toussaint , animant plus que jamais ses 
noirs contre une expédiuon qu’il déclare enne- 
mie et composée de faux Francais , arme l’as- 
sassin, et est plus cruel que lui. Ces anthropo- 
phages unis par sympathie, par identité d'opinion, 
par unanimité de vengeance , se cherchent... se 
groupent , et enfantent des projets de crime et de 
destruction! Leur vœu n’est pas émis qu’ils sont 
déjà armés pour l’accomplhir, Leurs yeux avides 
cherchent par-tout des vicumes!......, elles sont 
immolées!....… et si la nuit cache une parue de 
leurs forfaits, 1ls empruntent l’éclat de flimbeaux 
pour se repaître à l’aise de sang et de carnage. 


286 VO" Ne ES 

La mort plane librement au dessus de ses victimes 
expirantes, elle jouit de son triomphe, et ap- 
plaudit à sa victoire! 

Porté naturellement à obliger, pouvois-je 
croire que l'ingraütude devoit atssi peser sur 
moi ? Tranquille , environné d’orages, rappelant 
le passé et mes dispositions présentes, je re- 
poussois jusqu’à l’idée du malheur et de la 
trahison : les couteaux étoient levés, nos bour- 
reaux se disputoient nos dépouilles. Que nous 
éuons loin de soupconner Fhorreur de ces assas- 
sinats ! Cependant le récit de’scènes sanglantes 
vint troubler la douceur de notre sérénité. 

Le Cap est incendié, se disoit-on tout bas; 
on fait surveiller les blancs; on se dispose à 
repousser la force par la force. La nouvelle 
arrive à l'instant aux Gôhaïves!.….… Soudain 
règne par-tout un morne silence, et notre cou- 
leur indiquée déjà de tous côtés par des yeux 
sournois et farouches, est le but de tous les 
regards homicides. 

Marchant confusément dans les rues sans oser 
lever les yeux, notre päleur annoncoit à nos 
assassins enhardis que nous étions tremblans 
et sans défense. Le lâche est insolent, et le 
peuple commenca à nous invectiver. 

Ayant des bastingages à établir au bord de Ja 
mer, tout en se riant de notre impuissance pour 


D'UN NATURALISTE. 287 


un travail aussi rude, on spécula cruellement 
sur nos travaux, et nous fûmes condamnés, par 
un raffinement de barbarie, à élever ces digues 
d’un tuf qu’il fallut encore aller réclamer et 
arracher des entrailles brûlantes d’une terre aride 
et gercée. Enfin on voulut retirer de nous quel- 
ques services, avant de nous livrer à la mort. 

La garnison fut doublée, et les insultes 
augmentérent en raison de. l’affluence contu- 
nuelle de nouveaux individus. A sept heures 
du. maun , la générale batüt. On nvap- 
pela à l’administration des domaines où je 
me rendis, et où l’on vint signifier à tous les 
blancs, de la part du gouverneur Toussaint- 
Louverture, d’avoir à se réunir sur la place. 
À peine arrivés, nous fûmes cernés par un ba- 
taillon de noirs, et après un discours orageux, 
dans lequel Foussaint finit par dire que puis- 
qu’on en vouloit à sa vie, on ne parviendroit 
à lui qu’en foulant les cendres des propriétés 
et des propriétaires, on s’élança sur nous pour 
nous désarmer. Tous les blancs de marque 
furent dès ce moment arrêtés et consignés. 

Un nommé Noël Rainal, homme dur et 
atroce , ennemi des blancs, fut chargé de nous 
conduire par les bois à la Peute-Füvière. Par 
les bois !...…. Noël Ramal!...…... Cest fait de 
notre existence, nous dimes-nous l’un à l’autre. 


288 VOYAGES 


Ainsi demain, peut-être à cette heure, nos 
cadavres seront gissans à l’Aruibonite, privés 
de la sépulture! Beaucoup d’autres conjectures 
venoient obscurcir encore le noir horizon de nos 
pensées. 

Cependant on nous déposa à l’Arsenal, où 
l'on distribua devant nous à nos satellites, des 
cartouches et des baïonnettes. Noirs pressenti- 
mens! que vous aviez d’empire alors sur nos 
cœurs glacés! Des refus, des bourrades envers 
ceux de notre connoissance qui venoient sin- 
former de nos dernières volontés, présageoient 
une mort cerlaine, sans une protection privi- 
légiée de lArbitre des destins. 

Le tyran vint repaître sa cruauté et repasser 
en revue ses victimes, en grondant à voix basse, 
et roulant avec horreur et férocité ‘ses yeux 
éuncelans ; 1l ordonna tout bas à Rainal, notre 
départ pour le bourg de la Peuite-Rüvière. 

Nous marchions deux à deux en capufs, 
coudoyés fréquemment par de durs satellites, 
déjà murmurant notre arrêt. La tête baissée , 
nous traversämes le bourg devant tout*un 
peuple confus, à qui il étoit sûrement encore 
resté un sentimentd’humanité. Plusieurs comblés 
de nosbienfaits, laissèrent échapper sur nos traces 
quelques larmes de regret et de reconnoissance. 
Nos farouches conducteurs , incapables de pitié, 

pressoient 


D'UN NATURALISE. 289 


pressoient vivement les tardifs, du nombre 
desquels étoit un vieillard dé quatre-vingt-un 
ans (1), qui demandoit la mort à chaque pas, 
accablé déjà par le poids de son âge, autant que 
par la frayeur. ë 


A peine avions-nous fait un quart de lieue, 
qu'on cria, kalte à la téte! Les malheureux ont * 
toujours de l'espoir, et c’est le seul bien qui 
nous restoit dans ces cruels momens. Nous 
aimiOns à croire à un ordre nouveau; nous nous 
persuadions déjà que Toussaint - Louverture 
étoit enfin touché de repenur. Des cavaliers 
paroissent, enveloppés d’un tourbillon de pous- 
sière ; nous pensons qu'ils viennent nous 
donner la liberté. O méprise affreuse! c’étoit de 
ces vampires affamés de sang et de brigandage, 
accourus pour se disputer nos dépouilles! Ils 
parlent à notre conducteur qui leur annonce 
froidement qu’il a ordre de nous transiérer à 
Ja Peute-Riviére, sans qu'aucun accident nous 
arrive. Décus dans leur barbare attente, les 
cruels tournent bride, et nous quittent en mur- 
murant, 

Arrivés à l'habitation de M Grammont, celui-ci 
voulut répondre au mouvement spontané de son 
épouse, qui s’élancoit vers lui pour lu dire 


(1) M. Javin, ancien procureur. 


Tome III. T 


200 # VOYAGES : 

un dernier adieu... mais des baïonnettes se 
croisent, et nos’ farouches soldats, insensibles 
aux larmes des époux, tiennent ainsi en suspens 
l’épanchement simultané du malheureux couple. 
Un enfant s’'avance aussi... il est repoussé! enfin 
les deux époux, glacés d’effroi, portent vers 
la ierre un regard humide, et n’osent plus se 
regarder. On éloigne Mme Grammont, et nous 
poursuivons notre route. Que je souffris en ce 
moment! mes jambes chanceloient sous mon 
corps presqu'inanimé. 

Après avoir traversé, pendant la forte cha- 
leur, la savanne torride de l'Hôpital (1), après 
avoir jeté des regards amers sur nos habitations 
qui se trouvent à la droite, après avoir examiné 
avec sensibilité des eux paisibles où naguères 
je jouissois d’une pleine et entière liberté; mar- 
chant en silence, humant la poussière, accablés 
de: faim et de soif, nous arrivâmes au bac de 
l'Ester, où les enfans naturels de M. Désdunes- 
Lachicotie ne voulurent point me donner des 
nouvelles de leur père (2). Le soleil se couchoit 


(1) Cette savanne immense et déserte est flanquée 
par le morne l'Hôpital, ainsi nommé parce que les 
flibustiers y avoient formé un asile pour leurs malades. 

(2) M. Desdunes-Lachicotte, refugié dans des mangles 

+ inabordables dont il connoissoit les issues, en sa qualité 
d'excellent chasseur, y avoit passé dans son canot 


D'UN NATURALISTE. 29 
alors, et sembloit, en fuyant, refuser d’être 
témoin de notre douloureuse agonie. 


$ 


tous les plusrands dangers ; mais trahi par ses enfans 
naturels, il fut livré par eux après leur avoir fait, par 
foiblesse, la reconnoïissance d’une partie de sa fortune. 
Ce même Lachicotte, doué de toutes les qualités du 
cœur, ne fitjamais que des ingrats. Dans le désastre 
affreux du débordement de la rivière de l'Artibonite 
au mois de septembre 1800, continuellement occupé 
à porter des secours à tous les affligés, ce brave homme 
aperçut non loin de chez lui, des mouchoirs en l'air en 
sigue de détresse. Il reconnut des êtres animés exposés 
sur des arbres de l'autre côté de la rivière de l'Ester, 
impraticable par la quantité de bois qu’elle charrioit, 
et par le craquement du pont qui se disloquoit à chaque 
instant , et devoit entraîner infailliblement tout ce qui 
en approchoit. Rien ne peut intimider Mr Lachicotte... 
ILest père, et veut sauver une famille entière. Cette 
famille a déjà voulu plusieurs fois lempoisonner!.... 
Il oublie tout; il n’a plus d'ennemis dès qu'il s'agit 
d'obliger; et 1l ne pense plus aux risques qu'il a à 
courir. Il emprunte vingt gourdes, et déjà dans son 
canot 1l appelle à son secours des aides qu’il promet 
de payer généreusement, 

Déjà l'onde frémité et cède aux efforts redoublés des 
rameurs, avançant quelquefois, et plus souvent re- 
poussés. [ls aperçoivent un chevron énorme qui flotte 
en menaçant leur versatile embarcation. Soudain ils 
se dévétissent pour pouvoir nager au besoin, mais 
leur précaution devient heureysement inutile, un 
contre-flot fait dévier la pièce de bois qui les 


Lo 


292 VOYAGES 


On fit charger les armes , et après quelques pas 
dans une route de traverse, on nous fit arrêter, et 
disposer quatre par quatre. Tous se regardent, et 
commencant à nous faire les derniers adieux , 
les plus pressés donnent au chef de la horde leurs 
montres et de l’argent. Ces féroces gardiens 
acceptent provisoirement les eflets, et nous 
remettent en marche. La lune se leveit, et vint, 
par sa pâle clarté, ajouter à notre sombre mé- 

-lancolie. Chacun se rassure un moment, mais 
bientôt même manœuvre : on nous cerne en res- 
serrant les rangs, et on nous demande tout ce 


qui a pu nous rester d'armes. On me prit à 
L4 


côtoie sans les heurter. Ce danger passé, un plus 
grand les attend : Mr Lachicotte impatient de sauver 
ces malheureux qui, pour mieux prêter à l'illusion d'un 
prochain engloutissement, se balançoient dans les 
branches de ces arbres qu'on croyoit sur le point de se 
déraciner, approche, il leur tend les bras... Un piége 
lui étoittendu, là même où aux dépens de sa vie 1] 
donnoit le plus bel exemple de générosité... Les pa- 
villons de détresse sont jetés à l’eau , etune décharge de 
coups de fusil vient repousser un sérvice si franchement 
rendu! Mr Lachicotte veut parler, une seconde dé- 
charge est faite... .. Dieu dirigeoit les coups... .. per- 
sonne n’est atteint!... Unetroisième et successivement 
d’autres jusqu’à ceque les rameurs, ayant redoublé d’ac- 
tivité et émus d'horreur contre les scélérats embusqués, 
aient reporté à terre l’auteur d'un si beau trait. 


D'UN NATURALISTE. 293 


moi une-canne de jonc que Javois à la main, 
quoiqu’elle ne fût pas redoutable autant qu’elle 
étoit attrayante par sa garniture en or. 


On reprit encore la marche dans ce morne 
silence qui la rendoit plus sinistre. Je proposai 
une halte à la plus prochaine habitauon , tant 
pour le repos que pour prendre un peu de 
nourriture. Au mot de rourriture nos gardes 
acceptent, persuadés qu’ils mangeront de meil- 
leur appétit que nous. Dés ce moment cette 
austerité qui les rendoit redoutables, s’'émoussa ; 
ils devinrent tous moins farouches, et poussérent 
même la prévenance jusqu’à nous offrir, pres- 
qu’arrivés à notre halte, une eau battue et 
dégoûtante, renfermée dans leur bidon (1) 


qu'ils se passoient à la ronde pendant la forte 
chaleur du jour sans nous en offrir. 


Un des négocians de notre malheureuse 
société fit la dépense; mais personne de nous ne 
put mauger, tant la terreur avoit engourdi nos 
besoins. Quant aux gardes, ils oublièrent 
bientôt leurs prisonniers à la vue d’un cabrit 


(1) Le bidon ef un vase destiné à fournir d'eau 
le soldat pendant sa route. Ceux de nos gardes étoient 
simplement une calebasse emmaillée de ficelle de 
pitt, espèce d’aloës dont on retire une sorte de filasse. 


i Ve. 
«) 


294 VOYAGES 

et de volailles qui disparurent en un instant. Le 
tafia les enivra tellement que la sentinelle même 
étoit profondémeni assoupie. 

Nous avions , comme on dit, la clef des 
champs; mais où fuir, étant environnés d’en- 
nemis de toutes parts. La couleur blanche 
proscrite et déjà condamnée, 1l étoit ordonné 
aux ateliers de faire feu sur tout blanc qui ne 
seroit pas escorté au moins d’un muhtaire noir. 
Où trouver des partisans?! Se séparer, c’eût 
été se trahir et se perdre. L'entreprise étoit donc 
impratucable. Aussi notre alternauve fut-elle 
une angoisse insupportable. D'ailleurs la malheu- 
reuse confiance qu’on avoit en Toussaint-Lou- 
verture ne nous fusoit regarder cette mesure que 
pour notre propre sureté, et nous metlrée ; SOUS 
la protection de la force Re à l’abri de 
toute sédition populaire. 

Sortis de leur ivresse, nos gardes se réveillèrent 
en sursaut et de mauvaise Rues semblables 
à des tigres rugissans au moindre briut. Après 
nous avoir compté tous, On reprit la marche. 
Nos corps affoiblis ressentirent alors des besoins 
de nourriture, mais les refus que nous essuyèmes 
dans les habitations où nou$ passimes nous 
obligérent de nous contenter de graines de bois 
d'orme qu’on donne aux pourceaux. 

Arrivés au bourg de.la PeuteRivicre de 


D'UN NATURALISTE. 295 


P'Arubonite (1) lieu de notre destination, on 
nous fait faire halte sur la place, et là , le féroce 
Lafortune commandant vient nous passer en 
“revue, en grondant comme un tigre à la vue des 
vicümes qu’il va immoler. 

Voyant autour de nous des compagnons d’in- 
fortune en liberté, nous espérions la mème 
faveur ; mais bientôt on nous fit prendre la route 
d’une prison infecte. N'ayant pour nous enfermer 
qu’un trés-peuit local, on nous ôtoit encore Pair 
dès le coucher du soleil. Ge supplice de fournaise 
étoit affreux et accablant. 

Un blanc de l’état-major de Dessalines vint 
me réclamer, et offrir sa caution pour mon * 
élargissement, Mais on ne la trouva pas suffisante. 
Un homme de couleur que je ne connoissois 
pas eut plus de succès; prévenu en ma faveur 
par Mme Desfontaines , habitante des Gonaïves, 
il üsa de procédés délicats et oMicieux pour les- 
quels je lui conserve, ainsi qu’à ma libératrice, 
la plus vive reconnoissance. 

Que de louanges à donner aux habitans du 
bourg de la Peute-Rivière pour leur généreux 
dévouement à la cause des prisonniers! Leurs 


(x) Suivant M. Moreau-de-St.-Méry, l'Artibonite 
tire son nom de la prononciation vicieuse du mot. 
Hatibonico des naturels du pays. 


T4 


290 VOYAGES 

lhibéralités envers nous, suivoient le cours pério- 
dique de noire infortune : que de bénédictions 
ils reçurent! Nous visitant en prison, tous 
apportoient, trois fois le jour, des mets en 
abondance, Les onze donzièmes étoient hommes 
et femmes de couleur, qui se conduisirent avec 
bien de la générosité dans cette catastrophe 
épineuse. . 

-Le curé se signala d’une manière admi- 
rable, par sa charité bienfaisante. Le nom de 
l'abbé J'idautnedoitétre prononcé qu’avec véné- 
rauon et des larmes de reconnoissance. Accom- 
pagné de ses deux enfans de chœur , et décoré 
de son costume sacerdotal pour se ménager de 
fréquens accès dans la prison , il réitéroit ses 
visites , et olroit d’une manière noble une 
surabondance généreuse. Tous avoient droit à 
ses bienfaits , plus encore les malheureux privés 
de protections et de connoïssances; le mème 
ordinaire leur étoit réservé, et ses meilleurs 
anis n’étoient pas mieux partagés que ces indi- 
gens abandonnés. 

D'autres nous faisoient des vêtemens, ceux-ci 
blanchissoient notre linge, ceux-là alloient 
affronter les humiliations chez le juge inexorable 
£afortune. 

Enfin la ville nous fut accordée pour prison, 
ras aprés la plus affreuse des nuits, passée dans 


D'UN NATURALISTE., 207 . 


des angoisses mortelles. Les vénts inquiétoient 
notre imagination craintive; le moindre mou- 
vement de nos gardiens imprimoit en nos ames 
agitées , cetie terreur suffocante que l'esprit de 
lhomme désarmé ne peut s'empêcher de re- 
douter. | 4 

Les soupirs de nos compagnons d’infortune, 
leurs moindres plaintes nous uroient de notre 
assoupissement si désirable, retraçoient lhor- 
reur de notre position, et nous faisoient pré- 
sumer l'approche de nos bourreaux comme 
trés-prochaine : aussi le sommeil difficile , com- 
battu par de fausses visions, ne vintil jamais 
surprendre nos veilles dans cet état d'angoisse et 
de perplexité ; le sommeil, le sommeil même, 
ce divin soulagement dans les maux qu’on en- 
dure, ne pouvoit appesantir nos paupières 
convulsives à qui l’effroi donnoit un battement 
involontaire. Des réveils en sursaut, soit par le 
tambour des marches nocturnes, soit par l'entrée 
imprévue de limpitoyable geolier qui venoit 
s'assurer de notre docilhité, harceloïient notre 
corps tremblant et abattu. Que de fois couchés 
sur une terre humide , et n'ayant pour oreiller 
qu’une grosse pierre brute, 1l nous sembla que 
la mort s’avancoit vers nous à pas lents, pour 
nous paroître plus terrible par l'idée des sup- 
plices qui nous attendoient ! 


298 VOYAGES 

Elargi le matin sous caution, je fus recu 
chez" M. Péraudin habitant du bourg, dont 
l’épouse enceinte de sept mois nous assistoit 
de même, et pourvoyoit à nos plus légers besoins. 
En général nous recûmes des, étrangers, des 
secours et des consolations que nous refusérent 
des parens qui , endurcis encore par ces événe- 
mens malheureux, se couvrirent d’opprobre et 
d'égoïsme à la veille du trépas qui leur étoit 
destiné. 

Obligés de comparoître soir et matin à un 
appel rigoureux, nous étions à la merci des 
chefs qui jouissoient de nous faire attendre et 
désirer un repas, qu'eux prenoient bien à l'aise, 
et à nos propres dépens. Rentrant sans défense 
au milieu de-leurs railleries amères , nous les 
entendions se demander avec affectation en nous 


L'espoir de pacifieauon adoucit nos bour- 
reaux , ou plutôt leur fit concentrer momentane- 
ment et avec eMort, leur haine inextinguible au 
fond de leur cœur pour toujours ulcéré; ce 
n'est point humamité, ils n’eurent jamais de 
piué ! mais la crainte des phalanges françaises 
les reunt dans leurs transports sanguinaires , 
jusqu’à nous accorder la ville pour prison. 

Semblables à la fauvette épouvantée par 
Pépervier , qui déjà lui a fait sentir sa supério- 


D'UN NATURALISTE. 299 


rité en la déchirant de ses serres aiguës ; comme 
elle, foibles et sans défense, nous n’osions 
faire un pas hors des bornes, dans la crainte 
d’être repris de nouveau : l'oiseau de proie lx 
caresse, la joue, lui fait éprouver mille morts, 
comme nos juges inexorables en nous balançant 
successivement de la vie au trépas. 

Aussi passions-nous également les nuits 
blanches chez M. Péraudin, dont la maison 
toujours cernée étoit à chaque instant prête à 
être mise à feu et à sang. Nous eûmes bien à 
nous louer de la valeur intrépide d’un griffe (1) 
nommé Jbhar, guide de Toussant-Louverture, 
mais voué aux blancs : 1l couchoit dans notre 
hangar , et repoussa plusieurs fois lui seul les 
hordes mutinées qui, la torche d’une main et 
le coutelas de l’autre, cherchoiïent à enfoncer 
notre foible porte, en la frappant à coups redou- 
blés. Quelle position ! sans armes , sans soutien, 
et en butte à touic la fureur des assaillans ! 

Cependant notre existence, la vie de quatre 
mille trois cents et quelques prisonniers tenotent 
au succès d’une démarche que fit faire Toussaint- 
Louverture auprès du général en chef Leclerc. 
Nous ignorämes quelles étoient les clauses; mais 


(1) Homme de couleur provenant du mélange d'un 
mulâtre avec une négresse, 


300 VOYAGES 


les courriers n'ayant rien rapporté de favorable, 
les fronts se ridérent , l’animosité s’enflamma , et 
Vardeur de la persécution devint plus terrible 
dans cet état de désespoir. 

On prétexta des propos de sédition, et aussitôt 
Vaccusation portée, s'étant assuré de notre 
présence par l'appel général, nous vîmes sortir 
de tous les coins des rues des peletons d’infan- 
teric qui s’emparèrent de toutes les issues. On 
nous fit rassembler en un corps à cinq pas de 
l'artillerie, et les canonniers à leur poste, la 
mèche allumée , disposant des seaux pour 
rafraîchir les pièces, se regardant les uns les 
autres en silence, braquérent sur nous les canons, 
puis les pointèrent. L’infanterie appréta les armes 
probablement pour achever ceux qui auroient 
échappé aux premières décharges. Enfin la 
mort nous environnant de toutes parts, j'avoue 
que, pälissant de frayeur à la vue de notre sup- 
plice, nos cœurs se fondirent , et que déja notre 
existence étoit oubliée de notre imagination 
paralysée. Plusieurs, pour éviter les souffrances 
d’un assassinat, se placoient les premiers afin 
que les mitrailles ne laissassent aucun vestige 
de leur corps. | 

Lafortune parut, et son regard farouche 
sembloit être le signal de notre trépas:ils’avance 
vers nous en grondant ; relit le chef de nos 


D'UN NATURALISTE. 301 


accusations arbitraires, et se contente de nous 
ôter la hberté; mais, hélas! le fatal moment 
n’étoit retardé que de vingt-quatre heures. 


L'époque est donc fixée ! des flots de sang 
. vont couler ! les bourreaux déja prêts rugissent 
d’impauence. Deux heures avant le massacre 
«général , un noir pressentiment du funeste évé- 
nement qui nous étoit réservé , obscurcissoit nos 
pensées jusqu'alors rassurées sur notre sort : le 
bruit sourd et confus de groupes environnant 
notre enceinte; un mouvement continuel d’al- 
lans et venans sur la place ; le sourcillement 
amer des gardes de l’intérieur; l’insolence du 
geolier qui n’avoit plus aucune considération à 
garder ; toutes ces remarques remplirent notre 
ame d’amertume. 


Ces ris sardoniens, expression forcée d’une 
joie contrainte, ces tristes effets produits à regret 
dans une angoisse inétouffable et sans cesse re- 
naissante, ces ris enfin, mille fois plus cruels 
que des pleurs, cesserent pour faire place à un 
morne silence. Chacun marchout la tête baissée, 
craignant de heurter Fami qui naguëres faisoit 
sa consolation. On étoitavare de questions , et par 
conséquent très-réservé dans les conjectures. 


Cependant la porte s'ouvre en criant sur ses 
gonds : deux blancs sont poussés du dehors; 


302 VOYAGES 


elle se referme soudain : tous les deux mes 
parens , l’un Rossignol -Dutreuil habitant de 
cette commune, et l’autre M. Bréard habitant 
près le pont de l'Ester: Ils n’avoient d’autre 
accusation que celle d’avoir recu de France 
des lettres antérieures annonçant .l’expédi- 
uon , lesquelles interceptées par ordres su- 
périeurs étoient gardées en secret depuis leur 
arrivée. Ces nouveaux prisonniers nous confir- 
mérent nos tristes pressentimens, en nous annon- 
çant que la ville étoit cernée ‘par un triple 
cordon de troupes et de culüivateurs armés ; 
sept pièces de canon chargées à mitraille placées 
à chaque issue du bourg, en cas de résistance 
lors du massacre des prisons; le transport de 
l'arsenal et des munitions de guerre, bombes, 
obus et boulets vers le haut des mornes, une 
quanuté de torches destinées à incendier le 
bourg, des cordes amoncelées à la porte des 
prisons, enfin l’arrêt de mort prononcé contre 
tous les blancs !.. ! Ils se taisent; nos cœurs sont 
glacés; une sueur froide se répand sur notre corps. 

Ils finissoient à peine leur récit qu’on frappe 
de nouveau avec vivacité. Nous sommes perdus, 
s’écrièrent plusieurs de nous!...! quatre gre- 
nadiers s’avancent.... nous frémissons..… enfin 
paroît tout à coup mon libérateur, M. Say chi- 
rurgien en chef, arrivant de Saint-Marc où 1 a 


D'UN NATURALISTE. 303 
connu mes ouvrages sur la médecine. « Où est, 
» M. Descourulz, s’écrie-t-1l, qu'il vienne à 
» l'instant; le général Dessalines le dernande »! 
Tour à tour agité de crainte et d’espoir, je ne 
sais si je dois répondre : enfin on me fait place; 
il s’élance vers moi, me prend par le bras, et 
me tre hors de la prison, en me disant d’une 
voix entrecoupée que le massacre va commencer 
dans une demi-heure !...! Ce coup m’atterra; 
cependant il falloit paroître devant ce juge inflex1- 
ble, qui néanmoins ne m’attendoit pas. M. Say 
n'ayant pu obtenir ma grace, vu l’immensité de 
nos possessions, avoit pris sur lui, en faveur de 
son influence auprès des soldais, de se dire 
envoyé par Dessalines qu'il vouloit intéresser 
par ma présence imprévue. Je parois : tout à 
coup les yeux éuncelans du ugre altéré du sang 
Desdunes (1) se dirigent vers moi, et me font 
tressaillir !.. Il se trouble! Je pälis!.… 
gronde !.. Je suis condamné !.. A peine les 
deux canons de ses pistolets sont braqués sur ma 
poitrine , qu'il a déjà fait signe à sa garde 
d’obéir à son atroce volonté. Ils m’ont bientôt 
saisi ! déjà l’on m’entraînoit, l’ame presqu’éteinte, 


(1) Rossignol - Desdunes, famille nombreuse et 
respectable du quartier de l'Artibonite, à ATEN je 
suis allé. 


s- 


304 VOYAGES 

absorbé autant par l'incertitude que par la dou- 
leur. Je marchois au supplice lorsque son épouse 
treimblante et alarmée embrasse ses pieds pour 
lui demander ma grace. M. Say de son côté, lui 
observe avec fermeté que je lui ai sauvé la vie 
dans une fièvre inflammatoire; qu’il y a dela 
cruauté, de l’ingratitude à me traiter ainsi. Ces 
mouvemens de pitié en ma faveur le fatiguent, 
irritent encore son Courroux, €t toujours inexO- 
rable, 1l s’écrie d’une voix plus forte et en- 
rouée : « (1) N’oncl à li mourir’. li va mourr 
» tou’ jour di la. Soldats , far ca moué di vous. 
» oté li douvant g'yeux à moué: conduis li 
» pisser où ü vous connoi (2). Non, s’écrie 
» Mme Dessalines, en embrassant de nou- 
» veau son époux furieux qui la repoussoit 
» toujours; non... il n'ira pas »! Elle pleure... 
Le tigre est en suspens !....@Un mouvement 
divin qu’il ne connoît pas achève d’émousser 
pour l'instant les traits de son  ressenti- 
ment. 11 devient, pour la première fois de sa 


(x) Ses oncles sont morts, 1l périra aussi. Soldats, 
obéissez..... qu'il sorte de devant mes yeux ; menez- 
le dehors où vous savez. 


(2) Le mot pisser étoit le signal de la mort à la baion- 
nette; il exprime dans cet idiome le ruissellement 
impétueux d’un sang forcément épanché. 


Vie, 


D'UN NATURALISTE. 305 
vie, pitoyable, et s’écrie : «Soldats, quitté 
blanc-à » ! Puis à moi. « Sort devant g’yeux à 
» moué » ! Son épouse étonnée de ce moment de 
douceur, me fait signe en ouvrant une porte 
dérobée de me cacher sous le lit. Bientôt ce 
nouveau Néron rentre dans sa chambre, et 
s'attable avec plusieurs officiers généraux de 
son état-major. Ils sumulent, à l’aide de boissons 
enivrantes et de recits de cruautés commises 
par certains propriétaires blancs , leur ardent 
désir de se venger des insignes vexations exer- 
cées envers leurs semblables au tems de 
leur esclavage. Ils plaignent plusieurs indi- 
vidus qui seront victimes innocentes : une 
seconde rasade interrompt ce mouvement de 
piué ; Îles traîtres ne parlent plus que de 
mort! Mon histoire est racontée (rt). Ils ne me 
croyoient pas si près d'eux, lorsque Dessalines 
se levant apercoit nne de mes jambes, et me 
dit : « Ça vous faire là p’ut blanc » ? Glacé de 
frayeur, je ne pouvois remuer ; il me üra par le 


a — 


(1) «Blancs France layo, disoit-Dessalines, gagné 
muhice, ouil...... Yo connoi tout queuq'chose. 
» Miré Descourtilz, li connoi musique passé qui! 
li connoi traité mounde qui malade ! li connoi toute 
bête layo qui après couri’ dans l'eau, comme dans 
terre! li. après pinturé yo semblé si ÿo vivans, li bon 
garcon, mais li assez : ça domage tuié li ». 


Toue NL, 0 


L-1 


Y OS 3% 


» 


306 VOYAGES 


pied , et après s’être plaint de mon indiscréuion, 
1l me renvoya à sa femme. M, Seguinard, qui 
avoit trouvé le moyen de se cacher sous le 
même lit, ne fut pas aussi heureux que moi; car 
le commandant Lafortune l'ayant aussitôt apercu, 
ils s’armèrent tous de leurs sabres, et malgré les 
eHorts de ses mains suppliantes , l’infortuné 
fut écharpé sur la place. 

Toute la Nature génnssoit de cet acte de 
cruauté, les animaux eux-mêmes; d’un côté, 
les oiseaux interrompoient le silence par des 
chants pluinufs ; et ailleurs les quadrupèdes, 
per des beuglemens sourds et entrecoupés , 
sembloient prendre part à un événement aussi 
funeste. Des troupeaux immenses de moutons, 
cabrits, bêtes à cornes , appartenant à Dessalines, 
où provenant du pillage des habitauons de l’Ar- 
übonite, qu'il faisoit conduire dans /es cahos, sa 
retraite éloignée du théâtre de la guerre, six 
bœufs se détachèrent de la tête, mugissant 
d’une manière remarquable , et s’avancant à 
regret vers un terrain qui alloit être imbibé 
de sang; ils côtoyèrent la prison, fouillèrent 
avec précipitation une fosse énorme (1) qui 
sembloit indiquer le lieu d’une sépulture. Elle 


(1) Ce fait surprenant est connu de tous ceux,qui s CU 
ce bourg, ont échappé aux horreurs du massacre. 


D'UN NATURALISTE. 307 


servit à quelques malheureux tués des premiers 
coups de feu, sans que beaucoup aient fait cette 
remarque qui ne m'a point échappée. 


À sept heures du soir, une heure après ce 
passage, la tête des noirs étant échauflée par 
le tafia, on ordonna l'incendie qui de ses 
tourbillons enflammés précéda immédiatement 
le massacre, J'ai conservé jusqu’à présent le sou- 
venir du son aigre et funèbre de la générale, 
exécutée par quarante tambours et autant de 
fifres criards, percant l'air de leurs sifflemens 
obstrnés par le souffle impétueux et forcé de 
leur rage impatiente, 


Bientôt le signal du massacre général fut 
donné! Le ciel cacha cette scène d'horreur 5 
la lune se levoit, mais sa transparence fut trou- 
blée : de tous côtés le bruit d'armes à feu ré- 
valloit la douleur assoupie. Chacun prêétoit 
l’oreiile ; c’étoit pour entendre les derniers cris 
plainufs de .vicüimes expirantes sous les coups 
redoublés des assassins, soit à la baïonnette, soit 
à la crosse de fusil! La mort de l’arme à 
feu, trop douce pour assouvir la cruelle rage de 
ces cannibales , ils ne s’en servoient que pour 
ceux qui étoient recommandés. Les blancs du 
canton, libres sur parole, furent bientôt pour- 
suivis et ramassés de toutes parts. Leur cer- 


V 2 


308 VOYAGES 


velle, jaillissant de 1ious ‘côtés, alloit s’attacher 
aux murailles ensanglantées. 

Bientôt le plomb meurtrier siffle de tous 
côtés, la balle perfide va frapper indisinctement 
le vieillard et l'enfant ; elle ne respecte personne. 
Le tyran Dessalines à l’œil hagard et étincelant , 
portoit sur son front ridé l’empreinte de la 
cruauté et de la scélératesse. Il appeloit d’un 
geste les exécuteurs atroces de sa volonté sangui- 
naire, les rassembloit, les excitoit, et les harce- 
loit en les agaçant par des souvenirs d’esclavage. 
Par-tout les cendres éparpillées, les cadavres 
frémissans décéloient le passage des assassins, 
et leur marche sanglante. Les victimes, saisies 
par leurs bras vigoureux, vouloient en vain 
lutter contre un groupe d'Hercules forufiés en- 
core par une rage frénétiqne. Le courage s’éva- 
nouissoit bientôt chez notre classe impuissante , 
pour faire place au sentiment douloureux d’une 
frissonnante frayeur ! 

Les rues étoient jonchées de cadavres; et vou- 
Jant me cacher chez M. Massicot, chirurgien de 
l’ambulance Lucas, dont la maison étoit gardée 
pour la sûreté des officiers de santé, je chancelois, 
dans ma marche peu assurée , à la vue de 
parens où d'amis expirans dans des tortures 
affreuses , obligé de fouler, de meurtrir ces 
chères dépouilles pour me rendre à ma desti- 


D'UN NATURALISTE. 309 


nauon, toujours à la veille d’être frappé moi- 
même, et de grossir les monceaux de ces corps 
palpitans ! 

J’entrai chez M. Massicot ; mais quelle sûreté 
devois-je attendre dans une maison à elaire-voie, 
gardée par une sentinelle déjà ivre, qui pouvoit 
être culbutée par un peloton de ces assassins 
elfrénés, cherchant à violer notre asile pour 
- y piller le tafia et l’or qu’on savoit y être. Le 
vieux Massicot, dans cet état où J’avarice devient 
plus que jamais méprisable, avoit peine à se 
décider à retirer de fonds sablés une bouteille de 
vin vieux; il ne nous offroit que de l’eau. Il 
perdit plus tard, par l'incendie, le fruit honteux 
de sa fausse économie, sans exciter nos regrets. 
Plus occupé de son porc à l’engrais que de sa 
propre vie, 1l ouvroit continuellement sa porte, 
qui toujours eut dû être fermée pour éviter des 
méprises dangereuses. Et pourquoi ces précau- 
uons? pour demander d’une voix tremblante et 
cassée , si fanfan étoit toujours là. Fanfan étoit 
le nom de son cochon. 

Ces scènes burlesques, qui dans tout autre 
cas eussent été récréatives, nous fatiguoient par 
leur ridicule. Plusieurs de nos chirurgiens , se 
croyant en sûreté, soupèrent tranquillement : 
pour moi, semblable au jeune agneau qui 
attaché au fatal poteau y attend son sort, je 


V 3 


310 VOYAGES 


reslai quarante-huit heures sans manger n1 dor- 
mir, mort enfin à tout sentiment. O mon épouse! 
toi mon fils! à mon pére! et vous tous mes 
amis! que le souvenir de notre séparation m'était 
alors douloureux! Je vous criois adieu! 
mais vous ne pouviez l'entendre ; hélas! des 
mers immenses nous séparotent. 

Pendant cette consternation générale, je 
sortis un instant dans le jardin, mais.... Ô: 
Bouté divine! un nègre que je ne CONNOISSOIS 
pas, et que je crovois chargé de mon exécution, 
vint me prendre par le bras, et m'entraiîna 
d'abord vers une masure dans laquelle 1l me 
dit de me mettre à genoux...... Je crus que 
c’étoit fait de moi ; mais lui-même se jetant à mes 
pieds ; il se nomma comme malade guéri de ma 
main, et nr'assura que je n’avois rien à craindre, 
Observant ensuite que cet endroit étoit trop à dé- 
couvert et trop près de l’importun M. Massicot, 
qui venoit d'y arriver avec son fanfan, ce bon 
nègre me fit rampeér parmi des épines sous Ja 
voûte touffue d'une haie de campêches jusque 
vers le bord d’rn ruisseau. C'est là qu'il m'y fit 
cacher sous des pois de France ramés, dont il 
m'enveloppa la tête pour me laisser respirer , et 
veillant sans cesse aux environs, 1l ne me quutta 
pas d’un. seul instant. Malgré ses vigilantes 
précautions, fut apercu par des maraudeurs. 


D'UN NATURALISTE, SII 


On üra sur lui; la balle vint siffler au dessus dé 
ma tête. Il se jeta sur moi en contrefaisant 
livrogne, et ne quittant point ce caractère ingé- 
meusement imaginé, il balbutia qu’il n’étoit pas 
blanc, qu’il étoit nègre Congo, mais qu'il ne 
pouvoit les suivre. Aoué fini net caba, disoitil 
d’une langue épaisse; moué pas capab” bougé 
place la ; moué sou caba. Ce qui veut dire : Je 
Suis ivre mort. 

A vides de pillage, etanimés eux-mêmes par le 
tafia et le vin, ces assassins crurent mon libé- 
rateur sur sa parole, et tournérent leurs pas 
vers de nouveaux crimes. Ainsi donc la vie 
confinée dans sa derniére retraite, je la resaisis 
encore aux portes mêmes du tombeau. J'étouflois 
sous le poids de ce nègre bienfaisant qui, par 
cette ruse, toit tout soupcon de trouver quel- 
qu'un aussi près de lui. I se releva, et pleura de 
joie de m'avoir sauvé. I me garda ainsi jusqu’au 
lendemain maun, non sans crainte, mais tour- 
menté par une juste frayeur, en nous trouvant 
au milieu du théâtre d’un carnage toujours 
renaissant. 

Pendant ce tems, l'asile divin fut souillé; 
l'autel teint du sang d’un jeune homme de seize 
ans , qui, les cheveux épars, venoit à genoux 
implorer la protecuon de la Divinité ; les mains 
et la bouche dégoûütans de sang, nus, malgré 


LR" 


312 ( VOYAGES 


la sainteté du lieu, les cannibales ‘achevèrent 
cette victime innocente qui avoit résisté à plus 
de quarante coups de baïonneue ! 

Bientôt la garde meurtriere fonce la porte de 
la prison où l’on avoit eu soin de concentrer 
dans chaque chambrée les malhenreux prison- 
niers pour n'éprouver aucune résistance. Les 
premiers numéros sont appelés deux à deux, 
attachés par les bras l’un à l’autre, dépouillés 
de leur argent, de leurs vêtemens, puis lardés a 
coups de baïonnette, Déja le tas des expirans 
commence à grossir , que ces bourreaux se plai- 
gnent de la lenteur de l’exécution : lassés égale- 
ment de plonger et replonger l'acier émoussé 
dans ces chairs repoussantes, ils fusillent au 
passage. Les prisonniers sortent en foule pour 
hâter une mort prématurée ; le feu devient plus 
vif. C’est par ma chambrée que l’on commenca; 
aucun des quatre-vingt-sept n’échappa à cet 
horrible carnage ! 

Des disputes s’élévent parmi les soldats qui 
décident de composer avec chaque prisonnier 
sur le genre de supplice : les uns étoieut exécutés 
à l'arme à feu, ceux-là à l'arme blanche , d’après 
l'argent donné aux sous officiers porteurs de 
fusils, ou aux soldats munis de coutelas et de 
baïonnettes. On ralentit donc de sang-froid ces 
momens de carnage afin d'éviter la confusion !..! 


Quelle barbarie !...! 


D'UN NATURALISTE. 313 


Des cris percent la foule ; bientôt paroît dans 
l'obscurité le ministre apostolique revêtu de ses 
babits sacerdotaux , l'abbé Vidaut, dont je répète 
le nom avec vénération : consolateur de nos 
momens d’anxiété, 1l ne s’étoit point contenté 
de nourrir avec abondance la majeure parte des 
prisonniers, pour lesquels il fit des sacrifices 
énormes ; 1] falloit encore sauver la vie de quel- 
ques-uns , en exposant visiblement la sienne : 1l 
est méconnu par ces démons emivrés; il est 
repoussé , frappé; des balles effleurent ses vête- 
mens, rien ne l’étonne; 1l coupe de tous côtés 
les liens qui unissent les victimes, et en sauve 
un grand nombre que les soldats laissent passer , 
croyant qu'il a des ordres, et d’ailleurs apaisés 
par de l’or qu’il prodigua avec libéralité. 

Maintenant à Angoulême, 1l verra, je crois 
avec plaisir, que justice lui est rendue par un de 
ceux qu'il a si généreusement obligé, et qui 
s'efforce de lui prouver toute sa reconnoissance. 
Il eût été à souhaiter que dans chaque division 
les ecclésiastiques se fussent conduits de même. 
Enfin 1l est obligé de sorur , repoussé par les 
soldats dont l’avidité insaüable ne trouvoit 
plus à profiter des dépouilles. Il fuit en heurtant 
absence rallume une rage lésérement assoupie. 
Les têtes volent de nouveau sous le coutelas 


314 VOYAGES 


homicide ; le sang coule à grands flots ; les bour- 
reaux sont baignés, abreuvés, rassasiés d’un 
sang qu'ils ont depuis si long-tems demandé! 
Une autre chambre est ouverte : quelle est leur 
surprise d’éprouver un retard, de n’en voir 
sorüur personne , de ne plus trouver en ce cachot 
qu'un seul prisonnier! l’affreux suicide avoit 
exercé son criminel empire, et devancé le terme 
de la carrière de ses compagnons : les uns 
étranglés avec leurs cravates , d’autres empoi- 
sonnés par les narcotiques du pays, ou Popium ; 
ceux-ci percés de leurs propres mains; un seul 
n’avoit pas craint d'affronter la cruauté de ces 
bourreaux , dans le vain espoir d’adoucir pour 
quelques momens leur frénétique fureur , ou 
au moins d'en suspendre les effets. M. Lapointe, 
âgé de trente ans et père de deux enfans, 
demandoit un retard de deux heures pour les 
embrasser encore une fois avant de mourir : 
vaine tentauve ! la piüé n'existe plus dans des 
cœurs avides de forfaits et gorgés d’atientais!.… 
On lui fait un erime de sa demande, et pour l’en 
punir , on exerce sur lui mille cruautés ! 1l est 
dévirilisé ! on lui rompt les doigts à la renverse, 
puis tour à tour il est transpercé et muulé, on 
le met en pièces. L’un d’eux qui le savoit mon 
parent et mon ami, propose de n’envoyer cher- 
cher, pour savoir si avec tout mon art je 


D'UNANATURALISTE. 315 


pourrai rassembler les lambeaux , et leur rendre 
l'existence. Du sentiment!!! les cruels! Is ne 
purent me trouver. Tremblant au fond de ma 
fosse, je m’entendis bien appeler chez M. Mas- 
sicot; mais je me serois bien gardé d’en sorur. 
Un autre officier de santé fut emmené, bafoué 
et maltraïté. 

Düix-sept noirs furent tués sur la place, 

“chacun pour avoir soupcouné son voisin du 
vol d’une ceinture contenant environ trois 
cents portugaises , qui font douze mille 
francs. Elle appartenoit à M. Giraudeau, 
sous-chef de l'administration des Gonaïves. Cet 
or passa furtivement de main en main jusqu’au 
dix-sepuème, qui lui-même fut té par un 
officier noir qui s’en empara et s'enfuit: cet 
homme immoral se plaisoit, dans‘lés camps, à 
répéter ces actes d’atrocité. 

Dans ces ténèbres éclairés à regret par la lune 
pâle et ensanglantée, avare de son. flambeau, 
sous le ciel obseurci où elle s’échipsoit à 
chaque instant, soustraite par l’amas condensé 
des vapeurs du sang humain répandu ; ces bar- 
bares anthropophages animés dans leur férocité 
naturelle par une liqueur enivrante dans 
laquelle ils baignoient des membres palpitans, 
un sexagénaire paisible (1), ayant près de lui 


(:) M. Flacquet, demeurant à Saint-Marc. 


316 VOYAGES 


toute sa fortune , un fils doux et bien aimant, 
s’avancoit à pas tremblans, conduit par le jeune 
homme vers des campêches touffus , avec l’es- 
poir d'échapper une seconde fois à la mort. Il 
heurte dans cette marche chancelante un corps 
ayant encore vie, qui laissa échapper une plainte 
au renouvellement de ses blessures engourdies ! 
il est entendu d’une embuscade prochaine dont 
les soldats fondent , avec l’impétuosité de tigres® 
altérés de sang , sur les trois malheureux sans 
défense ! 

Pleins de fureur, grincant les dents, écumant de 
la rage du ressentiment, ils frappent! bientôt 
les trois troncs sont confondus dans un sang qui 
jaillit detoutes parts. Le père est décapité; et 
le fils !..... contraint, malgré ses débats et 
l'horreur d'une pareille monstruosité, à recevoir 
dans sa bouche resserrée la cervelle famante 
de l’auteur de ses jours qu’on lui a fait poi- 
gnarder !....... Je reconnus ces trois cadavres le 
lendemain , au sorur de la fosse où l’on m’avoit 
fait passer la nuit, et je ne pus éviter ce spectacle 
atroce sans la cerutude , au moindre regard de 
piué, de voir le même terrair: abreuvé de mon 
sang par ces bourreaux à moitié endormis au- 
tour de leurs victimes ! 

Les tumultueux eflets de cette barbare effer- 
vescence n’avoient point encore incendié de leur 


D'UN NATURALISTE.  3r7 


feu rongeur les habitations reculées de l’'Arui- 
bonite, où les habitans, paisibles encore et 
pleins de confiance en l’amelioration annoncée, 
attendoient, dans un espoir flatieur, ce jour tant 
désiré. M. Dubuisson, octogénaire et privé de 
la vue, se hvroit dans le silence de la méditation 
à de riantes conjectures lorsqu’entendant du 
bruit, et tranquille encore à la veille d’une 
mort violente, 1l en appelle les auteurs , croyant 
appeler ses domestiques ; mais !....… le poignard 


7 


M. Dubuisson seul étoit tranquille !..... les 
assassins se disputent le premier Coup... 
-Porté par des ingrats, 1l est mortel !...…… et 


des flots de sang se mêlent aux reproches 
de l’octogénaire qui expire en pardonnant à 
ses bourreaux! 

. Les habitans du Gros-Morne, bourg de la 
dépendance des Gonaïves, furent de tous les 
prisonniers les plus misérablement tourmentés. 
Le commandant Guibert, d’abord humain, 
mais ex-aide-de-camp de confiance de Toussaint- 
Louverture, en développa les principes sangui- 
naires , long-tems alimentés dans son sein, dés 
que livré à sa propre volonté, il s’éloigna de 
son général. Docile aux lecons de son maître, 
1] mit à exécution, avec une scélérate exactitude 


318 VOYAGES 


qui annonce un partisan zélé du crime et du 
brigandage, des ordres destructeurs qu'il pouvoit 
soustraire, 

Toujours bien accueilhl des propriétaires, 
Guibert fut insensible à leurs bontés au point 
de les trahir. Au milieu d’un repas communal 
auquel les habitans du Gros-Morne assistérent 
avec trop de confiance, Guibert, sous le voile 
mensonger d’une feinte cordialité , fit saisir ces 
habitans , puis étroitement garrottés, il les fit 
garder à vue, malgré les sages représentations 
de Mrs Paul, Prompt et autres propriétaires 
de couleur, vrais amis du bon ordre, et tou- 
jours armés pour le rétablissement du pays. 
El les fit conduire au milieu de terres sauvages 
de la partie espagnole , en les .harcelant dans 
leur marche pémble et raboteuse, pour ensuite 
les faire revenir au Gros-Morne, et de là les 
pousser comme des agneaux aux Gonaives, 
où, leur refusant toute autre nourriture que 
celle de baies de bois d’orme , après une route 
forcée de plus de vingt-quatre lieues, dans 
laquelle leurs bras crevèrent par la contusion et 
l'expansion d’un sang extravasé , is arrivèrent 
près du bourg de la Petite-Rivière où ils furent 
tous massacres ! 

Souvenirs affreux, enveloppez-vous de vos cou- 
leurs lugubres! Génie de l'amitié, venez honorer 


D'UN NATURALISTE. 319 


les manes de malheureuses vicumes. Auteur du 
monde, frémis du haut de ton séjour céleste! 
Rends-toi protecteur de victimes innocemment 
sacrifiées, et dénonce à ta Justice les hordes 
criminelles de ces assassins effrénés! Parle! et 
bientôt punis de leur atroce scélératesse, 1ls vont 
expier , dans de violens remords et dans la 
misère la plus affreuse, la somme totale de leurs 
iniquités. Commande, et bientôt confondus, 
leurs corps grossiront les monceaux de leurs vic- 
ümes pour leur annoncer que toujours les crimes 
sont punis. Leurs spectres odieux iront implorer 
un pardon secourable des cendres mêmes de 
ceux qu'ils ont égorgés. 

Ah! Marum, Cressac, Pelleuer, Imbeau, etc. 
et vous tous, mes amis, dont il ne me reste plus 
que le souvenir des vertus, dont les noms me 
sont si doux à prononcer, du séjour bienheureux 
que vous habitez sans doute, pardonnez à vos 
méprisables ennemis , aux délateurs, aux bour- 
reaux de l’innocence... Que dis-je, pardonnez?..! 
Votre poussière s’agite.. je me tais. Je vous vois 
encore, trop malheureux amis, dans les hor- 
ribles supplices d’une douloureuse agonie, vos 
lambeaux se révoltant sous le couteau brut de 
vos lâches assassins. Et toi Jfarsan!…. mort 
mille fois ; toi, dont le corps tout déchiré après 
trente heures de convulsions cruelles , se tourna 


320 VOYAGES 
encore vers ton ami pour lui désigner d’une 
main sans force le lieu prochain de ta sépulture, 
une terre abreuvée de ton sang! Toi qui as 
épuisé l'innovation sanguinaire et lente d’enfans 
qui se jouoient de tes, souffrances , en plongeant 
et replongeant leur criminel acier dans tes bles- 
sures profondes et innombrables! Toi que des 
soldats impitoyables n’ont pas voulu me laisser 
secourir, recois l’expression de ma tristesse et de 
mes regrets | 
Après le repos de cette nuit désastreuse, c’est 
de sang froid que les assassins veulent porter 
de nouveaux coups. Le commandant Lafor- 
tune annonce impudemment aux moribonds 
échappés an carnage, que de nouveaux meurtres 
sont nécessaires; qu'il n’a point assez coulé de 
sang, puisqu'il existe encoredes blancs. Un piquet 
est donc de suite commandé pour faire de 
nouvelles perquisitions dans les masures à demi- 
brülées ; l’ordre est donné de garrotier tous les 
fugiufs , et de s’en défaire. La patrouille meur- 
trière de retour chez Lafortune, raconte ses 
exploits. On fait une nouvelle recherche dans la 
maison même du commandant, et douze blancs 
retrouvés sont martyrisés, malgré leurs supplians 
gémissemens. Les uns, lardés de piquans de 
raquetie sous les aisselles et les cuisses, furent 
forcés de courir jusqu’à exuncuüon de leurs 
forces. 


D'UN NATURALISTE, 3at 


forces. Des femmes enceintes furent empalées, 
d’autres eurent les yeux crevés par des épingles, 
et des enfans furent dévirilisés avec de mauvais 
ciseaux. 

Quant à moi, craignant toujours le caprice de 
ces bêtes féroces, je m’étois caché pendant la 
visite dans un salon du commandant Lafortune, 
derrière M. Péraudin, domicilié du bourg, et 
malade d’un ulcère à la jambe. A chaque fois 
que quelque soldat vouloit approcher de lui, il 
crioit de mamière à faire croire qu’on lui avoit 
froissé sa plaie; ce qui.écartoit l’importun. 

Je fus cependant envoyé, pour la dermère 
visite , à l’ambulance Lucas, dont l’habitauon se 
trouve à une portée de fusil du bourg; et malgré 
mes représentations, On me contraignit à y aller 
seul. Comme il étoit à craindre qu’au poste 
du dehors, ou même dans les rues désertes, 
on ne me prit pour un fugitif, j’eus la précaution 
de tenir d’une main une trousse et un lancetier; 
de l’autre, des bandages largement déployés, 
et un pot de digesuf, pour qu’on n’ait point à 
douter que mes services étoient utiles. Bien m'en 
prit, puisqu’au détour d’une hate hérissée de 
baïonnettes, un peloton m’ajuste et alloit urer, 
sans mon empressement à crier que je suis mé- 
decin de l’armée, et à en déployer les preuves 
aux yeux des assistans. Cependant on m’arrête, 


Toue I, X 


OA * : VOYAGES 
on m'examiie, et, malgré mes sermens, je ne 
sais Ce qu'on auroit fait de moi sans l’arrivée de 
M. Conain, ancien praticien de Saint:Marc, qui 
me suivoit, et allnit, comme moi, à la même 
ambulance. 
Ce peloton environnoit un groupe de blancs 
ramassés dans les bois, au secours de chiens 
qu’on avoit mis à leur quête. On nous fit 
signe de nous éloigner, pour ne pas les recon- 
noître, mais Javois d’abord apercu mes deux 
ivalheureux oncles, M. Rossisnol-Desdunes- 
Poincy, père de famille sexagénaire , et son 
frère Lachicotte, ce brave et digne homme dont 


24 


j'ai déjà parlé (1), M. Alain notre négociant, et 


(1) M. Desdunes-LTachicotte avoit pour valet de 
chambre de confiance un nommé Lubin, qui fut son 
ennemi le plus prononcé. Déjà son généreux maître 
l'avoit arraché des bras de la mort, un jour surtout qu'il 
y fut condamné pour avoir brûlé trois cartouches sans 
pouvoir ätteindre M. Lachicotte. Ce féroce favori, dé- 
pourvu de naturel et de reconnoissance , se voyant enfin 
au moment d'assouvir sa rage , refusa quelques pièces 
d'or des son maitre, qui le conjuroit par ce dernier 
présent , de lui donner au moins une prompte mori. 
Lubin préféroit se repaître des souffrances affreuses 
de son maître, qu'il transperça à coups de baïonnette, 
Telle fut la fin malheureuse d’un ami bon, sincère 
et généreux, au souvenir duquel je donnerai toujours 
quelques larmes ! 


D'UN NATURALISTE. 323 


plusieurs autres. Un marchand des Gonaïives 
par exemple, basque, peut, mais très-alerte, 
ayant été dépouillé de ses habits pour être poi- 
gnardé, sans perte d’effets, eut la présence d’es- 
prit d’étourdir ses deux gardiens par une paire 
de soufflets, puis d’un élan de sauter tout nu 
par dessus la haie, et de courir précipitamment 
dans les sillons de cannes à sucre, pour y cher- 
cher un salut qu'il ÿ trouva , quoiqu’ayant 
essuyé à son départ un feu assez vif que nous 
entendimes. Il restoit le jour sous le feuillage, 
et marchoit la nuit à la faveur des ténèbres, 
jusqu'à ce qu'il ait eu le bonheur de rejoindre 
une colonne de l’armée française, ainsi qu’il me 
le raconta. Son camarade, M. Rospitt, comman- 
dant de la garde nationale des Gonaïves, basque 
aussi, mais plus grand et moins exercé dans la 
gymnastique, ne fut pas si heureux; car ayant 
manqué son saut, et étant retombé au milieu des 
épines de la haie , il y fut brûlé vif! 

J’arrivai tremblant à l’ambulance Lucas; et 
pour comble de contrariétés, on m’ordonna 
d’amputer un chef des assassins, mutlé par 
méprise au milieu du feu de la prison. Je ne 
sais comment 1l put survivre à ses blessures ; 
ce n’est que le lendemain matün qu'il se traîna 
seul à l'hôpital. La vue d’un pareil monstre 
rougi du sang de mes parens, de mes amis, d’un 


X 2 


324 VOYAGES 

sang innocent confondu à celui de la scélé- 
ratesse, troubla ma raison ; je m’évanouis. Cette 
sensibilité pensa m'être funeste; on m’invectiva, 
et les propos ne se calmèrent que quand j'eus 
dit que cette défaillance provenoit d’un besoin 
de prendre quelqu’aliment. 

Enfin, ayant recu ordre de 1ransférer les am- 
bulances au Calvaire { habitauon Miraut), nous 
quittèmes les cendres fumantes du bourg de la 
Peute-Rivière, pour nous acheminer vers notre 
desuünauon. J’abandonnai, le cœur bien contrit, 
ce terrain ensanglanté dépositaire de tant d’objets 
chéris, et je tournai vers les montagnes mes 
regards pleins d’amertume. Aux cadavres des 
hommes étoient joints ceux des animaux domes- 
üques- sacrifiés dans livresse féroce de ces 
barbares , qui avoient également tué une quan- 
uté immense de volailles |, sans les mettre à 
profit. Ces hommes féroces poussèrent la cruauté 
jusqu’à enlever aux bœufs un côté de la cuisse, 
pour en faire une grillade, puis après ils 
laissoient aller l'animal 1... 

Le sac sur le dos, je suivois en tremblant 
les cabrouets des malades, car à chaque 
cahot, les blessés, qui étoient tous armés, 
devenoient furieux , et me menacoient lorsqu'un 
infirmier apparut soudain. C’étoit un nègre, 
mais c'étoit un brave homme qui se déclara 


D'UN NATURALISTE. 325 
mon défenseur. « Si zautr” vlé tuié hi, tmié 
nioun’ fois papa vous (1) »! leur crie le brave 
Pompée, en les ajustant de son long pistolet. Sa 
vieillesse et son état le firent respecter, et dès ce 
moment 1l ne me quitta plus. 

Après avoir ainsi long-tems combattu la 
fatigue et respiré une poussière désagréable , 
nous arrivâmes au haut d’un morne couvert de 
lataniers auxquels on venoit de meutre le feu, 
pour prévenir les embuscades. N'ayant bu ni 
mangé depuis deux jours, et rencontrant un 
cabrouet chargé de provisions pour Dessalines , 
je tendis la main à une femme de couleur qui, 
æprès m'avoir reconnu, me plaignit beaucoup, 
et m’ayant fait désaltérer, me donna quelques 
alimens que je dévorai sans disconunuer notre 
marche. Enfin, Æ/onorine (c’étoit le nomde cette. 
jeune mulätresse) ranima mes forces avec un coup 
du tafia qu’elle portoit dans un coco aux officiers; 
elle me fit aussi le cadeau d’une morue salée, 
en m’essurant qu’elle ne pouvoit faire mieux pour 
moi jusqu'au lendemain. À peine leus-je perdue 
de vue, que cédant à ma faim insatable, je 
mordis dans la morue sans la faire cuire; 
et j'allois y faire une grande brèche, si le bon 
_Pompée , par intérêt pour ma santé aulant que 


(1) Ma vie tient à la sienne. 


X 3 


326 VOYAGES 


par la cerutude que ce poisson nous feroit hon- 

neur à notre arrivée dans un camp dénué de 

tout, ne me l’eût demandé ; il la donna à sa 

femme qui le suivoit avec deux ânes porteurs de 

son petit équipage. | 

. Honorine unt parole , et ayant parlé de moi à 

Mme Dessalines : , Je recus un peu d’argent et du 

porc salé, ainsi que des légumes secs , avec 

recommandation expresse de garder le silence à 
l’égard d’un bienfait qui ne devoit poit être 
connu. Le bôn Pompée me trouvant trop géné- 
reux dans une circonstance si perplexe, m'ôta 
la disposition de toutes ces provisions, et les 
remit à sa femme ; il employa l’argent à acheter 
des andouilles de tabac, pour les revendre en 

détail aux soldats : c’est ainsi qu'il faisoit valoir 
mon argent qui devenoit l’objet de sa spécu- 
lation. Ce peut commerce nous, procuroit le 
café trois fois le jour, du sucre, des cigares 

auxquels je fus obligé de m’accoutumer pour 

raison, C’est à dire, afin de n’être point suspecté 

de hauieur dans les entreuens que nous avions 

auprés du feu avec les blessés arrivant de la” 
grande armée. . Tous les soirs et les mans, 

pendant que le bon Pompée me préparoit avant 

le jour le"premier café , et le soir la petite goutte 

de croc (tafia), j’éludois, en fumant mon cigare, 

une série de questions insidieuses de la part de 


D'UN NATURALISTE. 327 


soldats toujours empressés à me rendre coupable 
de quelqu’indiscrétion. Pompée avoit l'oreille à 
iout, et répondoit pour moi avec fermeté 
lorsque le cas étoit épineux et délicat. 

Réduit dans ces mornes frais à coucher sur la 
terre imbibée de rosée, ne possédant plus rien 
pour m'envelopper, ce brave homme partageoit 
avec moi sa couverture, et vouloit enfin que 
tout fût commun entre nous. Tous les nègres le 
respectoient à cause de son äàge, et l'appeloient 
papa, expression honorable du pays qui le 
mettoit plus à même de m'être favorable selon 
ses désirs. Les repas étoient toujours réglés saus 
que je n’en occupasse, et les mets conformes à 
mes goûts que le vieux couple étudioit. 

Les pillards étant arrivés au camp, Por y étoit 
si commun que beaucoup d’entr'eux n'en con- 
noissant pas le prix, aimoieni mieux largent 
dont les pièces étoient plus larges. On nr'offrit 

7 rondins (1460 liv.) pour 17 gourdes (85 fr.) ; 
mais craignant que cette offre ne fñt un piége, 
et d’ailleurs répugnant à cet échange souillé par 
le crime, je refusai ces proposiuons. 

M. Sajus négociant à Saint-Marc, et particu- 
lièrement connu de moi, s’étoit sauvé de la 
prison, à la faveur de deux cents portugaises 
(8000 fr.) au commencement des sourds prépa- 
raufs du meurtre et du carnage. Homme robuste 


328 VOYAGES 


et courageux, 1l avoit culbuté à son passage la 
sentinelle assoupie, etpromptement escaladé une 
muraille. Le péril le plus évident étoit passé, 
puisqu'au moyen de cotonniers épais et plians 
sous leurs nombreux flocons, il avoit attendu 
dans le silence l’issue de: cette catastrophe. Je le 
revis quelques jours après dans les bois de 
l'habitauon du calvaire Miraut , exténué de 
faugue, déchiré par les piquans et les épines 
dont les bois qu’il avoit traversé étoient hérissés. 
Haletant de soif, accablé par la faim, il étoit 
mécounoissable. L'épreuve de tant de calamités 
avoit altéré sa raison; le souvenir effrayant des 
dangers passés, et l’entrevue de ceux à venir le 
sufloquoient, et faisoient rouler de grosses larmes 
dans ses yeux éteints par une juste frayeur. Je 
tentai de calmer ses esprits, de ranimer son 
courage , et je le préssai de reprendre ce naturel 
stoïque que je lui connoissois. «Je ne suis plus 
» homme (me dit-il avec langueur) ; ces mêmes 
» facultés ne sont plus en moi! je ne suis plus 
» qu'un agneau tremblant.…. Voici... voici. 
» les voilà ces bouchers sanguinaires, 1ls vont 
» fondre sur moi! défendez mes jours! ou 
» plutôt, pour m’épargnerde nouveaux tourmens, 
» qu'ils assouvissent leur fureur dans mes dé- 
» pouilles agitées de trouble et d’effroi » ! A cette 
déclamation qui lui étoit pourtant naturelle, je 


D'UN NATURALISTE. 329 


reconnus qu’il étoit frappé; cette certitude me 
fit fréour. En vain je voulus lui faire entrevoir 
l'espoir de son salui, en prenant sur moi de le 
garder à mes côtés, comme infirmier; parü qu'il 
embrassa d’abord avec des transports ontrés, et 
qu'il rejeta ensuite, dans la crainte de ne pouvcr 
se maintenir à la vue de canmbales dont la 
présence eût rendu son existence cent fois 
plus terrible que la mort. I préféra vivre errant, 
dans l'espoir de tronver près de là, me disoitil, 
un sûr asile qui est devenu son tombeau. Ÿ 
ayant été découvert, la chaumière fut cernée 
et incendiée; le malheureux prisonnier d’abord 
échappé aux flammes qui l’avoient déjà noirat, 
et enveloppé d’un tourbillon de fumée qui 
l’étourdit et le suffoque, tombe, ‘ei bientôt 
assailh par la horde crinnnelle, il a déjà recu 
vingt coups qui ne sont pas mortels. Furieux 
de se voir seul pour veiller à sa défense, 1l 
réunit toute son énergie, arrache le coutelas 
- d’un de ces meurtriers, mais il devient inuule 
en ses mains; un d'eux lui ayant coupé les 
jarrets , 11 tombe et reste sans défense. C’est 
alors que se déployérent tous les supphices les 
plus revoltans pour punir une résistance si 
naturelle. Ces assasins , après des hurlemens 
affreux qui annoncoient un trépas cruel et pro- 
chain, lattacheut d’un bras et d'une jambe à un 


330 VOYAGES 


gayac , puis à l’autre flanc ces monstres infernaux 
s’attélent, en grondant de joie, pour arracher, 
disloquer les membres palpmans de leur victime 
malheureuse! Sajus est déchiré!..! Un d’eux, 
dans ses transports de rage, a oublié de punir les 
regards fiers de Sajus; 1l vole à la tête séparée 
de son tronc, et lui arrache les yeux avec le tire- 
bourre de son fusil! Un autre, jaloux d’une 
réputation parmi ses égaux, va Jui rôur les 
poignets qui se sont inuulement armés du cou- 
telas! Ainsi se termina la vie du malheureux 
Sajus, qui ne prit même pas part aux horreurs 
des deux derniers supplices. Cette scène se passa 
à Cinquante pas de môn ambulance sans que 
j'aie pu le secourir, étant obligé d’étouffer 
jusqu’à mes soupirs au milieu de démons 
étonnés de ne pas me voir sourire (1). 

Mes succès dans les cures des blessés, que je 
traitois par les plantes du pays d’après la com- 
bustion des pharmacies, me donnérent aupres 
des autorités noires un relief qui me rendit 
bientôt un important personnage , non peint du 
côté de la puissance, puisque sans cesse et par-tout 
accompagné de quatre dragons , je ne ponvois 
seul faire un pas, Car on étoit persuadé qu al 
me tardoit de rejoindre la colonne francaise, 


. . - , 
(1) Dent pas cœur, m'appeloient-ils alors ; disant 
par là que je riois du bout des lèvres. 


DUN NATURALISTE. 331 


Aussi ces quatre cavaliers, considérés comme 
mes protecteurs etnommés pour ma garde d'hon- 
neur, avoient par dessous main l’ordre de me 
fusiller au moindre projet de désertion. Comme 
javois soin d’eux, et que je n’épargnois ni 
le tabac ni le tafia, je captai leur confiance , 
au point qu'ils me dévoilèrent sans artifice la 
consigne qui leur étoit donnée. Ils me préve- 
noient également de complots ourdis par mes 
jeunes infirmiers, depuis que j’avois été élevé au 
grade d’inspecteur des ambulances, lesquels com- 
plots tendoient à me faire mettre à mort comme 
devenant inuüle, puisque ces jennes nègres se 
disoient en état d'opérer; maisil n’y avoit rien de 
plus faux. C’est pourquoi j'emmenai dans une de 
mes tournées le général de brigade Vernet chargé 
du détail des hôpitanx, et après lavoir sondé 
sur ses dispositions à mon égard , je lui racontai 
le sujet de mes justes inquiétudes. Plein de 
fureur , 1l voulut de suite faire fusiller le cou- 
pable , mais c’eñt été gâter mon affaire ; je 
profitai au contraire de cette occurrence pour 
prouver aux malades des différentes salles qne 
J'avois à visiter , l'incapacité de ces élèves , ei le 
danger pour eux de laisser opérer ces ignorans 
sans que Je les aidasse de mes conseils. 

Les nègres qui, lorsqw’ils sont malades, font 
de leur médecin leur divinité, crièrent tous, 


332 VOYAGES 

quoique prévenus contre moi, qu'ils n’en 
vouloient point d'autre que p’tit médecin blanc. 
Ainsi leur cœur se changa en un instant. C’est 
alors que mettant à profit ce vœu général, 
j'ordonnai aux deux plus muuns élèves de faire 
lamputation de l’humerus ganche ; mais, trem- 
blant de he point réussir, ils annoncérent par 
cette juste méfiance leur véritable incapacité 
pour la plus légère opération. Ils tournoient 
gauchement les instrumens dans leurs mains va- 
cillantes, et dans leur confusion les laissant tom- 
ber, ils se jaugérenteux-mêmes. Le général Vernet 
les disgracia publiquement, retrancha leur raüon, 
et leur fit prendre le mousquet à poste fixe pour 
mieux surveiller leur conduite équivoque. 

Le nommé Sans - Souci, le plus intrigant 
des deux, recut la bastonnade en convenant de 
son propos atroce et perturbateur que voici : 
« Blancs yo va toujours blancs : yo bons pour 
» iuié, pour corcher tant comm’ camarade à 
» yo». L'impudent s’attendoit tellement à me 
remplacer, qu'il s’étoit déjà fait broder l’uni- 
forme de mon grade. Nous ne pümes jamais 
savoir par qui, et comment. 

Saisissant les instrumens devant les con- 
damnés, je fis l'opération; je dus’ à mes succes 
la célébrité progressive de ma réputation, et la 
bonne intention des malades qui se plaignoient 


D'UN NATURALISTE. 335 


amérement quand je ne présidois pas au moins 
aux pansemens. 

Il ne faut pas croire que Dessalines m’ait 
jamais offert de traitement ni de graüficauion. 
11 me regardoit très-heureux d’avoir été épargné 
pour soigner ses malades, gt insultoit sans cesse 
à ma position. Sachant aussi que je voyageoiïs 
ordinairement avec célérité, il chercha à me 
mortifier eñ me donnant des chevaux boiteux, 
ou, quand ils étoient valides, la selle en étoit 
dessanglée , de peur que je ne me laissasse em- 
porter par mon désir vers le camp des Francais 
qui étoit de l’autre bord de lArtubonite. 


Camp de Plasac. 


Comment étancher leur soif insatiable? com- 
ment adoucir des fanatiques révoltés ? comment 
détourner de leur proie les yeux étincelans 
de ces vautours affamés ? comment apaiser leur 
furie dévastatrice? comment les empêcher de se 
repaître avec sang-froid de ces scènes de déso- 
lation? 

A Plasac, huit jours après le grand carnage 
qui commencoit à se ralentir, Toussaint-Lou- 
verture voyant les succès de l’armée francaise , 
et craignant de trouver en quatre cents Espa- 
gnols forcés de se battre sous ses drapeaux , des 
sentimens opposés aux siens ) résolut de s’en 


334 VOYAGES 

défaire, pour ne point avoir à redouter dans 
cette troupe disciplinée , un obstacle à ses vastes 
projets; 1l les fait désarmer la nuit, et de suite 
l’ordre de mort, pendant le même sommeil, 
est annoncé par le son fatal de la trompette : il 
étoit minuit. Je fus éveillé en sursaut par un 
peloton élancé vers mon ajoupa; voulant en 
vain échapper à une mort inévitable, c’est 
inutilement qu'ils cherchoient à fuir’ Où diriger 
leurs pas ?..! la lueur funébre de torches allu- 
mées les décéloit par-tout. Ma porte mal fermée 
fut bientôt ouverte sous leurs coups redoublés ; 
les prenuers sont sacrifiés par ma senunelle 
même , et leurs corps dans leur chute viennent 
rouler à mes pieds, en laissant échapper les 
dernières plaintes de la Nature! Mon asile est 
méconnu , violé , et devient un lieu de carnage ; 
les balles sifllent de toutes parts, je n’ai que le 
tems de m'élancer par une fenêtre étroite, pour 
n'être point confondu , et ne point grossir 
l'amas de ces sanglantes vicumes! Le dehors 
n'étoit pas plus sûr : à mes côtés la mort planoit, 
et je fus obligé de monter sur le chaume pour 
me soustraire aux feux croisés. Ne trouvant pas 
dans le fusil une arme convenable au raffinement 
de leur cruauté, les nègres en viennent à la 
baïonnette , et repaissent plus lentement leur rage 
frénétique ; 1ls plongent et replongent leur cruel 


D'UN NATURALISTE. 335 


acier dans le corps des innocens soldats espagnols 
pour sausfaire leurs yeux et leurs oreilles. 
Enfin lés femmes qui avoient suivi leurs époux 
éprouvérent le même supplice ! 

Quelques-uns de ces Espagnols, sans avoir 
échappé à la mort, avoient trouvé pour leur 
malheur les moyens d’en retarder le moment 
fatal : cachés dans des boucauts et dan8 des 
arbres creux, ils furent découverts! La soif 
ardente de s’entretenir dans le crime fournit à la 
troupe de cannibales l’idée monstrueuse de ces 
tourmens. 

L'un eut le corps scarifié profondément, 
afin d'y pouvoir ranger des cartouches qu’on. y 
allumoit. Non content de ces déchiremens dou- 
loureux , on lui mit dans la bouche un énorme 
marron d’arufice pour lui faire sauter la tête : ce 
fui la fin du supplice! 

Un autre eut les membres désossés, ét son 
corps fut abandonné privé de son souuen!...! 

Un troisième fut écartelé par des-arbres for- 
cément arqués qui lui prirent chaque pied, 
lesquels en se redressant déchirèrent le pauent ! 

Un quatrième... quel génie peut inventer un 
tel supplice ?,..! eut les paupières arrachées , les 
oreilles coupées ; il fut saigné aux quatre veines 
par un digne complice de ce Sans-Souci dont il 
a été déja parlé, et chassé du camp à coups de 


336 VOYAGES 

fouet, en lui disant d’aller porter cette nouvelle 
aux autres ! Il ne fit pas un long trajet !. 

_ L'ordre arrivé d’évacuer les ambulances pour 
les établir dans les mornes des Cahaux , il fallut 
travailler aux dispositions préparatoires. Il me 
tardoit de quitter un champ inondé d’un nouveau 
sang innocent, par l'espoir au moins de trouver 
le repos et la paix dans la concentration de ces 
doubles montagnes ; mais la valeur française qui 
ne Conunoissont point d'obstacles, franchissoit les 
endroits les plus escarpés, les plus périlleux, 
enfin penétroit au milieu de retraites inconnues, 
en nous forcant plus d’une fois de nous 
déplacer. 

L’inhumain Dessalines poussoit l’injustice au 
point de me rendre responsable corps pour corps 
de la mort d’un de ses soldats blessés ; et à cette 
époque , d’après les états fournis, j'en comptois, 
le jour de cette menace, trois nulle sept cent 
vingt-deux, provenant des deux colonnes en 
marche. Comme parmi ces malades il y en 
ayoit d'aigrefins , j'avois soin de me les 
attacher par quelques préférences, car leur 
témoignage étoit d’une grande influence aupres 
du tyran farouche et cruel, de ce Dessalines, 
qui souvent dans ses tournées générales fit 
fusiller des infirmiers pour des bandages mal 
appliqués, en lançant toujours quelques propos 

contre 


D'UN NATURALISTE, 337 


contre l'inspecteur; mes partisans soutenoient 
alors ma cause, et apaisoient le courroux tou- 
jours croissant de l'inexorable Dessalines. | 

Je comptois parmi ces parusans plusieurs 
colonels, dont l’un surtout très-douillet, pous- 
soit les hauts cris aux pansemens d’une balle 
morte qui m’avoit excité qu’une Jégère con- 
tusion. J’avois bien som, comme on peut le 
ptnser, de l’entretenir dans sa pusillanimité. Au 
reste, je savois à propos ternir les plaies de ces 
êtres méchans qui, trop tôt gunéris, n’eussent 
plus fait cas de moi; et pour ne point rougir 
de m'avoir quelqu’obligauion , eussent fort 
bien pu se déclarer mes antagonistes : car leur 
confiance, tant 1ls sont méfians, est souvent 
accordée et retirée plusieurs fois le jour. Deux 
événemens furent sur le pont de me coûter 
la vie. 

La colonne francaise, au grand étonnement 
des noirs qui croyoient cette marche impra- 
ücable, étoit de beaucoup plus élevée dans les 
montagnes des Grands-Cahaux que notre ambu- 
lance principale alors fixée, à mi-côte, au 
Coral-Miraut (1). Le soleil n’étoit point 
encore levé que je m’occupois déja de ramasser 


(1) Ca pas z’hommes qui après grimpé là haut, 
à haut, disoient les nègres, ça diab’ même. 


Toue LIL, Y 


335 VOYAGES 


les plantes nécessaires aux ‘pansemens du 
maun. Mon cœur semblant s’élancer vers des 
hommes de ma couleur, j'avois trouvé le moyen, 
de cafier en cafier, d'approcher d’eux. Je fus 
apercu , et tout à coup cerné par les brigands ; 
mais je ne me déconcertai pas, et je leur exposai 
le besoin d’une plante qui ne se rencontre qu’au 
haut des mornes. On me ramena à l’ambulance, 
non sans murmurer; quant à moi, d’abord 
confus, je repris mon sang-froid , et rentrai avec 
un air d'importance, en grondant mes infirmiers 
de ne m'avoir pas suivi. 

Une autre fois on m’amena un dragon blessé 
dangereusement par l'explosion d’une poudrière 
dont il lui avoit été ordonné d’allumer la mèche. 
Cet homme inepte avoit eu la bonhomie de 
rester auprès à fumer sa pipe. L'explosion ayant 
eu lieu , 1l fut jeté à vingt-cinq pas de sa place, 
eut les deux jambes cassées, la tête brûlée, un 
œil crevé, la poitrine ouverte, une clavicule 
luxée ; enfin, en arrivant à l’ambulance, 1l 
n’avoit plus forme humaine. Il avoit pour père 
un nommé Jarnak, cuisinier de M. Coursin, 
habitant de l’Artibonite, Ce Jarnak, maître 
assassin , qui conduisoit son fils, me le recom- 
manda avec menaces. Je frémissois au souvenir 
de ma terrible responsabilité ; cependant il falloit 
répondre avec assurance , et ne point hésiter. 


D'UN NATURALISTE. 339 


Au renouvellement du premier appareil, trou- 
ant toutes choses en bon état, les brûlures 
guéries (1), je consolai son père qui, pleurant 
à mes pieds, devint mon pourvoyeur et mon 
cuisinier. Îl est bon de remarquer qu'après 
avoir brülé nos habitations, nos magasins rem- 
plis de coton, dix-sept caisses d'histoire naturelle, 
recueillies dans mes voyages, et contenant les 
préparations anatomiques du caïman; plus de 
deux mille cent planches de mes ouvrages mis au 
net; qu'après n'avoir pris tout ce que je possé- 
dois , ils ne me donnoient point même de traite- 
ment. Sans ration ni graüfication , É vivois des 
dons de mes malades, qui par jour m’apportoient 
de quoi nourrir une vingtaine de PUCES 
attachées à ma suite, parnn lesquelles j’avois le 
bonheur de compter quinze blancs ramassés 
dans les bois où ils vivoient errans, échappés 
au massacre, ©t que j'avois nommé 77es £1i- 
Jirmiers. : 

Tout se passoit bien lorsqu'une fusillade pro- 
chaine fitlever l'ambulance. On y laissa pourtant 
ceux qui étoient hors d'état d’être transportés. Le 
père du brûlé, Jarnak , craignant les Français , au 
souvenir de leur sang qu’il a versé et qui crie 


QG) Voyez son traitement par les plantes du pays, 
dans mon Manuel indicateur des plantes des Antilles. 


Y 2 


340 VOYAGES 

vengeance , fait disposer un hamac pour son fils. 
En vain je lui représente que ce moyen est tota- 
lement inconvenable, que les fractures vont se 
rétablir, que son fils mourra; 1l ne veut rien 
entendre. On l’emporte malgré moi, en disant 
qu'il m’étoit facile de parler ainsi, puisque 
c'étoient mes camarades, etqu’eux au contraire, 
comme ennemis des blancs, alloïent être traités 
sans quartier, Enfin ils montérent le malheureux 
blessé par des ravines si dangereuses à escalader , 
qu'ils le renversèrent dans une falaise profonde, 
où ii disparut bientôt à nos yeux sans que ses 
dermiers cris aient pu se faire entendre. L’armée 
française n'ayant pas paru, on jeta sur moi la 
faute , et j'en devenois peut-être la vicume , sans 
la ronde du général Vernet. 

Les brigands passèrent la nuit dans des in- 
quiétudes mortelles, et rassemblés autour de 
leurs boucans , ils interrompirent souvent mon 
sommeil par leurs qui vive immodérés. As- 
soupi vers le maun, j'ouvrois à peine mes pau- 
pières, couché depuis un mois à la belle étoile, 
sur une terre humide , en pente et rocailleuse , 
exposé d’ailleurs à une température froide, au 
pied d’un oranger , n'ayant pour oreiller qu’une 
grosse pierre brute, qu’un nouveau piége m'étoit 

ourdi. 

Le commandant Léandre, propriétaire des 


D'UN NATURALISTE. 34 
salines , et assassin de toute la famille Rossignol- 
Desdunes à laquelle j'appartenois, sachant que 
dans les Cahaux 1l existoit encore un de ses 
rejetons, quitta ses camps, ses pillages, pour 
venir assouvir une autre fois sa cruauté. Il 
n’osoit exécuter son crime publiquement ; 1} 
craignoit Dessalines, la surveillance de mes 
malades , et plus encore la vigilance du vieux 
Pompée, qui nuit et jour, aux dépens de son 
repos, baranguoit en ma faveur les blessés, et 
montoit là garde autour de moi, armé de son 
long pistolet. Voici donc le stratagême inventé 
par la plus noire perfidie. Léandre m’envoya 
quatre dragons et un cheval de monture sellé et 
bien harnaché, avec invitation de venir au se- 
cours de sa femme qui venoit d'accoucher d’un 
enfant mort , et étoit dans le plus grand danger. 
Mon heure sûrement n’étoit point encore venue ! 
Je me senus de la répugnance à faire cette démar- 
che; de son côté Pompée , saisissant le tafia, offre 
la goutte aux quatre dragons, les fait jaser, puis 
de suite monte la tête des malades, afin qu'ilsne 
me laissent pas parur, en disant que jeleur suis 
spécialement destiné, etque le général Dessalines 
seroit offensé de la moindre absence. Convaincus 
de la vérité de cette assertion par le vieux 
Pompée, ces envoyés se lèvent en masse, ap- 
pellent un autre officier de santé, M. Conain, 


d'a 


342 VOYAGES 

respectable praucien de Saint- Marc, le font 
monter à cheval, et m’entourent en me cares- 
sant. Un génie bienfaisant veilloit assurément 
sur mes jours , puisqu'à l’arrivée de M. Conan, 
le commandant Léandre se voyant confondu, 
le renvoya brusquement sans lui offrir de ra- 
fraichissemens , contre l'usage du pays, et lui 
cria de loin qu'il n’avoit plus besom de son 
ministère. 

Les culuvateurs, moins féroces et toujours 
trompés , sout les plus à plaindre. Conunuel- 
lement vexés par le premier soldat, ils secoue- 
roient le joug s'ils l’osoient, mais le système de 
terreur qui pèse sur celte classe opprimée, 
affoiblit leurs sentimens; et cette terreur pa- 
nique a tant d'empire, que même entr'eux ils 
craignent de se raconter leurs peines. Je vais, en 
passant, fournir un exemple de cette tyrannie 
inconceyable. 

Lorsque je fus conduit pour la dernière fois 
sur l'habitation Rossignol-Desdunes, la mieux 
ienue et la plus riche en bras de toute la 
plaine de l’Arubonite, dont enfin la restauration 
ne fut qu'imaginaire par son triomphe éphé- 
mère, } y trouvai quatre bataillons de nègres qui 
l'avoient, cernée, et qui faisoient mettre bas les 
armes aux nombreux culüvateurs dont une partie 
s'étoit réfugiée dans les marais des mangles, 


D'UN NATURALISTE. 343 


pour échapper à leurs recherches, et être libres 
de leurs volontés. On ne se contenta pas, 
moi présent, d'y brüler tout ce que j'y pos- 
sédois; le coton entassé s’enflammant avec peine, 
le commandant Garçon, chef d’escadron des 
guides de Toussaint-Louverture, etnotre ennemi 
juré, en faisoit hâter l'incendie avec des torches 
goudronnées , des paquets de cardasses dessé- 
chées, et des coups de feu réitérés. On pilloit 
aussi tous les culuvateurs, on tuoit leurs ani- 
maux domestiques , et tout en maltraitant ces 
malheureux , on les forcoit encore de porter 
eux-mêmes ces provisions pour la troupe , et 
cela sans aucune rétribuuon. En vain ils vou- 
loient éteindre le feu mis à leurs grains , on les 
repoussoient impitoyablement , en les forçant de 
marcher promptement, et fusillant les traineurs 
pour inspirer aux autres une terrible frayeur. 
Arrivés aux montagnes des Grands-Cahaux , 
après dix-huit lieues de marche, on leur fit dé- 
poser leurs fardeaux énormes de viande à moitié 
gätée , en leur prescrivant de ne point s’écarter 
du camp, sous peine de mort. Ainsi près de 
quarante mille culuvateurs de divers quaruers, 
tels que Plaisance, Limonade, le Pilate , le 
Gros-Morne, les Gonaïves, la Désolée, l'Aru- 
bonite, le Cabeuil, la Peute-Rivière, Saint- 
Marc, le Mont-Roii , etc. n’étoient maintenus 


YA4 


344 VOYAGES 

dans cette discipline rigide et inhumaine que 
par un simple cordon de troupes, à la vérité 
inexorables. Il n’étoit point permis à ces esclaves 
culüivateurs d'aller au loin chercher une nourri- 
ture dont on les avoit frustrés; on poussa la 
barbarie, quoiqu’on ne leur donnät aucune ration 
dans ces parages dépourvus de ressources, jusqu’à 
leur refuser la permission d’aller ramasser une 
perue de leurs bestiaux inutilement égorgés 
et sans profit pour personne, 


Un d’eux , à mon ambulance du Corail- 
Miraut, mourant de faim, fut trouvé occupé 
à couper à lParbre un régime de bananes, par 
Laurette homme de couleur , aide de camp de 
Dessalines, qui lui traversa le crâne d’une balle 
qui pénétra précisément dans l’œil où 1l le visoit. 
Je ne sais si c’éloit pour essayer son adresse, 
ainsi que tous ces soldats noirs l'exercoientsur les 
pauvres prisonniers, mais, au Coup de pistolet, 
ayant mis des soldats à la découverte, je vis 
arriver Laureite en riant, puis essuyant son pis- 
tolet, il me cria de loin : « Moué pas manqué 
» di, c’est ca bèn üré»!!! 


Au reste, les capitaines ont droit de vie et de 
mort sur leurs soldats, sans avoir besoin d'ap- 
peler un conseil militaire, ce qui hmiteroit leur 
autorité despouque. C’est pourquoi les nègres 


D'UN NATURALISTE. 343 


culuvateurs, révoltés intérieurement de cette 
suprématie injuste, voudroient trouver entr’eux 
et les militaires noirs une puissance intermé- 
diaire qui püût les protéger. C’est bien ce que 
craignoit Dessalines, qui avoit soin de les écarter 
des villes , de peur d’une désertion en masse. Le 
pouvoir des chefs actuels des révoltés ne üent à 
rien, et le moyen le plus sûr de les subjuguer 
seroit de diviser leurs cohortes, et de les con- 
vaincreencore plusintimementquecetteexistence 
vagabonde n’en est plus une, et qu'il est un 
terme à tout ;. ce qu’ils comprendroient d’autant 
plus facilement qu'ils sont las de voir sans cesse 
en proie au brigandage leurs animaux domes- 
üques, les produits de leurs jardins, et qu'ils 
regreltent hautement les douceurs qu'ils rece- 
voient au tems des habitations bien disciplinées. 
Les malades surtout, qu'on laisse à présent 
périr faute de secours, font les vœux les plus 
ardens pour le rétablissement des anciennes 
infirmerics, où tous les soins leur étoient pro- 
digués ; et les jeunes mères soupirent en se rap- 
pelant les cadeaux que l’on faisoit à chacun de 
leurs nouveaux nés, et dont il ne reste plus 
que l’agréable souvenir. 

Leur rapprochement des phalanges meur- 
trières rendirent cruels les culuivateurs témoins 
de leurs abominauons , en les électrisant du même 


346 VOYAGES 


feu de vengeance, et si leur stupeur leur ôtoit le 
triste mérite de l’innovauon, ils étoient exécu- 
teurs. Toutefois , sans piué pour les soldats 
blancs qui perdus dans les bois et accablés de 
fatigue, croyoient, en mettant bas les armes, 
trouver protection et vie, ils les conduisoient 
aux chefs de la horde en les frappant cruellement. 
C’est aux Cahaux que des supplices atroces 
leur furent préparés. Par exemple, après avoir 
coupé aux uns les extrémités, attaché leurs 
membres, on les suspendoit à huit pieds au 
dessus de terre, accrochés par la mâchoire infé- 
rieure à un piquet de bois très-aigu, et on Jes 
y abandonnoit, remettant au tems seul de les 
tourmenter plus lentement. Ainsi exposés le jour 
à l’ardeur d’un soleil brûlant etinsupportable, le 
soir et la nuit à l’incommodité inexprimable de 
légions sans nombre de vareux , moustiques et 
maringoins attirés par le sang dont ces victimes 
étoient frotiées , 1ls ne passoient jamais plus 
de trente à quarante heures dans cette torture 
inouic ! 

Tantôt, quand il se trouvoit un baril de 
farine vide , on y enfermoit le malheureux 
prisonnier, et 1l étoit précipité du haut d’un 
rocher dans une falaise rocailleuse ,, lardé 
par les épines et les éclats de verre qu'on y 
introduisoit avec lui! Ce supplice excrtoit de la 


D'UN NATURALISTE. 347 
part de ces cannibales, des éclats de rire im- 
modérés. | 

Une autre fois! je le vois encore courbé sous 
sa douleur !. un officier français fut pris. 
Sans égard pour son âge, 1l est mis nu et hon- 
teusement fouetté de verges épineuses pour le 
préparer au supplice le plus affreux. On lus 
enlève la plante des pieds avec un rasoir ébréché ; 
il est mis debout, les nerfs à découvert, et on 
le force à coups de fouet de courir sur des 
épines semées exprès pour augmenter ses souf- 
frances! L’infortuné Français tombe à quelques 
pas. on le relève avec brutalié!... Sa sueur 
douloureuse inondoïit son visage abattu !... On 
le harcèle; on le force encore à courir quelques 
pas : 1l est atteint du tétanos, tombe sans con- 
noissance, et meurt lapidé. La cohorte lavoit 
abandonné sans sépulture , et deux jeunes 
enfans revinrent à la charge, et lui cassérent les 
dents à coups de pierres. Le malheureux n’étoit 
déjà plus!!! 

Nous eûmes l’ordre de reporter l’ambulance 
des montagnes au Calvaire : c’est dans ceute 
route pémible que nous trouvâmes le corps du 
fameux Aignan, lassassin le plus cruel de tous, 
entouré de quatre corps blancs bien conservés. 
Ce ügre fut reconnu avec étonnement , ayant la 
main droite déchirée, pourrie, et tous les os 


348 VOYAGES 

disloqués. Ce monstre renouvela linvenüon 
barbare de la chasse aux hommes. C’est lui qui 
mettoit, à la quête des réfugiés dans les bois, des 
chiens qu’il agacoit pour les exciter à la décou- 
verte, satisfaire son avidité inhumaine, etrougir 
ses membres d’un sang innocent. 

L'aide de camp Diaquoi, qui plus d’une fois 
m'avoit donné des preuves manifestes de son 
sincère dévouement à la classe opprimée, m’at- 
tendit un jour à ambulance de la grande place 
Miraut, au bas du fort de Za Créte-à-Pierrot. 
Je le trouvai, au retour de ma ronde générale, 
assis ; près de la rivière, sous les panaches flottans 
d’un épais bambou. 1] avoit la tête appuyée sur 
ses mains, et les yeux fixés vers la terre. Îl 
songeoil à moi, ainsi que me le confirmérent sa 
surprise et quelques larmes versées sur le sort 
qu’on me préparoit. 

Ce bon noir, après m'avoir considéré en 
silence, s’élanca vers moi, s’écriant : « Non, 
» vous ne périrez point »! Puis 1l me détailla le 
sujet d’une conférence dans laquelle Dessalines 
m'avoit condamné à mort, se voyant à la veille 
d’évacuer ses postes, perdant tout espoir, et 
voulant n'ôter la consolaüon de rejoindre les 
Français. Il m’apprit les noires calomnies des 
chefs contre lesquels je n’étois formellement 
prononcé; me dévoila leurs stratagèmes ma- 


D'UN NATURALISTE. 349 


chinés par leur esprit de prépondérance, al- 
lumés au feu de leur ambiuon jalouse ; leur 
noire perfidie enfantée dans l’ombre de la ma- 
lice et du mensonge; leurs faux témoignages 
que fit déclarer la soif ardente de mon sang, d’un 
sang Si long-tems désiré. 

« Ces propos, me dit le brave Diaquoi, atten- 
» tatoires à votre sûreté personnelle et tramés 
» dans les camps, se sont développés ce maun 
» sous les couleurs les plus sinistres : l’infirmier 
» que vous aviez rejelé pour cause d'incapacité 
» a vomi contre vous, devant le général Dessa- 
» lines , tout ce que la calomnie peut inventer 
» de plus atroce et de plus impudent, jusqu’au 
» point qu'il osa vous traiter d’emnpoisonneur de 
» nègres. Eh ! où sont donc vos vicumes ?.......! 
» Æmpoisonneur!sécria Dessalinesenfureur.…., 
» 1l périra. À ces mots suivis d’un morne 
» silence, tremblant de ne trouver personne 
» sur qui 1l püt assouvir sa rage dévorante, il 
» la fit rejaillir sur moi qu'il sait vous être 
» dévoué; je m'évadai secrétement du conseil de 
» discipline, et je me glissai jusqu'ici à l’aide 
» des campèches iouffus et des cotonniers ; mais, 
» poursuivit Diaquoi, vous n’avez pas un 
» moment à perdre ; Dessalines est actif dans ses 
» résolutions, peut-être déjà même le général 
» a-t-1l mis des émissaires dehors, travaillons 


350 VOYAGES 

» donc sur-le-champ à assurer notre fuite ; la 
» colonne francaise est sur l’autre bord de l’Ar- 
» übonite guéable au peut passage , il ne s’agit 
» que de tromper la surveillance de quatre sen- 
» tinelles, pour exécuter notre projet cette nuit 
» au lever de la lune. : | 

» Tromper la vigilance des quatre sentinelles 
» n’est pas chose impossible, lui répondis-je, 
» ceci est mon affaire ; ne pensons plus qu’à 
» réunir un noyau respectable de personnes du 
» même sentiment, à bien nous armer , et à ne 
» point commettre d’indiscréion; enfin dissi- 
» mulons notre joie ». 

Nous allämes trouver Mr Say, chirurgien 
en chef, Clemenceau, Bouilll père et fils, et 
aprés être convenus de nos faits, chacun s’occupa 
de préparer ses armes; plusieurs hommes de 
couleur se réunirent à nous pour grossir noire 
peloton. Il fut donc arrêté que le soir du même 
jour, Diaquoi, en se promenant, toussant, 
ruminant , enfin tout en jasant avec les senti- 
nelles qui ne le savoient point disgracié, leur 
feroit désirer un coup de tafia dont ils étoient 
frustrés depuis si longiems , qu’il feroit valoir 
son artifice, et vanteroit sa générosité, que la 
bouteille seroit ouverte, puis rebonchée, 
qu’enfin il en seroit donné une rasade à la 
dérobée , et sous condition expresse d’une exacte 


D'UN NATURALISTE. 351 


surveillance, Belle promesse! le tafia contenant 
de l’opium devoit les mettre hors d’état de 
service. | 

L'espoir adoucissoit nos maux , et calmés par 
cette flatteuse illusion, nous éuons déjà au milieu 
de nos frères , et leur racontions en pensée nos 
aventures, lorsqu'une joie trop prématurée fit 
échouer tous nos projets. Notre escouade au 
nombre de quatorze, fut apercue par les blessés 
de l’ambulance qui toujours nous surveilloient 
de fort près : cet amas d’armes qu’on n’y voyoit 
pas ordinairement, un mouvement trop confus, 
des ris involontaires naissant et disparoissant 
soudain , des signaux de silence, des œillades, 
quelques confidences encore plus mal-adroites 
faites à voix basse, décidèrent de suite des 
attroupemens , des murmures, enfin un député 
vers Dessalines pour linstruire de ce qui se 
passoit. 

Bientôt arrivent à toute course huit dragons 
porteurs d’un ordre de Dessalines, de me con- 
duire au fort , ainsi que M. Say. Nos satellites 
ayant été sommés de ne pas répondre à nos 
questions, leur silence farouche nous glaca 
d’effroi. Les compagnons d’infortune dont nous 
éuons séparés, pressentant notre mort pro- 
chaine , se returoient de nous en cachant leur 
douleur pour dissiper nos alarmes, et par là 


352 VOYAGES 


retarder nos tourmens. Nous montämes la 
croupe du zzorne dans un état taciturne et 
langoureux , souvent baignés d’une sueur froide, 
présage avant-coureur d’une mort violente; 
heurtant à chaque pas, dans cette obscurité pro- 
fonde , les cadavres infects et à denn-démembrés, 
vicumes de l’atiaque de. la surveille, Nous nous 
figurions ce tombeau des blancs, vallée de 
larmes à répandre, devoir être aussi le lieu de 
notre sépulture. Il nous sembloit déjà être 
assaillis , abattus, percés, expirans..…. Enfin 
notre imagination frappée ne parvint à s’éclaircir 
qu’au premier qui vive des sentinelles avancées 
du fort redoutable. s 


Crêéte-a-Pierrot. 


Le brouhaha du camp, la retraite qu’on ÿ 
battoit , la transiuon subite du silence à cette vie 
bruyante, nous fit conjecturer qu'écartés et 
qu’éloignés des monceaux de corps morts, élevés 
au dessus des précipices qui nous faisoient 
horreur, nous ne péririons pas sans être en- 
tendus. 

Le pont-levis fut baissé, et la premicre per- 
sonne que nous y apercümes, fut Dessalines , 
roulant dans ses mains la fatale tabatere : il 
s’avance vers nous, gronde, mais se posséde 
assez pour concentrer sa vengeance , ei nous dit, 


d’un 


D'UN NATURALISTE. 353 
d’un ton aussi dissimulé qu’impérieux : « Zes- 
» pion” fien’ à moué (1) veni là jourdi; yo di 
» moué comm’ ca, qu'vzautr” vlé quitté moué ; 
» moué pas cré ça pièce. Ça pas fait à rien : 
» moué connoi tout’ blanc france, moutons 
» danda laÿo après veni doumain grand bon 
» maün à z’assaut. Si VO entré, vous va mourir... 
» Si yo poussé là bas, vous va pauser moue et 
» camarad’ à moué qui blessés... Grénadiers, 
» condui blancs là coucher » ? 


Quelle récepuon ! que de réflexions à faire 
à la veille de la décision de notre sort! quel 
souhait former en pareil cas?! Après ce 
discours de Dessalines, on nous conduisit en 
silence sous un hangar où nous passämes une 
nuit douloureuse, dévorés d’angoisses mille fois 
- plus cruelles que la mort. 

Dessalines avoit été bien instruit : /a diane 
avoit été interrompue par un coup de canon üuré 
du fort sur un peloton qu’on apercevoit au bas 


(1) Mes espions sont venus me trouver aujourd'hui; 
ils m'ont dit que vous vouliez in’abändonner ; je ne 
le crois point. Au surplus, je sais aussi que les Français 
se proposent , demain de grand matin, de venir monter 
à l'assaut. S'ils sont victorieux.... vous êtes morts... 
S'ilssont repoussés, je vous laisserai vivre pour me 
panser, ainsi que les autres soldats, en cas de blessure. 


Tome lil, £ 


354 VOYAGES 

de la montagne. Dessalines sans repos, sans 
sommeil , étoit déjà, la lunette à fa main, 
occupé à donner de$ ordres préparatoires contre 
un assaut bien combiné , à diriger son arul- 
lerie, à garnir les basunguages d’un triple rang 
de mousquetcrie, à faire enfin des signaux à la 

À ) 


5 
Martinière , commandant la redoute placée prés 


du fort. 


Tout étant ainsi disposé, Dessalines vint à 
nous , et nous dit : « (1) Na pas quitté chambr” 
» à vous jourd'i là ; songé malades layo assez... 
» Tiembé vous tranquilles, Dessalines après 
» batt’ pour vou’z'aut” ». 


2 


Les colonnes s'étant d’abord avancées, mais 
l'attaque en fascines ayant été remise à quelques 
jours plus tard , il n’y eut de part et d’antre que 
quelques blessés. On nous fit panser ceux du : 
fort; mais la garnison sorut pour aller exercer 
sur les blessés restés sur le champ de bataille, des 
cruautés inOuies , accompagnées de hurlemens 


hornibles ! 


Après une vive canonnade de six heures sur 
les troupes francaises, la horde révoltée sortit de 


(1) Vous ne sortirez point de votre chambre, et 
vous ne vous occuperez que de vos blessés... .., Soyez 
tranquilles, Dessalines va se battre pour vous. 


D'UN NATURALISTE. 355 
son fort redoutable, pour se repaître à son aise 
de la vue des blessés qui, partie dans les fossés, 
parue déja élancée vers les basunguages, n’avoient 
pu être ramassés par leurs frères d’armes! C’est la 
que, violant les droits sacrés de la guerre, ils 
martyrisérent six soldats intrépides de la cin- 
ième demi-brigade légère , par des tourmens 
dont le récit seul fait horreur. Ces prisonniers 
étoient français, voilà tout leur crime! Et moi 
français , j’étois témoin de ces supplices, et sans 
cesse exposé, au moindre signe de piué, à 
éprouver le même sort, en aturant sur moi 
la coupable indignation des nègres qui me rete- 
noient capüf | : 


Les femmes, plus féroces encore, sorurent à 
la tète de cette légion démoniaque, dont la 
marche étoit annoncée par des cris affreux et 
confus. Le premier Français sur lequel ils se 
jetèrent étoit jeune; 1l est dépouillé, éventré, 
a le cœur arraché , rôti, mangé; tous s’abreuvent 
au ruisselement de ses artères! ..... Il n’est 


plus 1.352 


Le second fut dévirilisé, eut les intestins arra- 
chés, enfin fut rôu! 


Le troisième plus âgé, se plaignant de leur 
dureté inhumaine, eut les membres cassés, et 
fut dépecé comme un animal. Ils insultoient 


La 


356 VOYAGES 


encore aux lambeaux dispersés, aux ossemens 
rompus de cette victime innocente! 

Le quatrième et le ciñquième eurent le corps 
déchiré pour y couler des balles fondues, puis 
attachés ensemble, et jetés dans une casemate 
de six pieds carrés, où on les laissa expirer l'ap 
après l’autre de faim et de douleur. 

Le sixième eut les yeux crevés et arrachés; 
les ongles extrpés , le crâne scié , dans lequel les 
noirs burent, à la ronde , de son sang fumant; ses 
restes ensanglantés mis sur un petit feu , autour 
duquel ces barbares dansoient en confondant 
leurs hurlemens aux plaintes à demi étouflées 
des mourans qui expiroient dans des tourmens 
affreux ! | 

Un officier de la soixante-dix-neuvième demi- 
brigade fut également amené au fort, Dessalines 
l'ayant arraché aux anthropophages qui l’avoient 
déjà cerné pour le supplicier. On eût bien voulu 
le faire parler, mais ce brave nulitaire, sans 
s’épouvanter de Ja barbarie-de ses bourreaux , 
garda le silence. On ne me permettoit de le 
panser que le dernier.de tous , et j’avois beau- 
coup de peine à lui faire passer une nourriture 
que les barbares lui refusoient. I fut délivré 
le jour de l évacuation. 

Pendant l’action , Dessalines, en commandant 
les feux, tomba sur un piquet, et se meurtrit la 


D'UN NATURALISTE. 357 


poitrine. La douleur qu'il en ressentoit le lende- 
main l’obligea à n’appeler pour lui préparer un 
breuvage capable de le soulager , et de prévenir 
les accidens de la contusion. J’envoyai un de 
ses dragons à la montagne, à l'effet d’y chercher 
des feuilles et de l'écorce du précieux vulnéraire, 
le sucrier (1); mais la pouon étant préparée, 1l 
refusa de la prendre, en me soupconnant de 
quelque mauvaise intention à son égard. Sa 
haine se ralluma injustement contre moi, et 
quoique quelques momens auparavant il m’eut 
parlé sans apparence de ressentiment, 1l concut 
d’horribles projets qu'il couva dans son sein, 
pour les développer plus tard avec ce sang-froid 
politique, cette joie feinte qui caractérisent si 
bien l’homme cruel et vindicauf. 

Concentré dans ses noirs desseins, isolé dans 
ses fatales réflexions , séquestré de son état- 
major , 1l passoit dans un petit pavillon des jours 
d’inquiétudes et d’alarmes. Ce n’étoit plus Des- 
salines revêtu de ses riches broderies, de sa 
ceinture magnifiquement frangée ; 1l ne montoit 
plus un coursier fougueux , accablé sous le poids 
de ses harnois d’or massif, lui-même éperonné 
du même métal. Sa tête naguères parce d’un 


(1) Voyez mon Manuel indicateur des plantes 
usuelles des Antilles. 


Z.5 


358 VOYAGES 


chapeau brodé, garni de son panache flottant , 
n’étoit plus décorée de ce fameux peigne à dia- 
- mans, qui seul eût fait la fortune d’un malheu- 
reux! Dessalines n’étoit plus le même; ce n’étoit 
plus le conquérant de la partie du sud, il avoit 
des Francais à combattre... L’oœil morne et 
troublé , la bouche grincant de rage , vêtu gros- 
siérement d’un gilet gris à manches, d’un de 
dessous écarlate, les bottes mal-propres, des 
éperons de fer, un chapeau rond percé , sans 
peigne qui ne lui servoit d’ailleurs que d’orne- 
ment, puisqu'il portoit une queue; son cheval 
toujours fougueux , pour fuir au besoin, étoit 
très - simplement recouvert d’une peau de 
mouton. Enfin Dessalines avoit l'oreille très- 
basse, et il ne la redressoit qu’à la prise de 
quelques prisonniers francais , sur lesquels il 
éteignoit le feu dévorant de ses caprices et de 
son inimilé. Hot + 

Son état-major mouroit de faim ; fui-mèême, 
sans table paruculiére, se contentoit de deux 
‘bananes boucanées sous la cendre. Il ne nv'of- 
froit ni d'argent pour acheter, n1 de permis 
pour aller en maraude : ne pouvant demander 
à personne , j'étois réduit à attendre du souvenir 
de mes malades , quelques mets grossiers, et du 
maïs grillé dont je fus obligé de me nourrir. 
Mais bientôt, sous le rapport de la table, tout 


D'UN NATURALISTE. 309 
changea de face, M. Say ayant fait venir pour 
nous deux des provisions de ‘sa batte de Ja 
Savanne-Brulée, située de l'autre côté du fort. 

Quelquefois dans ses momens d’espoir , voici 
quel étoit le calcul de Dessalines , etquel discours 
il tenoit à ses officiers : « (1) Vouz autr’ tiembé 
» cœur... tembé cœur, moi dis vous : blancs 
» france layo pas capab” tenir contr” bon homme 
» Saint-Domingue ; yo va aller, aller , aller, 
» puis va rester; yo va malades, yo va mourt 
» comme mouches. Coutez bèn si Dessalines va 
» rendre cent fois, h va trahi cent fois. Ainsi 


Le 


(1) « Prenez courage.... prenez courage, vous 
» dis-je, les Français ne pourront pas résister long- 
» tems à St.-Domingue; ils marcheront bien d’abord, 
» mais bientôt ils seront retenus malades, et mour- 
» ront comme des mouches. Ecoutez bien : si Dessa- 
» lines se rend cent fois à eux, 1l les trahira cent 
» fois. Ainsi, je vous le répète, prenez courage, et 
» vous verrez que quand les Français seront en petit 
» nombre, nous les inquiéterons, nous les bataille- 
» rons, nous brülerons leurs récoltes, puis nous nous 
» sauverons dans nos mornes inabordables. Ils ne 
» pourront pas garder le Days, et seront forcés de 
» le quitter. Alors je vous rendrai indépendans. I] 
» ne faut plus de blancs parmi nous; nous sommes 
» assez pour fabriquer des pirogues, et aller prendre 
» à l'abordage tous les bâtimens de commerce que 
» nous trouverons dans nos croisières ». 


Z 4 


360 VOYAGES 

» moi di vou z'autr tiembé cœur, et pis vous va 
» voir quand yo va p'üt, p’üt, nous va chicaner 
» yo, nous va bat’ ÿo, nous va brülé toutes 
» récoltes layo; puis nous va caché dans mornes 
» à nous. Êh , que yo capab’ tenir; yo va aller... 
» Après, Dessalhines va rend’ vou z'autr’ libres. 
» Blancs caba parmi nous ; blancs caba outi 
house... Nou z'autr’ assez pour gagner pi- 
» rognes, et aller prend’ toutt bâtmens layo 


4 


> qui apres filer dans mer ». 

Dessalines, après avoir ainsi harangué la gar- 
nison , sut par ses espions que les Français se 
proposoient de bombarder le fort. Il fit tout son 
possible pour les inquiéter dans leurs travaux 
dont les suites devoient être funestes à sa retraite 
mal .assurée. La forteresse n’offroit le secours 
d'aucune provision de bouche; on n’y avoit 
pas même d’eau, quoiqu’à la portée d’une rivicre; 
et par dessus tous ces inconvéniens, on avoit 
à redouter dans le bombardement, les éclats des 
roches énormes dont le fort étoit pavé et par- 
tout hérissé ; ce qui assuroit le mortel effet 
des bombes qui devoient y tomber. Après avoir 
réfléchi sérieusement anx dangers qu’il avoit à 
courir , en restant présent à celte atiaque, Des- 
salines résolnt le soir de la veille de lattaque 
de sortir sans tambour n1 tompette, accom- 
pagné seulement de ses secrétaires et de ses 


D'UN NATURALISTE. 361 
aides de camp. Lorsque je le vis ainsi disposé, 
je lui demandai la permission de le suivre, ne 
jugeant pas ma présence nécessaire dans le fort 
où il ne m’avoit fait appeler que pour lui. 
Tiembé cœur , me dit-1l, ca bèntét caba (1). 
Quelle profonde scélératesse ! d’une main il 
serroit la mienne en souriant, de l’autre ,le traître 
donnoit derrière lui au chef d’arullerie (2), 
l’ordre de me faire sauter avec la poudrière en 
cas d'évacuation. Je fus bien prévenu de la 
trahison qui m’étoit réservée, par cet officier 
que j'avois guéri autrefois d’une ophtalmie 
dangereuse ; mais quel pari prendre ? je ne 
pouvois prévenir les malheurs qui m’étoient 
préparés. Ainsi l’idée d’une mort prochaine et 
inévitable nourrissoit de nouveau ma douleur 
d’une mélancolie noire et accablante , lorsque je 
me rappelai un songe que j'avois eu quelques 
annéesauparavant,etquim'avoit toujours frappé; 
les événemens me prouvèrent que c’étoit un 
pressentiment. Je me vis en rêve au milieu du 
bombardement de ce même fort que je ne con- 
noissois pas à cette époque. Les bombes et 


(1) Prends courage, me dit-il, cela va bientôt 
finir. 


(2) M. Macé, capitaine artilleur des Gonaïves. 


362 VOYAGES 


obus éclatant à mes côtés, je les voyois 
renverser les soldats, les mutiler, jeter par-tout 
l’épouvante, et ne me faire aucun mal. 


Le lendemain le bombardement commenca, 
dura trois jours et trois nuits pendant lesquels 
on ne put prendre aucun repos. Les feux se 
croisant de deux parties opposées, nous lancoient 
sans interrupuon ou des bombes, ou des obus, 
ou des boulets ramés dont le passage rapide 
entraînoit la chute des charpentes fracassées. 
Le feu ayant été mis par l'explosion des bombes 
près des tentes construites en feuillage de lata- 
nier, on fut obligé de les démembrer, et de les 
jeter dans les fossés. 


Occupés à valler conunuellement à la chute 
des bombes, nous les éviions quand leur 
explosion n'étoit pas trop soudaine; on voyoit 
néanmoins à chaque instant des membres épars, 
des ironcs ensanglantés de malheureux qui n’a- 
voient pu se soustraire à ces terribles effets ! 


Un canonnier ayant apercu une bombe tomber 
près de son ami malade, regardant son sommeil 
comme précieux, ne voulut pas le réveiller. 
1 s’élançca sur la bombe, coupa la méche 
allumée, et délivra par cette intrépidité son ca- 
marade dont la mort paroissoit inévitable, 


' 
D'UN NATURALISTE, 363 
_ Un grenadier ne fut pas aussi heureux. lvre 
de sommeil dont nous étions privés depuis trois 
jours, el s’y abandonnant malgré l’éminence du 
danger, un obus tomba près de lui; on lui 
cria de s’en garantir en se jetant le ventre par 
terre; mais encore appesanti, à peine s’étoit-1l 
frotté les paupières qu'il disparut à nos yeux. 


Ün morne silence régnoit par-tout , afin de 
mueux prêter l'oreille à l'explosion de la batterie 
française qui nous indiquoit d'avance le passage 
de ces produits destructeurs. À la vue de leur 
sillon de lumière, un cri général étoit poussé ; 
puis jugeant de la direction de la parabole, 
aux mots unanimes de gare & la bombe , de 
longues files de soldats tombés les uns sur les 
autres vouloient forcer ma chambre où ils se 
croyoient plus en sûreté. Enfin l’emborras que 
ces êtres pusillanimes nous causoient dans la 
préparation de nos bandages étoit si grand, que 
je fus contraint pour cetie raison, autant que 
pour ménager nos vivres el notre eau , de metire 
à la porte de mon réduit deux senunelles armées 
d’espingoles. 


Les cris des blessés s’élevoient dans les airs. 
On blasphémoit contre le nom francais, et les 
malades mêmes que je pansois m'insultoient par 
leurs outrages. On me retira les infirmiers blancs 


364 | VOYAGES 

dont je m’étois entouré (1), pour les forcer de 
faire des cartouches, et fondre les balles qu’on 
desunoit à leurs compatriotes. 

Les troupes privées d’eau et de pourriture 
avec cette chaleur accablante, obligées de mâcher 
des balles de plomb dans l'espoir d’étancher leur 
soif insupportable, provoquoient par cette tritu- 
ration une salive bourbeuse qu'ils trouvoient 


(1) De ce nombre étoit M. Vauthier, préposé de 
l'administration des domaines aux Gonaives, que 
Jeus le bonheur d’arracher deux fois des mains des 
brigands, mais qui finit par être supplicié en exerçant 
ses fonctions de préposé lors du rétablissement ap- 
parent de l'ordre. M. Vauthier fut remplacé le 
15 prairial an x par M. Masson-Durondon, auquel je 
suis lié dès la plus tendre enfance par les droits de la 
nature et de Famitié. Actuellement sous-inspecteur 
des eaux et forêts à Boiscommun, cet agent honore 
ladministration qui le possède, par ses talens, son 
activité, et le sacrifice constant de ses intérêts personnels 
pour ceux de la partie qu'il a embrassée. Le Gou- 
vernement ne sauroit trop tôt reconnoitre les services 
de ce zélé forestier par un avancement qui ne seroit 
pointune faveur. M. Masson-Durondon qui possède une 
pépinière intéressante, et une collection rare de bois 
indigènes et exotiques, travaille depuis trois ans avec 
moi à deux ouvrages didactiques sur les eaux et forêts, 
que des expériences multipliées ne nous ont point 
permis de publier jusqu'à ce jour, mais que nous nous 
proposons de livrer incessamment à l'impression. 


D'UN NATURALISTE. 365 


encore délicieuse à avaler. Ils souffroient sans 
se plaindre, par l’espérance de se venser. Lan- 
guissans de faim, agités par la peur, ces soldats 
promenoient ces deux sensations opposées sur 
leur figure moribonde. 

Pendant cette affreuse calamité, travaillant 
sans salaire, privé, ainsi que l'agneau que l’on 
va égorger, d’une nourriture qui me devenoit 
inutile , un Dieu veilloit néanmoins à mes 
besoins, et sans le secours des chefs qui m’avoient 
établi, j'avois de l’eau, du pain, du vin, du 
tafia , et autres provisions qu’eux-mêmes eussent 
bien désiré de posséder, quoiqu'il ne fut guères 
possible de manger de sang-froid, ayant par-tont 
autour de soi la mort présente ! 

Cent cinq soldats avoient déjà été victimes 
des effets meurtriers des bouches à feu, vomis- 
sant le trépas et la désolation, que jaloux de 
me voir tranquille, et point inquiet dans ma 
chambre voisine de la poudrière peu solide, et 
qui n'étant point à l’abri de la bombe, rendoit 
ma place plus périlleuse , ils poussérent la bar- 
barie jusqu’à m'envoyer visiter des soldats déjà 
enlevés aux souflrances de la vie! C’est ainsi 
que les chefs cruels n'’exposoient au même 
sort, en me forcant d’assister aux pansemens 
dans Pendroit qui paroissoit le plus endom- 
magé par les bombes et les boulets. 11 1omba 


366 VOYAGES 


près de moi des bombes avec un. horrible 
fracas, je fus même souvent interrompu dans 
mes fonctions. Pansant un soldat dont les deux 
cuisses avoient été emportées, mon plumaceau 
disparut de mes mains tremblantes, et de mes 
deux infirmiers porteurs de l'appareil des ban- 
dages, l’un fut exterminé à mes pieds, tandis 
que l’autre, ainsi que moi, nous fümes jetés à 
trois pas plus loin , et couverts de poussière 
par la répercussion de la colonne d’air rompue 
avec vibrauon. 

Une autre fois je fus également renversé 
par un éclat, mais seulement engourdi, et 
point du tout blessé, tandis que le même éclat 
coupa la tête de celui qu’on m’avoit envoyé 
panser. Enfin cetie protection à qui j'ai dû 
cent fois la vie pendant ces désastres,» m’ar- 
racha visiblement des bras de la mort 1rm- 
puissante, travaillant par-tout en vain à ma 
destruction. 

Les dangers augmentant en raison de la 
vivacité des feux, je refusai bientôt d’aller aux 
pansemens , qui ne pouvoient plus se faire faute 
d’eau et de linge. C'est alors que les murmures 
s’élevérent, et que les malades demanderent à 
haute voix /a mort ou l’évacuation du fort. Je 
peuchai pour le dernier part, dans lespoir de 
saisir un inslant favorable pour néchapper. et 


D'UN NATURALISTE. 367 


‘me soustraire au trépas qu’on me réservoit. Car, 
quoique je susse que le moment du départ étoit 
celui de mon supplice, je préférois encore sortir 
‘de mes anxiétés et de mes doutes cruels, et avoir 
une prompte solution de vie ou de mort. 

Les officiers commandans vinrent à moi, et 
troublés par la crainte de tomber au pouvoir des 
Français qu'ils avoient si maltraités, ils réso- 
lurent tous de s’empoisonner , et de fuir à 
l'aventure. C’est pourquoi ils s'emparèrent de 
mon opium dont ils prirent tous, après m'avoir 
demandé la dose nécessaire pour provoquer le 
sommeil , et qu’ils augmentèrent en raison de 
leurs projets de suicide. Ils venoient à tous mo- 
mens me faire part de leur crainte de n’en avoir 
point assez pris , tant 1ls en trouvoient les effets 
tardifs (1). Les uns éprouvant déjà les progrès 
funestes du narcotique, faisoient en faveur de 
grenadiersleurstestamensaccompagnésdelarmes 
et de sanglots; d’autres plus audacieux, sentant 
les avant-coureurs de la mort, harceloient encore 


(1) Je leur donnai Fopium en voyant préparer la 
fnèche du magasin à poudre où l'on devoit m'en- 
fermer. C'est le commandant du fort qui, pour me. 
dévoiler ce secret, me dit de le suivre vers le magasin. 
Inquiet, absorbé d'une froide langueur , je regardois 
autour de moi, croyant être saisi et précipité dans le 
caveau. 


368 VOYAGES 

leurs soldats, révalloient en eux leur rage 
assoupie dans cet état d’anéantissement. Enfin 
il fallut songer plus sérièusement à l'évacuation, 
combiner la retraite, prévoir lés surprises, cal- 
culer les fausses attaques, et convenir de la 
parue la plus foible de la colonne qu’on atta- 
queroit pour se frayer un passage vers les mon- 
tagnes des Grands-Cahaux. Les chefs étant hors 
d’état de donner des ordres pour le transport 
des malades , exigèrent de moi ce nouveau ser- 
vice, le dernier qu'ils pensoient que je pusse 
leur rendre. Ces détails contrarièrent mon 
projet de fuite, par l’attention qu’il me falloit 
porter aux mille quesuons à faire en pareille 
occurrence. 

Tout se disposoit à tenter, à la chute du 
jour , ce départ tant désiré. Déjà les tambours, 
suivis de la musique, étoient distingnés des 
autres corps encore confondus ; déjà les sa- 
peurs et les grenadiers venoient à la suite, 
que le cœur palpitant, je désespérois de mon 
salut, lorsqu'une fusillade se fit entendre de 
la redoute la Martinière , et que les senti 
nelles des remparts criérent, aux armes ! 
Une terreur panique s'empare de la garnison, 
les soldats courent éperdus , se heurtant les uns 
et les autres, cherchant en désordre, sans pou- 
voir les trouver , leurs armes éparpillées : enfin, 

voulant 


D'UN NATURALISTE, 369 
#oulant à l'aventure risquer une incursion , ils 
profitent de ce que les forces attaquoient un 
autre point. Le pout-levis est abattu , ils se pré- 
cipitent en foule dehors , et sont bientôt ren- 
contrés par la garnison Ja Marunière qu'ils pren- 
nent pour des Francais ; ceux-ci dans la même 
méprise commencent, à bout portant, un feu 
suivi qui oblige la garnison du fort à batire en 
retraite. Les deux corps oppposés rentrent dans 
le fort qu'ils ne se sont pas aperçus de leur 
erreur ; pourtant on la reconnoît enfin, en criant 
toujours en vain : Na pas français... na'pas 
tiré (1)! Mais la rage qui anime de part et 
d'autre ces révoltés les pousse à faire un feu plus 
long. Ils n’écoutent aucun ordre qu'ils n'aient 
employé jusqu’à la dernière cartouche , et qu'ils 
ne se soient mutuellement écharpés en se urant 
à quatre pas. Quant à moi , me trouvant entre les 
deux feux , je me Jetai à plat ventre , et marchant 
sur les pieds et les mains, je m’éloignai de la scène 
pour joindre un bastinguage : jy montois, lorsque 
retenu par le pan de mon habit, on me crie : 
Où allez-vous ? J’examine , répondis je avec 


empressement , que le quatrième régiment (2) 


nn | 


(1) Ce ne sont pas les Français, ne tirez pas. 
(2) Le régiment de Dessalines. 
Tome IL Aa 


350 VOYAGES 
a l'avantage. On le croit, et pendant qu'ils 
courent s'assurer de cette fausse nouvelle , je me 
précipite dans un fossé de douze pieds de pro- 
fondénr. On fit feu de peloton sur moi; mais 
mon corps dans sa chute étant à l'abri par les 
bastinguases, 1l n’y eut que les basques de mon 
habit qui, plus légères et faisant drapeau , furent 
criblées: je fus également atteint d’un léger coup 
de baïonnette qui, lors de mon élancement, 
me fut porté par un soldat se trouvant près 
de moi. : 
Ma chute fut terrible, et M. Say qui m'avoit 
suivi, l’aggrava en tombant sur moi; je me crus. 
quelque membre brisé : cependant les circons- 
tances étant impérieuses , je me trainai, comme 
je le pus, jusque dans la ravine, afin d'y con- 
certer plus à l’aise et avec plus de sécurité, sur 
les mesures à prendre pour diriger notre course 
incertaine vers le feu du canon français qui 
percoit au travers de cette obscurité profonde, 
en l’éclairant par intervalles. Nous avions à 
passer devant Ja redoute la Martinière pour nous 
rendre aux batteries des Français les plus voisines 
du fort, et nous craignions de rencontrer des 
sentinelles perdues ; ainsi le cœur agité de mille 
idées contraires , nous rampions en silence , sans 
respirer , lorsque nous reconnûmes avec joie que 
la redoute étoit évacuée, et que le feu y avoit 


D'UN NATURALISTE. 371 


été mis. Bientôt à la lueur des pièces nous nous 
assurâmes que nous étions près d’un posle où 
nous désirions depuis s1 long-tems de nous 
rendre, et nous en fûmes certains aux mots 
français : « Halte là, au large » ! C’étoit une 
senunelle avancée qui avoit ordre de faire feu 
sur les fugiuis échappés à la poursuite des ré- 
voliés par les colonnes francaises réûnies. 

Après nous être nommés, la sentinelle, s’étant 
mise en règle, nous fit conduire au camp. Notre 
groupe avoit grossi; M. Moilet notaire de 
© Saint-Marc , et M. Alain. marchand. de la 
même ville, devenus mes infirmiers par conve- 
nance, et un homme de couleur nous avoient 
rejoints, après s'être laissé glisser dans les falaises, 
et s'être déchiré le corps en remontant au travers 
des épines dont elles sont hérissées. 

Où nous présenta au capitaine-générol Leclerc 
qui, après beaucoup de questions paruculières, 
me félicita personnellement devant l’adjudant- 
général Huin, l’ordonnateur Colbert , et le com- 
missairè des guerres Leclerc, tous amis alarmés 
sur mon sort, d’avoir pu effectuer ma fuite, 
puisque le lendemain le fort devoit être attaqué 
à la fascine, et indubitablement pris d'assaut ; 
qu’alors l’ordre étoit donné d’y passer au fil de 
l'épée toute la garnison qui avoit eu l’impudence 


A a 2 


972 VOYAGES 
d’arborer aux quatre coins le pavillon sans 
quaruer (1). 

Mes amis me voyant l'esprit plus tranquille, 
m’emmenérent prendre quelque nourriture 
dont j'avois le plus grand besoin. On envoya un 
de nos camarades avec un détachement, s’assurer 
si, comme nous l’avions annoncé, le fort de 
Ja Crête-à-Pierrot étoit évacué , s’il y avoit un 
oficier blanc que jy avois laissé blessé, et vingt- 
cinq milliers de poudre dans une soute que 
nous avions indiquée, et à laquelle on m’avoit 
sûrement pas eu ke tems de mettre la mèche. 
On trouva toutes choses conformes à notre 
rapport, et de plus les musiciens blancs de 
Toussaint-Louverture, qui attendoient l’instant 
favorable de pouvoir se sauver sans danger. Quoi- 
qu'on sût bien qu'ils y étoient retenus par force, 
on les fitnéanmoins prisonniers, pour la forme, 
parce qu'ils avoient joué les fanfares de ça ira , 
lors de la retraite des Francais. Les pauvres 
malheureux y étoient bien forcés, j'en ai été le 
témoin , car j'ai vu un d'eux, basson, recevoir 


(1) Drapeau rouge, pour annoncer qu'ils ne se ren- 
droient jamais, et qu'ils furent pourtant obligés d’a- 
mener. Ce signe de rébellion fit quadrupler l'activité 
du bombardement. 


D'UN NATURALISTE. 373 
une grêle de coups de bâton, parce qu’il avoit 
quitté un instant son instrument pendant la 
fanfare. | 

L'heure du repos approchant, chacun se 
retira sous sa tente. Que ce sommeil fut doux 
pour moi! Il étoii depuis silong-tems écarté de 
ma paupière que la nuit ne me parut qu'un 
songe, surtout au réveil où, au lieu de voir 
autour de moi des assassins, je ne vis que des 
frères armés pour ma défense. 


Aa 3 


374 VOYAGES 


PR RE RL 


NOUVELLES TRAMES DES NOIRS 


DEPUIS L'ARRIVÉE 


DES FRANCAIS. 


TROISIÈME PARTIE. 


Ja reposois encore, lorsque les tronpes impa- 
Uentes avoient déja été mises en marche pour ras- 
sembler les garnisons du fort de la Crête-a-Pierrot 
et de la redoute la Marunière , disséminées dans 
l'épaisseur des halliers et le creux des rocliers 
où ils cachoient leur honte et leur confusion. 
Mais l’œil pénétrant des Français sut bientôt les 
y découvrir; et ces lâches bourreaux ne pouvant 
sontenir l’intrépidité des manœuvres de nos 
troupes légères, cherchèrent dans la fuite un 
salut qui leur fut refusé , puisque par-tout 
poursuivis , ils eurent à éssuyer le donble feu du 
cordon concentrique vers lequel ils se portèrent 
tous à dessein de le rompre, et de s'enfoncer 
dans les bois des montagnes voisines. 

Nos tronpes en firent un carnage complet, et 
leur mspirèrent une telle terreur que plusieurs 
se tuèrent de leurs propres armes, dans la crainte 
de tomber au pouvoir de leurs ennemis. 


D'UN NATURALISTE. 3-5 


Le camp français ayant changé d’emplace- 
ment, Je visitai les ruines du bourg de la Peute- 
Rivière, et jy pleurai encore sur quelques osse- 
mens épars et à demi consumés par l’action 
d’un incendie aussi considérable, 

Je partis du bourg pour me rendre au Port- 
au-Prince , où je fus présenté au général Dugua; 
chef de l’état-major-général. Après avoir exa- 
miné mes manuscrits restés en dépôt en cette 
ville , et les seuls que j'avois échappés aux 
flammes ; après m'avoir félicité de mon travail, 
m'avoir chargé d’une nouvelle organisation qui 
me mettoit dans le cas d’avoir l'honneur de 
correspondre avec l'Institut national, dont j'ac- 
quérois par cela même le titre de membre 
honoraire, ce général me témoigna lintérêt que 
le Premier Consul prenoit aux beaux arts, et 
nv’ofrit, au nom dugéneral Leclerc, la décoration 
parüculière d’une ceinture noire , ou cordon de 
mérite, comme fondateur du lycée colonial , et 
il joignit à cette marque honorable un traitement 
annuel de six mulle six cents francs, à dater 
du jour de mon arrivée dans la colonie, comme 
médecin-naturaliste du Gouvernement, à l'effet 
d'y continuer mes observations, et de recevoir 
par là un dédommagement à mes pertes im- 
menses. 

Cependant, pour me distraire sur une série de 


Aa 4 


356 VOYAGES 

réflexions tristes, sans cesse renaissantes , le 
général Dugua exigea que je m’absunsse pendant 
quinze jours de tout travail de cabinet. C'est 
pourquoi il me procura des promenades en 
rade , et me fit entendre au gouvernement plu- 
sieurs fois le jour de la musique d'harmonie, 
par l'espoir d’adoucir l’âäpreté de mon système 
nerveux sans cesse crispé. Ce général mourut; et 
des événemens postérieurs n’ont plus permis Île 
développement d’un établissement uule, duquel 
je lui avois présenté le projet d’après son autori- 
sation, C’étoit le lycée colonial , dont les membres 
ont tous été depuis dispersés , OU vicumes 
de nouvelles insurrecuons. Mais je joins ici 
un des tableaux que je présentai alors, et 
qui échappa au désastre (r). 

Je me promenois un jour avec ce général , au 
retour d’une course botanique, que, tout en 
foulant aux pieds et examinant deux espèces de 
sensitives , Mminosa pudica , dont les bords du 
cimeüère du Port-au-Prince sont garnis et 
touffus , nous fmes conduis par un peut sentier 


——— 


(1) Je crois devoir y joindre ceux des plantes 
usuelles de la colonie, dont je ne puis ici donner 
histoire. Elle con'ient seule un fort volume que je 
me réserve de publier plus tard, avec mes tableaux 
symptômatiques des maladies des Antilles. 


EXPOSÉ DE QUESTIONS 


à résoudre 


PAR LE LYCÉE COLONIAL DE SAINT-DOMINGUE, 


Sur divers points de l'Histoire Naturelle de ce pays, applic 


= =" 


ables à l'utilité publique, 


RÈGNE MINÉRAL. RÈGNE VÉGÉTAE. 


| 

| De l'Air Quels sont les moyens à 
opposer contre l'influence maligne 
{de l'air dans la saison des pluies, et 
\quelles sont Jes:causes des fièvres 
d'alors ? 


Quelles sont les plantes médeci- 
nales applicables à l'économie de 
l'homme et des animaux ? | 

Quelles sont celles dont les p_ 
concrets où fluidesdeviennentutiles 
L'Eau. Quels sont les principes | aux arts ? 

nstituans, des eaux douces, ou 
umätres où minérales qui ar- 
rosent le sol de Saint-Domingue ? 


Quelle est l'influence des vivres 
ou fruits sur le tempérament des 
Créoles, et des Européens nou en- 
Terres et Sables. Quels sont les| core acclimatés ? 
(plus utiles et les plus propres aux 
besoins de l'homme pour l'édifi- 
lcition des bâtimens? et quelle est 
linalyse des terres salines fournies 
par divers cantons où l'on trouve 
le mtre, la soude, le natron, le 
“iliol, le sel gemme , etc. ? 


Quelles ressources les arts peu- 
vent-ils tirer du mapou à coton , des 
pites el des écorces dont on fait les 
gros et fins cordages ? 


Quels sont les sommes et brais 
déposés par la Naturedanslestiches 


frs : É ie? 
Pierres. Quelles sont les pierres arbustes de la colonie £ 


6splus propres à la bâtisse , et quelle 
la position desdites carrières , 
u des grottes qui fournissent les 
lbâtres, cristaux, etc. ? 


Quels sont les bois propres aux 
constructions, à Ja teinture étàla 
marqueterie ? 3 


Quel est l'antidote 


du pays ? 7 EE 


Soufres et Bitumes, De l'exploi- 
lion des soufrières des montagnes 
la Selle, et autres grottes ou 


tres À volcans ? Quel est le traitement curatiP des 


maladiesvénériennes parles plantes 
du pays ? 


Mines. Quelles sont les mines les 
M digues d'être exploitées ? 


l'u 


| 


| 


| 


RÈGNE ANIMAL. 


6 1 


Quadrupèdes. Quels sont les re- 
mèdes à opposer contre l'épizootie 
desanimaux'de hatte et autres? 


Ornithologie. Quels sont les oi- 
seaux dont le plumage estrecherché 
pour la parure , et devient précieux 
aux modistes et plumassiers, et 
quels avantages pourroit-on retirer 
de la domesticité de plusieurs oi- 
seaux de Saint-Domingue ? 


Ichtyologie, Quelles sont les es- 
pèces de poissons qui fréquentent 
certains parages? quels sont ceux 
qui sont dangereux à manger ? à 
quelle époque leurchairdevient-elle 
funeste? que peut-on opposer à cette 
qualité vénéueuse ? el uelles sont 
les propriétés de leurs huiles pour 
les arts ? 


- Entomologie. Quelles sont les 
mouches épispastiques ; les insectes 
applicables aux arts? quels sont les 
remèdes contre la piqûre des in- 
sectes Venimeux ? et comment na- 
turaliser les vers à soie ? 


Conchyliologie. Quels sont les 
individus qui composent cetteclasse 
nombreuse ? 


Zoophytes. Quelles sont les es- 
pèces qu'on pourroit y recueillir ? 


Reptiles et Serpens. Quelle est 
tilité de Ja partie adipeuse de 
certains reptiles ? 


mingue, et de Cuba île espagnole ; 


Sunt-Donungue. 


Casse, n°. 1. Tamarin, n. 2. Prunier épi- 
neux, n. 3. Glayeul, n. 4. Ebenier de Saint-| 
Domingue, n. 5. Colocolia, n. 6, Cassier puant, : 
n. 7. Bignone noire , n. 8. Agaric, n. 0. 
Aloës , n. 10. Rhubarbe , n. 11. Argémone , n. 12. 
Lauréole , n. 15. Soldanelle , n. 14. Jalap, n. 19.14 
Belle-de-nuit , n. 16. Ipécacuanha, n. 17. Violette, À 
n. 18. Coccis , n.19. Symarouba, n. 20. Gourde, # 
n.21. Grand médecinier, n.22. Liane à Bauduit, |$ 
n.23. Ricin, n. 24. Médecinier bâtard , ou pignon À 
d'Inde , n. 25. Figuier maudit, n. 26. Sablier, à 
n.27. Liseron catartique, n. 28. Bryone, n. 99. | À 
Pois pouilleux, ou pois à gratter , n. 50. Bondue 
commun , où pois quenique , ou œil-de-chat, n, 51. | 
Aimenia aculeata , etc. 


m. 


Aïl, n°. 1. Citron limon, n. 2. Orange douce | 
de la Chine, n. 3. Orange de l’Arcahaye, n. 4. 
h. 


\ 


Urange amère, n. 5. Bois ramon, n: 6. Cou- 
courout, n. 7. Girofle, n. 8. Corail, n. 9. Sucrier 
de montagne, ou bois cochon, n. 16. Liane à 
serpent, n.11. Valériane, n. 12. Cacone grim- 
pante, n. 13. Mal-nommée , n. 14. Casse puante, 
Nn. 15. Galéga, n. 16. Herbe à courette, n. 17. 
Mirte-poivre de la Jamaïque, n. 18. Mélisse 
globulaire , n. 19. Epine blanche, n. 20. Faux 
romarin, n. 21. Dompte venin, n. 22. Liane 
laiteuse, n. 25. Herbe aux flèches, n.24. Anacarde, 
n. 25. Clématite , n. 26. 

Plante rapportée dans d’autres classes, La 
cannelle. 


= — 


nn” 


Tome I, page 36, n°. 


TRAITÉ des Plantes usuelles d’une parte dé 


par M. E. Descovrrirz , Médecin -N 


Antilles, principalement de Saint-D 


aturaliste du Gouvernement À 


igue, et de Cuba île espagnole ; 
Siint-Domingue. 


Issue 
des humeur. 


————— —————— ——_—_—__ "lt 


Emétiques. . 


Leurs proprietés. |: Leur action, 


Par 
vomissement, 


Purgatives, 


alvines, 


Catartiques, de déjections /ribres des intestins 


Maladies 
dissipées. 


Es 


Embarras des Tamarin, n. 2. Pruniec épi= 

premières voies, Sabure ; bile, Onif ayeul, n, 4. Fbenier de Saints 
irritation de à sérosités”, glaires supéci 

l'estome, ct et viscosités. _ |ou œsopii 

convulsions 

spasmodiques. 


n.23. Ricin, n. 24, Mé ht 
inde, n. 25. Figuier maudit, n. 26. Siblier : 
a. 27. Liseron catartique, n. 28. Dryone. n. 

Pois pouilleux, ou pois à gratter, n°30. 
commun , où pois quenique , ou œil-de-chat 
Aimeuia aculeata, ete. 


on. 
Te 


Humeurs 


relächées. grossières , ete. 


| 


TECRIQUES TRRANTES NET, RTS 
- jubier-croc-de-chien , n, 3, Gombo , n. 3. Chou | 
almiste, à. 4, Dattier, n. 5. Figues, n, 6. 
coton , n.7. Canne à sucre, n. 8, Mauves, ne: 9. 
Urène, n. 10, Ooli, n, 11. Martynia, D. 19. 
rires Béchiques divisantes, Capillairo , n°15. Herbe 
B. adoucissantes, Par ponernes Tour asthme; ” ] Bouche/pe#,){ charpentier, n. 16. Kaataus 238 AUDE 
Béchiques expectoration du poumon affections urine €t 4 dier laiteux , n. 16% Pistaches , n. 17. Ananas pain 
qe 3. dissolvantes. À de crachats.| |compr Reno pituiteuses. transpiration. \de sucre , n°18, Gommier blanc, 220 ae ae 
la passion , n. 20, Ruta muraria, he 215 Lonchi 
n. 22. Aunée, n.25. Aster à fcvilles de primeyere 
A, 0: 24. Frangipanier, n. 25, Dot 
immortel épineux, n. 26. Pois d'angole , n. 27. 
Plantes rapportées dans d'autres classes. Mauves, 
Fougères; Grand-cousin. 
Le nez, en 
Te excitant un | Pétun, n°. 3. Aoutarde ; m. 3, Herbe aux 
cerveau s picotement \caïmans, n, gembre , n. 4, Santolin, n, 5, 
ea irritaut LES g 5 D ns 
Léthargie qui resserre ]Piment,/n gl, n. 7. Poivrier, n. 8. Cacte- 
L Far la membrane à 7 ere le Pyre 
- Ja me 1 & maux| les glandes def épineux , n.g. Tithÿmalé , n. 10, Pyrethre ar se 
rem Attoire Fe pituitaire ot tes] UPPER a membrane | Laurierrone y, 1e pee Congo , n. 13. 
sinus fronteaux pituitaire Plantes rapportées dans d'autres classes, Le 
ONÉR qu'elle tapisse, glayeul , l'herbe à plomb, la sauge. 
| déterger. 
Glandes du palais( | Farlyaïe La boule, 
S î t de la bouche,) de là lüngue, e nez, Foyez les sternutatoires, 
Sialologues. Por Le ealire Gone ne pituite abondante, et autres ve E 
salive. maux de dents, * Lémonctoires 
H | Calamus aromaticus, n°, 1, Clÿtoria, n. à. Sen 
ère partie, siva pudica, n. 3. Aristoloche, n° 4, Jonc odurant, 
Le" “Menstrues rétablies , n. 5. Clitoris, n.6. Herbe manvzelle, n.7.Sorussi, M 
cs ê] leurs: jo, 8. Matricaire, n. 9. Avocat: , 0.10. Mélisso 
UM Pacrore EE 2 Mélisse puante , n.:2, Chardon étoilé puan 
4 4 lu soxe, Affections migrainé/ebMaaiue 0) Matrice, Poia sucrier, n. 14. Liane à caleçon , n: 15: 
Hystériques, de la matrice. xoïeçuritle. À Pois puant,-n, 16. Schocnanthé, n. 17. Arbre 
ï d'estomac des P ? 
— Evacuation) ê Sennes de ne rsllee aux savonnettes, n.14. Mauve puante , n. 19, Valé= 
L. -% des vidange C2 pr tn) raie, de 40, Trékbe carrée, naar Brin d'AMOUr, 
pass särdoniques. me22. # 
Plante rapportée dans d'autres class. L'o= 
cuantes, range amère. j 
 —— 
Chicorée sauvage, n°. 1. Oscille marronne, n, 2. L 
Patience, n.5, Fraisier, n; 4. Bonbon-couleuvre, 
n. 5. @il de bourrique, n. 6. Saxifrage, n, 7- Célers 
marron, n.8. Cardinale , n, 9. Poincillade, n. 104] 
| Fcnoud, n. 11. Pett-Houx, n. 12. Chiendents 
p.23. Graînes du sapotillier, n. 14, Liane à savon 
15. Oignon, n. 16. oireau n 17. Pois chiche y 
In. 38. Sapin, n. 19. Coton flo, ü- 20. Gran | 
Les chaudes par ( En procurant z mahot, n. 31. Chardons, n. 2, Persil, n: 3%, Æ 
leurs sels âcres et À une fltratiôn |Glaudes des Fins (Sérosités qu sang, Oscille de Guinéern oh - 
Diurétiques. ARS ne MRC En ca bre nl CAES 
es urin de a CPR ANR 
Les froïdes par | parlogitation |  dégorgées. DÉAS Ever. ER en 
relâchement. du sang. . 
pi | 
} | 
f É 5 
4 Jon-béni, n. 2. Noyer 
ë Par 3 RE nd AN EDEN + 
Sudorifiques. transpiration Pleurésies par l'acajou, n 3: \Dras,:n. 4: IT 
e PATATE dépuration du sang.)  Pores Ja quine, 6, Bois RTE RE 
ï iques. : Sang calme. deln peau, /rette franche, n. 8. re em DRE 
Diaphorétiques. g ‘Tumeurs voïetrinsle | d'a ON S age ehatutd 
ñ : scrofuleuses, etc. igouia,n. 1 #n118: 
Diaphorétiques, { mA Bois de Féroles marbré, 5:15. 
sa ‘ 
à « Citron limon, m, 2: 0) 
.: | i Orange deux se 
4 ne 5 JL Fri 1 
: Syncopes, défail= re ee Gil, CT 
# | lances, sara 2 “au "bols 
i mens , malädies 
: Cœur fortifié contagieuse; 
Fi Agissant ré “ Pores 
Cordiall 5 c'est à dire, isons | MOISUrE 
Cordiales: den tEs) RU ertemanntlabfes À es Pt de là pes. 
PRO Lang mis enaction. | renimeutes, 
Hèvres maligées 


Dre 


Céphaliques. 


Ophtalmiques. 


Stomachiques. 


Séconde partie. 


Effets 
moins sensibles. 


Flontesaltérantes 
du premier ordre. 


— 


acal 
iopathiques. 


Première 
division, 


——— 


Hépatiques. 


Leurs propriétés: 


Carminatives. 


Antiscorbutiques 


Leur action] 


= 


EE 


Détersives| 
rafruclissantés. 
Amers, 


Acides. 


A la suite dis 
remiers accèside 


! ji qui . 
1 les urines. 


En assurant 
parfaite scerétlon 
de ln bis] 


En divisant 
matières crues, 
visqueuses ct 
gluantes, gonflées 
par des vents. 


Par ses selalféres, 
soit fixes Doi 
Ye Tee 
or rBe M odlree 
avec les aéides du 


r 
d 


Par dépuration 
neutralisation 
des-sels âcres; 
et nérosités 


Parties 
soulagées, 


Issue 
des humeurs. 


Par expansion | La tête et les 


engourdi. 


is nerveux, 
ranimé ou 
détendu , 
picoté où 
relâché. 


Les yeux. 


us nd OP] lobes du cerveau. 


Canaux 


Malsd(es 
dissipæs. 


{ Apopletie. 


{ 


| re 


Les yeux 
nations 


vie 


Î 
| 


conte : 
agacemint, 
irritation, dpuleurs, 
syncopes, 
évañoui<Emens, 
ürailleihens. 


Uscérustules 
ne rasières. 


Corrodantes. 


En stimulant 
et donnant du 
ton aux fibres, 
pour régénérer 
les humeurs 
croupies par 
leur stagoation. 


L'estomoc. 


par 
transpiration 5 
et de plus 
comme 
toniques, en 


L'estomac. 


Tes autres 

excrétions, 
sabure 

morbifique. 


da 


artie 
le la 


Par la 
fluide | 


Le foie par 
les hépatiques, 


Par la partie 
limoneuse 
de la bile qui 
colore 
les excrémens. 


La rate par 
les spléniques. 


Par 
ertpitation 
ou miasmes 

d'exhalaisons 
patrides. 


En purifiant 
le sing 

et sun 

son action, 


L'estomac, 


Les intestins, 


Sang dépuré, 


Temgton 
des yeux. 


; Les yeux. 


Voies hautes 
et basses. 


j Indigestions. 


Ver 
ct corruption, 


Orifice 
supérieur, 
voies 
roro 
ct excrémen- 
telles. 


Fidvres. 


Mala 
et 


4h foie 


© Porosité 


de la peau, 


Bafare oQO RES 


Dana et cxerémen- 
hypocondrique , tielles. 
ardeur d'uridé} etc. 

? 
î. 
| 
(E 
Suintemont Orifices 
de séroutés supérieurs 
ichoreules. 
Î 
Le | 
| Par 
Scorbht. secrétions 
M diverses. 


F et sauge fuméc pour ophtalmies céreuses. 


Noms vulgaires des Plantes. 


ë Sauge, n. 2 Laurier ou boil 
n. 3. Cannelle, n. 4. Girolle, n, 5 
Murcdes n. 6. Busilic moyen et violet, n. 7 
Franc-basin, n. 8. Collet Notre - Dame, n. 9) 
Bndigo sauvage, n. 10, Sarriète, n. 11. Laurie 
à fruits de glands, me 12. Bois de rose, n, 13 
'Alibousier,-n. 14. Cuille-lait, n. 15. Boi à 
soie, ou bois ramier, n. 16. Tilleul, n. 17. 


Plantes rapportés dans d'autres classes. |Boï 
d'aloës; feuilles de cucurbita, de pontédtcin 
et du glayeul ; huile et citron antispésmol 
diques. 


Plantain, n°, 1. Mombain ,/n. 2. Chélidoine! 
eanthe , n. 3. VetYeiue, n, 4. Lia 
LE espèces de bryone, n. 5. Chevr 


Plantes rapportées dans d'autres classes. L'u- 


Absinthe, n°. 1. Baume, m2, 
Cacao, m4, Vanille, n. 

+ Poivre F 
9. Sauge 10. on! 
5; Vo in Absntliorles AM 
Lysimaque mille graimes, n. 14. Liono à ver 
n°15. Hoccone, n. 16. Abricotier, n. 17. B 
de campèche, h. 18. Tète-de dragon , n. 
Mélisse do Moldavie, n.20. Papayer, n. 2] 
Poivrier, n. 22: Andira où angelin à grapptl 
n, 33. Badomier du Malabar, n. 24. Canies 
n: 25 Balatas on sapotillier marron , 1.18, Foi 
pour cette dernière, la XX1me clusse, 


Café, n 


B:! 
reluc, n 


4 


Idem, Orange , citronnelle , herbe au charpen 
tier, ail; corail, comme abiorbant; cannelle 
muscade , etc. ; rhubarbe, fougère , gingembre: 


ZE: 


winquina, n°. 1. Acacia, n°7. Centauréo 
n. 3. Pukinsone, n. 4. Mangles noirs ou pal 
tuviers, n. 5. Mois de chêne , n° 6. Iudig 
tiré, Epineux jeune, n: 8. Citron 
n.9. Bois lniteux, n. 10. Cacte, n. 112 Castarille 
me 12, Bois do Cassie , n. 18, 


| rem: Les purgatifs ci-dessus convien: 

8 de fièvre, dont ils expülsent Jénlen 
poincillade, café ct citron, vert 
coucoûrout. 


Aigremoine , n°. 1. Fnpstofie m2 
purs n: 5, Fougères me Polypodéysn 
erfouil, n. 6. Grand-cousin, n:#7: 

Mahot, n. 8. Lianc brûlante, 1.9: 
Centaurée, n. 10. Hydrocotilé, n. 1: 
-violon , n. 12. 


Idem. Absythe, frêne, verreines 


Anis, n°, 1. Poivrier do montagne 
Courbaïil ou gommo animée, 1. 5. 


Idem. Zestes d'orange ethde cit 
gembre , absinthe , menthe qu 
pontédéria en lavemens pond 
tau de coco en lavemens, à 


+ Gresson, n°. 1. Mén 
aquatique, n, 3. Cannelle 
halle da Péron, n° 4-1 Cann 
kollée, n° 5. Manguier, ne 
Cocotier, n. 8, Bois d'nisett 
u. 10. 


Idem. Otille, patience si 
tarde , bourgeons de citrol 
pour rincer la bouche, 


, 
Urilidil Ces 7 
et excrémen- Idem. Les purgatifs ci-dessus conviennent en 
üelles. cas de fièvre, dont ils expulsent le levain; 
poincillade, café et citron, verveine en lavemens, 
coucourout, 


an foie 


pendre, n. 5. Fougère, n. 4. Polypode, n. 8. 
jrate. 


Cerfeuil, n. 6. Grand-cousin, n. 7. Grand- 


Porosité ; * 
Mahot, n. 8. Liane brülante, n. g. Grarde 


Aigremoine , n°. 1. Eupatoire, n. 2. Scolo- 
de la peau, 


« ! + 1 S 
uctions | Centaurée, n. 10. Hydrocotile, n. 11. Corde- 


Lee voiesurinaires\ “€! 
FÉES et excrémen- \à-violon, n. 12. 
Lire tielles. 
+: Idem. Absythe, frène, verveine. 
(e, etc. 
dont Orifices 


supérieurs 
et inférieurs. 


. 


Idem. Zestes d'orange et de citron, gi 
gembre , absinthe , menthe, café, sirop 
pontédéria en lavemens pour coliques chaudes} 


eau de coco en lavemens. 


. . 0 
Anis, n°. 1. Poivrier de montagne , n. 2 
Courbaril ou gomme animée, n, 5. 


| 


Cresson, n°. 1. Ménianthe, n. 2. Patienc 
aquatique, n. 3. Cannelle blanche, ou cam: 
nelle du Pérou, n. 4. Cannelle noire, ou gi 


Par roflée, n. 5. Manguier , n. 6. Curcuma, n. 7 
: secrétions Ç(Cocotier , n. 8. Bois d’anisette, n. 9. Latanier 
° diverses. na. 10. 


Idem. Oseille , patience sauvage, tabac, mou: 
tarde, bourgeons de citronnier et de mombain. 
pour rincer la bouche, 


5 — 


Géranium, n°, 1, Bois d’ortie, n. 2. Raisi- 
nier, n. 3. Grenadier, n, 4. Ycaque, n. 5. 
Jaune-d'œuf, n. 6. Liège, n. 7. Noisetier, 
n. 8. Orme , n. 9. Vesce de loup, n. 10. Baume 
de’tolu, n. 11, Gomme Gargne, n. 12. Genipa, 
n.15. Goyavier, n. 14. Cousin (petit), n. 15. 
Cœur-de-bœuf, n. 16. Grande -ortie, n. 17. 
Jonc, herbe à Couteau , n, 18. Jone d’eau , 
n. 19. Petites caïmites, n, 20. Caïmitier po- 
miforme , n. 21. Ayoine de chien, n. 22. Bru- 
nelle pain d'épice, n. 25. Corrosolier , n. 24. 
Brésillet bâtard, n. 25. Bois marie, ou baume 
vert, n. 26. Herbe aux charpentiers, n. 27e 
Mombain bâtard, n. 28. Bellone , n. 29. Qué- 
dec, n. 30. Sanguine, n. 31, Prêle d'Amérique, 
mn. 52. Apiaba, n. 55, Pommier d’acajou, n. 34 
Tailleau-chou-caraïbe , n. 35. Bois de lance, 
Ir TO Bruns-feld, n, 97. Dombey, n. 38. Cro- 
ton à feuilles d’origan, n. 39. Tendre acajou , 


n. 40: Bayaonde, n, 1. Cupani, espèce de 
châtaignier, n. 42, 


“tion 


Plantes rapportées dans d’autres classes. Ana- 
carde, sucrier , karatas » plantain, rhubarbe, 
corail, œil-de-bourrique , bananier , acacia. 


Plantes 
altérante 

| 0! . Je , 
u second Bananier, n°. 3. Médecinier petit, n. 2. 
Manihot A feuilles Dome 7 Cie —— 2. 
| Petit concombre Sauvage , n. 7. Melon sucré 
Troisièm , vert, n.8. Pourpier, n. 9- Riz, n. 10. Ponté- 
division. déria , ou volet, num Oseille savanne , n. 12, 
Glayeul d’eau, n. 13. Grénadille, fleur de pas- 
commen sion , n. 14. Cerisier, n, 15. Sucrin > 1. 16. Gre- 


nade, n. 17, Ananas rouge de pitt, n. 18. Liane 
Multapte®Se (à eau, n. 19. Torchons , n. 20. Volette , Ou né- 
nuphar, n. 21. Mouron blanc, n.22. Barbe de 
En, jupiter , n, 253. Grossulaire, n. 24. Cachimen- 
tier, n. 25, Tête anglaise, n, 26. Campanule à 
fleurs planes, n. 27, Balatas > Où sapotillier mar- 
ron, n. 28. Blette épineuse, n. 20. Brignolier, 
n. 50. 

fdem. Les émolientes , les béchiques chico- 
racées, citrons, ananas . cotonnier, callebasse ram- 

Pante, concombre arada ; gommes , etc. 


Leurs propriétés. 


Vulnéraires 
astringentes. 


Plantes. 
Itérantes 
ccund ordre, 


Deuxième 


n FR 
mm 


sion. 


Vulnéraires 
détersives, 


Vulnéraires 
apéritives, 


roisièmo partie]  Emollientes, 


Effets 
Sins sensibles. 


Plantes 
altérantes du 
deuxième et 
ième ordres, 


Résolutives, 


Tdoines 
vamultaptes, 


— 


Deuxième 
A troisième 
divisions. 


——— 


Assoupisantes, 


[Tritèno ordre. 
| —— 


| Troisième 
ivision, 


— 
Moltaptes, 


[mn | Rafraïchissantes, 
| 


| 
| 


Issue 
des humeurs. 


Parties 
soulagées. 


Maladies 
dissipées. 


Leur action. 


Leur infuson 
acidulés, 
suivant Jofcas , 
ivise 
€ laïleuse 


Apaisent 

les hémorragies, 

chutes, cours de 
ventre, flux 


En recserrant 


Toutes celles 


dejpain d'épice, m 25. Corrosolier ; ne 24: 
De eee mêlée aÿec | auxquelles elles Jimmodérés des mois, Transpiration /Brésilet bâtard, n. 25. Bois marie, ou Laume 
ct absorbant la lymple, conviennent, Qet des hémorroïdes, et | RES UT aux charpentiers, n. 27. 
leurs sérosités. dégor excepté dans [fleurs blanches, etc.; | urincdi \Mombain bâtard, n. 28 Ji lono, n. 29. Qué 
les glandes, Îles infammations. |jauvisse opiniètre ! ec, n. 30. Sanguine, n. 51. Prèle d'Amérique 

ARE. rhumatismes Apiaba , n. 35. Pommier d'acajou , n. 34. 

DE Tteer etes Failleau-chou-caraïbe, _n. 35, Bois de lance, 

ina que M: 56. Bruns-feld, n. 57, Dombey, à. 38, Cro- 


de transp 


Canau Noms rulgaires des Plantes. 


Géranium, n°, 1, Bois d'ortie, n. 2. Ras 
[ nier, n. 3. Grenadier, n, 4. Ycaquo, n. 5, 

Jaune-d'œuf, n. G. Liège, n. 7. Noïetier 
F5 fn:8 Orme, n. 9. Vesce de loup, à. 10. Baume 

de tolu, n. 11. Gomme carogne, n, 12, Genipas 
di 3. Goyarier, n. 14. Cousin (petit), n 18. 
Cœur-de-bœuf, ‘n. 16. Grande-ortie, n. 17. 
F2 Vonc, herbe à couteau, n 18. Jone d'eat, 
[5 Un. 19. Petites caïmites / n. 20, Caÿ 
[= fmiorme, m1: Avoine 
| Juelle pain dé 


ton à feuilles d'origan, n. 39. 
n. 0. Bayaonde, n. 41 
chätaignier, n. 42, 


“'eudre acajou, 
upani, espèce de 


Plantes ropportées dans d'autres classes, Ana- 
cardo, sucrier, Kat lantain ; rhubarbe, 
corail, œil-de-bourrique, bauanier , acacia, 


Bananicr, n°: 1. Médecinier petit, n. 
Moniho rt à 


H ui 


a e 3 D: 5. Pomme de mer— 
veille, n Bois 


de corail, n, 7. Herbe à 
plomb, n. 8, Cévadille, n. 9. Hliotropes n. 10. 


Serpentaire, n. 11, Brésillot, n, 12, Renonculo. | 
: Bois chandelle noir, -n. 14, Borbone! 


É Mn. 15. Calebassier à feuilles longues, n. 16! 
Brésillet à teinture des Anülles, n. 17. In 
| Transpirition [el 0: 18. Herbe à chiques, n. 19. Liane à 
s ETS es É FnpRe OR cœur, n. 20. Liane à minguct, n. 21. Herbe 
nage Chute des cire HE Parties Locales “tou diable, n.12: Liane à crocs do chien, n 23. 
1 âcre et lixiviel.] et baveu:bs. À plaies détruites: urinet.  |Liane francho, n, 24, Bois jaune, n, 24. Bois 
sel âcre et li savanne à flcurs pyramidales, n. 16. Gras d 
sale, n. 27. Petite coquemollicr, n, 28. Acomas ; 
M29- Dicrville, n. 30, Croton à feuilles de | 
châtaignier, n. 51. Bois épineux jaune, n. 32, 
Bois de cheval, n. 33. Bois à pians, n. L 
Î Idem. Absinthe, mente, aristoloche, saugo 
f scolopendre , mombain, bois chandelle, véro 
| nique de Plaisance, 
| 
| Obstructions Fin, n°, 1. Bois chandelle, bois de itron, 
| détruites, sables ct bois jasmin, n.2. Vergo d'or, n. Pois 
| - matières glaireuses Par blanc tachcté de noir, n. 4. Collét Notr 
Par leur vertu Par | Reins, estomac dissipées, etc. ; urétères Dame, n. 5. Balisier, bihaï, bananier marron, . 
incisive, pénétranteÀ transpirs io. ct asthmes,_fèvres ct pores \n, 6 Bidens ou herbe à aiguilles, n. 7. Véro 
et sudorifique. autres viscères. putrides, dela peau. |nique, n. 8. = 
migraines , 
cancers, etc. j Idem. Neryeine, 


p 
| 
| Circulation 


En adoucissint 
Jeur ücreté 


Sur.la tension 
et Ja eécheresse 
de certaines parties 
dans 
les inflammations 
internes ct externes, 


la décoction 
de ces plantes 
on lavemens, 
fomentations 
et cataplasmes. 


néphrétiques ; 
fièvres, etc., 


En divisant le sang 
etles extravasions 
dans les porosités 
des chairs, por 
catsplasmes 
et fomentations, 


ane 


Humeurs locales, 
08e À redevenues fluides. 


| 


| « 
Comme incrassans , : 
est d'apaiser L Fièvres ardentes , 
RE Par les urnes, JHumeurs adoucies | inmm d'urine, 
Rineun Tel iène tt € ct épaissies. RUE 
donner plus de \commelaxtifs, de gorge, etc. 
consistance en | 
diminuant leur à 
ücreté. j 


En calmant les 
douleurs , et 
royoquant 
Féonmells 


Siége 
des maladies. 


dysurie, strangurie. 


engorgée , rétablie. z Z 
Humours, Dee nltAneE = 

décoremees por MUilionser, rénreutes, 

Eu 2 


Toutes douleurs 
aiguës et rebelles, 
et celles provenant 

d'irritation. 


Maïs, 

ayaonde, 

n. 6. Gommes, n47: Quamoclit, n. 8. Lise” 

ron, n.9. Patate, n. 10. Hoïs cac, n. 11, Cus= 

Pore: sier, herbe à-dartres, n. 12: Absinthe , 0m. 19. 
de la pehu. 


Guimaue eatinéo, n°.,1. Manyo, n: 2. Liane. 

molle, n. 5. Raquette, n, 4, Épinards marrons, 
| » 6: Rain, on: ê Amaryliss ny orelle: 
nd-houx,n?g-Parñétiire, ñ. 
Grande - mauv 
eneçon , n. 15. ’ 
n 17. lois dé bambou, n.18:186re ; 

Linaire, n, 20. 


+ Pourpier, lav, gombo , pontédéria, 


Arbre à pain, ou rima, n. 
15. 


Petit mil, n°, 1. Mil chandelle sn 
2. 5. Pois, n. 4. Orties,n. 5. Gomme 
14. Bois de fustet, 


Idem. Brai du figuier maudit. 


in. 4. Québec, n. 5, Canne do Madèro,-nuG 
Ptanihôt, n. 7. Solan 


. 8, Béringène, n. 


um à feuilles d'icanthe, 
 Morello amouretté, n10% 
Mancenilier, n. 11, Pommier-rose, n. 12, Li 

fn. 35 Solonum épineüx, n..14. Pomme ( 
neuse, n°15, Aconit, n 
dote assuré, le citron, 
ou lavemens dé tabac 


u 
a 


16. Opium pour anti= 
émétique pour d'autres , 


Apocin à frait épineux, n°. 1. Apocin corne 
cabrit, n. 2. Cynanque hérissée, 3, Camériét, 


Petit concombre sauvage, n, 7: Melon sucré 
vert, n.8, Pourpier, n. 9, Ri 


, n. 10. Ponté- 
déris , ou volet 


; B,31 


erisier, n,15, Sucrin , ne 16 
Ananas rouge dé pitt, n°18, Liane 
à eau, n. 19. Torchons, n, 20 Voleite, ou né 
puphar,n. 21. Mourom blanc, ». 22. Parbe de 
jupiter, n. 25: Grossulairey 124. Cachimen= 
Gier, n. 25. Tête anglaise, n. 26. Companulesà 
leurs planes, n. 27. Balatis où sapotilliéemar- 
ron, n. 28. Dlette épineuse, n. 29. Brignolier, 
n: 50. = É 
Idem. Les émolientes, les béchiques chico— 
races, citrons, ananas, cotonnier, callebasse ram 
:\ pante, concombre arada, pommes , £tcs 


Grosse calebasso rampante, n°, 1. Ciraumon 
verrue, n. 2. Mirliton, n. 5, Courges , n, 4. 
Concombre arada, n, 5. Melon d'eau, n. 6. 


Le 


Le 


“. 


D'UN NATURALISTE. 377 


à un ajoupa caché sous l’épais feuillage de deux 
chênes du pays, bignonia quercus. La construc- 
uon de cette chaunnère, autant que son site 
original près d’un endroit dont on s'éloigne 
naturellement le plus qu’il est possible, exci- 
tèrent notre curiosité ; d’ailleurs son ensemble 
‘pittoresque la rendoit une jolie fabrique à faire 
dessiner. | 

Quelle fut notre surprise d’y voir, après avoir 
respirélong-tems un air contagieux, un nègre âgé, 
occupé à nettoyer et faire sécher des intestins gâtés 
pour en faire des andouilles qu’il vendoit au mar- 
ché de la place. Ce vieux scélérat se trouvant 
en flagrant délit à la vue du général, se troubla, 
balbutia, et en dit d’abord beaucoup plusquenous 
ne lui en avions demandé. Il convint que sans 
ressource, dans un âge aussi avancé, ayant eù le 
malheur de perdre son cochon et sa vache, il 
s’étoit déterminé à déterrer à mesure tous les 
corps des morts récemment inhumés; qu'avec 
leurs intesuns 1l avoit entrepris un peut com- 
merce qui le faisoit vivre. Le général Dugua à 
ces mois, entra dans une grande fureur , et 
J'ayant livré à l’un de ses guides, cet homme 
dangereux fut conduit dans les prisons, où il a 
été jugé. Ainsi, tous les jours on s’étonnoit, 5on 
seulement de voir des Européens atteints de 
la maladie dû pays, mais même des habitans 


378 VOYAGES 


acclimatés, et de plus des naturels noirs ou de 
couleur, dans qui le germe de la peste et de la 
corruption étant inoculé par cet abus désorga- 
nisateur, en devenoient aussi les victimes! Cette 
calamité fit d'autant plus de ravage: qu’on est 
volontiers dans l’habitude de manger aux 
divers repas, des andouilles , surtout aux déjeû- 
ners à la fourchette, et que la consommation 
en est si grande chez les habitués. du pays 
qui en employent dans leurs calalous, que 
dans leurs marchés l'air est infecté de la puanteur 
de ces préparations; c’est à ce degré de féudité 
que les andouilles, parmi les créoles, sont 
réputées exquises. 

Qui sait si dans toutes les villes , le même sys- 
tême de destruction n’avoit point été établi par 
Dessalines, ainsi qu’il avoit annoncé un jour à 
ses soldats , en leur jurant qu’il employeroit tous 
les moyens connus et occultes pour concourir 
d'autant plus sûrement et plus promptement 
à la destruction et à lanéantissement de la 
classe des blancs, pour la réduire à ce peut 
nombre qu'ils-pourroient alors subjuguer sans 
peine ? Cette conjecture paroît d'autant plus 
fondée , qu’un jour à Saint-Mare, faisant la visite 
de l'hôpital pour le médeein mon ami qui étoit 
alors malade, je me crus obligé, en homme 
d'honneur Me dénoncer à la jusuce du gouver- 


D'UN NATURALISTE,  3- 


/ 
nement , deux infirmiers nègres, qui non-seu- 
lement négligeoient leurs salles, mais qui se 
rendoient coupables de plns grands crimes , en 
donnant des pouons échauffantes dans les ma- 
ladies inflammatoires, au lieu de celles qui 
étoient indiquées, etc... Conduite atroce qu’on 
ne réprima que trop tard, faute de s’en être 
apercu , et que Dessalines, par ses espions, 
faisoit encourager sous l'espoir d’une prochaine 
récompense. 

Un nouveau hasard me mit à même de ne 
plus douter des intentions perfides du brigand, 
chef des révoltés. Je me proémenois tous les 
maüns à Saint-Marc , dans la convalescence de 
mon second empoisonnement ; mais noire gar- 
mison inquiétée alors par des embuscades enne- 
mies placées dans les halliers des environs des 
fossés, je ne pouvois m'écarter, et suivois à 
cheval les contours des bastions sous la protec- 
uon des forts et des pièces de remparts. Un jour 
qu'après avoir ramassé à la marée basse des 
coquilles , fongipores , et autres productions 
marines que je voulois dessiner , je rentrois, en 
côtoyant le nouveau cimetére , par la porte de 
l’'Arcahaye, lorsque j’entendis la conversauon 
suivante , entre un infirmier et un fossoyeur. 

L’IxrimutER. Pour qui ca toutes fosses Jayo ? 

Le Fossoyeur. Eh! pour blancs lavo donc? 


580 VOYAGES | 
L'ixrirmier. Blancs layo , mouton’ france ? 


Le Fossoyeur. Oui, yo va bèntôt caba, et 
nous va matri asteur. Mouquieu Dessalines li 
connoi toute quet chose va, quitté hi faire, li va 
béntôt vinir. 

L’IxriRMIER (à voix basse). Moué connoi ca 
pique Lucas li vini jourdi là même , li di moué 
comme ca, toujours bèn droguer malades layo; 
que général Dessalines li content d’moué en 
pile... 


Ici mon cheval ayant henni, ces nègres cés- 
sèrent leur conversation , mais c’étoit plus qu'il 
ne m'en falloit pour me convaincre que mes 
soupcons étoient fondés ; j'en avertis le médecin 
et le chirurgien en chef: les infirmiers furent 
chassés, et on interdit l'entrée de l’hôpital à 
tout étranger nègre; alors la mortalité cessa, et 
les deux coupables qui s'évadèrent aussitôt, 
rejoignirent Dessalines. Que d’hommes valeu- 
reux ont été traîtreusement sacrifiés ainsi par les 
ordres de ce lâche brigand! 


Que ne fit-il pas pour garder fidèlement 
son serment de trahir cent fois, s’il.se rendoit 
cent fois! A l’époque de sa première reddition 
il fut nominé inspecteur de la culture; le 
commandant Huin ayant été envoyé sur les dé- 
combres des Gonaïves pour restaurer le quartier 


D'UN NATURALISTE. 381 


de lAruhonite et les quartiers environnans, 
désarmer les cultivateurs, et assurer protection 
aux propriétaires, ce brave et franc militaire à 
la tête seulement de vingt hommes de troupes 
convalescentes de la cinquième demi-brigade 
légère, et de quelques propriétaires de couleur, 
respectables par leur dévouement à la cause des 
Français, s’y étoit rendu formidable aux bri- 
gands; il avoit, par ses veilles et fatigues , surpassé 
l'attente de tout le monde, lorsque Dessalines 
vint Jui faire perdre le fruit de toutes ses solli- 
citudes. Inquiété du désarmement des culuiva- 
teurs dont 1l réservoit la masse à quelque coup 
de paru, 1l les réarma par dessous main des 
mêmes armes dont 1l étoit autorisé à disposer 
pour le rétablissement de l’ordre, et créer, 
disoit-1l, ses colonnes de discipline : dès qu’il fut 
parvenu à ses fins, qu'il eut fait enfouir ses 
poudres et autres munitions, 1l déserta de nou- 
veau et emmena dans sa fuite tous ceux de 
son parti. 

Nousignorions encore cette nouvelle trahison, 
quand le commandant Huin étoit part en tournée 
pour /’Ærtibonite. I m'avoit emmené, ainsi que 
deux de mes parens, pour visiter une premiére 
fois nos habitauons depuis leur funeste dévasta- 
üon. Trop confiant en son courage, ayant 
emmené que deux dragons avec nous, nqus 


a 


3382 VOYAGES 
pensâmes être victimes de sa sécurité. Arrivés 
sur l’habitauon Desdunes père (grande place), 
on fit sonner la cloche; un brouhaha s'élève, 
personne pe paroît, Nous étions à cinq lieues des 
Gonaïves, six hommes seulement au milieu d’un 
essaim que Île commandant venoit de faire dé- 
sarmer. On sonne de nouveau avec menaces, 
les vieillards sont les seuls qui paroïssent. Un 
d’eux fort heureusement vint nous averur de ne 
point visiter les jardins; que près de trois cents 
culüvateurs armés et embusqués dans les cotons 
nous y attendoient. Nous n’eûmes que le tems de 
le remercier , de remonter promptement à 
cheval, et de nous enfoncer à tout hasard dans 
le quartier de l’Artubonite, avec l’espoir desren- 
contrer le renfort de queique patrouille. 


Entre deux rivières très-hautes, plus de pont 
sur l’Ester, plus de bac sur l’Aruübonite; il nous 
falloit le secours de quelques nègres et un canot 
pour repasser la rivière , et affronter le chemin 
des Gonaïves déjà investi par les brigands réin- 
_surgés d’après les ordres de Dessalines. 


Une ondée de pluie nous obligea à demander 
un asile, à qui? À ce Titus dont il est parlé 
dans la première partie de ces Mémoires, et qui 
ce jour-là nous empoisonna, ainsi que le com- 
mandant Huin. Nous retournâmes heureusement 


CI 


y 3 


D'UN NATURALISTE. 383 


aux Gonaïves sans coup férir, mais attaqués de 
coliques convulsives. 

Pendant la convalescence de cet empoisonne- 
ment , étant retournés par mer à Saint-Mare, le 
chemin de terre n’étant plus praucable pour les 
blancs, nous avions fréquemment des nègres 
fidèles de l'habitation qui venoient clandestine- 
mentnous porter leurs plaintes ,etnous demander 
quand les Français auroient le dessus, nous an- 
nonçant que tous les culuvateurs voudroient bien 
nous revoir, que les soldats de Dessalines les 
pillent et les désolent , ravagent en un mot leurs 
jardins ; enfin, pour mieux nous prouver leur. 
bonne foi , ils nous dévoilèrent les secrets de la 
position alors inconnue, du camp Marchand, 
dernière retraite de Dessalines, où 1l devoit s’en- 
sevelir, lui et les siens, sous les décombres de 
souterrains minés qui eussent entraîné également 
la perte de tous les assiégeans français. Ils nous 
avouérent aussi que les nègres Congos et autres 
Guinéens étoient tellement frappés de supersuuon 
par les discours de leur général, que Dessalines 
étoit parvenu à leur faire croire que mourir, tués 
par les Francais, devenoit un bonheur pour 
eux, puisqu'aussiôt ils étoient transportés en 
Guinée, où ils reverroient papa Toussaint qui 
les y attendoit pour compléter son armée qu'il 
destine à reconquérir St.-Domingue. Ce système 


384 VOYAGES 

absurde lui a tellement réussi, disoientils, que 
tous vont au feu avec intrépidité surnaturelle, 
en chantant des airs guinéens, comme déja épris 
de l'espoir de bientôt revoir leurs anciennes 
connoissances. 

Ne pouvant donner à ces nègres aucune so- 
lauon , ils retournoient à habitation, impatiens 
de voir leurs désirs accomplis. Que leur dire au 
moment Où toute communication étoit inter- 
ceptée, où mourant de faim dans les villes, on 
ne pouvoit sorur qu’à force de baïonnettes et 
de fusils destinés à protéger le butin que les 
affamés alloient enlever dans les habitauons les 
plus voisines ? 

Le vigilant Dessalines avoit donné ordre de 
ne plus tracasser, inquiéter les maraudeurs, afin 
de les engager plus facilement dans le ‘piége 
affreux qu'il leur tendoit. Ayant su par les 
espions qu'à la suite de l’édificauon des nouveaux 
forts et remparts de la ville de Saint-Marc, une 
nouvelle maraude étoit promise, 1l fit passer 
nuit et jour des troupes considérables pour 
cerner le lieu seul abondant en vivres, pour 
laquelle on la desunoit. 

Nos gens enhardis par leurs succès sur les 
noirs, se rappelant que dans des courses déjà 
faites aux environs de Saint-Marc, une peute 
parue des assiégés avoit mis en déroute des 

phalanges 


D'UN NATURALISTE. 389 


phalanges entières d’ennemis embusqués, se dé- 
cidèrent à être de la maraude, mais ils y allérent 
avec trop de sécurité. 

Dédaignant le terrain circonscrit près de la 
ville, qui fournissoit encore des vivres en assez 
grande quanuté, on voulut s'éloigner, et foncer 
dans le pays ennemi. Dessalines avoit déjà prévu 
que le 12 mars 1803, les assiégés de Saint Marc 
viendroiïent, par leur trop grande confiance , 
chercher un carnage assuré dans une ravine où 
l’on étoit hors de tout secours par la distance du 
chemin, et la difficulté de communiquer avec la 
ville à cause de l’embuscade que quelques-uns y 
savoient placée depuis plusieurs jours mais dont 
ils ne voulurent pas parler, dans la crainte d’être 
soupconnés d'intelligence avec le paru de Des- 
salines. 

Un intérêt sordide porta donc la plupart des 
maraudeurs à sorür sans munitions de guerre, 
tant la perspecüve leur étoit attrayante. Beau- 
coup cependant avoient un noir pressentiment 
qu'ils chassèrent loin d’eux pour n’être point 
contrariés. 

M. MY**, un de mes amis, fut commandé 
comme dragon : son ami, mon beau-frère RFF, 
ne vouloit pas le laisser aller seul, tous deux 
s'étant promis mutuellement de se secourir en 
cas d’attaque ou de blessure, Bon, paisible. 


Toxe HI, Bb 


386 VOYAGES 


et ennemi de la turbulence, M. MY** avoit ete 
déjà plaisanté lors de récits journaliers de diffé- 
rentes escarmouches qu’on ent à essuyer. Mais 
celui qui n’a pas mis la force de l'homme dans 
son propre courage, avoit donné à celui-ci une 
foi inflexible au milieu du danger. 


R*YY*, au caractère belliqueux, fut au con- 
traire troublé en voyant pour la première fois , 
autour de lui, la mort planer de toutes parts. 


Déja nos malheureux concitoyens, engagés 
dans une embuscade, étoient la vicume d’un 
feu nourri ei continuel. Déja leurs corps percés 
par plusieurs feux croisés et obliques tomboient 
avec le feuillage criblé de balles. Déjà les cris des 
femmes et des enfans écrasés par la cavalerie, 
apitoyoient sur leur sort leurs protecteurs 1m- 
puissans par la pénurie de mumitions. L’épou- 
vante, au front päle, les saisit; ils perdent 
l'espoir en perdant leur force, la déroute s’em- 
pare d'eux, ils veulent fuir et éviter le trépas qui 
les poursuit, mais ils ne peuvent se faire jour: 
les ennemis qui ont prévu leur chute et leur 
défaite, ont barré le chemin par des embuscades 
placées dans toutes les positions. 


Lassés de la fumée fulminante, on en vient à 
l'arme blanche : c’est alors que péle-mêle on 
voyoit les bras voler, et les crânes ouverts en- 


D'UN NATURALISTE. 38 


traîner avec eux le néant de cette machine 
mortelle. 

L'avantage des embusqués redoubla leur rage, 
et dans leur fureur ils crioient : « Nous grand 
» gout jourdi là, nous vlé saccagé toutt’ blanc 
» et mulätr’ layo de Saint-Marc » ! Quoiqu’assu- 
rant protecuüon aux femmes, ils les brülèrent 
dans les pièces de cannes où elles se cachoient, 
et d’où le feu les obligeant de s'échapper à 
demi consumées , elles venoient, pour ainsi 
dire, recevoir une nouvelle mort des satellites 
posés tout autour, qui les ürailloient comme 
des bêtes fauves sortant d’un bois touffu! Mais Ja 
colère la plus enflammée perd son effet à la voix 
du Dieu des batailles. Il rend nulles à son gré 
toutes poursuites; 1l se plaît à secourir ses élus 
dans leur détresse, et à leur manifester sa haute 
puissance, en les éprouvant par les plus grands 
dangers et les angoisses les plus poignantes. 

Ün nègre échappé au carnage, vient à la ville 
appeler au secours, et chercher un repos à son 
agitauon convulsive. On le voit passer égaré, et 
pâle des couleurs de l’agonie que rendoit 
encore plus livides le tems sombre qui pré- 
sageoit ce malheureux événement. 

Tous les habitans de Saint-Marc se réunirent, 
et d’un même accord nous implorâmes la misé- 
ricorde du grand Maître des destinées pour tous, 


Bb 2 


388 VOYAGES 


et chacun pour ceux qui les intéressoient plus 
parüculièrement; etau versetde David, « Lange 
» de l'Éternel campe autour de ceux qui le 
» craignent, et 1l les garantit », nous fümes 
consolés , et concümes une juste espérance. 
C’est alors que l’ange de ténébres, à tête hé- 
rissée , au flambeau discordant, soufllant de 
tout son pouvoir le meurtre et le trépas, fit son 
dernier eflort, mais 1l fut impuissant. L’éternel 
Dieu vivant, fidèle à ses promesses, le culbuta 
avec ses vaines espérances, 

Déjà M. M***, dans sa bonne foi, avoit fait 
halte à Ja voix d’un dragon ennemi qui, profi- 
tant de sa méprise, lui assena un coup de sabre, 
mais 1l l’esquiva par une feinte soudaine. Deux 
coups de pistolet lui sont urés à bout portant, 
mais les balles déviées par une trop forte explo- 
sion, ne purent l’attemdre. 

RYY* de son côté, ayant à essuyer les horreurs 
du désespoir de trois chefs qui le harceloïent, 
entend siffler six balles à ses oreilles, et est 
noirci par les amorces. Il se trouble... tombe 
à la renverse... Les cavaliers, au comble de 
leurs vœux, mettent pied à terre, mais 1ls sont 
bientôt forcés de reprendre selle par l’arrivée 
de deux de nos gendarmes, au moment où 
R*** d’une voix étouflée crioit, 7e me rends! 
il fut donc, par cette rencontre heureuse et 


D'UN NATURALISTE. 389 


inattendue, enlevé au fer tranchant de ses per- 
sécuteurs. 

Il se traïnoit avec peine , abattu par l’effroi, et 
tremblant par l’idée de la mort qu'il venoit 
d'éviter ! Soudain il apercoit M*** , et ranimant 
ses forces, 1l oublie la perte de son chevel, et 
monte en croupe sur celui de son ami. À peine 
pouvoit-il embrasser son corps de ses mains 
débiles et tremblantes; à peine avoitil trouvé 
l’aplomb sur sa selle vacillante, que le coursier 
vole plutôt que de marcher, jusqu'à ce que 
les deux amis soient hors de l'atteinte des 
embuscades semées sur le chemin; et ce qu'il v 
a d'étonnant, c’est que le cheval de R***, qui 
étoit mon coursier favori, reparoît devant eux 
tout équipé et sortant du bois, sans avoir voulu 
se laisser prendre par aucun étranger. Ils avoient 
en croupe chacun leur petit nègre qui, enten- 
dant crier, #iembé chapeau gance d'or, 
demandérent en grace de les laisser descendre, 
se regardant plus en sûreté à terre. 

Mes deux amis rencontrérent un praucien 
de senuers détournés, qui les guidèrent dans des 
chemins raboieux et impraticables, au milieu 
desquels tous les chevaux rebouquèrent (1) 


air) 


excepté les deux miens. Mes deux amis évitérent 


(1) Terme du pays, qui veut dire Aarassé. 


Bb 3 


390 VOYAGES 

encore au bas du morne, l’embuscade du 
retour qui venoit d’être relevée, et se rendirent 
enfin à nos désirs. 

Leurs compagnons d’infortune qui avoient 
échappé au carnage et à la désolation, se trai- 
noientet paroissoient de tous les coins des bois. 

Le cœur étoit navré de voir le lendemain , à 
la rentrée des fugitifs, de petits enfans lever au 
ciel leurs bras ouverts, et courir vers eux du plus 
loin qu'ils les apercevoient, pour y retrouver 
une mère en lambeaux, que beaucoup, hélas! ne 
purent rencontrer. 

Un capitame de la cinquième légère, troupe 
si redoutable, arriva transpercé de balles et de 
baïonnettes : 1l avoit pour épouse la fille du gou- 
verneur de Cadix , jeune espagnole qui Pavoit 
suivi. Je ne vis jamais de spectacle aussi atten- 
drissant que la réunion de ces deux époux. Le 
mari s'étant sauvé à travers des monceaux de 
cadavres, les mains liées, les vêtemens arrachés, 
n’ayantenfin sur lui qu’une partie de sa chemise, 
s’'évanouit de joie et de fatigue en abordant la 
porte de la ville où lattendoit sa vertueuse 
épouse , déja éplorée par la crainte de ne plus 
le revoir. Je fus édifié des soins assidus qu’elle 
lui prodigua, des veilles qu’elle supporta , 
quoique délicate, pour protéger le sommeil 
du blessé en Féventant ou lui chassant les 


D'UN NATURALISTE. 391 


bigailles (1) aturées par ses innombrables 
blessures. 

Un homme de couleur revint également 
percé de douze balles. 

Trois blancs et deux hommes de couleur 
s'étant jetés dans les bois, gagnèrent le bord de 
la mer , et furent aperçus par un pêcheur qui 
alla les chercher. 

Enfin nos ennemis, quoiqu’ayant eu Pavan- 
tage par la supériorité du nombre, furent 
tellement maltraités, que le lendemain ils com- 
blèrent deux cabrouets de blessés, ayant laissé 
sur le champ de bataille les morts confondus 
à quelques vicimes de notre paru; ce qui fit 
dire à Dessalines : « Si toutes les victoires me 
» coûtent autant que celle-c1, 1l ne faut pas en 
» remporter souvent ». 

Pendant toute l'affaire , on vit dans une réserve 
Dessalines et son état-major , à pied , tous riche- 
ment vêtus, les bottes luisantes, magnifiquement 
éperonnées ; poudrés à blanc , et portant tous des 
uniformes à l’anglaise ; puis un brick de cette 
naion, mouillé à peu de distance du rivage de 
la mer, et qui fut sûrement leur pourvoyeur ; 
car 1l étoit en rade ennemie, à portée de pistolet 
des tentes de l’armée noire. 


(1) Essaims de moustiques et maringoins fort income 
modes pour les malades. 
: B b 4 


392 VOYAGES 

Ma santé étant rétablie , je fus appelé au Port- 
au-Prince, pour y être présenté au général 
Thouvenot, successeur du général Dugua. Ce 
premier, également ami et protecteur des arts, 
confirma non-seulement l'emploi qui nv’avoit été 
décerné ; mais ayant eu des détails sur ma posi- 
Uon critique, après m'avoir annoncé que dans ce 
moment la pénurie des caisses ne permettoit pas 
de me faire compter mes cinq années de traite- 
ment, 1l ajouta que le gouvernement néanmoins 
ayant égard à mon zele et à mon dévouement, 
n'accordoit provisoirement une graüficauon de 
mille livres que je recus d’après les soins égale- 
ment recommandables de M. Daure, préfet 
colonial de l’île de Saint-Domingue. 

Le général Thouvenot, juste appréciateur des 
sciences que lui-même culuve, m'offrit aussi 
un local à l'état-major pour y travailler à la 
mise au net de mes manuscrits ; mais ces offres 
me devinrent infructueuses, puisque le jour 
même , on apprit de nouveaux troubles qui déci- 
dérent mon départ pour la France , ma présence 
devenant inutile dans un pays où les arts sui- 
voient les phases de la révolution. 

Ah! Dessalines, tu n’as que trop prouvé la 
ténacité de ton caractère, et la stabilité de tes 
promesses. français layo, dit-il bien des fois 
en ma présence, yo va bouquer, yo va aller 


D'UN NATURALISTE. 393 


dans pays à z'autres , et nous va maitr'astor, 
et francs (1). Pourtant les bases encore peu 
solides de cette indépendance pourroient être 
ébranlées : 

10. En intéressant à l'expédition d’une nou- 
velle conquête de l’île, les puissances maritimes, 
qui le doivent pour la sûreté de leurs colonies; 

2°. En divisant les chefs noirs; 

30. En s’emparant d’abord des villes et des 
magasins, ainsi que des arsenaux ; 

4°. En faisant garder scrupuleusement les 
côtes ; 

5°. En établissant des colonnes mobiles, à 
l'effet de ravager dans les montagnes voisines et 
éloignées les denrées , les vivres, et par là 
forcer les culuvateurs, qui sont les seuls bien 
disposés , à se rapprocher des villes d’où on les 
proiégeroit jusqu’à la défaite des militaires noirs; 

6°. En s’assurant de tous chefs militaires 
supérieurs ou inférieurs qui jamais, nOn jamais 
ne plieront leur tête aluère sous la rigide disci- 
pline de la culture. Que dire de Dessalines, qui 
ne fut sous Toussaint-Louverture que le levier 
de sa souverame autorité, forcé, comme subor- 


(:) Les Français vont se lasser de leurs foibles avan- 
tases, 1ls retourneront dans leur pays, et alors nous 
seront libres et imdépendans. 


304 VOYAGES 


donné (1), de mettre à exécution des projets 
homicides combinés dans une intime réserve, 
et que son activité seule pouvoit faire éclater, 
puisque, depuis qu’il a régi de son propre mou- 
vement, 1l a cessé ses exécutions, apaisé ses 
vengeances, fait des prisonniers pour grossir les 
peuplades, et a recu des blancs qu’il a rangés sous 


rebut de fa Nature! Sa mort est donc un pas 
assuré vers la conquête du pays, et le chef qui 
Va remplacé ayant moins de moyens, sil étoit 
assuré de sa grace, deviendroit un précieux ins- 
trument de la restauration de la colonie par son 
extrême influence , et renonceroit au vaste 
projet d'indépendance déjà ébranlé par la divi- 
sion intestine des trois départemens, à ce projet 
dont Toussaint-Louverture lui laissa le plan, 
concu et favorisé par des correspondances anglo- 
manes qui n’ont cessé d’exister, etqui aujourd'hui 
surtout se manifestent ouvertement dans les 
ports évacués par les Francais, où le commerce 
se fait avec les puissances américaines usurpa- 
trices de nos propres dépouilles. 

Dessalines fatigué de ses sanglantes exécutions, 
et désirant enfin un repos qu'il ne pouvoit 


trouver en pratiquant le crime; accusé par ses 


(:) Falet pas maître , disoit-il pour s’excuser. 


D'UN NATURALISTE. 395 


remords, cherchant à détourner de quatre-vinats 
individus le glaive menacant dont Toussaint- 
Louverture l’avoit armé, s’étoit rendu clément 
envers Mrs Carrerre, etc... du Port-au-Prince, 
sur le sort desquels l’oracle de destruction avoit 
déjà prononcé. Détenus en rade à bord d’un brick 
américain , et y attendant dans des transes mor- 
telles l’issue de leur prison, ils recurent enfin de 
Dessalines l’ordre de leur élargissement. 

Carrerre et ses compagnons ayant cru devoir 
leur liberté à l’arrivée soudaine de Toussaint. 
Louverture, allérentle remercier ; maiscetyran, 
par un effet rétroacuf de sa volonté suspendue, 
frémit, se troubla..……. et gronda sourdement de 
m'avoir point été obé1. Il renvoya tremblantes 
ces quatre-vingts victimes, sur la vie desquelles 1l 
se hâta de prononcer une seconde fois , et appe- 
Jant Dessalines : Prenn’ gard’, lui dit-il avec 
Vaccent dela fureur , dimain moué tendé parlé, 
monde layo(x1).Pour cette fois Dessalines, contre 
son habitude, revint sur ses pas, fit arréter pen- 
dant la nuit et massacrer les quatre-vingts blancs 
qui révèrent seulement leur bonheur. 

Que dire aussi d’un Maurepas, général com- 
mandant au Port-de-Paix, qui, par respect pour 


(1) Prenez garde que demain j'entende encore parler 
de ces prisonniers, 


396 VOYAGES 

son ancien maître mort de maladie, lui fit 
rendre avec pompe les honneurs de la sépulture, 
et se rappelant son premier äge, quitta ses habits 
somptueux pour creuser lui-même la fosse qu’on 
avoit négligemment préparée ? 

Quant à Toussaint-Louverture , outre ses 
crimes politiques, tantôt protecteur, tantôt viola- 
teur des temples consacrés à l'Eternel, 1] mit au 
jour sa monstrueuse hypocrisie en blasphémant 
à la nouvelle que les Français avoient sur lui 
l’avantage. 11 dit au curé des Gonaïves, en tenant 
un crucifix à la main : « Je ne veux plus servir 
» ce Dieu »! Puis l’écrasant sous ses pieds, lui- 
même, de son bras sacrilége 1l commença à 
incendier l’église! 

Après beaucoup d’autres événemens, je re- 
parus par ordre du chef d’état-major-général 
Thouvenot, qui, par intérêt pour les arts, me fit 
sauver mes manuscrits, VOyant que tout espoir 
de restauration étoit vain jusqu’à nouvel ordre. 


D'UN NATURALISTE. 307 


LS AA ASS en A he D D nn 0 nn ne Te ne D Te D Sa a CE 


DÉPART DE SAINT-DOMINGUE 


POUR LA FRANCE. 


L'xonzox politique s’obscurcissant de plus en 
plus, et son tonnerre grondant déjà sourde- 
ment, plusieurs officiers généraux m'engagèrent 
à sauver mes manuscrits qui devenoient ma seule 
espérance. Le général Thouvenot, chef de l’état- 
major, approuva mon départ avec l'intérêt d’un 
protecteur des arts; c’est pourquoi il m’obunt 
du capitaine-général Rochambeau , une gratifi- 
cauon , et un passage à bord de la corvette Za- 
torche, qui partoit le soir même pour la France. 
Ce départ précipité du Port-au-Prince me fit 
laisser une parue de mes effets à Saint-Marc, 
m'esimant heureux de me soustraire à un car- 
nage inévitable, et trouvant l’occasion d’être 
utile pendant la traversée aux dames de l’adiu- 
dant-général Huin , mon ami. 

Le canon du départ s'étant fait entendre, nous 
nous embarquämes à six heures du soir, le 
4 prairial an xt, et relichämes au Cap, pour y 
prenûre le général de division Quanun , accom- 
pagné de quelques ofliciers de sa suite. Noire 
traversée fut heureuse sous les rapports de la 


308 VOYAGES 

navigation, mais désagréable par la désumon 
qui régna parmi les passagers. J’en essuyai peu 
les contrariétés , ayant lié paruculièrement con- 
noissance avec un colonel doué de talens et 
d’amabiliié, M. Dalvimart, en qui les jeunes 
années s’annoncent par quelques perfecuons où 
découvertes en peinture et dhittérature ; et 
M. Bazin, enseigne de vaisseau , qui, à des 
mœurs douces et sociales , joint des talens supé- 
rieurs en mathématiques , dessin et navigation , 
qui lui ont fait des envieux. 

Nous mouillimes le 8 frucudor an x1, à sept 
heures du matn, dans la baie de Cadix , au lieu 
de celle de Toulon notre desunatuion, après 
avoir été vainement chassé par une frégate 
anglaise qui vint jeter l’ancre auprès de notre 
corvelte; cependant nous n’eûmes rien à re- 
douter de son voisinage , étant sous la pro- 
tecuon des farts d’une puissance neutre. 
Nos deux vaisseaux saluèrent ensemble la ville , 
et on répondit alternativement à nos deux salves 
d’arullerie. 

La ville de Cadix, bäte sur un terrain peu 
élevé , ne se voit que de cinq à six lieues en mer; 
mais les montagnes de Hedina-Sidonia , situées 
a l’est de Cadix , se découvrent de douze lieues 
au large. La parue la plus apparente de Cadix 
est de la plus grande élégance et d’une blancheur 


D'UN NATURALISTE. 309 


éblouissante, La régularité de ses bâimens qui 
sont d'une architecture moderne, plaît généra- 
lement, Les maisons sont élevées , et terminées 
en haut par des tourelles qui tracent sur lPazur 
du firmament des dessins d'autant plus variés et 
délicats, que leur forme n’est point constante. 
Sur le bord de la mer se trouve une promenade 
publique, appelée la Meda , fréquentée tous 
les soirs par les habitans de Cadix et les 
étrangers ; elle est éclairée d’arbre en arbre par 
des fanaux, qui de la rade font le plus joli 
effet. 

On ne nous laissa pas jouir long-tems d’un 
point de vue aussi enchanteur, et notre arrivée 
des colonies fut bientôt suivie de la visite des 
membres du comité de santé, qui, sans s’appro- 
cher de notre bord, déclarèrent, après quelques 
questions d’usage , que nous subirions la qua- 
rantaine. Cette mesure est d'autant plus sage, 
que la peste de Malaga venoit d’être commu- 
niquée par des balles de coton venant des îles 
Anulles ,et qui y avoient été déballées sans pré- 
caution ; et pour mieux nous faire sentir l’hor- 
reur d’un tel fléau , on nous apprit qu'à Malaga 
les habitans d’une maison entière dans laquelle 
s’étoient développés les germes de la peste, 
avoient cessé de communiquer avec qui que ce 
soit, etque, par mesure de sûreté publique, on 


4oo VOYAGES 

avoit maconné toutes les ouvertures de cette 
maison dont ceux qui l’habitent étoient con- 
damnés à périr , faute de secours, au milieu des 
horreurs de la famine! 

Cependant un vil intérêt engagea des mar- 
chands de toute espèce à s'approcher de nous 
pour recevoir nos commussions , et le prix de 
leurs achats, abus d'autant plus blämable, que la 
sévérité du réglement de police est nulle à la 
vue de l’or. En effet, on trempe d’une main 
tous les écrits dans le vinaigre, comme pour 
neutraliser les miasmes méphyuques, et on 
recoit de l’autre largent et divers objets qui 
n’ont point été assujelus à cette formalité de 
précaution. On nous apporta des provisions et 
des fruits qui nous furent vendus à un prix 
exorbitant. Le vin de Pakaret, justement 
estimé, eut la préférence sur tous ceux de 
dessert que l’on nous fit goûter. 

D'après le rapport fait par les membres du 
comité de santé, on vint nous signifier l’ordre 
d’aller en quarantaine à l’extrémité de l’île de 
Léon, près de la terre ferme, et à deux lieues de 
Cadix , dans un couvent abandonné, situé sur” 
le bord de la mer. Nous débarquämes en cet 
endroit silencieux , et quoique solitaire , nous le 
préférâmes sous tous les rapports au séjour de 
noire vaisseau. 

Les 


D'UN NATURALISTE. 401 


Les yeux s’y repaissoient avec avidité de la 
verdure des palmiers, dattiers , oliviers et juju- 
biers , dont les jardins en friche étoient ornés. 
Les mouettes et les goélands venoient dans leur 
vol raser les plates-formes de notre retraite , et 
nous témoigner par leurs cris importuns leur 
étonnement de voir habiter des lieux si long- 
tems déserts. N'ayant autour de nous personne 
capable de nous donner des renseignemens sur 
l’état de l'endroit que nous devions habiter, et 
ayant, à notre arrivée , trouvé toutes les portes 
ouvertes, nous parcourions les longs corriiors 
du couvent, pénétrés de réflexions singulières ; 
chacun y choisit son appartement qu’on meubla 
avec un matelas du bord. 

Nous éuons gardés au dehors par des soldats 
espagnols ayant ordre de ne point communiquer 
avec nous, et ne nous parlant que de très-loin. 
La barrière qui nous séparoit du corps-de-garde 
n’étoit qu'une simple corde qu’on ne pouvoit 
franchir sans les risques de recevoir un coup 
de fusil. Cet ordre sévère fut pourtant enfreint, 
grace à de légères graufications qui nous per- 
mirent d'aller, pendant la nuit, porter nos pas 
incertains au nulieu des campagnes qui nous 
environnoient. Îl résulta de ces excursions que 
nous découvrimes la véritable situation de notre 
lieu d’exil. Le couvent que nous occupions est 

Tous Hl Ce 


402 VOYAGES 

séparé du bourg ; ‘c'est là que fut transférée 
depuis 1769, la résidence de la marine du roi 
d'Espagne. L'île communique avec la Caraque 
par un canal large et profond qui peut porter 
des vaisseaux de guerre. 


Nous eûmes un soir d'assez vives inquiétudes 
sur le sort de notre vaisseau, qu’un brülot 
anglais, abandonné à la dérive, fut sur le point 
d'incendier. On savoit que notre bâtiment avoit 
à son bord beaucoup de poudre ; d’après le 
calcul des vents et des courans, le brülot en 
étant déjà prés, le capitaine en fit couper les 
cables, pour s'éloigner d’un danger si immi- 
nent, Un instant avoit vu embraser le vaisseau 
incendiaire , un autre fut témoin de ses flammes 
perfides, mais bientôt sa carcasse désunie em- 
porta avec elle , au fond des eaux , l’espoir 
trompé et la honte des agens de la cour bri- 
tannique. 

Notre quarantaine étant finie sous les plus 
heureux auspices (1), nous fimes voile vers 
Cadix, et nous y descendimes à la posade des 


(1) Si au milieu de Ja quarantaine quelqu'un des 
passrgers tombe malade , la quarantaine recommence, 
à moins d'avoir quelque crédit auprès du comité de 
santé, qui seul peut décider si la maladie survenue 
west point d'une nature épidémique. 


D'UN NATURALISTE.  /0o3 
deux Palombes, chez un Francais marié à une 
Espagnole de laquelle il avoit deux filles 
modestes et d’une figure angélique, Dona 
Maria et Dona Técla, qui me parurent avoir 
la plus haute esime pour les Francais, redou- 
blèrent, à notre arrivée, de soin et d'activité, et 
affectérent, pendant notre séjour-à Cadix , une 
parure recherchée, propre à flatter nos sens. Le 
voile noir qui contrastoit d’une manière sédui- 
sante avec leur buste d’albâtre, leur robe de 

taffetas noir ornée de trois rangs de basquines (1), 

et coupée par un bas de soie ; une chaus- 
sure élégante, une étude enfin dans le maintien, 
annoncèrent que nos jeunes Espagnoles cher- 
choïent à nous intéresser, mais elles ne préten- 
dirent qu’à notre estime. 


La ville de Cadix est bâtie sur une langue 
‘ de terre, à l'extrémité septentrionale et occi- 
dentale d’une île appelce le de Léon. Ses rues 
les plus commercantes sont étroites et mal- 
propres. Ce séjour est gai en ce que c’est le 
point de réunion du commerce de toutes les 
nations. On y voit le silencieux Anglais, le trop 
confiant Francais, l’adroit Algérien , le géné- 
reux Musulman , l’ingénieux Italien, et le fier 


Le 


 ————— ——— —— — —" "" ——— 


(1) Ce sont des franges torses de même couleur, 


Ce 2 


4o4 VOYAGES 

Espagnol concevoir des projets d’une fortune qui 
leur est constante ; un trafic somptueux est 
ouvert, un commerce universel et une uule 
consommation y sont entretenus par les marins 
revenus de croisière, pour semer l'or, et le 
prodiguer aux spéculateurs avides de l’amasser. 


La température brûlante de ce climat pro- 
voquant les mêmes besoins qu’à Saint-Domingue, 
on y vend, dans les marchés, une partie des 
fruits et des légumes de cette colonie; on y 
trouve entr'autres des charretées de pastèques 
et de cantaloups , des tomates , des pimens 
d’une espèce particulière, des poissons que la 
rade fournit en abondance, et parmi lesquels 
on disungue une prodigieuse quanuté de raies 
d’une espèce peu connue, des soles , etc. 


Je fus indigné d’un abus fanatique dont je fus 
témoin tous les jours. Les marchés sont remplis 
de mendians ; des padres parasites les suivent, 
et aux noms de pro Sancté Trinitate , pro 
Sancté Marid , exigent des pauvres mêmes 
qui osent refuser, la restitution de l’aumône 
que ces malheureux recoivent d’une main, 
pour la verser de l’autre dans la bourse d’hy- 
pocrites qui, après une quête fructueuse et 
forcée, vont s'installer chez des marchandes 
de modes, pour y faire des cadeaux à leurs mai- 


D'UN NATÜRALISTE.  /o5 
tresses , qu'ils y conduisent effrontément. C’est 
pourquoi les pauvres, dans la crainte de faire 
des demandes en présence des quêteurs , prennent 
les plus grandes précautions, afin de reurer 
quelque fruit,des aumônes qui leur sont faites. 

On construit à Cadix une cathédrale de l’ordre 
Corinthien , dont tout l’intérieur est en marbre 
blanc. Il se trouve à l'extrémité de la ville un 
hôpital où lon remarque une assez belle 
bibliothèque, et une suite de pièces d'anatomie 
exécutées en cire. 

Je ne sais quel auteur prétend que les Espa- 
gnols, peu faits pour l'harmonie, n’ont ni oreille 
ni mesure. Je ne connois point au contraire de 
pays où les musiques militaires et les chants 
guerriers des régimens soient mieux exécutés 
qu'à Cadix, où les musiciens d’instrumens à 
vent y soient d’une force supérieure pour la qua- 
lié du son, et y exécutent des morceaux de Ja 
dernière difficulté. Je crois deviner la raison 
pour laquelle l’auteur inconnu ne reconnoit 
dans les Espagnols, ni mesure ni oreille : c’est 
que le soir, au moment de la retraite, les exécu- 
teurs de cette harmonie imitaüve sont placés 
par groupes, et, séparés les uns des autres, 
jouent des airs sous des mesures différentes; 
ce qui en eflet produit à l’oreille peu exercée, 
des faux tems que l’action des tambourins fait 


Ce 3 


406 VOYAGES 


prendre pour des contre-mesures; mais si l’on 
entend séparément chaque groupe, on doit 
porter un tout autre jugement. Cette cohorte est 
précédée de fanaux d’une forme originale, et de 
sectaires du rosaire qui aiment à s’immiscer dans 
toutes les cérémonies. 

C’est après cette retraite que l’on se rend aux 
promenades, dans les cafés pour y prendre des 
glaces, et où, pour le dire en passant, un de 
mes amis recut un coup de stylet qui m’étoit 
destiné, en raison , je crois, de mon haut plumet, 
et du costume étranger dont j'étois revêtu. Cet 
ami n'eut fort heureusement que le bras traversé. 

On remarque à Cadix deux portes de ville, 
celle de terre, et celle de mer. Il y en a bien 
deux autres, ou espèces de poternes, dont lune 
sert pour aller sur le môle de la pointe de 
Sainte Croix , et la seconde, voisine de la nou- 
velle douane, qui donne passage sur un peut 
môle où l’on embarque et débarque les mar- 
chandises ane les vaisseaux de transport doivent 
charger pour les Indes occidentales, ou qu’ils en 
rapporient à leur retour. 

La porte du port est double; on entre dans la 
ville d'un côté. et on en sort par l’autre, afin de 
rendre plus difficile l'introduction des marchan- 
dises de contrebande, et de faciliter les visites 
qui se font exactement tant à l'entrée qu’à la 


D'UN NATURALISTE. 407 


pi 
sortie. La porte de terre est resserrée par une 


langue de terre étroite, et elle offre des forufi- 
cations redoutables. 

Cadix est une des villes les plus commercantes 
de l'Univers ; c’est l’entrepôt du commerce des 
colonies espagnoles. Il y entre, diton, année 
commune pour soixante-douze ou soixante- 
quinze millions de livres tournois en or et 
en argent, tant mOonnoyés que travaillés en barres 
ou lingots, et pour vingt-cinq à trente nullions 
de denrées coloniales. 

Les visites à la porte du port ont deux buts : 
1°. d'empêcher le trafic du tabac rapé, et 
de s’opposer à la sorte frauduleuse de For et 
de l’argent. Il est défendu d'introduire dans le 
royaume d’autre tabac que celui d'Espagne, et 
les lois les plus sévères atteignent les délinquans 
qui sont condamnés au travail des mines. 

29. L'or et l'argent importés doivent un droit, 
ainsi que ceux qu’on exporte: Le droit pour le 
dermier est de quatre pour cent. Les vaisseaux 
de guerre n'étant point assujetus à la visite, pro- 
tégeolient ce transport illégitime. On appelle les 
fraudeurs en ce geure, picaros. 

il y a à Cadix deux salles de spectacles , mais 
dont les acteurs sans jeu et sans costumes n’ont 
pas le droit d’intéresser un habitant de la Capitale 
de France. Je vis néanmoins avec intérêt deux 

CC 


498 VOYAGES 


enfans des deux sexes y danser avec grace an 
pas de caractère en agitant leurs castagnettes, 
au son d’un so/o de flûte mélancolique que 
je sus distinguer au milieu d’un nombreux 
orchestre. C’est dans ces lieux publics que l’on 
voit les marquis aux vêtemens bigarrés sans 
élégance, ayant la tête couverte d’une résille et 
ornée d’un énorme catogan. On y voit encore 
les grands d'Espagne sans costume disuncuüf, 
les chevaliers de Saint-Jacques, ceux de Cala- 
trava, ceux de Saint-Charles, ceux d’Alcantara, 
et ceux de Montesa (1) se confondre aux groupes 
de la populace dont ils savent peu communé- 
ment se faire respecter. Ils gardent même sou- 
vent un maintien peu décent : Jai vu un 
chambellan négligenment vêtu, quoique por- 
ur du bijou qui le fait reconnoître, se 
vautrer sur les bancs devant les spectateurs 
accoutumés probablement à cette honteuse fa- 
miliarité , et y manger avec voracité des gäteaux, 
ou provoquer publiquement par des gestes non 
équivoques les Fénus de moyenne vertu dont 
ces assemblées sont en grande partie composées. 

Dona ‘Fhecla, notre charmante posadera, me 
donna beaucoup de renseignemens particuliers 
sur les mœurs des habitans de Cadix , mais qui 


(1) Les cinq ordres recounus en Espagne. 


D'UN NATURALISTE, /og 
ont tant de rapports avec les coutumes de Ja 
ville de Saint-Yago, île de Cubes, que j'ai 
décrites à la fin de mon premier volume, que je 
me crois dispensé de les répéter 1c1. 

* On paie un droit à la douane pour sorur de 
Cadix la poudre à ürer qui y est d’une qualité 
supérieure, et la cire d'Espagne. 

On mange en Espagne beaucoup de friture, 
comme le mets le plus simple à préparer; mais 
on se sert à cet eflet d’ane huile épaisse et 
infecte, qui a d'autant plus de réputation que 
son odeur est plus forte. Je crois que sa 
mauvaise qualité provient d’un défaut de pré- 
paration dans son extraction des olives si com- 
munes en Espagne. 

Les porte-faix de Cadix se font charger sur 
le dos les ballots les plus pesans; ils y sont 
seulement retenus sur une natte de paille qui 
prend naissance sur leur front en guise de ban- 
deau., et se prolonge au long de l’épine dorsale. 
Cegrossier paillasson n’étant pointglissant, main- 
uent les paquets par ses aspérités, Ces hommes 
ont d’ailleurs l'habitude de se servir d’une corde 
destinée seulement à conserver l’équiibre. Les 
porteurs d’eau ont des vases immenses. On voit 
à Cadix beaucoup de négocians de la Catalogne, 
revêtus d’un manteau brun dont le dessous est 
de couleur rose. Ils ont la tête couverte d’une 


Aro VOYAGES 


résille, qui ne diffère de celles qui furent si 
long-tems de mode à Paris qu’en ce que le cul- 
de-sac se prolonge davantage, et est terminé par 
une rosette descendant jusqu’au bas des reins. 

Par une singulière snarrerie les décorations 
militaires s'accordent en Espagne, et se modifient 
en sens inverse relativement à notre pays. C’est 
pourquoi les officiers supérieurs n’ont leur uni- 
forme relevé que d’un simple liseré galonné, 
tandis que les capitaines ont les épaulettes de 
sous-lieutenant, ceux-ci et les lieutenans, des 
épaulettes de capitaine et de chef de bataillon , 
enfin les bas-officiers porten#celles de colonel. 
Par un semblable contraste, lorsqu'un facuon- 
nare porte les armes à un officier , 1l lui tourne 
le dos pour exécuter sa manœuvre, 

Les dames espagnoles ont beaucoup de graces 
sousleurs costumes; souventc’est un gros bouquet 
placé sur un large chapeau qui fait leur seule 
parure ; une autre fois le même bouquet se 
relrouve, et se joue sous un voile élégammient 
drapé qui, docile à l’haleine officieuse d’un 
zéplhur badin , laisse admirer une gorge d’albätre 
où brillent les diamans, ou dont de simples 
perles font souvent le plus bel ornement. Leurs 
bras nus sont également chargés , à diverses 
distances , de bracelets des mêmes bijoux. 

Parmi les fruits qui acquièrent sous ce chmat 


D'UN NATUÜRALISTE, 4ri 


favorable une qualité supérieure, on disungue 
les raisins des environs de Malaga , et dont les 
espèces les plus vantées sont /e lagrima et le 
guindas. 1] n’est pas rare d’en voir des grappes 
du poids de douze livres, dont chaque grain 
est de la grosseur d’une prune moyenne. C’est 
de ce fruit par excellence qu’on obtient les vins 
cuits délicieux de Malaga, Ximenés, de Rota, 
de Rancio, de Xérès, et tant d’autres qui ont 
acquis une juste célébrité. On voit en ces con- 
trées privilégiées le pommier auprès du datuer, 
l'olivier et le cocotier près d’autres arbres euro- 
péens qui ne prospéreroient point en des cli- 
mats plus clauds. Les figues y sont excellentes, 
et on en récolte en telle abondance qu’elles 
fournissent au commerce, par leur exportation, 
une branche importante lorsqu'elles ont été 
préparées. On m'assura que la Catalogne et 
V'Andalousie fournissent en Espagne les plus 
belles figues, tandis que Séville est réputée pour 
ses belles ohves. 

Enfin le climat tempéré de la partie méridio- 
nale d’Espagne, abrité du vent du nord par 
la réunion de montagnes qui forment un demni- 
cercle rapproché des côtes de l'Est, est si propice 
à la végétation , queles cannes à sucre y réussissent 
trés-bien à Valence, ainsi que le remarque un 
auteur. Cette précieuse production, ditil, fut 


hr2 VOYAGES 


apportée de l’Inde en Egypte; sa culture s’intro- 
duisit en Sicile, ei les Maures la portèrent sur 
les côtes de Grenade. Lorsqu'ils en furent chassés 
en 1483, on y trouva quatorze plantations, 
grandes et peutes, et deux moulins à sucre. 
Les Espagnols ayant découvert l'Amérique, 
y porterent cette plante, dont la culture s’étendit 
bientôt jusqu’au golfe du Mexique. Depuis ce 
tems elle à été négligée par la mère-patrie, mais 
on en irouve encore assez pour fournir à une 
fabricauon considérable. 

On remarque aux débouquemens de Cadix 
deux prismes appelés colonnes d’IHercule , et 
par les Espagnols, Saint-Pierre et Saint-Paul. 
les servent à diriger les marins dans leur 
navigalion. 

Nous repartimes de Cadix, dans l'intention 
de traverser l'Espagne dans sa plus grande 
étendue, pour nous rendre à Bayonne; c'est 
pourquoi, après avoir fit mes adieux à M. Leroi, 
commissaire-général francis des relations com- 
merciales à Cadix, je m'embarquai avec le 
général de division Quantin et on état-major, 
pour le port de Sainte-Marie, qui est situé près 
le port Réal, et à trois lienes par mer de Cadix. 
Notre réunion devenoit d'autant plus uule que 
les routes d'Espagne sont peu sûres; aussi 
donna-t-on une garde d'honneur à notre 
général. 


D'UN NATURALISTE, 413 


Non loin de Sainte-Marie on rencontre au 
milieu des champs peu culuvés quelques trou- 
peaux épars, et le long des grands cliemins, des 
croix qui indiquent le lieu de la sépulture de 
voyageurs assassinés. On y remarque beaucoup 
d’ohviers, dont ies plantations régulières sont 
disposées en échiquiers. Ces arbres ont le feuil- 
lage argentun qui contraste avec la verdure fon- 
cée d’alentour ,etils fournissent les grosses olives 
d’Andalousie, renommées pour leur volume et 
leur saveur. On y côtoie la Guadalète, peute 
rivière ombragée par la longue chevelure du 
saule pleureur, sur les bords de laquelle 
Rodrigue, en perdant un sceptre et une cou- 
ronne, fut tué et son armée défaite par deux 
cent mulle Maures. 

La plupart des possessions rurales y sont en- 
tourées d’aloës pitt, appelé pingoin, que ses 
feuilles radicales, armées d’épines aiguës rendent 
inabordables. On remarque dans l’intérieur , des 
semis considérables de pins, de mélèzes et de 
cyprès. 

Nous fümes importunés vers midi par une 
poussière impalpable qu’une nuée de moustiques 
rendit encore plus incommode. Je ne vis jamais 
ces insectes sous une mulüplication aussi in- 
nombrable. Bientôt une nature riante vint nous 
consoler de cette contrariété passagère, et la 


9 


414 VOYAGES 

vue de nouveaux plants d’oliviers végétant sur 
une terre rougeâtre, de chaumuéres agrestes 
cachées sous un hierre touffu qui en fait le plus 
bel ornement, d’'Espagnols cultivateurs campant 
au milieu de landes embaumées par le romarin, 
le myrte, le thym et le serpolet, au milieu 
desquels ils prenoient un repas frugal, fut pour 
nous une surprise autant agréable que délassante. 
Nous foulàämes aux pieds Ze talcite et le granit, 
si communs en ces lieux qu’on en construit des 
bornes et des ponts. 

Nous arrivames à Xérès de la Frontéra, vil- 
lage situé près la rivière de Guadalète , fameuse 
par la bataille de 1713 , dont je viens de parler, 
et non par la tenue de ses posades, puisqu’après 
une route fatisante on ne nous servit que des 
tomates , de l’ooille, des feuilles de chou frites 
dans de l'huile puante , un pain plat et sans le- 
vain, enfin pour boisson, du vin de Xérès qui 
nous fut offert dans un a/karasas (1), espèce 
de carafe flanquée d’un tube recourbé, et que 
l’on passe à la ronde. Xérès de la Frontéra est à 
neuf lieues de Cadix , c’est à dire à six lieues du 
port Sainte-Marie. 

Nous avançämes dans l’ Andalousie, et traver- 
sàmes successivement la Venta-de-Saint-Antonio, 


(1) Appelé en Egypte bardac, selon M. Sonnini. 


4 


D'UN NATURALISTE. 15 
: Virera , Mayréna, Carmona et Rio-Frio, pour 
arriver à Ecija , ville d'Espagne , située non loin 
du Guadalquivir, et à trente-deux lieues de Cadix. 
N'ayant point fait pendant cette route aride des 
remarques dignes d’être citées , puisque je n’y 
observai de particulier que des citernes où l’on 
conserve précieusement l’eau de pluie pour bois- 
son, Ce qui annonce un pays peu fertilisé , je vais 
entretenir mou lectear d’Ecrja. 

L’extérieur des maisons d’Ecija flatte la vue, 
et fait honneur au premier peintre-décorateur 
qui a imaginé de représenter sur les murs des 
décorations théâtrales, ou d’autres paysages 
pittoresques, tandis que l’intérieur des apparte- 
mens , sans luxe et sans ornement , ne présente 
à l’œil que quatre murailles blanchies à pans 
réguliers , d’autres cintrées, formant des voûtes 
qui rendeni ces appartemens très-sonores. Les 
écuries y ont paruculèrement fixé l'ambition ou 
plutôt la curiosité recherches de l'architecte ; 
elles sont dans la ville et aux environs, d’une 
somptuosité et d’une propreté remarquabies ; 
et le voyageur est étonné d’y voir les chevaux 
mieux logés que les hommes , puisque les pi- 
liers mulupliés de ces utiles et spacieux empla- 
cemens sont formés par des colonnes de granit, 
ou tout au moins de pierres trés-régulièrement 
arrondies. 


416 VOYAGES 


Les chevaux de choix y sont tenus les pieds 
attachés à des anneaux fixés en terre, ce qui rend 
leur position pénible et faugante : on leur pro- 
digue le fourrage, on veille sans cesse à leur en- 
tretien , et ces soins sont en quelque sorte une 
somptuosité de la part de celui à qui ces chevaux 
appartiennent. 

Les Espagnols d’Ecija font un usage immo- 
déré de gros piment doux ei de tomates qu’on 
mêle à tous les ragoüts et au mets favori du pays, 
qui est une réunion de lard rance, de pois ronds 
avec leurs gousses , de courges , et de feuilles 
tendres de melon. 

D'Ecija , nous fimes route pour Cordoue, qui 
est à quarante lieues de Cadix , et où nous arri- 
vâmes en passant par la Carlote, pays peu digne 
de remarque , si ce n’est par l'usage de ses puits 
à chaînes garnies de godets destinés à puiser 
l’eau. 

Nous entrèmes dans Cordoue , grande ville 
qui est placée au bord du Guadalquivir. 
La grande place est spacieuse et entourée de 
maisons garnies de portiques réguliers et impo- 
sans : c’étoit l’arène destiné aux tournois des 
Maures, et c’est dans cet espace que se donnent 
maintenant les combats des taureaux. La ville, 
peu habitée, offre des quartiers déserts, beaucoup 
d’églises et beaucoup ‘de cloîtres. Cordoue est 

dominée 


D'UN NATURALISTE. 417 
dominée par la chaîne des montagnes de la Sierra- 
Morena , couverte de la plus riche verdure, et 
où les citronniers, les orangers, les oliviers et 
des arbres fruitiers de toute espèce annoncent la 
faveur d’un printems perpétuel. Aussi les neiges 
et les frimats ne viennent-ils pas attrister ces 
endroits enchanteurs, soigneusement culuvés, et 
d’où jaillissent des milliers de fontaines qui en 
entretiennent la verdure. 

On arrive à la cathédrale de Cordoue sous 
un quinconce d’orangers , dont les parfums 
s’unissant à ceux de l’Arabie que l’on offre à la 
Divinité, entreuennent autour du lieu saint une 
atmosphère embaumée. L'église, très-vaste , à 
dix-sept entrées dont les portes sont couvertes 
d’arabesques : ce fut une mosquée bâtie par 
Abderame au huitième siècle ,etque Ferdinand, 
en 1236 , consacra au culte catholique. On y 
remarque trois cent soixante-cinq piliers de 
granit et de jaspe, composant les vingt-neuf 
nefs de l’intérieur. Le tabernacle du maître 
autél est d’une richesse inconcevable : on y voit 
briller les pierres précieuses, et les jaspes les plus 
rares , diversement colorés , y flattent la vue et 
excitent l’étonnement. 

Ou montre aux étrangers qui visitent ce lieu 
saint, une colonne de marbre éur laquelle un 
crucifix fut gravé par l’ongle d’un esclave chré- 


Tous I. D d 


418 VOYAGES 
tien qui y étoit enchaîné , et qu’on vouluten vain 
converür à la religion mahométane. 

On fait voir également la peute chapelle où le 
Coran étoit renfermé; elle est d’une architecture 
originale. De là , on nous introduisit dans une 
chapelle dorée où se trouve la statue équestre de 
Saint Louis, roi de France. Le trésor de la cathé- 
drale offre des richesses immenses qu’on eut peine 
à nous découvrir : des vases sacrés , des croix , 
des encensoirs et des expositions y sont en or 
massif, et incrustés de pierres précieuses colo- 
rées dont la Nature est si avare, et qu’on ne 
découvre que dans ses réservoirs secrets. 

Cordoue, sous le règne du sultan Alkehem IT, 
fut le berceau des sciences et des arts : il y exis- 
toit alors une bibliothèque immense , des écoles 
de médecine , de géométrie, d’astronomie , de 
chimie et de musique, où se formérent de grands 
talens. Ce fut la patrie des Sénèque , des Lucain , 
des Gonzalve Fernandez. 

Les environs de Cordoue fournissent une 
quanuté prodigieuse de müûriers qui alimentent 
des vers à soie, du produit desquels on fait un 
grand commerce. Ce terrain fécond y protése 
également la culture du guercus ilex, espèce de 
chêne, sur lequel se plaît /e lermès, insecte 
précieux , duquel l’on üre la couleur incarnate , 
et des plantes aromatiques de tous genres, dont 


D'UN NATURALISTE. 449 
le suo bonifie la chair des animaux sauvages 
où domestiques qui en font leur pâture. Ces 
riches climats recélent aussi, de même que 
la Nouvelle -Casulle , le cèdre alüer, l’uule 
cotonmier et l’odorant poivrier. 

L’amateur de chevaux attend que je lui parle 
de ceux de l’Andalousie. Leur réputation n’a rien 
d’exagéré; beauté de formes , regard fier et éun- 
celant, naseaux couverts d’écume, vigueur et 
souplesse dans les mouvemens, voilà les précieux 
caractères auxquels on reconnoit les étalons 
andalous qui font la folie de leurs cavaliers. 
On a pour ces animaux des soins outrés, et 
leur exportation, ou l’imtroduction de chevaux 
étrangers sur le territoire espagnol y est éga- 
lement, interdite sous des peines très- graves. 
11 existe à Cordoue un haras royal digne de ceux 
- de l'Arabie, et 1l est comparable à celui d'Aran- 
juez près de Madrid. Les chevaux andalous sont 
plus beaux, mais moins vigoureux que ceux du 
royaume des Asturies. 

On voit dans les rues de Cordoue, auprès de 
la porte d’entrée des maisons, de grandes tonnes 
enfoncées en terre et où chaque propriétaire 
conserve le produit de ses oliviers. Cette huile 
quiexposée au soleil, n’y acquiert aucune odeur 
agréable, y reste jusqu’à la récolte suivante, 
époque à laquelle elle peut facilement être con- 

Dd 2 


420 "VOYAGES 
sommée , tant les Espagnolsen font un usage im- 
modéré: cette huileremplacele beurreetla graisse. 

Les posaderas n’y sont point actives comme 
dans le reste de l'Europe, et un aubergiste voit 
de sang-froid arriver un voyageur sans s’informer 
de ce dont 1l peut avoir besoin ; les domestiques 
même fainéans à l'excès , regardent les arrivans 
les bras croisés, et se contentent de leur 
montrer du doigt dans Ja basse- cour la 
volaille qu’on est souvent obligé de plumer et de 
faire cuire soi-même, ainsi que nous l'avons 
éprouvé tant de fois. Il est vrai que voyageant 
avec des militaires francais dont la vue inumide 
les Espagnols, nous ne pümes étudier facilement 
leur caractère; car , dès qu'ils nous aperce- 
voient , 1ls se melloient à crier : Carnèro , 
carnèro , signor francèse ! et. disparoïssoient 
subitement en nous laissant dans le plus grand 
embarras, et dans la nécessité de rassembler, apres 
beaucoup de recherches, tous les ustensiles néces- 
saires pour la préparation de nos mets. Ils 
se rapprochoïent cependant, et devenoient plus 
familiers lorsqu'ils voyoient que nous éuions à 
la fin de notre repas; alors, ne craignant 
point de nous regarder face à face , ils exigeoient 
de nous une récompense pour des soins qu'ils 
n'avoient point pris. 

Les soldats de notre escorte étoient fort doux 


D'UN NATURALISTE. or 


et trés-sobres. Leur costume consistoit en une 
veste légère, un chapeau à haute forme où ils 
déposent leurs cigares, et un léger havre-sac. 
Ils avoient tous des guêtres lâches , retenues par 
des cordons au lieu d’être boutonnées, et pour 
chaussure des sandales. 

On culuve beaucoup d’aneth dans les environs 
de Cordoue, et l'instrument qui sert à scier 
cette plante aromatique est semblable aux fau- 
cilles de nos herbières d'Europe. Tous les 
mulets y sont tondus, usage qui ne leur est 
pas favorable, et qui déplaît singulièrement à 
la vue. 

Les Espagnols ne connoissant d’autres jouis- 
sances , d’autre bonheur que dans l'amour, ils 
ne respirent que pour aimer. Leur véritable 
passion est moins celle des sens que celle de 
l'ame. Une Espagnole apprend-elle linfidelné 
de son amant, elle en est inconsolable, dans la 
ferme persuasion de ne pouvoir le remplacer. O 
suprême délicatesse, que n’êtes-vous de même 
honorée par les Françaises! Mais abusant de leur 
empire sur nos cœurs et de leur amabilité , elles 
causent souvent plus de tourmens qu’elles ne 
font d'heureux. Changer pour mieux jouir, 
telle est, hélas! leur fatale devise ; devise d’abord 
engageante, mais qui t0t où tard donne d'elles 
une opinion pémible, Les amans espagnols, 


Dors 


422 VOYAGES 

trouvant rarement l'occasion de pouvoir se rap- 
procher, vivent de désirs, de privations qui 
alimentent leur flamme pure. Un amant se 
trouve heureux lorsqu'il a seulement entendu la 
voix de sa maîtresse approuvant les sons timides 
de sa langourense guitare, ou lorsqu'il saisit 
dans Pair avec transport un bouquet qui lui est 
jeté, et qui, déjà placé sur le sein de son amante, 
y à acquis un prix inappréciable ; soumis aux 
volontés de sa maîtresse ,1l s'éloigne en couvrant 
de baisers le gage précieux qui doit faire sa 
consolation et son unique espérance. Si ce n’est 
un bouquet, c’est un ruban, un billet que son 
haleine brûlante ou décolore ou efface. Que de 
fois je vis de ces couples heureux se parler au 
moyen de Palphabet digital, et rapprocher les 
distances en rendant leurs doigts dociles l’in- 
terprète de leur cœur, et le messager de leurs 
amours ! 

On aime à Cordoue à côtoyer Ze Guadal- 
quivir, dont les eaux nourrissent /e calamus 
arundo que les habitans emploient pour leurs 
voitures couvertes, en guise de cerceaux. 

Les rejets de lataniers qui s'élèvent dans la 
plaine des environs de Cordoue, sont quelquefois 
entre-mêlés de futaies d’yeuse ou chêne vert, et 
üe buissons d’une autre espèce de chère à 
fsmiles de houx. Le gland du premier est in- 


D'UN NATURALISTE. 423 


14 
comparablement plus alongé que celui du 


second qui est raccourci, et présque sphéroïde. 

. Nous repartimes de Cordoue pour la Venta- 
del-Carpioz, et comme nos voitures alloient fort 
lentement, je me déterminai à marcher, ou 
plutôt à chasser le long de la route pour essayer 
un superbe et excellent chien braque nommé 
coronello, provenant des chenils du roi. Les 
cantons que nous eûmes à parcourir sont très 
gtboyeux; aussr les Espagnols qui habitent ces 
contrées ont-ils chacun plusieurs lévriers et 
chiens couchans. Les fusils de chasse en Espagne 
étant beaucoup plus matériels et plus durs à la 
détente que les nôtres, sont par cela même 
moins commodes, et plutôt propres à la chasse 
d’afft qu’à celle du vol. Nous traversimes la 
Venta-del-Carpioz et Aldea-del-Rio pour nous 
rendre à Anduxar, ville de l'Andalousie ; 
éloignée de Cadix de cinquante lieues. 

La ville d'Anduxar n'offre rien de paruculier. 
On rencontre à quelque distance des rochers de 
grès servant de repaire aux mallaiteurs qui 
infestent ces parages, et à la gauche du chemin, 
de longues plantauons d’ohiviers, au milieu des- 
quels on voit se poursuivre et se jouer l'espèce 
de geai bleu, appelé Ze jaseur de Bohéme. Nous 
trouvâmes à la droite de la route, une potence à 
laquelle pendoit le bras desséchié d’un chef de 


D d 4 


424 VOYAGES 

voleurs, qui venoit d’être supplicié par ordre du 
roi d'Espagne. Cet exemple est bien fait pour 
imunnder le crime, et le détourner de ses projets. 
Comme ces pays sont peu habités, et qu'on y 
voyage d'autant moins sûrement que les voleurs 
y sont de conmvence avec les habitans qui 
servent leurs desseins crinnnels , on à som de 
se munir d'armes, et de ne marcher qu’en 
nombreuse compagnie. Les voyageurs portent 
des outres renfermant le vin nécessaire pour les 
repas, où pour les haltes. On y vend à bon 
compte des melons de diverses espèces venus en 
pleinc terre. On trouve dans les montagnes des 
ostracites unies à des pholades. 

On remarque aussi dans les villages que l’on 
traverse, les tristes effets du désœuvrement. Le 
jour, ce sont des familles éntières étendues non- 
chalamment au Soleil, ei occupées à se chercher 
les poux, ou à des soins mal-propres; le soir, ces 
mêmes gens passent leur tems avec leur guitare, 
tandis que d’autres, animés par des passions plus 
déréglées, profitent de l’obscurité pour attendre, 
un poignard à Ja main, le voyageur fatigué et 
trop confiant. 

Nous pénétrâmes , -en quittant Anduxar, 
dans un pays agréable, qu’une culture nais- 
sante commence à embellir, et qu’elle enrichit 
déjà par ses bienfaits. La premiére posade où 


D'UN NATURALISTE. 425 
l’on nous donna asile fut à Baileu, d’où nous 
nous rendimes à Guarda-Dornian, à six Rieues 
plus loin qu'Anduxar. Nous reconnûmes ensuite 
la Carolina, chef-lieu de ces cantons, qui est situé 
sur les bords du Xenil, pays également ferule, 
et récompensant le laboureur au dela de ses 
espérances. On remarque aupres de cette petite 
ville une longue avenue d’ormes , au pied des- 
quels végète l’aloës. On fait usage d’alkarazas 
dans toutes ces provinces, et d’outres pour les 
voyages. 

Le lendemain, en nous rendant à Sainte-Hélène, 
pays montueux , nouvellement habité et dé- 
friché, nous traversämes un passage dangereux 
au milieu de mornes escarpés , dont les aiguilles 
ou pics ont les parois couvertes de soufre su- 
blimé, de terre martiale et d’efflorescences 
virioliques. On y remarque également de beau 
schist , du mica , du schorl en masse et-en 
prismes, et de l’horn-blende. Les eaux con- 
tenues ou filtrant dans les cavités de ces rochers, 
sont très-améres et empreintes de sels méulli- 
ques. Élles sont pour la plupart oxidées et 
lerrugineuses; quelques-uns de ces rochers sont 
couverts de /ycopodium. 

Nous rencontrames deux moines qui chas- 
soient le chevreuil au nmnulienu de ces bois 


giboyeux , et qüi nous firent apercevoir une 


426 . VOYAGES 

troupe d'environ trente voleurs, dont ils nous 
conseillèrent d'éviter la rencontre. Nous fîmes 
halte au pied de ces montagnes, pour nous 
désaltérer chez un Espagnol assis sur le devant de 
sa porte, el occupé à empailler des siéges avec 
des tresses formées des feuilles du latanier. 

Bientôt nous foulämes les montagnes fertiles 
et enchanteresses de la Sierra-Morena, qui four- 
nissent uniquement l'espèce d'orange appelée 
damasquinas. Ce fruit, d'une forme oblongue 
et d’un goût délicieux, a choisi pour sa patrie 
ces imposantes futaies parmi lesquelles 1] n’est 
pas rare de le rencontrer. Ce canton jadis 
culuvé par les Maures, et dont les bois furent 
long-tems après le repaire des bêtes féroces, est à 
soixante-trois lieues de Cadix. 

Après avoir traversé la Venta-de-Cardenas et 
la Ventadel-Judeo, nous arrivämes à Santa- 
Crux, première posade de la Manche, canton du 
bon vin, et où ma qualité de médecin me valut, 
grace à mes consultations latines, des présens, 
des attentions extraordinaires en ces pays 
peu policés ; ce qui nous fit voyager plus 
agréablement. 

Nous passämes snccessivement à /’al-de- 
Pénas, à Menzanarez et à F'illa-Harta. Nous 
reconnümes ensuite un beau paysfameux par les 
exploits de Don Quichotte, et où 1l fit ses mer 


s 


D'UN NATURALISTE. 427 


veilles. Nous remarquämes dans les vêtemens des 
habitans de Port-la-Piz, et surtout de ceux de 
Tremblaque, une bizarre coutume, qui consiste 
à tacher cà et là leurs vêtemens rembrunis avec 
du plâtre dissous dans de l’eau; ce qui fait 
prendre les hommes et les femmes pour autant 
de goujats. On n’y voit point de cheminées 
s'élever au dessus des maisons. 

La Guardia, ville distante de 87 lieues de 
Cadix, est un pays situé au milieu de cronpes 
rocailleuses, dans l’intérieur desquelles se trouve 
un antique et modeste tombeau du roi des 
Maures , indiqué par un bloc de pierre, carré 
et surmonté de trois croix. Si môtre vue se récréa 
en ce pays, bientôt notre estomac languissant 
nous annonça qu'il étoit tems de suspendre 
notre enthousiasme ; mais nous ne pünes satis- 
faire promptement notre faim excessive. La 
posade étoit dénuéé de tout; et comme il n°y 
avoit point d'Espagnols malades en ce lieu , les 
lîiches domestiques nous ayant montré de loin 
les volailles qu’on nous destinoit , se retirèrent 
selon leur coutume , et nous laissèrent la peine 
de poursuivre ces gallinacées si souvent efflarou- 
chés, enfin de les plumer pour les préparer 
nous-mêmes. On nous servit seulement, après 
de grandes supplications, du chocolat, espèce 
d'eau grasse aussi dégottante à l’œil qu’insipide 


428 VOYAGES 


au goût; un pain sans levain happant au palais, 
et pour bidon, une outre garnie de son robinet. 

On remarque à la Guardia d’anciennes foru- 
fications, des casemates à moitié démolies , et 
qui ne laissent plus que le souvenir des fléaux 
meurtriers dont les anciennes guerres ont désolé 
ces Campagnes, 

Nous nous rendimes avant notre départ à 
Véglise, pour y être témoins d’une cérémonie 
funéraire. Au cortége nombreux que nous ob- 
servames , et à la musique funébre que nous 
entendimes, nous reconnûmes que l’on célébroit 
les obsèques de quelqu'un de qualité. Curieux 
comme des voyageurs qui cherchent à s’instruire, 
nous écartämes la loule, et nous apercüûmes au 
milieu de la principale nef, une famille éplorée , 
vêtue de velours noir, posant unanimement 
leurs chapelets, en priant sur le corps nu et à 
moitié découvert d’un enfant couronné et couvert 
de fleurs, symbole de la félicité incontestable que 
cet être pur éprouvont déjà dans le ciel devenu sa 
patrie. | 

Nous marchions vers Ocana, lorsqu'une 
patrouille d’alguazals que nous renconträmes, 
nousprévint de nous tenir sur nos gardes contre 
une troupe d’assassins dont la tête étoit à prix, 
et que, pour le malheur des voyageurs, certains 
Espagnols tarés dans l'opinion publique recé- 


D'UN NATURALISTE. 429 


loient chez eux. Nous avancions au milieu de 
bois sombres et silencieux, lorsque le général 
qui commandoit notre escouade nous engagea 
à faire un feu de file, comptant sur l’écho de 
ces forêts pour averur les malveillans que nous 
éuons en état de défense. 

Nous arrivämes à une posade suspecte, où 
lon nous recut même de mauvaise grace. 
Croyant déméler des intentions perfides de la 
part des Espagnolsiqui l’occupoient , nous cher- 
chions à éloigner ces soupcons peut-être injustes ; 
mais quelle fut notre surprise, lorsque nous 
apercümes cachés dans les greniers, les assassins 
qui nous attendoient dans l’espoir d’une bonne 
capture! 11 fut décidé que nous camperions 
auprès de Nos-Tiros-Largos, et que toute la nuit 
seroit destinée à la plus exacte surveillance. 
En vain Morphée commencoitil à appesanur les 
paupières de certains de nous accablés de fatigue, 
il fallut éloigner ce dieu trompeur , et lui repro- 
cher jusqu’à la douceur de ses bienfaits. Le mot 
d'ordre fut donné , et les qui vive qu’on en- 
tendoit au moindre mouvement annoncérent à 
la troupe intimidée que nous éons déterminés à 
vendre chèrement notre vie. Confondus dans 
leurs projets, nous apercûmes ces trente bri- 
gands s'évader par des fenêtres au milieu de 
la nuit, pour allercacher, sous la double obscu- 


439 VOYAGES 

rité des forêts , leur honte et leur lâcheté. J’ou- 
bliois de dire que nos dames avoient été forcées 
de camper auprés de nous, ayant reconnu dans 
la chambre qui leur étont destinée, des ouvertures 
communiquant avec-les caveaux de la posade, 
dans lesquels on précipitoit probablement les 
victimes dès qu’elles étoient immolées. Ce qui 
me fit horreur, c’est qu’en allant m’assurer des 
lieux et de la propreté des draps , et que nv’étant 
avisé de soulever celui n , Je trouvai 
l’autre encore imbu du sang d’un malheureux tué 
le jour même, et qui avoit laissé en se débattant 
l’empremte de ses dents sur le linge , et par-tout 
des traces de son désespoir. Nous repartimes de 
cette posade sans témoigner notre surprise , mais 


avec lintention de faire notre rapport en arri- 
vant à Madrid, 


Arrivés à Aranjuez, l’une des maisons de 
plaisañce du roi d'Espagne, nous remarquämes 
beaucoup de logis peints à fresque. Celui du 
maitre de poste offre les vues les plus pitores- 
ques. Les murs du château sont baignés par le 
Tage, qui y roule ses eaux limoneuses et tour- 
billonnantes. On sait que le Tage est le fleuve le 
plus grand qui existe en Espagne, et celui dont 
le cours est le plus prolongé ; il arrose cent vingt 
lieues de terrain, depuis sa source jusqu'à 


D'UN NATURALISTE. 43 


Lisbonne, où 1l confond ses eaux douces à la 
mer : le sable du Tage contient quelquefois, prin- 
cipalement du côté de Tolède, des particules 
auriféres, mais en si pelle quantité que sa 
récolte ne dédonimageroit point du tems qu’on 
pourroit y emploÿer. 

L'Espagne est encore fertilisée par le Tinto, 
dont les eaux d’un jaune topaze sont lapidifiques, 
et propres à lincrnstation ; par le Mino, le 
Duero , la Guadiana , le Guadalquivir, lEbre, 
Je Xucar, la Sagura , et beaucoup d’autres peuts 
ruisseaux qui ne suflisent point encore pour 
entretenir sur ce sol brülant une fraîcheur 
bienfaisante souvent remplacée par des crevasses 
arides, ou une poussière incommode. Les deux 
Castilles éprouvent particulièrement de grandes 
sécheresses , les Espagnols indolens ne profitant 
plus des avantages que pourroit leur offrir l'irri- 
gauon; ce qui rend leurs récoltes beaucoup 
moins abondantes qu’elles ne l’étoient sous les 
Romains et les Maures, où l’agriculture étoit 
en Espagne dans l’état le plus florissant. 

D'’Aranjuez, distant de quatre -vingt-seize 
lieues de Cadix, nous nous rendimes à Valde- 
moro , puis à Madrid , capitale de l'Espagne. 

La ville de Madrid est située à cent trois 
lieues de Cadix. Ses environs, qui étotent autre- 


432 VOYAGES 
fois couverts de foréts, sont maintenant sans 
verdure et d’une aridité désolante (+). 

Les rues de Madrid sont larges et alignées: 
Les promenades publiques, décorées de fontaines 
d’une parfaite archiiecture, sont irès-fréquentées. 
On se réunit aussi sur les bords du Manzanares, 
au Prado, à la porte d'Atoches. 


(1) «Une chose digne de remarque, parce qu'elle 
influe sur la température de l'Espagne, dit un auteur 
moderne, c'est la singulière hauteur de ce pays au 
dessus du niveau de la mer. Le plateau occupé par 
l'intérieur de ce royaume est le plus élevé de tous ceux 
de l'Europe qui occupent une certaine étendue. La 
hauteur du mercure dans le baromètre, observée à 
Madrid, est de vingt-six pouces deux lignes; elle est 
moindre par conséquent de deux pouces que la hauteur 
moyenne observée sur les bords de l'Océan. Cette diffé- 
rence donne à la capitale de l'Espagne une élévation 
de deux cent neuf toises au dessus de la mer. Ainsi 
Madrid est quinze fois plus élevée que Paris, trois 
fois plus que le mont Valérien, un tiers plus que 
Genève. Cette hauteur influenécessairement sur latem- 
pérature. On est étonné de ne pas trouver d’orangers en 
plein air sous le quarantième degré de latitude ; mais 
ja température moyenne de Madrid w’est que de deux 
degrés + plus élevée que celle de Paris, et moindre 
d'un degré que celle de Toulon. Les montagnes de 
l'Espagne renferment une immense quantité de grottes, 
de cavernes et de souterrains ». 


Les 


D'UN NATURALISTE. 433: 
Les maisons de plaisance du roi sont, Bueh- 
Retro, la Grange , le Palais Neuf, Aranjuez, le 
Pardo, bäu par le roi Charles Ex ; l'Escurial, 
situé sur un plateau à demi-pente de la Cordilière 
de Guadarama; ce dernier lieu est consacré à la 
sépulture des rois d'Espagne. Je ne m’étendrai 
point davantage sur des objets connus, ce seroit 
augmenter inutilement le contenu de ce volume, 
et m'écarter de la tàche que je me suis prescrite. 
Le chimat de Madrid est humide, mais 1l n’est 
point mal-sain. La ville offre au curieux voya- 
geur plusieurs établhissemens remarquables. Le 
palais du roi renferme une collecuon précieuse 
de tableaux des prenners peintres de plusieurs 
écoles; auprès de ce palais se trouve un colisée 
d’armes et d’armures antiques. On admire aussi 
à Madrid un riche cabinet d'histoire naturelle, 
mais dont la collection immense est rangée sans 
méthode. La classe des minéraux offre surtout 
la réunion la plus complète en ce genre; mais 
on pourroit appliquer, à l'égard des animaux 
empaillés de cette collecuon, préparés sans 
art et sans goût, cette phrase remarquable de 
M. Bernardin-de-Saint-Pierre, dans ses Études 
de la Nature : « Ou la Nature. est morte, ou 
» l’art est animé ». 
Les rues de Madrid sont longues, et les 
maisons y sont à quatre, cinq et sept étages; les 


Tous II, Ee 


454 VOYAGES 

feffêtres sont garnies de balcons plus ou moins 
somptueux. Je fus parfaitement accueilli par 
l'ambassadeur Beurnonville, chez lequel je fus 
invité plusieurs fois, et où je vis avec bien du 
plaisir de superbes tableaux de chasse. 

Nous éuons logés à l’hôtel de la Providence, 
où l'hôte francais, M. Picard , nous servit souvent 
des cannes-pétraces, fort communes dans les 
environs de Madrid; ce qui n’est point faire 
l'éloge du terrain, puisqu'on saitque ces oiseaux 
se plaisent de préférence dans les friches ou sur 
les grouettes. 

N'ayant rien de mieux à faire, j'allois fort 
souvent au spectacle, où je vis avec intérêt 
exécuter une danse de caractère par deux enfans 
de six ans, agitant avec grace leurs castagnettes 
au son alto d’un solo de flute, qui toutes: les 
fois me porta à la mélancche. 

Il me reste à parler d’un autre spectacle que 
les Espagnols aiment avec passion, etqu'ils pré- 
férent à tout autre; c’est le combat du taureau. 
Le cirque choisi à cet effet à Madrid, a trois 
cents pieds de diamètre, et l’arène seule a plus 
de deux cents pieds. L’amphithéätre destiné au 
public peut contenir environ de douze à quinze 
mille spectateurs. 

Un magistrat chargé de la police se trouve 


5 
présent à chaque combat, et accompagné de 
A 


D'UN NATURALISTE. 435 


deux alguazils eu exempts, desuinés à maintenir 
le bon ordre. 

Bientôt le magistrat, par un signal, annonce 
que le combat peut commencer. Aussitôt une 
porte est ouverte, et l’on voit du fond d’une 
étable un taureau inquiet, d’abord s’avancer 
lentement, puis enfin fondre avec impétuosité 
dans l’arène. 11 semble interdit par l’afluence 
et les clameurs d’un peuple nombreux ; 1l 
s'arrête, promène en silence ses regards autour 
de lui, semblant défier le téméraire qui à 
osé le provoquer au combat; un beuglement 
prolongé et étouffé semble menacer d’une ven- 
gcance prochaine le piquier (picador) qui pa- 
roit à cheval à l’autre extrémité opposée, armé 
d’une lance, et s’avancçant vers lui. Ces deux 
antagonistes, ménageant leur marche et leurs 
feintes, font un pas, puis s'arrêtent, s’observent, 
combinent leurs mouvemens avec lenteur et 
retenue. Cet état d’incerutude et d’irrésolution 
intéresse le spectateur qui déja forme des con- 
jectures. Alors le taureau , qui croit ne pas 
devoir plus long-tems contenir sa fureur, baisse 
la tête, et réumissant toutes ses forces, fond 
avec impétuosité sur le picadôr. Cet adversaire, 
au premier mouvement du taureau, qu'il a 
su juger, s’est mis en défense, et tenant sa 
Jance en arrêt, il en dirige le fer vers l'animal 


Ee 2 


&36 VOYAGES 

furieux, qui par une feinte souvent en rend 
l'effet impuissant, en la faisant voler par éclats. 
C'est dans ce moment que /e picador est en 
danger ; et que, pour le délivrer, paroïissent deux 
chulos, jeunes Espagnols agiles qui viennent 
agacer le taureau avec des peus manteaux ou 
draperies rouges; ce qui lui fait oublier son 
premier ennemi, qui profite de ce moment 
favorable pour se remettre en selle s’il a été 
cuibuté, et pour se réarmer. Les chulos étant 
à pied , ne peuvent tenir long-tems en présence 
du taureau animé; c’est pourquoi à la première 
menace 1ls battent en retraite, et s’élancent dans 
une double enceinte où ils sont hors de danger, 
et d’où 1ls narguent le taureau furieux d’avoir 
laissé échapper ses vicumes. 

Il apercoit bientôt derrière lui Ze picador, 
et soudain àl fond sur lui, dans l'espoir de 
J'immoler à son ressentument. Souvent il ne fait 
que le renverser, et dans sa méprise il perce les 
flancs du cheval qu’il fait sauter en l'air d’un 
coup de ses cornes, Je vis un de ces chevaux 
tellement éventré, que tausses intestins tracoient, 
dans sa course forcée, l'arène ensanglantée ; mais 
Join d’éloigner lé cheval pour lui donner quel- 
ques soins, /e picador ne peut en descendre 
qu'au moment où épuisé de fatigue et ayant 
perdu tout son sang, l'animal, malgré sa valeur, 


D'UN NATURALISTE. 437 


tombe et expire. Le taureau, satisfait de sa vic- 
toire, s’avance vers le cheval, et le foule aux 

pieds en signe de triomphe. 
Lorsque le taureau a reconnu son impuissance 
contre /e picador qui sut l’éviter , 1l reste 
‘immobile et se refuse au combat ; alors on met à 
ses trousses es banderillos ou chulos. Ge sont 
huit jeunes Espagnols tenant chacun à la main 
une poignée de petites flèches on banderillas 
qu'ils doivent lancer au taureau pour l’agacer et 
Pirriter. Ils l’excitent, et lorsque l'animal baisse 
la tête en fermant l'œil, pour fondre sur ces 
nouveaux importuns, les banderillos profitent 
de ce moment favorable pour lancer leurs 
flèches. L'animal est atteint, et le chiquetis des 
banderillas aux moindres mouvemens Fin- 
quiétant , 1l devient furieux, frappe la terre de 
son pied, la creuse, et fait voler la poussière en 
écumant de rage; 1l cherche ses ennemis, mais 
ils ont disparu. Souvent le taureau, déjà fatigué, 
ne cherche point à s'approcher des banderillos 
lorsqu'ils paroissent; alors ces derniers ont 
recours à la moleta où écharpe de couleur écar- 
late qu'ils portent à la main gauche, et qu'ils 
agitent devant le taureau en passant près de lui, 
pour le närgner et l’exciter davantage à la ven- 
geance. Quelquefois, malgré la rapidité de la 
course , il en est qui sont fortement pressés par 

Ee 3 


438 VOYAGES 


le taureau ; alors ils lui abandonnent, en s’échap- 
pant, la moleta , sur laquelle le taureau assouvit 
sa rage, en la déchirant en pièces après lavoir 
flairée, Si maigre cette ruse , que l’animal souvent 
dédaigne , ils n'ont pu sauter au dessus de la 
barrière qui doit les mettre à l'abri de tout 
danger , alors les autres banderillos s'avancentet 
attaquent le taureau pour laisser échapper leurs 
camarades. 

Quand le taureau a suffisamment combattu, 
on le condamne à mort. Alors un Espagnol qui 
n’a point encore paru, et qu’on appelle rna- 
tador (1), se présente, tenant d’une main la 
fatale épée, et agitant de l’autre a rmoleta. Ce 
mnatador a dû, pendant le combat, examiner 
Je taureau , et étudier son caractère. C’est pour- 
quoi il a dû disunguer s’ilest claro, c’est à dire, 


lougueux et sans ruse; alors 1l peut s’en appro- 


(1) Les matadors ordinaires sont des torréres du 
combat, ou bouchers de profession, qui doivent être 
doués de courage et de sang-froid. Le matador est 
souvent un preux chevalier où amant espagnol, qui 
aime à remporter celte victoire aux yeux de sa belle. 
Je visun de ces malheureux devenir la victime de son 
courage imprudent, et, par je ne sais quel sentiment, les 
spectateurs crier brave ! et applaudir à outrance, tandis 
que le jeune homme en perdant son sang rendoït le 
dernier soupir. 


D'UN NATURALISTE,. 439 
cher sans défiance, et être assuré de sa victoire, 
Mais si l'animal est obscuro, c’est à dire rusé , 
froid, réfléchi et lent dans ses résolutions, alors 
le matador prend plus de précautions. I s’en 
approche , le regarde en silence, alors ruse 
contre ruse, l'attaque ou se défend , "mais 1l 
trouve toujours le moyen de profiter du moment 
où l’animal baisse la tête pour frapper, et lui 
enfonce sans peine le glaive entre les vertébres 
cervicales. Le taureau en beuglant tombe aussitôt 
transpercé sur l'arène, sans la rougir de son sang : 
car 1l meurt par la secuon de la moëlle épinière. 

Lorsque le taureau tombe aux pieds de 
matador , la trompette sonne, et on voit entrer 
trois mulles richement RE el qui, aC- 
coutumées à ce manége, entraînent le corps atl 
grand galop. On tue plusieurs taureaux par 
combat , et ce spectacle est tantsuivien Espagne, 
que le pauvre même y sacrifie tout son avoir 
pour ne laisser passer que rarement use repré- 
sentation sans y aller. Îl y a toujours un prêtre 
prêt à administrer les sacremens aux combattans 
blessés à mort. 

On critique cet usage sanguinaire chez Le 
Espagnols , sans réfléchir que nous avons le 
jeu de l’oie, dont les détails sont d'autant plus 
révoltans et l'attaque peu généreuse, Le CCE 
oiseau est sans défense , el que souvent le cou 


Le À 


440 VOYAGES 


aux trois quarts tranché , on le laisse languir en 
cet état des heures enuères !!! 

En quittant Madrid,on rencontre des hameaux, 
des maisons éparses et rares ; par-tout des mains 
oisives , des visages basanés, maigres et blèmes ; 
des haïllons , de la vermine , apanages dégofñtans 
de la misère et de la pauvreté; par-tout des chau- 
mieres en rune, où les hommes, les femmes, 
les enlans et les animaux sont groupés sans dis- 
üncuon. 

Ce qui contribua le plus à rendre ma route 
agréable , fut la société du célèbre Crescenuni, 
qui fait en ce moment les délices de Paris , et la 
connoissance que je fis aussi de M. Libon, 
aruste distingué, qui, à des mœurs douées, 
joint un talent supérieur sur Je violon. Ces 
deux virtuoses retournoient à Paris, et à chaque 
posade , pour oublier les fatignes du voyage et 
les désagrémens de la route , ils s’exercoient 
avec des morceaux de musique qu'ils avoient 
composés pour les concerts de Paris, J’entendis 
avec ravissement la scène des Horaces, de la 
composition mélodieuse de Crescentini, et de 
beaux concerto de violon par M. Libon, qui font 
le plus bel éloge de sa composition. 

Non loin de Madrid à Saint-Sébasuen, le sol, 
semblant consterné d’être aussi près du tour- 
billon des villes , laisse suinter les pleurs de 


D'UN NATURALISTE.  44x 
cette nature désolée. Le pays est marécageux , 
mais triste, et on n’apercoit autour de soi qu’un 
terrain nu, dénué d’arbres et de verdure , enfin 
le tableau monotone d’une aridité qui engour- 
ditles sens. Les femmes, sérieuses ettaciturnes, y 
cousent en silence sur un traversin, pourvues 
par-devant d’une poche destinée à recevoir le 
peloton de fil. On remarque aux bornes des mai- 
sons où le roi descend , des chaînes qui, au lieu 
de servir de mauvais augure, annoncent qu’elles 
sont dégagées de toute espèce d'impôts: 

Nous quittämes Saint-Sébastien à la pointe du 
jour , et nous marchäâmes vers la Venta-Molaris, 
au milieu d’une nature riche, et de sites pitto- 
resques et romantiques. Âu centre de gorges 
mamelonnées , formées par des blocs de quartz 
micacé et de marcassites, d’où s'échappe avec 
un doux murmure une eau claire et limpide 
coulant sur un lit tortueux, on apercoit des ha- 
bitans vêtus de cuir, poursuivre le chevreuil 
et les lèvres communs en ces cantons. Ces ani- 
maux fréquententcesravines hérisséesderochers, 
et vont se désaltérer en paix au milieu de ces 
blocs de granit, où ils trouvent, après leur pour- 
suite, à reposer leur corps faugué sous l’ombrage 
du hêtre touffu ou du chêne antuque. 

Le lendemain, nous fimes ronte vers Bou- 
Uago , la Suelta et la Venta-de-Coronilla : nous 


442 VOYAGES 
passâmes la nuit dans ce dernier endroit. Nous 
avions admiré pendant la journée ces paÿs riche- 
ment boisées, et ces montagnes fécondes où les 
hètres ei les pins s’élèvent au milieu même d’im- 
menses rochers qui vomissent à gros bouillons 
des torrens d’eau et d’écume. Une belle rivière 
coule dans ces campagnes, sur des rochers 
escarpés, de granit noir. 

Nous couchâmes le jour suivant à la Frezmillo- 
de-la-fFavente, et nous dümes notre bonne 
réception, en la pausade , à une consultation en 
Jaun que je donnai au posadero, qui avoit trois 
enfans eu bas âge attaqués depuis quinze mois de 
fièvres quartes. La joie vive qne ressentit ce bon 
père, par l'espérance de revoir bientôt ses enfans 
rendus à la santé , le fit nous prodiguner ses pro- 
visions ; 1l poussa la délicatesse et la générosité 
jusqu'a ne vouloir accepter aucune rétribution , 
que je distribuai aux valets d’écurie. 

Nous cheminâmes vers Aranda , pays très- 
giboyeux et richement boisé. Les troupeaux (1) 


(1) L'Espagne, dit l'auteur de l'ouvrage intitulé : 
Campagnes des Armées françaises en Espagne et en 
Portugal, a été de tous tems le pays des troupeaux. 
Les laines de la Baltique et du pays des Cantabres 
éloient très-estimées à Rome. Les belles races dégé- 
nérèrent sous les Maures; mais les Arabes d'Afrique 
qu leur succédèrent, renouvelèrent les espèces, eë 


D'UN NATURALISTE. 45 
ÿ paissent au milieu de hautes fougères , de ge- 
nevriers , de mélezes, de thuia et de pins, de 
serpolet et d’autres herbes aromatiques qui 
communiquent à leur chair un goût exquis : on 
y tre l’eau des puits à l’aide de grands leviers 
mis en équihbre vers leur milieu sur une poutre 
perpendiculaire, et dont le sommet est aigu; 
alors 1l suffit de peser à l'extrémité opposée à 
celle où est auaché le seau, où de soulever la 
grosse pierre qui y est enchaînée, pour plonger 
ou reurer le seau du puits. Cette mécanique est 


améliorèrent les laines. Don Pedro IV fit venir une 
grande quantité de béliers d'Afrique, et même des 
troupeaux entiers de brebis. En 1394, sur la demande 
de Henri IIL, Catherine, fille du duc de Laucastre , 
Jui apporta en dot plusieurs milliers de bêtes à laines 
choisies. Ces animaux s'acclimatèrent parfaitement 
dans les deux Castilles. Le croisement des espèces 
d'Afrique et d'Angleterre avec la race espagnole, 
donna à celle-ci la qualité supérieure qui la distingue, 
On compte en Espagne deux espèces de bêtes à laine 3 
les unes voyagent tous les ans, on les appelle merinos ; 
les autres restent dans leur pays, et rentrent toutes 
les nuits dans leurs bergeries. On estime environ à huit 
millions les moutons promeneurs, et à cinq millions 
les moutons voyageurs. 

On évalue à cinq cent mille quintaux la quantité 
de laines fournies annuellement par les troupeaux d'Es- 
pagne. Ces laines sont généralement longues, soyeuses 


444 VOYAGES 


bien différente de la chaîne hydraulique dont on 
fait usage dans certains endroits près de là. Cette 
chaîne, composée de godets ou potiches de 
terre , fabriqués à Jandouka , est plongée 
dans l’eau, et les godets s’emplissent pour 
ensuite verser le liquide, par un mouvement 
circulaire , dans une rigole qui la transporte 
dans un vase quelconque. 


Nous nous rendimes à la Venta-della-Praële, 


et douces; celles des troupeaux voyageurs paroissent 
emporter sur les autres. Les mérinos, acclimatés en 
France depuis douze ans, n’ont point dégénéré; les 
agneaux qui en proviennent ont non seulement con- 
servé la pureté de leur origine, mais ceux qu'on a 
obtenus par le croisemeut des races françaises four- 
nissent dès la quatrième génération des laines aussi 
belles que celles d'Espagne, pourvu qu'on n'allie les 
femelles métisses qu'avec des béliers de race pure. Il ÿ 
a aujourd'hui peu de départemens en France, où ces 
races espagnoles ne soient introduites. 

Les plus belles laines d'Espagne sont celles des en- 
virons de Segovie, de Baytrago, de Léon, de l'Aragon. 
l'est probable que les moutons espagnols, actuellement 
acclimatés dans divers pays de l'Europe, le seront 
bientôt dans la presque totalité de sa surlace, et alors 
ie commerce ce laines que fait l'Espagne sera entiè- 
rement perdu. Le ministre d’Aranda disoit : « Si l'on 


» m'eûi consullé, jamais un seul mouton espagnol ne 
» fût entré en France». 


D'UN NATURALISTE. 445 
où les cherninées des cahuttes matériellement 
construites, ressemblent à une forme à sucre. 
Ces espèces de maisons sont bâties avec des 
uules denu-cvylhindriques, posées en recouvre- 
ment. On voit s'échapper du faîte formé par un 
double cerceau surmonté d’un coq enterre cuite, 
une fumée plus ou moins condensée. Les maisons 
de ville sont peintes à l'extérieur. On récolte en 
ce pays beaucoup de lin. 


Nous voici dans la Vieille-Castille, et la ville 
de Zérma fut la première que nous y rencon- 
trâmes. Les maisons y sont bâties en briques de 
terre, et les cabrouets sont traînés sur des roues 
pleines par des mulets tondus et mutlés. Les 
habitans ont pour coiffe une espèce de capuchon, 
sont vêtus de cuir, et sanglés de la même mauëère. 
On nous conduisit à l’église qui est magnifique- 
ment décorée. Elle est ornée de tribunes et de 
deux beaux jeux d’orgues. Au milieu s'élève le 
superbe mausolée du duc de Lerma; il est en 
airain. L'église située sur la place, correspond au 
palais du duc par de vastes galeries tournantes. 
Elle est bâtie sur une éminence au bas de la- 
quelle coule une tres-belle rivière. 


La campagne enchanteresse qui s’offroit à 
mes regards de tous les côtésÿ m'engagea à 
descendre sur le pont élésamment construit qui 


446 VOYAGES 
traverse l’Artanzon , d’où j'ai dessiné le charmant 
point de vue que je vais décrire. 

Au premier plan, sur la droite, s’éléye avec 
majesté l’église qui est construite avec une 
élégance rare, décorée d’horloges, de mansardes 
symétriques, d’un clocher quadrangulaire sur- 
monté d’une croix à trident qui sert de girouette. 
La couverture des bätuimens environnans est 
formée par un assemblage de tuiles demi-cyÿhin- 
driques. 

Sur la gauche se trouve un pont qui, dans sa 
courbe, comprend six arches sous lesquelles 
coule mollement la riviere Hmpide d’Artanzon. 
Elle arrose dans son cours le tertre de l’église, et 
va au loin feruhiser les campagnes. L’Artanzon 
réfléchit sur son onde les longues chevelures 
des saules pleureurs qui la bordent, mais elle 
ralenut plus loin son cours, et se divise en 
ramifications sinueuses qui arrosent la belle 
prairie dont elle est environnée. On trouve ca et 
là de jolis ponts jetés sur les bras les plus larges, 
et qui favorisefit la tonte des prés et l’exploi- 
tauon des foins qu'ils produisent, Au milieu de 
celte riante prairie offrant à l’œil le plus’ beau 
tapis de verdure, on apercoit une chapelle des- 
servie par un hermite, laquelle est à moitié 
dérobée aux réards du voyageur par un cirque 
de châtaiguiers, dont le saint homme fait, 


D'UN NATURALISTE, 447 
diton, sa principale nourriture. Auprès se re- 
marque une croix de pierre élevée sur un 
gradin. 

On voit sur ce sol ferule toujours animé par 
la présence de quelques voyageurs ou de jour- 
naliers, és tiros qui remplacent en Espagne les 
voitures de poste. Ce sont des berlines assez mal 
suspendues traiînées par six mules, et qui font 
l'office de nos dihigences. Les voituriers con- 
ducteurs sont appelés #2ayoraux. Is marchent 
sans fouet, et n’ont recours qu’à leur voix pour 
exciter nonchalamment leurs bêtes lentes et pares- 
seuses. La vue aime aussi à se fixer sur des lai- 
tières vêtues légérement, et portant sur leur tête 
V’'urne de terre de Jandouka, qui conuent le lait 
qu'elles ont à vendre. | 

On disungue à l’ombre des saules les pêcheurs 
occupés à tenter fortune; plus loin , des chasseurs 
dans la plaine, ici un groupe de padres, là des 
cabrouets tels que je les ai décrits. Enfin le 
lointain offre des plantauons de châtaigmiers, 
tandis que l'horizon se termine par un rideau 
de forêts surmontées par les pics embrumés 
des Pyrénées occidentales. 

Nous couchämes le lendemain à Burgos, une 
des plus grandes villes de la Vicille-Castille. 
On y arrive par une route ferrée et superbe, 
quoiqu'étrointe. Elle est garnie d’ormes dans 


448 VOYAGES 
toute sa longueur , à l’instar de celles de France. 
La ville de Burgos est remarquable par sa 
bonne tenue , par ses ponts, et la beauté de ses 
promenades ornées de statues. On y voit une 
très-belle place décorée de plusieurs fontaines. 
Le pays est trés-boisé ; on y récolte du lin. 
Nous reconnûmes ensuite Pradano , et à 
deux lieues plus loin, Birbiesca. On voit à 
Pradano des moulins à eau sans roues. On ÿ 
touve beaucoup d'Ayèbles, d'érysimumn, de 
narrube, de mille-pertuis , et dansles prairies, 
communes en ce pays, beaucoup de presle ; 
elles sont ombragées par des peupliers qui 
paroissent y prospérer d’une manière avanta- 
geuse. Les femmes y ont la tête nue, et divisent 
par derrière leurs cheveux en plusieurs tresses. 
De Birbiesca nous parvinmes à Pancorvo, 
où Crescentni, ce virtuose doux, complaisant 
et modeste, voulut bien me chanter en parücu- 
lier et dans la dernière perfecuon, sa magni- 
fique scène des Horaces, dont la rare harmonie 
sera toujours présente à mon souvenir. Ce 
pays est ados$é à des mornes; il est bien 
arrosé, conséquemment fertile et bien cultivé. 
Les femmes y portent des cheveux trainans, 
sans être tressés; ce qui offre à l’œil, en raison 
de leur mal-propreté, le désordre le moins 
flatteur. 


Nous 


D'UN NATURALISTE. 449 

Nous arrivâämes à Miranda, peute ville où 
passe l'Evro, belle rivière qui fournit des mer- 
Juches en abondance, que nous eussions trouvé 
excellentes s1 elles eussent été accommodées 
avec du beurre, au lieu de l'huile puante du 
pays. 

Entre Miranda et Vitoria on rencontre un 
couvent bien heureusement situé dans un pays 
aussi désert. Eloignés de toute habitauon, les 
moines y jouissent d’une paix délicieuse, et de 
tous les agrémens de la vie champêtre. La 
chasse, la pêche, plaisirs doux et innocens, 
ne leur sont point interdites. Protégé dans ses 
récréations par de hautes futaies dont une 
rivière poissonneuse entretient la fraîcheur , le 
silencieux pêcheur n’y est distrait que par 
l’écho qui répète la voix des chiens courans, ou 
par le coup fatal qui suspend leur poursuite, 
devenant désormais inuule, Ce couvent de /« 
Poevela est, en un mot, très-favorablement 
situé pour un ami de la Nature. On y donne 
pendant trois jours l'hospitalité à tout voyageur, 
et s’il est malheureux , il y trouve des secours et 
des consolauons. 

Tout à coup le pays change de face, et re- 
prend sa stérilité qui fait regretter les bocages 
du couvent. Le terrain est inculte, les chemins 
sont raboteux, les villages presqu’en ruine, et 


Tome EL, Ff 


450 VOYAGES 

les habitans , selon leur honteuse coutume , 
indolens et paresseux , passent la majeure parue 
du jour au soleil. 

Nous arrivämes à Y’üoria, ville principale 
de la Biscaye, et entourée de très-belles prome- 
nades, au milieu desquelles on a pratiqué un 
jeu de longue paume: C'est là que les Espagnols 
oiseux passent une grande parte du jour à jouer 
ou à regarder les acteurs du défi. Leur indo- 
lence est telle que souvent un voiturier y fait 
arrêter ses chevaux , et qu'il oublie pendant une 
demi-jonrnée ses occupations, si la partie s’en- 
gage avec chaleur. 

En passant à Salinas, on remarque au mi- 
leu de hautes montagnes une descente trés- 
rapide. On voit depuis le sommet jusque dans 
les falaises, bouillonner et juillir de belles cas- 
cades qui eurichissent la verdure des châtaigne- 
raies et des fougères. On culuve dans les 
environs, des champs de navets dont les animaux 
se nourrissent. 

En faisant route pour Mondragon , nous 
renconträmes sur les chemins de ces montagnes 
escarpées, des groupes de muleuers transpor- 
tant des marchandises. Les sons des longues 
cloches (voy. planche XL.) attachées derrière les 
ballois recouverts d’une toile rouge, interrom- 
pent le silence imposant de cette nature agreste, 


D'UN NATURALISTE. A5t 
tandis que le costume particulier des habitans y 
récrée la vue du voyageur. Les hommes ont 
un chapeau très - haut de forme, étroit et 
placé sur le sommet de la tête ; un gilet et un 
pantalon d’un drap grossier et brun : les 
manches de ces vestes sont réunies par des 
lacets relâchés. Ils ont les jambes enveloppées 
d’une étofle de laine à barres brunes et blanches, 
et relenue par un ruban qu'ils dirigent autour 
de la jambe en serpentant (planche XI). Les 
femmes ont un corset large et rouge, et le jupon 
brun ; elles marchent la tête nue, et leurs che- 
veux lisses sont tressés par derrière dans toute 
leur longueur , et pendans jusqu’au bas de la 
taille. ( Foyez planche XL.) 

Les enfans à Mondragon parlent basque, et 
portent les cheveux relevés comme les Chinois. 
On y voit pendant la messe les veuves à genoux 
sur la tombe de leur mari défunt, puis étendues 
sur un drap qu’on brûle au bout de l’année , qui 
est le terme de leur deuil. 

Nous nous mimes en route le lendemain pour 
Beurgara, où se trouve un séminaire; et après 
avoir côtoyé les hautes montées des Pyrénées 
occidentales, nous cheminâmes vers 7’illa-Real. 

En nous rendant à ’illa-Franca, nous nous 
arrêtämes à 7’illa-Real où l’on nous servit, 
pour la première fois pendant la route, du vin 


Ff 2 


452 VOYAGES 

de dessert. On y célébroit un mariage. Je pris 
plaisir à voir les danses basques ou fandango, 
qui sont fort lubriques. Le nouvel époux, pré- 
cédé d’un tambourin et d’une espèce de fla- 
gcolet, marche à la tête de la colonne des jeunes 
gens pour chercher, par une évolution 1or- 
tueuse , son épouse que la colonne des jeunes 
filles tente de dérober à sa vue et à ses embras- 
semens, en la placant au centre. On la cache 
ainsi dès que l'époux paroît. «fin, 11 me smble, 
de provoquer les désirs du marié; alors le but 
étant rempli, le son du flageoiet devient plus 
vif, le tambourin redouble ses mouvemens, et 
les évolutions cirenlaires s'engagent. De là une 
mêlée complète à la faveur de laquelle Pépoux 
est réuni à celle qu’il poursuit si ardemment. Une 
exclaration unanime annonce sa victoire. 

Nous arrivämes ensuite à Tolosa, ville de la 
Biscaye, assez importante, où nous couchämes. 
On rencontre sur les routes des environs, des 
habitans montés dos à dos sur les flancs d’un 
mulet bien harnaché , et assis sur des chaises 
(voyez planche XL.) , ce qu’on appelle afler en 
cacolais ; d’autres transportant de la sanguine 
et du fer, objet principal de spéculation que 
fournissent les entrailles de ces hautes mon- 
tagnes. Le costume des habitans de Tolosa 
est à peu pres celui des Vendéens. 


_—_— 
UOSVIPUOI 9P SAN9FVAOA 


"SIU[OOU) Uo JUPE VSOTOL op SINBVAOA 


CLÉ MES An IE 7: 


"AT 3 0 - L Pa . a . A | 
DS, LP RENTAL CINE NET 


myèt : | . - . ES 
Huite 4e PONS CRC HUS CT bons 
: w ; | 
ÿ “a : À ; ; 
MT sûr hr 0 2 dr gene ibn 
“ : . où | - L : A 
| Pen OP A. à tn Ni w,. 


| AE . + LES T4 À + 

: : A CU ”N a pe eles 
: ATH de) À RATE LT 114 : 
FIST Drete e Ri 


UOBVIPUOW 0P SAINIBEAOA 


ee re 
an one 


e] A 
; STP[O9V y Us JuP][e VSOTOT JP SIN9GVAOA 


D'UN NATURALISTE. 453 

Après avoir reconnu Joarson , Andonin et 
Hervania |, nous passâmes à Jron, dernier 
bourg que nous rencontrâmes en Biscaye (1). 
Ce pays montagneux offre des sites imposans 


et dignes du plus célèbre pinceau ; j'y suis 


resté deux heures en extase devant des pré- 
cipices affreux , des falaises caverneuses , hor- 
ribles à la vue , mais d’un riche effet en pein- 
ture. Ces montagnes sont culuvées dans leur 


(1) La Biscaye, dit un auteur moderne, est bornée 
au nord par la mer Cantabrique, à l’est par la Guipuscoa, 
à l’ouest et au sud par la Castille. On y compte une 
ville, vingt bourgs, dix vallées, soixante-dix com- 
munes, et 112,371 habitans, dont la plupart sont dis- 
persés dans les hameaux. Le pays est très-montueux ; 
il abonde en carrières de marbre et en mines de fer. 
La terre est argileuse, et en général de mauvaise qua- 
lité ; mais les légumes sont excellens, et le raisin muscat 
aussi bon que celui de Frontignan. Les Biscayens cul- 
tivent avecsoin plusieursarbresfruitiers. Leurs pommes 
sont renommées; ils en font de très-bon cidre. Les 
marronniers produisent de beaux marrons que les 
Hambourgeois éxportent pour les vendre en Alle- 
magne. Les poires doyennés, beurrés, bergamotes et 
bon-chrétien sont aussi savoureuses que communes. 
Les figues y sont très-bonnes. Le bois y est abondant ; 
et les Biscayens s'entendent fort bien à l'aménagement 
desforêts. Ily a dans la Biscaye cent quatre-vingts mines 
qui fournissent annuellement quatre-vingt mille quin- 
taux de fer. Les mines de ce métal les plus Fenommées 


FF 3 


A54 VOYAGES 

parue la moins abordable , et une riche fer- 
ulité s’y annonce par les irrigations de ruis- 
sceaux hmpides. 

Les habitans y ont nn beau sang , et sont 
laborieux ; ils parlent un patois, ou espa- 
pagnol corrompu, et font éciater dans leurs 
. moindres actions une gaieté vive que leur 
inspire leur parfait état de iberté dans le 
commerce, en raison de la modicité des impôts. 
C'est aussi le séjour favori des nobles peu for- 
tunés, qui méprisent les Casullans comme 
pauvres et toujours mélancoliques. 

Nous traversämes le lendemain le pont de 
hmites, jeté sur la Bidassea, rivière qui sépare 
la France d’avec l'Espagne, et sur les bords 
de laquelle se plaît le Haurier-rose qui y forme 
des berceaux délicieux, Deux sentinelles de 
nation différente occupent les extrémités du 
pont. Désormais nouvelle vie, autre langage, 


sont celles de Sorromestro. Les habitans de la côte 
sadonnent beaucoup à la pêche, et le poisson de la 
mer adjacente à cette province, est le meilleur de l'Es- 
pagne. Les Biscayens sGnt gais et polis, mais d'un 
entêtement qui est passé en proverbe. Les femmes 
aident les hommes dans leurs plus rudes travaux , et les 
dames de ce pays grimpent aussi lésérement que des 
chèvres sur les rochers les plus escarpés. Le climat 
quoiqu'humide est très-sain, 


ITINÉRAIRE DE CADIX A BAYONNE, 


Par l'Andalousie , la Manche, la Nouvelle et la Vieille Casulle, la Biscaye et le royaume 
de Navarre, 


Cantons. Distances. 


Villages ou Hameaux. 


© —— — 


| Noms des Villes, Bourgs, 


De Cadix al Puerto de Santa- 
Maria, par mer. tt 
À Xérez de la Frontéra . : 
la Venta de St.-Antonio. . 
Vtrera. 7 - - 
Mayrénas 4. 4 
Carmona: , + Lu . 
Rio-Frio. 
Ù Ecija . 
la Carlote . 42. . . 
Cordoue , 4... 
la Venta del Carpioz . . 
Aldea del Rio. « . « + 
Anduxar . . ". 


lieues. 


L'Andaslousie.( 


Bailaut 
Gunda Donna F 
la Carolina « « + + + se 
Santa-Helena , « 4 40. «à 
la Sierra Morena.. 2 + « 


la Venta de Cardenas, , . . 
la Venta del Judep.. . ., 
Santa-Crux « + +. .. 
Val de Pénas.. ee 
Menzanarez 
Villa Hart 


|. port la Piz |. . 
A Tremblaque. . ! « . 
la Guardiu . : fase 
Ocana, , + + Î û 


La Manche 


Boutrago, . . 


Aranjueze en 0: 
Val de Moro. , b . 
Toy Madrid, De» 
AS ntesébretien. Pre à 
nouvelle. la Venta Molaris ss 


la Swelta._ . ; ü 
la Venta de Condnilla. - : 
Ja Frezmillo de laFayente . 
Araudass. 27. Eee 
la Vonta della Praéle. . 
Lermu 7 . . t . 


Burgos. 
Royaume f 


de Castille 
viville. 


Pradono. . « L': 
Birbiesca, - : | - 


Pancorvo, . 
Miranda . . 
Vitoria, . , . | 
Salinas. . , 
Mondragon . 
Beurgara. - . 
Villa Réal. , . 

Villa Franca, . 

Tolosa. , » , 
Andonin, . . 

Jogrson . . . 

Orogna .,. . 
Saint-Jean de Lup . . + 
Bayonne, , . « 


Discayo. | 


Départem, des 
Basses-Pyrén, 


LE bb OU 5 b b OU GR ER ob at h DIR OIUIDIEN LIN OI 4 O1 OI O1 O7 Di Or ON O1 + OT Re OR 1 ON 


oraL.... 189 lieues. 


| 
; 


Loue UT, page 495. 


————@——_—_——————————— 


OBSERVATIONS, 


Bonne posade. 
Mauvaise posade, 

Mauvaise posade. 

Bonne posade. 

Mauvaise posade. 

Citerhes. 

Mauvaise posade. 

Bonne posade. £ 

Puits des champs à Godets. 
Grande ville. 

Mauvaise posade. 

Mauvaise posade, 

Bonne posade. 


Mauvaise posgdose = c 
Cheftieu situé sur les bords du Xenil, 


Mauyaise posade- 

Payg nouvellement défriché, 

Culture de l’ancth, 

Maüvaise posade. 

Mauvaise posade. 

Excellent vin. 

ÿauvaise posade, 

Mauvaise posade. 

Lieu des exploits de Don Quichotte. 

Maupaise posade. 

Mauÿaise posade. 

Mudpaise posade. 

Beal pays, maisons peintes à fresque, 
MauVaise posade. 

Ville florissante. * è 
Pays aqueux. 

Côtes montagneuses ct giboyeuses. 

Pays bien arrosé. 

Rivière coulant sur du granit. 

Rivière coulant sur du granit ct cascades. 

Culture du lin, mélezes, thuia, 

Le gibier a une saveur aromatique. 

Culture du lin, ot maisons singulièrement construites. 

Bcau point de vue, prairies: LT er 


Belles promenades. Te 
Lesfemmes y portent leurs cheveux trdîhans, muis (ressés, | 
Pays arrosé ct adossé à des mornes. 

Pays arrosé par lIvro qui fournit des merluches, 
Promenades et jeu de paume. 

Châlaigniers, Pays fertile et arrosé, cascades, 
Pays commerçant. 

Sanguine et mines de fer, 

Châtignes, ot bon vin de dessert, 

Noblesse biscayenne. 

Sañiguine, et mines de fer, 

Voyageurs allant en cacolais, 

Mauvaise posade, 

Mauvaise posade. 

Limites d'Espagne. 

Pays commerçant, 

Pays commerçant, 


454 VOYAGES 


: 
PRES . AD iè 3400 


be disdie 
Biscaye. ) Villa Réal. . 
à Villa Franca. 
Tolosa. 
Andonin. 
Joarson . 
Orogna . . . 


Ë Départem. des ( Saint-Jean de L 
| Basses-Pyrén. Bayonne. 


DUNSNATURALISTE. 455 


nouveaux costumes. Nous apercumes l'île fa- 
meuse de la Conférence. Enfin, après avoir 
traversé Orogna et Saint-Jean-de-Luz, nous 
arrivämes à Bayonne, où nous séjournämes 
quelques jours. ( 7’oyez le tableau iunéraire.) 


Nous en repartimes pour arriver à Saint- 
Vincent, pays aquatique et mal-sain. Les habi- 
ans en étoient presque tous fiévreux ; leur 
costume est à peu près celui des Béarnais. 
On rencontre de Bayonne à Saint-Vincent des 
femmes allant à la récolte de la résine. Elles 
sont vêtues d’un peut chapeau de paille, 
d’une camisole de drap non ajustée à leur 
taille, d’un jupon court rouge ou rayé, 
de bas drapés bleus, et de gros sabots; elles 
portent à chacun de leurs bras un pamier 
d’osier de forme sphérique, ayant à son som- 
met une étroite ouverture , et à leurs mains la 
racloire et le volin. Les hommes les suivent, 
portant une badine en forme de crosse. 


De Saint-Vincent, nous nous rendimes à 
Majès, qui fournit de très-belles moules de 
rivière servant d’aliment aux pauvres de cet 
endroit. Ce pays de sable d’un jaune pâle, 
est trés-boisé en lièges, pins et sapins. On 
passe près d’un étang qui fait un singulier 
contraste par la blancheur de son onde tran- 


A 


456 VOYAGES 


quille, avec le vert sombre des forêts de l’ho- 
rizon. On y récolte du maïs et du peut-mil 
qui remplacent le blé; on rencontre très- 
souvent dans les bruyères des environs de ces 
forêts , beaucoup de lézards verts et de cou- 
leuvres , mais ces repules ne sont nullement 
dangereux. 

De Majés nous fimes route sur Castez , où 
l’on remarque une pente escarpée , effrayante 
pour le trajet des voitures, et ferulisée par 
deux rivières. On rencontre dans les forêts 
de pins de ces parages, les habitans, hommes 
et femmes, munis de paniers propres à rece- 
voir la résine, d’un gout ou volin pour 
entailler l'arbre et en enlever les lanières de 
son écorce, puis d’une racloire pareille à celle 
du ramoneur, mais assujettie à un long bâton 
qu'on proméne de haut en bas pour ramas- 
ser et détacher la résine, et la faire couler 
dans des sacs ou paniers placés au bas de 
l'arbre. Un pin taillé sur les quatre faces, 
donne un revenu annuel d'environ dix sous. 
Après quarante où cinquante années de pro- 
duit, on coupe sa quille, on fend les büches 
qu'on met dans un fourneau, ou bassine car- 
relée et trouée à son centre pour l'écoulement 
du brai liquide : pour opérer cette distillation 
per descensum, où recouvre le fourneau de 


D'UN NATURALISTE. 457 
mottes de bruyère, de manière que ce dôme 
soit imperméable aux vapeurs ascendantes. Le 
feu étant mis sous le fourneau, le bois du 
pin s’échaufle , et la résine suinte dans un 
réservoir pratiqué au dessous de la bassine. 
Cette opération , désagréable au maniement , 
entête ceux qui ne sont pas habitués à cette 
odeur forte, mais elle procure de belle résme 
épurée , si précieuse pour les brais et pour les 
goudrons nécessaires à la marine. 


Après avoir passé à Harie, à la Bouerrgh 
et à Muret, à la distance de Bordeaux de onze 
lieues, nous arrivâmes à Belain que l’Aïsne 
arrose, disposés à en repartir le lendemain pour 
les Landes. s 

Nous traversämes ces Landes, qui sont de 
vastes plaines de sable et de bruyère , parsemées 
ça et la de forêts de pins, dont les produits 
font le commerce principal du pays. On uüre 
aussi de ces contrées désertes les mâts de cha- 


loupes et autres petits bâtimens , ainsi que 
ceux de hune et de perroquet. 


On y rencontre également des chènes verts 
ou yeuses, et l’arbre dont la précieuse écorce 
donne ie liége. 

Ces Landes, qui sont presqu'inhabitées , 
sinon par une peuplade différant en tout des 


458 VOYAGES 

mœurs de nos pays, ont trente lieues d’é- 
tendue du midi au nord, et quinze dans la 
largeur de l’est à l’ouest. La rivière d’Adour 
les traverse dans leur parte méridionale, l'Océan 
Jes borne au couchant. 

Les habitans de ces rustiques contrées sont 
pauvres , et vêtus comme on représente la 
Folie; ils n’ont pour retraite, dans leur isole- 
ment, que des cabanes mal construites, mais 
trés-élevées, dans l’intérieur desquelles ils sont 
obligés de pénétrer, grimpés sur leurs échasses. 

Beaucoup d’entr'eux, les bergers surtout, 
n'ont pour se mettre à l'abri des injures de 
l'air, que des tentes placées et déplacées, 
selon le pacage de deurs bestiaux ; 1ls couchent 
à terre sur des peaux de moutons, et toujours 
habillés ; 1ls se recouvrent, en guise de draps, 
d'autres peaux des mêmes animaux : jamais 
le Jin blanc ne vient rafraîclur leur corps tou- 
jours investi de graisse , et exhalant une odeur 
rance. 

Les habitans des Landes sont presque tous 
chasseurs : ils tendent des pièges aux lièvres 
ümides , communs en ces parages ; à la perdrix 
confiante qui vient trouver la mort dans leurs 
appäts, et aux cannes-pétraces qu'ils prennent 
sur Jeurs nids. Ces ressources de la Nature 
leur procurent toujours une nourriture dél- 


D'UN NATURALISTE. 439 


cate, mais dont ils ürent un trés-mauvais 
parti, par des assaisonnemens baroques qui 
rendent ces mets dégoûtans. Ils marchent tou- 
jours armés de leur fusil, et vendent le superflu 
de leur gibier dans les villes voisines de leur 
habitauon. 

Les habitans des Landes de Bordeaux ne 
font point de pain , et remplacent cet aliment 
par excellence, avec des cruchades, espèce 
de pâte faite avec de la farine de maïs ou de 
millet ; 1ls trempent ces cruchades dans de la 
graisse de lard , et font ainsi leurs repas des 
jours de la semaine. Les travailleurs trouvent 
à leur rentrée des champs leur part préparée 
par la maîtresse, qui ne double jamais cette 
poruon. ls se nourrissent l'été de fruits, et 
ne boivent du vin que les jours de fête. Alors 
les familles se rassemblent, et célébrent leur 
repos par ane danse grotesque. 

Dès l’âge de dix ans , les enfans cessent d’ha- 
biter avec leur père; 1ls se construisent eux- 
mêmes des cabanes, ce qui les rend laborieux 
et vigilans ; ou bien 1ls couchent dans les granges, 
sans jamais se déshabiller. 

Ces habitans nourrissent leurs bœufs d’une 
mamere bien frugale: chaque ration consiste en 
douze poignées de paille, au milieu de laquelle 
ils mettent quelques pincées de sel et de son. 


460 "VONACES 

Les habitans des Landes s’éloignent de leurs 
demeures, les uns pour laisser paître à l’aven- 
ture leurs troupeaux dans ces plaines arides et 
immenses ; d’autres pour chercher des forêts et 
y faire du charbon. Dans ces sortes d’émigra- 
tions , ils ménent une existence sobre et frugale. 

Ils s’occupent pendant l'été de la fenaison , et 
pendant lhiver ils se rassemblent pour se con- 
soler entr’eux, à la lueur d’un feu péullant, 
des horreurs de cette saison ennuyeuse. En vain 
la neige et les frimats les environnent de toutes 
parts, on ne cesse d'entendre leurs chants et 
leurs cris d’alégresse. 

Rien de plus comique que d’apercevoir de 
loin à lhorizon de grands fantômes s’avancer 
à grands pas au moyen de leurs échasses , dévorer 
les espaces, pour ainsi dire, et surveiller à fa 
fois les flancs et la tête de leurs énormes trou- 
peaux qu'ils enjambent, sans même les effrayer. 
C'est par ce moyen ingénieux qu'ils rassemblent 
en un moment les moutons qui se sont trop 
tloignés, et qui ont à redouter dans ces écarts 
lointains la dent meurtrière des loups, si com- 
muns en ces déserts où 1ls sont attirés par ces 
proies journalières. Un de ces bergers s'étant 
approché de nous, nous remarquâmes avec plus 
d'attention son costume original. 


Au lieu d’un chapeau, ce berger (pl. XI.) 


_#Pos 


: 
are 


Ft 
rer Ets 


= gs DEL 
= anis né UE 


REA za 

= à 
= ÉSSLCS O ÿ « Ÿ 
SE à LS nn snninh anges arr autre Ness : 


NOTE FX 


Lana amas HE € 20e AA A ÉRRAE ES VAN 0 9) KE, MSbnthbnathtansiattmainsahdl RUE 


Grant A Ad bn nm ats bin dacs À 


7 G 


cn Las 
pnsstnn 4 
nos fi is } 
are 4 
panri tes à 1 
f: 
À A % + 
ñ AS 34 
{ Ets { 
Q FES RER: 1 £ 


à Ne . 


ns RENTRER 
bo ane D x CRLÉEMTELLTEU LIT Aus 


À TE 


ns 


OA SA RENAN ANIAE MANS RAA EAN ANE 


DA LA 


£ 2 TARA LUTEET LELET OPEL UP FAIPETTEN TETE 


° 


COMTE 


1 


andes de Bordeaux. 


s] 


de 


» 


2eTs 


2 


e des Ber 


et d'Ef 


F 


Hvve 


Costumes d 


i &" k 


$ 
#4 Ru 
{ 
M Le 


ANT 


…\! ht 
uk: # 6,» 2 ET! 
ée … «25 


ï < 

LEE Tarn FE ENTRE PARTIE. 

“+ dm D 4 # Fan ce RATE 
x N: 2 


tele A RAA CE ft 


che çi biere 


43 : L . N'R 
DER OU i ' » 0 - : 4 RS PE ts tele PC: 
“ ” ’ 
Ts EX & ‘ 
RTE : ' û 2 4 EL 
cheitEs LS 5” h et 
! 
; : k 
à à à - " k 
; : 
à 
{ . CHE u “+ L A ou n 
Shi 4j LU IT TAN ge = Se . N 
û dE . 
1] 
a 


a + - : 
+ À. %, > 
» 7. Sage 46. pa 


Ld TT. | Re ON ge” 
% "1 | 


Le SES 
i we ; 
£ ‘ 
e | \ 
. 
3 “ 
L ! 
. VE 
… , . L : 
, 
« . L F1 k j 
rs 2» 
DE j 
; ; &; 
; i ERA "] 
; 


D'UN NATURALISTE, 46t 


portoit une barrette, à l'exemple des Béarnais : 
:l avoit un gilet brun à manches , surmonté d’un 
doliman de peau de mouton, la laine en dessous, 
parce qu’il faisoit froid ; deux autres peaux de 
mouton réunies par un bandage lui servoient de 
bas, et se marioient aux fourrures de ses gros 
sabots ; 1l avoit par dessus cet accoutrement un 
grand manteau gris, et sa tête étoit recouverte 
d’un capuchon dépendant de ce manteau , den- 
telé vers tous ses bords recouverts de morceaux 
de drap de couleurs vives, et ornés de crins de 
cheval. 

La hauteur des échasses de ces bergers accé- 
lère si prodigieusement leur marche, qu’un 
cheval au trot a peine à les suivre. Îls en font égale- 
ment usage lorsqu'il s’agit de franchir des marais 
el des fossés de vingt à vingt-cinq pieds de largeur. 
Le bâton qui leur sert à cet effet et destiné à pro- 
iéger leur équilibre, est surmonté d’une pom- 
mette de six pouces environ de diamètre , et qui 
sert en arc-boutant à appuyer leur siége et à les 
reposer. Îls restent dans cette position des heures 
entières , et considèrent leurs troupeaux avec 
autant de sang-froid que d’autres bergers plus 
mollement assis sur le gazon. Quand dans l’inté- 
rieur de leurs cabanes, dont les portes fort 
élevées n’ont pas de barres ni de traverses, ils 
veulent quitter leurs échasses, ils s’asseyent sur 


462 VOYAGES 

des armoires, et y débouclent les montans de 
ces Jambes gigantesques. Si c’est en plein champ, 
ils se placent sur un arbre, quand ils ont le 
bonheur d’en rencontrer , ou bien ils le rem- 
placent par leur bâton de support dont ils savent 
alors se contenter. 

Les brancards de notre voiture ayant essuvé 
un échec dans la route , je fus charmé de profiter 
de cet incident pour pénétrer dans l’intérieur 
des habitations de ces bergers. 

Les habitans des Landes sont très-hospita- 
liers, et ne refusent jamais aucun voyageur. Il 
semble que la Providence dispose en leur faveur 
les cœurs de ces braves gens en raison de Ja 
nullité d’autres ressources à espérer dans ces 
déserts spacieux. a 

Les femmes ont pour coiffure, les jours de 
travail, une espèce de turban formé par la réu- 
nion de plusieurs serviettes. Les jours de fête, 
c’est un bonnet blanc garni de dentelle rouge, qui 
relève l’'embonpoint des habitantes des Landes. : 

La piété est la première de leurs vertus , et 
fidèles à la foi catholique, cette religion devient 
leur plus puissante consolation dans les événe- 
mens pémbles de la vie: quand il tonne, la 
femme la plus âgée arrose la chambre d’eau 
bénite, et invoque hautement lassistance du 
Seigneur Dieu du tonnerre. 


D'UN NATURALISTE. 463 

Ces heureux pâtres ont pour le mariage des 
coutumes assez bizarres. Lorsqu'un jeune homme 
veut se marier, 1l se présente avec deux cruches 
de vin chez le père de la fille qu'il veut épouser, 
et on lui ouvre la porte sans difficulté; alors tous 
les membres de la fanulle se lèvent, et on fait une 
omelette. Au dessert qui est le moment décisif, 
si la proposition n’est pas acceptée , alors la fille 
apporte une assiette pleine de noix en signe de 
refus : l'amant est obligé de sorur, et de ne 
jamais revenir en cette maison. 

Les cérémonies funébres se font avec beaucoup 
de respect pour les morts, et elles sont toujours 
terminées par un grand repas de famille, où lon 
rassemble également les amis du défunt. 

Voilà ce que j'ai pu apprendre des mœurs et 
coutumes des habitans des Landes, qui nous 
virent parür à regret. 

Arrivés à Bordeaux , nous y passämes peu de 
jours, car il me tardoit , après une aussi longue 
absence , de revoir un fils doublement chéri, un 
bon père , des parens et des amis, qui me recu- 
rent avec transport dans les bras de la Nature et 
de l’Amiué. 


Fin du troisième et dernier Volume. 


DE L'IMPRIMERIE DE J.-L. Canson, 
rue et Maison des Mathurins , n° 10, 


eV ER ER RRLE LL ET ELU URL R RL R 


TABLE 


Des mauères du Tome troisième. 


Ayame-rsoros. Page 5 

Division de l'Ouvrage. Du Caïman. 

Caapirre Ier. Utilité pour l'Histoire naturelle, de 
donner une idée juste du Crocodile de St.-Domingue, 
afin d'éviter une confusion déjà trop grande dans 
les nomenclatures. ‘Tableau comparatif. Parallèle du 
squelette avec celui du Crocodile du Nil. Iappartient 
plutôt au Crocodile qu'au Caiman, décrit dans la 
nouvelle Encyclopédie ; mais c’est une espèce parti 
culière , et qui n'atteint jamais la tulle de celui du 
Nil. TE 

‘Tableau méthodique du genre et des espèces de Croco- 
diles, par M. Cuvier. :6 

CaapiTRE IL. Physiologie raisonnée du Caïman de 
Saint-Domingue. Proportions du sujet décrit, ayant 


quatre pieds huit pouces. 18 
CuaAriTRE I IT.Ostéologie du Caiman de St.-Domingue, 
le sujet décrit ayant quatre pieds huit pouces. 56 


CaapiTRe IV. Examen comparé de Myologie et 
Névrographie. idem. 
Cnapirre V. Splanchnologie , ou Examen du larynx, 
de l'œsophage, des poumons, des lobes du foie, 
de la rate, du cœur, du pancréas, et autres vis- 
cères, 37 
CHariTREe VI. Examen des organes de la génération. 
À 
CHariTRE VII. Préludes de son amour; détails sur 


son accouplement ; et indication de l'âge auquel il 
peut produire : assertions appuyées d'un tableau tracé 


par l'expérience. id. 
CuapriTREe VIIL Conduite du Mâle et de la Femelle 
avant et après la poute. sh 


Caapirre IX. Naissance du Petit, et ses diverses 
positions dans l'œuf. ; 58 


CHAPITRE 


TABLE. 265 


CHAPITRE X. De ses mœurs; des ruses qu'il emploie , 
et de la finesse de son odorat. Pace 62 
Réfutation du voyageur Williams Bartram , sur l'article 
du Crocodile. 2 
CaaprTRe XI. De la chasse qu’on fait au Caïman dans 
les lagons et au bord de l'eau; de la manière de 
découvrir les nichées au frai de la femelle, et du 


_ danger éminent de cette chasse. r 
Cuarirre XII..De la chasse en canot, 8: 
Cæapirre XIII. De la chasse aux repaires. 87 


Extrait du rapport fait à l'Institut de France, sur un 
Ouvrage manuscrit relatif au Crocodile de Saint- 
Domingue. 98 

Explication de la planche TIT. Splanchnologie. 105 

Anatomie de la langue, du larynx et de la trachée- 
artère. 106 

Explication de la planche V. Œufs du Caïman. 108 

Essai «ur les mœurs et coutumes des habitans de Guinée, 
à Saint-Domingue. 109 

Avant-propos. 111 

Introduction de l'essai sur les mœurs des Guinéens. 115 


CHAPITRE Ier. Nècres Dunkos, et Aradas. Belle 
stature de ces peuples. Atiachement prononcé des 
femmes pour les hommes, etc. 116 

CHariTRE II. Nègres de Fida. Les femmes y sont 
extraordinairement coquettes, mais tatouées, 124 

CHAPITRE III. Coutumes funéraires des nècres 
d'Essa. 125 

CuariTRE IV. Cruautés des nègres d'Urbas leur 
conduite arbitraire en cas d'un meurtre commis. 
Obsèques du corps assassiné, etc. 127 

CnapirRe V.Les nègres Aminas croient à la Métemp- 
sycose. Mère ayant sacrifié ses enfans à Saint- 
Domingue , pour les dérober à l'esclavage. 150 

CuariTRe VI. Les nègres Ibos sont fidèles dans leurs 
sermens d'amour, etc. 152 

CHariTRe VII. Candeur des jeunes nésresses de 
Beurnon. Considération des prétendues pour leurs 
époux futurs. Soumission des femmes envers leurs 
maris, etc. 157 


Toue IL, Ge 


4GG TABLE. 
Caapirre VIII. Les Mozambiques professent la 
religion catholique , qui leur a été communiquée par 


les Portugais, etc. Page 148 
Cuapirre IX. Sépulture des rois de Dahomet, Leur 
barbarie euvers leurs prisonniers, etc. 15t 


CuaprTRe X Les Akréens, Crépéens et Assianthéens 
ont la peau et les cheveux diversement nuancés. 
Leur nourniture. Idée de ces peuples sur l'existence 
de Dieu, etc. ; 155 

CuariTRE XI. Murs des Phylanis. Ils mènent une 
vie errante. Lieux qu'ils choisissent pour y camper, 
eux et leurs troupeaux, etc. 160 

Cuapiire XII Les nèses de Diabon sacrifient les 
étrangers à leurs dieux. Empire des prêtres de Bodé : 
leur criminelle autorité. Les étrangers immolés, et 
l'assassinat toléré. Religion des nègres d'Ufé, bien 
opposée à celle de Diabon et de Bodé. 172 

Caaprirre XJIL. Caractère des Congos. ls n’ont aucune 
considération pour les vieillards. Parure des Congos. 
Ils aiment passionnément le tafia, et recherchent 
la chair musquée du crocodile. 195 


Caaprirre XIV. Idée des Vaudoux. Définition du 
mot. Leurs opérations ridicules et emphatiques. 
Maladies qu'ils donvèrent à un habitant de la Petite- 
Rivière, plane de l'Artibonite , et à des nègres dont 
ils étoient jaloux. Sortiléges prétendus. Prédiction 
faite à Toussaint-Louverture, chef noir à Saint- 
Dominque. ‘Tours facétieux que les Vaudoux se 
plaisent à faire dans les calendas. 180 


CrapriTRE XV. Caractère des nègres créoles à Saint-- 
Domingue. Intérieur de leur ajoupa, etc. etc. 188 


Dénombrement de diverses peuplades guinéennes. 228 
Résultat des nuances produites par les combinaisons dæ 


mélange des blancs avec les nègres, etc. 229 
Détails de ma captivité. : 23% 
Avant-propos. 25 


Hmpire arbitraire des noirs, avant l'arrivée’ du Capi- 
tuine-Général Leclerc. 239 


T AB LE. 467 


Règne de Toussaint-Louverture ; son pro'et d'indé- 
pendance présumée par l'hiérarchie de ses pouvoirs. 

| Page 240 

Réception que me fait M. Roume, agent du Gouver- 
nement, | £ 241 
I] me charge d’un travail sur l'anatomie du caïman de 
Saint-Domingue. id, 
2 : . K. 
JInquiétude de ‘Foussaint-Louverture, au sujet de ma 
conférence avec M. Roume. id, 
Toussaint m'accorde une nouvelle autorisation de 
voyager dans l'intérieur de la Colonie avec quatre 
guides, pour protéger mes courses d'histoire natu- 


relle. id, 
Vénalité des gendarmes nègres. 244 
Vexations des propriétaires. id. 
Partage agraire en faveur des cultivateurs. id. 
Pénétration littéraire de ‘Foussaint-Louverture. 245 


Vie privée de ‘Toussaint-Louverture. 


240 
Etiquette de sa cour. 


247 

Caricature du colonel noir Gimgembre Trop-Fort.  ïd. 
Parure affectée des officiers noirs. 245 
Méfiance de ‘Toussaint - Louverture dans l’obscu- 
rité. id, 


T'oussaint-Louverture simmisçant aux fonctions du 
sacerdoce, et honneurs qui lui étoient rendus à l’église. 

| 249) 

Vie active de Toussaint-Louverture. 250 
Son goût pour les honneurs. id. 
Abus d’autorité de la part de Toussaint. 294 
Toussaint offensé de ce que je lui parlois créole. xd. 


Qualité de sa prodigieuse mémoire. id. 
Sa passion pour les beaux chexaux. 252 
Sa représentation en présence des étrangers. id. 
Son exigeance pour les visites. 253 
Rivalité des deux chefs pour leur musique militaire 

aux repas de corps. id. 
Caractère anti-harmonique de Dessalines. id, 
Parallèle de ‘Toussaint et de Dessalines. 254 
‘Jyrannie superstitieuse de Dessalines , à l'ouverture de 

sa fatale tabatière. id, 


Gg 2 


468 TA BL E. 

Son ininutié pour les hommes de couleur. Page 255 
Bonté généreuse de Mme Dessalines. id. 
Massacre de prisonniers mulâtres aux Gonaives. 256 
Horreurs exercées contre les parens qui venoient leur 


donner la sépulture. 257 
Canonnade aux Gonaives, des hommes de couleur 
prisonniers de la partie du Sud. 258 
Vie privée de Dessalines. 264 


Vexations envers les blancs sur leurs propriétés. 263 
Yyrannie de Dessalines pour le paiement de ses 


créanciers. . 268 
Punitions atroces qu'il infligea, comme inspecteur 

général de la culture. 271 
Dessalines me recommande aux nègres. id. 
Projets honucides du commandant ‘Fitus. 272 
T1 persiste dans l'intention de m'empoisenner. 273 
Titus exécute son projet criminel; suites de mon 

empoisonnement. 274 
Dessalines modifie d’une manière cruelle la discipline 
- militaire. 27h 
Ce tyran condamne sans entendre et d’après son senti- 

ment intime. 276 
Tenue de ses soldats , et leurs coutumes. 14, 
Ils se glorifient du nom de militaire. 277 


Toussaint-Louverture projette au Cap de rendre la 
colonie indépendante, et ordonne le massacre de 
tous ceux qu'il croit devoir s'opposer à ses projets. 278 

1! sacrifie son neveu Moyse comme rebelle à la France, 
mais plutôt parce qu'il s'étoit permis des réflexions 
contre la possibilité de l'indépendance. 279 

Dessalines est instruit de l'expédition française, parune 
correspondance intercepiée. Sa harangue au bourg 


de la Peute-Rivière. id. 
Espnit et adresse de T'oussaint-Louverture aux Colons à 
l'arrivée des Français. 280 
Frayeur du vieux Louis, armé de pied en cap. 281 
Proverbes de Dessalines au sujet de la nouvelle expé- 
dition, id. 
Assassinat du maire de Saint-Michaël, par ordre de 
T'oussaint-Louverture. 263 


Il prévient ses soldats contre l'expédition française. 284 


PLAT AL: EE, 469 


Tyrannie des noirs à l'arrivée des Français. Seconde 
arte. 


Page 285 
Incendie du Cap. 286 
Arrestation des blancs. 287 
Préparatifs de leur supplice. 288 
Leur transport à la Petite-Rivière. 289 
Trait héroique de M. Desdunes-Lachicotte, 290 


Angoisses qu'on fait éprouver aux blancs pendant leur 
conduite à la Petite-Rivière. 202 
Nous apaisons la férocité de nos gardes par des pré- 
sens, 204 
Procédés généreux des habitans de couleur du bourg de 
la Petite-Rivière. ‘205 


Dévouement exemplaire de labbé Vidaut à la cause 
des opprimés. 


206 
On nous accorde la ville pour prison. A 
Nuits douloureuses que nous eûmes à passer. 297 
On attente à notre vie. 299 


Emprisonnement des blancs. 5ot 
M. Say vient me délivrer, comme étant utile aux ma- 
lades de l'armée. 502 
On me traduit devant Dessalines, qui me manque de ses 

pistolets. 


503 
1lme condamne à mort. 304 
Dangers auxquels je suis exposé. 505 


Nuit horrible du massacréxles blancs à la Petite-Rivière ; 
et détails à ce sujet. 506 
Un nègre que J'ai guéri devient mon libérateur en cette 
nuit de sang. 510 
L'asile divin est souillé, et l'autel teint du sang inno- 
cent. “hE: 
Courage et conduite louable de l'abbé Vidaut, qui 
sauva beaucoup de blancs. 313 
Assassinats des prisons. no? 752% 
Les assassins forcent un fils de boire dans le crâne de 
son père qu'on lui a fait poignarder. 515 
Martyre d'un vieillard octogénaire et des blancs du Gros- 
Morne. 517 
Fribut payé à l'amitié. 514 
Nouveaux massacres des blancs qui ont échappé au 


premier, 320 


470 TABL LC 


Cruautés commises à l'égard de femmes enceintes et 


d'enfans. Page 321 
Service rendu par M. Péraudin. id. 
Nouveaux dangers que je cours en me rendant à l'am- 

bulance Lucas. 20 
Chiens mis à la poursuite des blancs échappés au mas- 

sacre. 522 
Âssassinat de Mrs Desdunes-Poincy, Desdunes-Lachi- 

cotte et Alain. id. 
Courage héroïque. Présence d'esprit d'un basque pour 

échapper à la mort. 329 
M. Rospitt n'est point aussi heureux. 1. 
Horreur ressentie à la vue d’un assassin blessé qu'on 

m'ordonna d'amputer. 1d. 
Ordre de transférer les ambulances au Calvaire ( habi- 

tation Miraut ). 524 
Cruauté des soldats, même envers les animaux domes- 

tiques. . id. 
Je suis menacé par les blessés , et sauvé par le généreux 

Pompée mon nègre infirmier. n 
Rencontre d’une suivante de Mme Dessalines au mo- 

ment où j'allois expirer de besoin. 329 
Effets d'une faim dévorante. 1d. 


Conduite généreuse de Pompeée à mon égard. Per- 
plexité que j'éprouvois au milieu de nègres qui vou- 


loient me trouver des torts, 527 
’ : ; 
Abus du pillage. 14, 
Rencontre de M. Säjus, en qui les dangers ont troublé 

la raison. id. 
Détails sur son assassinat. 529 
Mes succès dans les cures des blessés m'’acquièrent de la 

célébrité. 330 


Déclaration de ma garde d'honneur, qui avoit l’ordre 
de me fusiller au moindre projet de désertion. 33: 
Complot formé contre moi parles infirmiers nègres. 24. 
Les malades jurent de me défendre. 352 
Punition infligée à Sans-Soucti chef de la sédition, et 
aspirant à ma place d'inspecteur-général des ambu- 
lances. | Id. 
Dessalines, me croyant trop heureux d’avoir échappé à 
la mort, me ine donne aucun traitement. 353 


T À BL E. k7i 


Massacre des soldats espagnols au camp de Plasac. 
Page 333 
Dangers que je cours en cette nuit malheureuse. id. 
Nouveaux supplices exercés contre les soldats espagnols 
qui avoient échappé au premier massacre de 


Plasac. ÿ 5355 
Nouvel ordre de transporter les ambulances dans les 
mornes des Cahaux. 336 
T'errible responsabilité qui m’est annoncée. id. 
Marche intrépide de la colonne française. 337 


Mon désir de la rejoindre, mes projets découverts. 338 
Un assassin m'amène son fils blessé par l'explosion 

d'un magasin à poudre. id, 
Une fausse attaque nous fait lever lambulance. 339 
Mort du soldat brûlé qu’on m'impute injustement. 340 
Nouvelles trames conçues contre moi par le com- 


mandant Léandre. 341° 
Cultivateurs lassés de la tyrannie qu’exercent envers 
eux ceux de leur propre couleur. 342 
Les capitaines ont droit de vie et de mort sur leurs 
subalternes ; anecdotes à ce sujet. 344 
Les nègres de houe regrettent leurs anciens maitres. 545 
Nouveaux crimes des nècres. 346 
Ordre reçu de transporter nos ambulances au Cal- 
vaire. 347 


On trouvele corps de l'assassin Aignan, rénovateur de la 
chasse aux hommes au secours des chiens,  . 348 
Le nègre Diaquoi vient me prévenir d'un nouveau 


complot contre moi. 349 
Notre projet de fuite. 350 
Nous sommes découverts et conduits au fort de la Crête- 

à-Pierrot, 30: 


Notre réception par Dessalines, au fort de la Crête-à- 
Pierrot, Il me menace de la mort si les Français qui 
doivent venir à l'assaut sont victorieux. 555 

Attaque du fort, ordre impérieux qui m'est donné de 
ne point paroitre. 354 

Cruautés exercées envers les blessés de l’armée fran- 
aise, id, 

Dessalines éprouve au milieu de l'assaut une chute qui 
liuquiète. Il me fait appeler. 356 


459 TABLE. 


Il refuse par méfiance une potion vulnéraire qu'il 


m'avoit d'abord demandée. Page 557 
Dessalines arrété dansses victoires, devient rêveur et 
pusillanime. id. 


Il n'est plus somptueux dans ses vêtemens, et cherche 
à faire ignorer son titre sous des costumes étran- 


3 558 
Il harangue ses soldats. 559 


Il quitte le fort en désespéré, et loin de me permettre 
de le suivre, 1l ordonne au chef d’artillerie de m’en- 
fermer lors de l'évacuation, dans le magasin à 
poudre auquel on aura eu soin de mettre une 
mèche. 361 

En remettant cet ordre d’une main, il me tend l’autre 
en souriant et en m'engageant à prendre courage. 1d. 

Effets désastreux du bombardement de la Créte-à- 


Pierrot. 562 
Pénurie absolue de vivres et d’eau. 563 
On me retire les infirmiers blancs pour les occuper à 

faire des cartouches et à fondre des balles. id. 
‘Fribut d'amitié envers M. Masson-Durondon, id. . 
La disette augmente , et les assiégés demandent l'éva- 

cuation de la forteresse, ou la mort. 564 


La garnison du fort est presqu'entièrement victime par 
l'éclat des bombes. 565 
Effets singuliers des bombes. 366 
Les officiers noirs à la veille d'évacuer le fort perdent la 
tête, et craignant de tomber entre les mains des Fran- 
ças, sempoisonnent avec mon epium. 567 


On se dispose à une excursion vers les mornes des 
Grands-Cahaux. 365 


On fait une sortie du fort. Méprise des soldats de part 
et d'autre, 369 


Dancers que je cours en m'élançant du haut du bastin- 
guage pour fuir et rejoindre l'arméefrançaise. 370 
Plusieurs autres blancs se réunissent à moi, et nous 
sommes reconnus par la sentineile des avant-postes, 
et présentés au général Leclerc par l'adjudant-général 
Huin , fordonnateur Colbert, et le commissaire des 
guerres Leclerc, tous les trois mes amis, 551 


é 
F A BL E. 473 

Les Français s'emparent du fort de la Crête-à-Pierrot 
après son évacuation. Page 372 
Nouvelles trames des noirs depuis l’arrivée des Fran- 
çais. 574 
Après quelques heures de repos je fais route vers le 
Port-au-Prince , où je suis présenté au général Dugua, 
chef de l’état-major-cénéral 575 
On me décerne , d’après l'examen de mes manuscrits, 
le cordon noir de mérite, et une pension de 6600 fr. 

à dater du jour de mon arrivée dans la colonie. cd. 
La révolution que me fit éprouver mes malheurs me 
rendit pensif; on s'opposa à une application qui 


pouvoit me devenir. funeste. 3 
T'rames horribles de Dessalines contre les blancs qu'il 
fait empoisonner. id. 


Andouilles faites avec les intestins d'hommes morts de 
la maladie du pays, vendues dans les marchés par 
ordre de Dessalines. 578 

Nouvelles preuves de la trahison de Dessalines. Conver- 
sation à ce sujet entre un infirmier nègre et un 


fossoyeur de la même couleur. 579 
‘Tournée avec le général Huin à l'Artibonite , où nous 
fûmes sur le point d'être assassinés. 581 


Nous sommes forcés en nous échappant, de demander 
asile au commandant Titusd’'Anache, qui nousempoi- 


sonne. 353 
Démarche de nos nègres pour nous engager à retourner 
sur l'habitation de l'Etable. . 384 


Suites funestes d’une maraude dans le pays ennemi. 385 
Anecdote concernant un officier de la cinquième demi- 


brigade légère. 590 
Les révoltés déplorent leur fatal avantage. 591 
Les Anglais protésent visiblement la funeste insut- 

rection des nègres. id. 
Je suis présenté au général Thouvenot, successeur du 

général Dugua. 592 
On nr'accorde une exatification. 1, 
Moyens de rétablir l’ordre à Saint-Domingue. 595 


Nouveaux massacres de blancs. 395 
Sacrilége de Toussaint-Louverture qui foule un crucihix 
sous ses pieds. : 596 


474 BAPE LC E 

Départ de St-Domingue pour la France, sur la corvette 
Latorche. Page 507 

Nous mettons à la voile le 4 prairial an x1; je lie” 

_ amitié avec MM. Dalvimart et Bazin, tous deux 
remplis de talens. | 598 

Nous mouillons dans la baie de Cadix, le 8 fructidor 
an XI, après avoir élé vainement poursuivis par 


un vaisseau anglais. id. 
Description de l'extérieur de Cadix. 399 
Visite des membres du comité de santé. id. 
On nous condamne à faire la quarantaine. id. 
Nature du lieu de notre exil. 400 
Détails sur notre quarantaine. 401 
Incendie d'un brülot lancé par les Anglais. 402 
Débarquement à Cadix. 405 


Observations sur la ville. Les coutumes espagnoles, 
et les droits d'importation et d'exportation. 405 
— sur son commerce, et les deux salles de spec- 


tacle. 407 
— sur les décorations militaires, et sur la parure des 
dames espagnoles. 410 
— sur les fruits. 411 
Remarques sur les deux colonnes d'Hercule, servant 
aux débouquemens,. 412 
Départ de Cadix pour Bayonne. Voyage par 
terre ; et arrivée au port de Sainte-Marie. id. 
Départ de Sainte-Marie, province de lAnda- 
lousie. 413 
Observations de la route. id. 


Nous foulons le talcite et le granit, avant d'arriver 
à Xérès de la Frontéra, village situé près de la 
rivière de Guadalète. 414 

Nous traversons la Venta de Saint-Antonio, Vtrera, 

, Mayreéna, Carmona et Rio-Frio, pour arriver à 


Ecija. | 415 
Détails sur cette ville. id. 
Entrée dans Cordoue. 416 


‘empérature agréable de cette ville; description de 

la cathédrale, et détails historiques sur Cordoue. 417 
Des chevaux andalous. 419 
Jounes servant à renfermer l'huile. id. 


Tndolence des Espagnols. Page 420 
Costume des soldats de notre escorte. 1d. 
De la culture de l’aneth. 421 
Les Espagnols sont aimants. id. 
Description des environs de Cordoue. 422 
Départ de Cordoue pour la Venta del Carpioz ; des 
chasses de l'Espagne. 423 
Après Aldea-del-Rio, nous nous rendons à An- 

duxar. A 
Détails sur la route, 24 
De Baileu, de Guarda-Dorman, de la Carolina et 

de Sainte-Hélène. 425 


: Des montagnes fertiles de la Sierra - Morena, de la 
Venta-de-Cardenas, de la Venta-del-Judeo, de 
Santa-Crux, où je fis usage de’ mes connoissances 
en médecine, pour être mieux reçu dans les po- 


sades. 426 
De Val-de-Pénas, de Menzanarez, et de Villa- 
Harta.. td, 


Du Port-la-Piz, de Tremblaque et de la Guardia, 
où se trouve un antique tombeau du roi des 
Maures. . id: 

Cérémonie funéraire pratiquée à la Guardia. 428 

D'Ocana, et des dangers que nous fit craindre la 


rencontre d’une troupe de voleurs. 429 
Arrivée à Aranjuez. 450 
Des principales rivières d'Espagne. 453t 
Entrée dans Madrid. id. 
Description de la ville ; nature de son climat, 432 
Combat du taureau. 454 
Des environs de Madrid. 440 
Rencontre agréable de MM. Crescentin: et Libon, 

artistes célèbres. id. 
Moœurs et coutumes des habitans de Saint-Sébas- 

lien. 44gt 
De la Venta-Molaris, de la Suelta, et de La Venta- 

de-Coronilla. :d. 
De la Frezmillo-de-la-Favente. 442 
D'Aranda, et des troupeaux d'Espagne. id. 


De la Venta-della-Praële. 444 


456 TAB LE 

Description de la ville de Lerma, et de ses envi- 
Tons. | 7 Page 445 

De Burgos. 447 


De Pradano, de Pirbiesca, et de Pancorvo. 448 
De Miranda, Vitoria, et du site enchanteur du 

couvent de la Poevela. 449 
De Salinas et de Mondragon. 450 
De Beurgara, Villa-Real, et de Villa-Franca. 451 
De Tolosa, où lies habitans vont en cacolais. 452 
De Jocrson Andonin , Hervania et Jron. Détails 


sur 11 Discaye. 453 
D Orogna et de Saint-Jean-de-Luz, de Saint-Vincent 

et de Mayés. 455 
De Castez. 456 
De Harie, de Bouerrgh, et de Muret. 457 
Des Landes de Bordeaux. id, 
Moœurs et coutumes des h:bitans de ces Landes. 458 
Arrivée à Bordeaux, et retour à Paris. 463 


Fin de la Table, 


UNIVERSITY OF ILLINOIS-URBANA 


HN 


972.94 
DH5v 


ne